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Rédigé par : Lisa Gauvrit
Date de rédaction :
Type de document : Article / document de vulgarisation
L’agriculture et la ruralité ont connu en France des transformations radicales au cours du 20ème siècle. La première moitié du siècle, profondément marquée par les deux guerres mondiales, se caractérise par une croissance régulière mais limitée de la production agricole, sans changement important dans la structure agraire et les dynamiques rurales depuis la fin du 19ème. C’est cependant durant cette période que se préparent les innovations techniques et sociales qui favoriseront, après la Seconde guerre mondiale et durant toute la seconde moitié du siècle, des bouleversements majeurs de l’agriculture.
En soixante ans, on assiste en effet à une métamorphose des structures agraires qui se traduit notamment par la division par cinq du nombre d’actifs agricoles et la multiplication par trois de la taille moyenne des exploitations. Cette fiche esquisse à grands traits les principales étapes qui ont conduit à ces transformations.
Le début du 20ème siècle : l’essor des petits propriétaires-exploitants
Les dynamiques qui ont transformé les campagnes au cours du 19ème siècle marquent le début du 20ème.
L’exode rural, amorcé dans les années 1850 au bénéfice de la Révolution industrielle se poursuit ; la population rurale reste toutefois très majoritaire et l’agriculture occupe encore plus de la moitié de la population active. Les structures sociales se transforment cependant : l’exode touchant particulièrement les actifs ruraux non agricoles, la diversité socioprofessionnelle se réduit sensiblement et les campagnes deviennent essentiellement peuplées d’agriculteurs en ce début de siècle.
Les fermes familiales de polyculture-polyélevage dominent très largement le paysage agricole dans toutes les régions françaises ; partout se pratique une agriculture d’autoconsommation et de vente des surplus dans les circuits locaux ou régionaux. Seules certaines zones spécialisées dans la viticulture ou le maraîchage (en périphérie des bourgs) font véritablement exception. Au début du siècle, on dénombre entre 2 et 3 millions d’exploitations dont 85% ont une superficie de moins de 10 ha. Cette multitude de petites exploitations ne couvrent cependant que 30% de la SAU totale, le reste étant occupé par des exploitations moyennes et grandes employant une main d’œuvre permanente salariée, et, à la marge, par quelques dizaines de grands domaines (qui emploient plus de 50 salariés permanents). En 1906, 47% des terres sont en fermage et métayage.
Le mouvement de modernisation de l’agriculture amorcé au 19ème siècle (amélioration des assolements, cultures fourragères, mécanisation attelée, augmentation des rendements etc.) progresse, bien qu’à un rythme plus lent. Le secteur agricole bénéficie des progrès scientifiques et techniques réalisés dans d’autres domaines, tels que la révolution dans les transports – qui entraîne le désenclavement progressif des campagnes et encourage le développement des filières agricoles et d’approvisionnement en intrants (amendements minéraux) – ou encore les progrès médicaux (dans le domaine de l’élevage). Ce début de 20ème siècle voit également la formation des premiers instituts agricoles, la création des premières organisations syndicales agricoles, des premières unions de coopératives et groupements mutualistes. Le monde agricole commence à se structurer ; bien qu’étant resté, au démarrage, dominé par les grands propriétaires, ce mouvement de structuration gagne plus largement le monde paysan, avec la naissance de fédérations se réclamant du mouvement républicain 1.
Malgré ces évolutions, l’autosuffisance alimentaire n’est pas atteinte au début du siècle, l’agriculture française peine à faire face à la concurrence internationale et les importations s’accroissent malgré les mesures protectionnistes adoptées dès la fin du 19ème. Selon les observateurs de l’époque, l’agriculture française stagne et accuse un retard conséquent par rapport aux autres pays européens. Plusieurs raisons sont invoquées pour expliquer ce phénomène.
Les commentateurs de l’époque l’attribuent volontiers à la masse considérable des très petites exploitations, intensives en travail, qui investissent peu et parviennent tout juste à faire vivre convenablement les familles sur leurs terres. Mais s’il est vrai que l’économie agricole et rurale est alors faiblement monétisée, et que l’épargne l’emporte très largement sur l’investissement, ces exploitations minifundiaires ne couvrent qu’un tiers des superficies cultivées. C’est plus largement le manque généralisé d’investissements dans la production agricole qui semble jouer un rôle prépondérant. Après l’importante crise des prix agricoles des années 1880 et l’effondrement des prix du foncier, une part grandissante de la bourgeoisie terrienne s’est peu à peu désintéressée de l’agriculture. Quand ils ne vendent pas leur terre, ces propriétaires se contentent souvent de prélever une rente foncière élevée qui est réinvestit dans d’autres secteurs (la rente foncière est estimée à environ 15% du produit final de l’agriculture de l’époque). Enfin, un autre facteur apparaît comme déterminant : quelques soient les catégories de paysans, petits ou grands, on investit tout dans l’acquisition de foncier, alors érigé en instrument suprême de sécurisation, d’assise sociale et de transmission patrimoniale. L’époque est à « la liberté par la propriété ». Et les conditions du marché foncier sont de fait propices à l’accès à la propriété, y compris pour des exploitants modestes.
Plus globalement, et même si les trajectoires sont différenciées selon les régions, cette période marque pour les historiens l’avènement de la « démocratie des petits propriétaires », caractérisant à la fois la structuration, la mobilisation politique de la paysannerie et l’importance de la propriété foncière. En contraste, la condition des métayers et des fermiers stagne ; en l’absence de réforme substantielle de leurs statuts, ils sont maintenus dans la précarité et, pour beaucoup encore, dans la pauvreté. Il faudra attendre une trentaine d’années avant que leur condition n’évolue.
L’entre-deux guerres : vers l’affirmation de l’exploitation familiale moyenne
La Grande Guerre marque un temps d’arrêt à ces transformations sociales et techniques. Après les ravages de la guerre, les campagnes sont affaiblies et profondément bouleversées sur le plan démographique. Privées d’une part très importante de leur main d’œuvre, elles peinent à nourrir le pays.
Si l’entre-deux guerres ne connaît pas de rupture manifeste dans les systèmes de production, c’est cependant une période riche en innovations, durant laquelle sont posées les bases de la mutation plus radicale que connaîtra l’agriculture après la Seconde guerre mondiale.
Durant cette période en effet, la recherche et la formation s’intensifient, avec pour objet la sélection génétique (variétés et races animales), la mise au point de nouvelles machines attelées, l’usage des engrais et l’augmentation des rendements qui passent pour le blé de 1,2 tonne/ha en 1900 à 2,4 tonnes/ha en 1950 etc. La petite mécanisation (non motorisée) est développée pour pallier au manque grandissant de main d’œuvre que connaissent certaines régions (d’autres régions ont recours à l’immigration, italienne notamment).
La structuration du monde agricole se poursuit aussi autour des enjeux de stabilisation des prix et de captation de la valeur ajoutée, avec la création d’offices interprofessionnels par filière et la généralisation des coopératives de collecte et de stockage, gages d’une plus grande maîtrise de l’aval par les agriculteurs face aux négociants et aux industriels.
Le mouvement de la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) voit également le jour en 1929 ; formé initialement autour d’une mission traditionnaliste de reconquête chrétienne dans les campagnes, ce mouvement adopte progressivement une nouvelle approche de son engagement, plus progressiste et éducative 2, et jouera un rôle majeur dans l’évolution de l’agriculture dans les décennies qui suivront.
A nouveau, malgré ces évolutions, l’agriculture subit les effets de la crise générale de l’économie des années 30 et ne parvient pas à soustraire le pays de sa dépendance vis-à-vis des importations (notamment en céréales). Pourtant, les évolutions structurelles sont loin d’être négligeables sur l’ensemble de la période. La productivité agricole a progressé de façon relativement importante : pour une production croissante, les surfaces cultivées ont diminué sensiblement et on dénombre, rien qu’entre 1921 et 1936, 1,8 millions d’actifs agricoles en moins (constitué notamment par les salariés permanents). De la fin du 19ème jusqu’aux années 1930, 30% des exploitations ont disparu ; ce sont les petites fermes (<5ha) et les grands domaines qui sont largement touchés et on assiste dans le même temps à la disparition de couches sociales entières en milieu rural. Les exploitations de 10 à 50 ha en revanche sont celles qui ont le plus progressé, marquant déjà l’émergence de l’exploitation familiale moyenne comme modèle incontournable dans les campagnes françaises. Ces exploitations sont représentées par des organisations paysannes de plus en plus puissantes et structurées.
Le déclin du pouvoir des grands propriétaires-bailleurs et le rapport de force politique en faveur des paysans au niveau national – qui s’est établit dans les années 30 et renforcé pendant la guerre – se traduit par une mesure absolument centrale pour le devenir de l’agriculture : la loi sur le fermage et le métayage, définitivement établie en 1946, et qui sécurise les droits des producteurs qui travaillent la terre sans en être propriétaires 3.
La seconde moitié du 20ème siècle : la « révolution silencieuse »
1- L’impulsion d’après-guerre : un contexte économique favorable et des politiques volontaristes
Après la seconde guerre mondiale, la nécessité de conquérir rapidement un niveau de production apte à assurer la sécurité et l’indépendance alimentaires du pays incite les pouvoirs publics à mettre en œuvre une série de mesures volontaristes en faveur du développement de l’agriculture. Bénéficiant de l’aide économique du plan Marshall, l’agriculture française est alors engagée dans un processus de modernisation sans précédent.
Les transformations portent dans un premier temps sur la structuration du monde agricole et sur le progrès technique. Dès 1945, la profession agricole renforce les bases de ce qui existe encore actuellement : la « voiture à quatre roues » composée des coopératives (collecte de la production), du Crédit agricole (banque), de la Mutualité sociale agricole (MSA, qui réunit les assurances récoltes, et les allocations familiales et sécurité sociale dans un régime spécifique aux agriculteurs) et du syndicalisme agricole (syndicat unique à l’origine, la C.G.A., Confédération Générale Agricole).
La formation des jeunes agriculteurs aux techniques modernes et à la mécanisation sont encouragées (dons de machines, prêts à taux avantageux, stages aux États-Unis etc.). Par ailleurs, l’INRA (Institut National de Recherche en Agronomie) est créé en 1946, avec pour mission fondatrice d’améliorer les techniques de production et la sélection génétique végétale et animale. C’est ensuite tout un appareil de recherche, développement et enseignement, porté conjointement par l’État et la profession agricole, qui se met en place autour de l’objectif d’accroissement de la productivité. Les rendements augmentent rapidement (cf. graphique 3).
Dès les années 50 s’impose l’idée qu’une transformation des structures agricoles de grande ampleur est nécessaire pour pouvoir moderniser l’agriculture. Les lois d’orientation agricole de 1960 et 62 introduisent une politique d’accompagnement (aides au départ des exploitants les plus âgés, à la reconversion professionnelle, à l’installation des jeunes etc.) visant à instituer comme modèle de développement l’exploitation familiale de taille moyenne à deux actifs (cf. Fiche : Le contexte de l’après-guerre et la genèse des lois d’orientation des années 1960).
C’est ce modèle en effet qui est jugé adapté pour atteindre le niveau de rentabilité et de compétitivité économiques nécessaire dans un contexte d’ouverture de l’économie (au marché commun européen notamment) et de concurrence internationale accrue. Il traduit une conception entrepreneuriale de l’activité agricole, s’inspirant du « farmer » Nord-américain tout en conservant une dimension familiale absolument centrale. Le terme d’ « exploitant », né à cette période, remplace celui de « paysan », négativement connoté car galvaudé par le régime vichyste pendant la guerre. Cette figure du nouvel « exploitant agricole » incarne le processus en marche de modernisation de l’agriculture et le changement identitaire qui l’accompagne, en rapprochant la paysannerie des autres secteurs de l’économie par l’idée de technicité qu’il véhicule 4 .
Le monde agricole, et notamment les jeunes agriculteurs représentés par le CNJA (Cercle Nationale des Jeunes Agricoles), participe très activement à l’émergence de ce projet de modernisation et à la cogestion de la politique mise en œuvre avec les pouvoirs publics 5.
Nettement favorisée par un contexte économique florissant, porteur d’opportunités d’emploi dans les autres secteurs d’activité, cette politique est efficace rapidement. Ainsi, entre 1954 et 1976 seulement, le nombre des actifs agricoles est divisé par deux et cette tendance se prolongera encore jusqu’à la fin du siècle (cf. Tableaux 1 et 2). La réussite de cette politique, qui suppose un transfert de foncier considérable, repose également sur des mesures facilitant l’accès à la terre, via entre autres une consolidation du faire-valoir indirect et de mesures de régulation du marché foncier 6 avec la création des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) en 1962.
La Politique Agricole Commune (PAC) européenne, créée en 1962, reprend à son compte certaines de ces mesures structurelles et instaure également un système de garantie des prix pour les produits stratégiques, d’organisation commune des marchés et de soutien à l’exportation pour gérer les excédents. Elle constitue un facteur décisif d’évolution en offrant des débouchés, une protection extérieure et des moyens de financement.
Année | 1970 | 1979 | 1988 | 2003 | 2007 |
Part des exploitants de moins de 40 ans
(% du total) | 18 | 17 | 24 | 23 | 18 |
Part des exploitants de plus de 60 ans
(% du total) | 31 | 23 | 26 | 19 | 21 |
Année | 1955 | 1970 | 1988 | 2000 | 2010 |
Actifs agricoles (millions) | 6,3 | 1,5 | 1 | 0,66 | 0,5 |
Part des actifs agricoles/population active | 27% | 14% | 6% | 4,5% | 3,5% |
2- Un bond de productivité sans précédent, qui modifie durablement le paysage agricole et rural
C’est ainsi une agriculture hautement productive qui se développe et génère une augmentation rapide de la production nationale, aussi bien animale que végétale. Elle est de plus en plus insérée dans les échanges marchands régionaux, nationaux et internationaux et s’appuie sur des investissements croissants au sein des fermes, pour lesquels le recours au crédit est indispensable. La progression rapide de la productivité repose en effet sur un équipement de plus en plus élaboré et coûteux (moto-mécanisation, rationalisation des bâtiments d’élevage, automatisation des méthodes de traite etc.), sur l’amélioration génétique et la généralisation de l’usage d’intrants chimiques.
La sophistication des systèmes de production et la recherche d’économies d’échelle s’accompagnent d’une spécialisation des exploitations puis d’une spécialisation régionale de plus en plus poussées, qui modifient profondément le paysage agricole du pays. Simplification des assolements, agrandissement des parcelles et abattage des haies et talus, recul des pâturages, retournement des prairies et implantation de maïs fourrager, sont autant de témoignages du mouvement d’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage et de la division du travail entre systèmes de production qui l’accompagne. C’est dans le même temps une véritable mutation sociale qui s’opère en milieu rural : accès pour les agriculteurs à une certaine parité des revenus avec les autres secteurs, amélioration des conditions de vie et des infrastructures rurales, accès à la retraite, recentrage de la vie de l’exploitation sur la famille nucléaire, pluriactivité des couples d’exploitants, recours de plus en plus rare au salariat permanent etc.
3- La course à la productivité et à l’agrandissement
L’autosuffisance alimentaire est atteinte dès le milieu des années 70 (dès les années 50 même pour les céréales). Mais lorsque cet objectif est atteint, l’agriculture française (et européenne) choisit de maintenir la même politique agricole, de continuer d’augmenter ses capacités de production à des fins d’exportation et de poursuivre son mode de développement de type productiviste. Le secteur agroalimentaire occupe une place stratégique dans la balance commerciale du pays (structurellement excédentaire pour l’agroalimentaire depuis 1974). Un nouvel enjeu s’impose alors : assurer le revenu des exploitants et la viabilité économique des fermes.
En effet, la productivité agricole s’est accrue plus vite que dans les autres secteurs ; l’industrie agroalimentaire, dont la demande se standardise de plus en plus, prend un poids grandissant et capte une part croissante de la valeur ajoutée. Les prix agricoles ne cessent de baisser, et pour maintenir leur revenu tout en effectuant des investissements de plus en plus lourds à amortir, les exploitations sont lancées dans une course à la productivité et à l’agrandissement, qui aujourd’hui encore n’est pas révolue (cf. graphique 2). La disparition des exploitations et les problèmes de transmission s’accentuent de concert (cf. tableau 1 et graphique 1).
Après une longue période de relâchement du prix de la terre, le phénomène de concentration des exploitations induit une forte tension autour du foncier. Le marché foncier voit ses prix s’accroître dans des proportions inégalées. Ce phénomène est encore plus marqué dans les zones périurbaines où s’ajoute la concurrence avec l’habitat et les infrastructures urbaines. On ne peut plus, comme autrefois, espérer constituer une exploitation de façon progressive ; l’accès à la terre devient un véritable droit d’entrée pour ceux qui veulent s’installer comme agriculteurs, et le recours à l’endettement est quasi systématique. La loi sur le fermage et les différentes mesures de régulation instaurée par l’État évite cependant que cet accès si concurrentiel à la propriété foncière ne constitue un frein au développement des exploitations familiales. On agrandit les exploitations en achetant et en louant de petites parcelles aux exploitations finissantes, en concurrence avec ses voisins. Près de la moitié des terres en fermage appartiennent aujourd’hui à des retraités qui louent leurs terres à leur successeur potentiel. On considère cependant que 80% des terres agricoles sont aujourd’hui maîtrisées par les familles paysannes au sens large 12, le reste étant géré sous forme sociétaire.
On assiste également à un changement de nature de l’exploitation agricole. L’activité agricole intensifie son intégration à la sphère économique. L’importance des relations au marché et des biens immatériels (contrat de production, recours à l’endettement, droits à produire, clientèle en vente directe, etc.) marquent l’émergence de l’exploitation « activité » qui se substitue à l’exploitation « foncier ». Elle devient également un entité juridique propre, distincte du ménage agricole et patrimoine personnel et patrimoine d’exploitation sont séparés.
Année | 1955 | 1970 | 2000 | 2007 | 2010 |
Faire-valoir direct | 52% | 52% | 34% | 23% | 21% |
Fermage ou métayage | 48% | 48% | 66% | 77% | 79% |
4- Le modèle ’productiviste’ en crise
A partir des années 1980, les problèmes de surproduction en Europe et les coûts budgétaires qu’ils entraînent pour la PAC s’aggravent. Après l’introduction en 1984 des premiers quotas de production pour le lait, la réforme de la PAC de 1992 marque une rupture importante. Introduisant entre autres la jachère obligatoire et la prime à l’herbe, elle vise à maîtriser les excédents, endiguer la dérive budgétaire qui touche la politique communautaire et protéger l’environnement en extensifiant les productions. Elle diminue fortement les prix de soutien directs à la production (en établissant des primes compensatoires par hectare qui vont amplifier l’agrandissement des exploitations), prix qui seront à nouveau baissés en 1999 jusqu’au découplage entre les aides et la production instauré en 2003. Les pays européens tentent également par ce biais de remédier aux critiques de leurs partenaires commerciaux à l’OMC, qui dénoncent un système de concurrence déloyale sur les marchés internationaux. Ces réformes successives font apparaître la très grande dépendance des revenus agricoles aux aides européennes, de même que leur fragilité dans un contexte de plus en plus compétitif, qui entretient toujours la course à la productivité et à l’agrandissement.
En France, le modèle productiviste est de plus en plus remis en question par les citoyens, du fait de ses conséquences environnementales néfastes ainsi que son incidence sur la qualité des aliments (sécurité sanitaire, standardisation etc.) ou encore sur les territoires ruraux : la déprise gagne les régions les moins adaptées au modèle d’agriculture spécialisée (zones de montagne et du sud de le France notamment), où les paysages se ferment et les campagnes se vident. De plus, le vieillissement des agriculteurs (comparable à celui des années 70, cf. tableau 2) indique que l’installation est insuffisante, malgré les mesures successives en sa faveur, face aux dynamiques d’agrandissement.
En ce début de 21ème siècle, l’agriculture est confrontée à une nouvelle donne. Elle s’insère dans un contexte rural nouveau, où les agriculteurs n’ont plus la place prédominante qu’ils occupaient autrefois. Le repeuplement des campagnes qui s’est amorcé dans les années 70 avec les migrations résidentielles vers les espaces périurbains, s’étend – bien qu’à des rythmes différents – à la plupart des territoires. Les acteurs ruraux sont à présent multiples, de même que les usages de l’espace (productifs, résidentiels, récréatifs, écologiques etc.) et les attentes de la société vis-à-vis de l’agriculture (environnementales, alimentaires, économiques, territoriales…).
Les trajectoires d’exploitations se diversifient, l’agriculture est plus que jamais plurielle. L’exploitant moderne pratique l’agriculture biologique, conventionnelle, ou de précision (assistée par GPS) ; il peut être inséré dans des filières courtes ou des filières industrielles intégrées etc. Il en va de même des aspirations et choix politiques des agriculteurs ; il n’y a plus de projet unique revendiqué d’une seule voix par l’ensemble de la profession, et l’unité syndicale affirmée autrefois a cédé la place à la pluralité et au débat. Le modèle qui est né, avec un succès certain, du contrat social passé entre la société et le monde agricole dans les années 50, a perdu de son sens face aux enjeux nouveaux, et doit aujourd’hui se réinventer pour mettre les progrès considérables accomplis par les exploitations familiales au service d’un projet renouvelé et partagé avec la société.
1 Voir la Fiche : Le syndicalisme agricole et son rôle dans la mise en place de la politique agricole
2 Vincent Flauraud, « La Jeunesse Agricole Catholique (JAC) », Rives nord-méditerranéennes [En ligne], 21 | 2005, mis en ligne le 19 janvier 2006, Consulté le 25 janvier 2012. URL : rives.revues.org/496
3 Voir la fiche : Le statut du fermage. Une expérience réussie de sécurisation des droits d’usage du sol des producteurs agricoles
4 Ce terme d’« exploitation agricole », bien qu’ayant perduré jusqu’à aujourd’hui, est parfois contesté car il renvoie à une notion de domination de l’homme sur la nature pour caractériser la relation de l’agriculteur à son activité et à la terre.
5 Voir la Fiche : Le syndicalisme agricole et son rôle dans la mise en place de la politique agricole
6 Voir la Fiche : Les lois d’orientation des années 1960
7 Duby, Wallon 1977 ; Agreste - Enquête structure 2007 et recensement agricole 2010
8 Agreste Primeur n°215, 2008. Enquête sur la structure des exploitations 2007; Bourgeois et al., 2000, d’après données SCEES.
9 Bazin G., d’après données SCEES.
10 Duby, Wallon 1977 ; Agreste - Enquête structure 2007 et recensement agricole 2000 et 2010
11 graphique extrait de Agreste Primeur n°210, 2008.
12 Les propriétaires sont des membres de la famille cédant l’usage des terres à celui qui est agriculteur de profession.
13 D’après Duby, Wallon 1977 et Agreste - Enquête structure 2007 et recensement agricole 2000, 2010
Allaire G., 1988. Le modèle de développement agricole des années 1960, in : Économie rurale. N°184-186.
Bourgeois L., Demotes-Mainard M., 2000. Les cinquante ans qui ont changé l’agriculture française, in : Économie rurale. N°255-256.
Duby G., Wallon A. (Dir), 1977. L’Histoire de la France Rurale, tome III et IV, éditions du Seuil.
Desriers M., 2007. L’agriculture française depuis cinquante ans : des petites exploitations familiales aux droits à paiement unique, in : Agreste cahiers n° 2 - juillet 2007.
Flamand J.C., 2010. Une brève histoire des transformations de l’agriculture au 20è siècle, Mission Agrobiosciences.
Flauraud V., 2005. La Jeunesse Agricole Catholique (JAC), Rives nord-méditerranéennes.
Agreste Primeur n°215, 2008. Enquête sur la structure des exploitations 2007.
Agreste Primeur n°210, 2008. Les rendements du blé et du maïs ne progressent plus.
SCEES, Recensement agricole 2010.