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Rédigé par : José Bové
Date de rédaction :
Organismes : Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de Développement (IRAM), Réseau Agriculture Paysanne et Modernisation (APM), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type de document : Article / document de vulgarisation
José Bové, « La Société Civile des Terres du Larzac », Communication au Séminaire International sur la Réforme Agraire, IBASE, Fondation Charles Leopold Mayer, Rio de Janeiro, mai 1998
On connaît le Larzac comme haut lieu des luttes paysannes en France dans les années 1970, avec la victoire des paysans et éleveurs de moutons de ce plateau du Sud du Massif Central contre l’armée qui souhaitait y agrandir son camp d’entrainement. La contribution des habitants du Larzac à la réflexion nationale sur la gestion du foncier agricole est moins connue. C’est ce sujet qu’aborde cette fiche, rédigée par le syndicaliste paysan José Bové.
La Société Civile des Terres du Larzac présente un intérêt qui dépasse largement le cadre local. Il s’agit du seul « Office foncier » qui ait été mis en place en France par les habitants, dans le cadre d’une réflexion nationale beaucoup plus large qui, elle, n’a pas abouti. Les habitants y gèrent eux-mêmes les terres qu’ils ont récupérées après leur lutte et qu’ils ont choisi de ne pas acquérir en propriété, mais de louer à l’État par le biais d’un bail emphytéotique. Cette petite région est aussi sans doute la seule en France qui ait vu le nombre de ses agriculteurs et éleveurs augmenter au cours de trois dernières décennies.
Une longue lutte paysanne emblématique et victorieuse
Après 10 ans de lutte contre l’expansion du camp militaire du Larzac, grâce à des actions non-violentes originales et médiatiques qui génèrent un très large appui national et international, les paysans du plateau obtiennent en 1981 une victoire historique avec l’annulation du projet.
C’est dans ce contexte qu’est créée la Société Civile des Terres du Larzac (SCTL). C’est la solution juridique imaginée par les habitants du Larzac, pour gérer les 6.300 ha qui avaient été achetés par les Domaines en vue d’agrandir le camp militaire et n’avaient pas été rachetés par leurs anciens propriétaires, souvent non-résidents, après l’abandon du projet d’extension.
La plupart des terres sont alors exploitées, soit parce que la majorité des fermiers 1 ont continué de les cultiver quand leur propriétaire vendait à l’Armée, soit grâce à l’installation « sauvage » de jeunes agriculteurs dans les années 75-77, sur des fermes elles aussi vendues à l’Armée par des spéculateurs. Dès mai 1981, le groupe des paysans du Larzac comprend l’importance de ce stock de terres acquises par l’Etat. Ces 6.300 ha regroupés géographiquement et dégagés du poids de la propriété privée sont perçu comme une chance formidable pour l’agriculture sur le Larzac.
Par ailleurs, les paysans du Larzac ont conscience de la responsabilité qu’ils portent face au monde paysan et aux militants qui les ont soutenu: la solution qu’ils mettront en place doit pouvoir servir d’exemple. L’intérêt de trouver une solution juridique qui garantisse l’activité agricole dans la durée, sans passer par la vente des terres aux agriculteurs dépasse largement le cadre local.
Une redistribution des terres gérée par les paysans du Larzac eux mêmes
Dès 1981, les paysans du Larzac engagent une réflexion collective qui va durer plus de trois ans. L’objectif prioritaire est l’installation de nouvelles exploitations et non l’agrandissement de celles qui existent. Une «commission installation» est donc créée, qui élabore des critères de choix de candidats en privilégiant les projets à forte valeur ajoutée et nécessitant une main-d’oeuvre importante, avec comme perspective l’augmentation de la population sur le plateau 2 et contribuer à redynamiser le tissu économique et social de la région.
Le travail ainsi initié est poursuivi par une « commission intercantonale pour l’aménagement foncier du Larzac » et des commissions communales dans chacune des douze communes du plateau. Au rythme d’une réunion par mois pendant trois ans, cette commission fait l’inventaire des terres disponibles, procède à leur classification agronomique, au choix des candidats et à la répartition. Elle s’occupe aussi des bâtiments à usage non agricole.
La répartition des terres a tenu compte des fermiers justifiant d’un bail avant l’expropriation par l’armée (3.200 hectares retrouvent leurs exploitants), et 2.800 hectares sont attribués à vingt-deux nouvelles exploitations, dont sept créées par occupation des terres pendant la lutte, et quinze après. Pour faciliter l’installation de jeunes agriculteurs, des paysans ont renoncé, sans compensation, à certaines de leurs parcelles. De nombreux échanges de terres ont eu lien dans le but de mieux les regrouper autour des sièges d’exploitation.
Il a fallu aux paysans du Larzac à peine trois ans pour régler cette question.
La création de la Société Civile des Terres du Larzac
A partir de décembre 1982, les paysans recherchent une structure pour gérer les terres du Larzac, afin de remettre la responsabilité de gestion à un organisme indépendant du pouvoir d’Etat. Avec l’aide de juristes, ils optent pour la création d’une Société Civile, une structure originale calquée sur celle des sociétés civiles comportant des associés et ayant pour but de gérer le patrimoine bâti et non bâti de l’Etat sur le Larzac.
Selon les statuts, la moitié des parts plus une doivent être détenues par les associés mentionnés en a/. l’idée étant notamment de garantir l’activité agricole dans la durée.
Au conseil de gérance, la majorité reflète la vocation agricole de la plus grande partie des biens, mais une représentation des usagers non agricoles est assurée, pour que soit pris en compte le développement des activités rurales non liées à l’agriculture, permettant l’équilibre de la vie sur le Larzac.
Le 29 avril 1985, la Société Civile des Terres du Larzac (SCTL) contracte avec l’État un bail emphytéotique de soixante ans, renouvelable pour 6.300 ha 3. Par ce montage juridique, l’Etat s’est engagé dans le sens de la décentralisation et de la gestion, par les intéressés eux-mêmes, de leur outil de travail. La SCTL, qui de par sa composition, réunit la majorité des usagers des biens de l’Etat, gère le patrimoine de l’Etat et prend ses décisions en fonction de l’avis des utilisateurs. Elle loue ou prête le patrimoine dont la gérance lui a été confiée en fonction de règles établies après de longs débats: l’objectif est la revitalisation du plateau, à la fois par des installations et en confortant les gens en place.
Les deux types de contrat principaux 4 retiennent la notion de durée d’activité professionnelle, considérant que les locations (sauf exceptions) sont toujours liées à un usage, au maintien ou à la création d’emplois.
La SCTL propose aux agriculteurs un bail de carrière, valable jusqu’à l’age de la retraite. Ce type de contrat constitue un exemple de sécurisation des droits des exploitants qui ne passe pas par la propriété. C’est un bail agricole normal, conforme au code rural français, qui garantit l’usage de l’exploitation pour toute la durée de l’activité professionnelle 5 mais qui n’est pas automatiquement cessible aux descendants 6. Son prix est fixé comme tous les baux ruraux agricoles en France par barème préfectoral.
Les usagers non agricoles, eux, ont un «prêt à usage» forme de contrat gratuit assez peu connu destiné ici au patrimoine bâti n’ayant aucune vocation agricole. Le prêt est accordé suivant l’usage défini dans le contrat (artisanat, commerce, habitation, …). La durée est fixée par la SCTL en fonction de la durée d’activité professionnelle de l’emprunteur. Il n’est pas cessible aux héritiers et il est gratuit 7.
La SCTL a du prendre en compte le fait que le patrimoine bâti était dans son ensemble en piteux état. La reprise de fermes ou de maisons nécessitait d’importants investissements, que la SCTL ne pouvait pas faire. Laissées à la charge des occupants, les améliorations du bâti sont prises en compte à leur départ. La SCTL a défini une valeur d’usage assurant au locataire sortant une juste indemnisation et aux personnes prenant leur retraite un pécule suffisant pour se reloger ailleurs.
Quelles leçons ?
Bien qu’ayant vu le jour dans des conditions très particulières, l’expérience de la Société Civile des Terres du Larzac représente une approche novatrice et originale de la gestion foncière pour le développement local, dont l’intérêt est beaucoup plus général. Elle montre que la gestion collective d’un ensemble foncier important 8 est possible et peut être une réussite dès l’instant qu’elle s’organise autour des intérêts bien compris des utilisateurs de cet espace.
L’accès au foncier doit être indépendant du titre de propriété. Pour un producteur, le fait de pouvoir s’installer sans être obligé d’acquérir l’outil de travail a été décisif. Le foncier ne doit plus être soumis au marché: sans avoir à abolir la propriété, la gestion du foncier et de sa vocation agricole peut être assurée collectivement au niveau d’une commune, d’un canton ou d’un territoire.
L’usage collectif du foncier est à préserver et l’intérêt collectif doit l’emporter sur l’intérêt individuel. Celui qui travaille la terre ne doit pas forcément décider de tout. Ce sont collectivement les gens vivant sur un territoire qui doivent décider de l’usage du foncier. Une partie du droit de propriété peut être enlevée au seul pouvoir du propriétaire pour gérer collectivement un territoire. Ce n’est plus le principe de « la terre à ceux qui la travaillent », mais plutôt « la terre à l’usage collectif des habitants d’un territoire ».
Pour en savoir plus
Visiter la page Le Larzac, territoire en lutte, qui présente les différents aspects du « Larzac militant » et deux structures foncières collectives, les GFA Larzac et la Société Civile des Terres du Larzac (SCTL) qui ont été mises en place sur ce plateau. Elles gèrent 15% des terres de la partie nord du Larzac, et constituent une situation exceptionnelle de gestion et de contrôle agricole du foncier par les habitants.
1 Pour 103 paysans concernés par la lutte contre l’extension du camp militaire on comptait 450 propriétaires.
2 Touché, comme beaucoup de zones rurales françaises par un phénomène de désertification lié au mode de développement agricole dominant.
3 Les paysans gèrent aussi collectivement 1.200 ha supplémentaires, par le biais de GFAs (Groupement Foncier Agricole) qui avait été constitués à partir de 1973 avec l’appui des militants pour empêcher l’Armée d’acquérir les terres.
4 La SCTL passe un troisième type de contrat, les baux de chasse (gratuits) avec les sociétés de chasse communales.
5 En France, moins de 0,5 % des fermiers en bénéficient, car la plupart des propriétaires privés refusent de s’engager dans des contrats dépassant neuf ans.
6 Si un enfant veut succéder à ses parents pour une utilisation identique, agricole ou artisanale, il le pourra et sera même prioritaire; mais si cet enfant veut garder cette location dans un but contraire à la revitalisation voulue par la SCTL, son contrat ne sera pas accordé et le bien sera loué à un tiers. La décision prise alors sera le fait de l’assemblée générale de la SCTL !
7 La SCTL a préféré le « prêt à usage » à la location, pour éviter l’écueil des « pas de porte », c’est-à-dire la vente d’une activité commerciale en artisanale, qui aurait en fin de compte annulé la possibilité de la SCTL de choisir ses locataires.
8 Nombre de communes françaises sont plus petites.
Bové, José et Dufour, François. Le monde n’est pas une marchandise, Des paysans contre la malbouffe, Entretien avec Gilles Luneau, Ed. La Découverte, Paris, 2000.
Merlet, Michel. Cahier de propositions. Politiques foncières et réformes agraires. Ed. IRAM, réseau APM. Financement FPH. Nov. 2002.
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