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Rédigé par : Michel Merlet, Robert Levesque
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Les marchés fonciers ne sont pas capables à eux seuls de redistribuer la terre à ceux qui en font le meilleur usage. Pour éviter que des phénomènes de concentration foncière ne viennent menacer le développement de l’agriculture familiale, des mécanismes de régulation des marchés fonciers des terres agricoles ont été développés en France, impliquant des organisations représentant les producteurs et des institutions publiques. Leurs caractéristiques générales sont décrites dans cette fiche. Les limites que de tels mécanismes ont montrées dans la pratique sont évoquées, mais ne sont pas développées ici.
La question de la concentration des terres par une minorité et de la dépossession d’un grand nombre de petits producteurs se pose avec acuité dans de nombreux pays. Que ce soit dans les situations post réforme agraire (voir le dossier spécifique [Réformes agraires], ou dans les situations d’accaparements de terres qui se sont intensifiés au début du XXIe siècle (voir le site de l’association AGTER), il est utile pour pouvoir construire des réponses adaptées de prendre connaissance des dispositifs de régulation des marchés fonciers qui ont été réellement appliqués.
Il existe en France un système de régulation des marchés fonciers qui fait intervenir l’Etat et les Organisations Paysannes, assez peu connu hors des frontières de ce pays: les Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural (SAFER). Ce système constitue un des éléments clefs de ce que l’on appelle en France la « politique des structures », regroupant l’ensemble des politiques agricoles destinées à permettre la modernisation des exploitations agricoles et la mise en adéquation de leur accès au foncier avec les nouvelles exigences techniques et sociales dans le cadre d’un système fondé sur la production agricole familiale que l’on souhaite conserver.
La création des SAFER, par la loi d’orientation agricole d’août 1960, est le produit de la réflexion et des revendications des producteurs agricoles 2, dans un contexte de forte demande d’acquisition du foncier. L’Etat et le syndicalisme des jeunes agriculteurs partageaient un objectif commun : celui de préparer l’agriculture française à rentrer dans le marché commun de l’Europe des 6 (France, Italie, Allemagne, Luxembourg, Belgique et Pays-Bas). Les exploitations agricoles françaises étaient nombreuses, petites, morcelées. Il s’est dégagé une volonté politique pour moderniser les structures des exploitations agricoles familiales et dynamiser l’agriculture à un moment où l’Europe était importatrice nette de produits alimentaires. Les Safer sont créées dans l’optique d’acheter des terres agricoles et des sièges d’exploitation pour favoriser l’installation de jeunes agriculteurs sur de bons outils de production, la restructuration parcellaire et l’agrandissement d’exploitation en dessous du seuil de rentabilité. Compte tenu de la forte hausse du prix de la terre, s’expliquant par la hausse des revenus agricoles, avec des prix garantis indépendants de la quantité produite, la profession agricole jeune a voulu que les Safer puissent réorienter une partie des biens mis librement sur le marché vers les prioritaires de la politique des structures. Ainsi, la loi de 1960 est complétée deux ans plus tard, par l’attribution aux SAFER du droit de préemption qui ne leur avait pas été accordé dans un premier temps 3.
Les SAFER ont pour mission « d’améliorer les structures agricoles, d’accroître la superficie de certaines exploitations et de faciliter la mise en culture du sol et l’installation d’agriculteurs à la terre ».
Au nombre de 29, ces sociétés anonymes à but non lucratif sont réparties sur l’ensemble du territoire y compris dans les Départements d’Outre-Mer (DOM). Elles sont gérées par un conseil d’administration qui comprend les divers actionnaires (Crédit Agricole, Chambres d’Agriculture, mutuelles, collectivités locales, les organisations professionnelles agricoles dont les syndicats 4).
Elles sont habilitées à acquérir, rétrocéder et échanger des terres, des exploitations agricoles (terres et/ou bâtiment, matériel, cheptel), ou des exploitations forestières. Elles ont l’obligation de revendre les biens acquis dans les 5 ans, avec prolongation de ce délai dans certaines circonstances (remembrement, plantation, reboisement, etc.).
L’action des SAFER est régie par les principes de :
motivation: les SAFER doivent motiver leur préemption sous peine de nullité, il en va de même pour les rétrocessions.
publicité: des mesures de publicité doivent assurer la transparence de leurs actions. Le défaut de respect de cette exigence est de nature à entraîner la nullité des acquisitions ou rétrocessions opérées.
droit au démantèlement des exploitations agricoles existantes. Ce principe a donné lieu à toute une jurisprudence autour du reproche fait aux SAFER de démanteler des exploitations équilibrées.
Parmi les actes accomplis par la SAFER, la préemption, même si elle n’est pas le plus important en nombre, est celui qui a soulevé le plus de critiques et de litiges.
La préemption se définit comme le droit pour la SAFER de se substituer à l’acquéreur pour une vente de biens fonciers agricoles sur le territoire dont elles ont la charge.
Pour que cela puisse fonctionner, toute vente d’un fonds agricole ou d’un terrain à destination agricole situé dans un périmètre à l’intérieur duquel une SAFER est susceptible d’exercer son droit de préemption doit faire l’objet d’une notification par le notaire à la SAFER. La notification est considérée comme une offre de vente à la Safer. Cette obligation d’information fait de la SAFER un observatoire privilégié du marché foncier, lui permettant par la même d’agir contre la spéculation foncière.
Ce droit de préemption n’est pas général, (nombreuses exemptions), ni automatique ou absolu. Dans la pratique il ne s’est exercé que sur 1 à 2 % des surfaces agricoles mises en vente sur le marché, en moyenne.
La loi fixe les finalités par lesquelles la SAFER peut motiver la préemption :
l’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs. C’est là un des fondements de la SAFER,
l’agrandissement des exploitations existantes. C’est là aussi un principe de base de la SAFER étant donné le contexte de sa création : la faible superficie de la majorité des exploitations françaises,
la préservation de l’équilibre des exploitations lorsqu’il est compromis par l’emprise de travaux publics,
la sauvegarde du caractère familial de l’exploitation,
la lutte contre la spéculation foncière,
la conservation d’exploitation viable existante lorsqu’elle est compromise par la cession séparée du terrain et des bâtiments,
la mise en valeur et la protection de la forêt.
Toute préemption fait l’objet d’un dossier présentant les motivations auprès de ses 2 Commissaires du Gouvernement, l’un représentant le Ministère de l’Agriculture, l’autre le Ministère des Finances. Ces deux Commissaires doivent donner leur accord explicite. Représentant l’Etat, ils ont un droit de veto sur toutes les décisions de la Safer. Ainsi, toutes les décisions de la Safer sont validées par l’Etat. Toute préemption doit aboutir à un aménagement meilleur que celui qui se serait opéré par le simple jeu du marché.
Quand la Safer achète par préemption, elle achète aux conditions, notamment de prix qui lui ont été indiquées dans la notification. Elle se substitue purement et simplement à l’acquéreur évincé. Le vendeur est obligé de vendre à la Safer.
Toutefois, si la Safer considère que le prix indiqué dans la notification est trop élevé par rapport au marché habituel, elle peut exercer son droit de préemption avec révision de prix. Elle propose alors un prix à la baisse au vendeur qui a le droit d’accepter ou de refuser en retirant le bien de la vente.
Chaque attribution de biens fonciers par la Safer fait l’objet d’un appel à candidature. Celles-ci sont étudiées, le cas échéant par des commissions locales, composées de syndicalistes et parfois d’élus locaux, qui formulent des avis, puis par un Comité technique départemental (qui a été officialisé en 1999) qui regroupe le syndicalisme agricole, des représentants d’élus locaux, et des personnes qualifiées. Ces Comités techniques formulent des avis pour le choix des attributaires. Il revient au Conseil d’administration de décider. Toutefois, les décisions du Conseil d’administration ne peuvent être mises en œuvre qu’après l’accord des 2 Commissaires du Gouvernement. Le refus d’un des Commissaires oblige à reprendre d’autres décisions.
Pour être retenu comme attributaire, il faut disposer du financement nécessaire. Le refus par une banque d’un accord de prêt peut remettre en cause les choix initiaux de la Safer. L’efficacité d’une politique foncière dépend également des modalités différenciées d’accès aux prêts fonciers des candidats à l’achat. 5
De fait, globalement, le système mis en place s’est révélé plutôt efficace à remplir sa mission. Il convient toutefois de souligner que de nombreuses critiques sont exprimées, en partie du fait de la non reconnaissance du pluralisme syndical jusqu’en 1981 et qu’à chaque attribution la Safer satisfait l’attributaire et mécontente les autres candidats non retenus. L’influence du syndicalisme agricole départemental de la FDSEA et surtout du CDJA (les jeunes étant les plus concernés) a été déterminante dans l’intensité et les modalités de la mise en œuvre des politiques foncières agricoles. Les positions syndicales variant fortement selon régions agricoles, la politique des structures a été appliquée de façon très hétérogène.
Depuis leur création, le rôle des SAFER a évolué avec les problématiques foncières du milieu rural et la loi a été adaptée en parallèle. Si leurs interventions répondaient à l’origine à une mission d’aménagement des structures agricoles, elles sont devenues progressivement un instrument d’aménagement du territoire. Les SAFER permettent aux communes de mieux gérer, en les anticipant, des aménagements publics nécessitant l’expropriation et le déplacement de certaines exploitations. Les SAFER peuvent en effet participer aux opérations d’aménagement foncier rural ; elles peuvent apporter leur concours à la création d’associations syndicales autorisées ; elles peuvent orienter des terres, bâtiments ou exploitations vers des usages non agricoles, en vue de favoriser le développement rural ; elles peuvent contribuer à la protection de la nature et de l’environnement ; elles peuvent aussi apporter leur concours technique auprès des Parcs nationaux et des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, les Safer ont une mission de service public pour mettre en œuvre le volet foncier des politiques publiques de l’Etat et des Collectivités locales pour favoriser le développement de l’agriculture et de la forêt, pour préserver les paysages et l’environnement, pour favoriser le développement local et l’aménagement du territoire (infrastructures routières et autoroutières, ligne à grande vitesse, canaux).
Elles peuvent préempter pour des motifs agricoles mais aussi environnementaux depuis 1999. Il convient de noter que 90 % de leurs interventions se réalisent à l’amiable.
De fait, les SAFER, destinataires de toutes les notifications de vente et possédant par conséquent une parfaite connaissance du marché foncier rural, constituent un partenaire incontournable du développement local après avoir été longtemps perçues comme l’outil permettant d’assurer une évolution harmonieuse des structures agricoles, et d’éviter les accaparements excessifs et la spéculation.
1Il existe aussi des lois qui réglementent le statut du fermage et garantissent les droits des exploitants. Voir la fiche correspondante dans ce dossier.
2Le CNJA (Centre National des Jeunes Agriculteurs) et la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) joueront un rôle central à ce niveau.
3 Ces deux premières lois seront complétées par la suite par plusieurs amendements modifiant les textes établissant les grands principes de fonctionnement des SAFER.
4 Jusqu’en 1981, un seul courant syndical était officiellement reconnu en France, celui de la FNSEA et du CNJA.
5 Le Crédit agricole, à la fois réseau coopératif et structure publique appuyée par l’Etat, a joué en France un rôle essentiel. Pour en savoir plus sur l’histoire de cette banque et sur les politiques de financement de l’agriculture en France, voir l’article de Christian Bosséno dans « Campagnes en mouvement. Un siècle d’organisations paysannes en France », coordinateurs Médard Lebot et Denis Pesche, Ed. Charles Léopold Mayer et Inter-Réseaux, 1998 et l’ouvrage d’André Neveu, « Financer l’agriculture, quels systèmes bancaires pour quelles agricultures ? » Ed. Charles Léopold Mayer, 2001 (fiches 2 et 3).
Coulomb, Pierre. La politique foncière agricole en France. in Cahiers Options Méditerranéennes, vol. 36. CIHEAM - Institut Agronomique Méditerranéen, Montpellier (France).
Rivera, Marie-Christine. FNSAFER, Paris. Le foncier en Europe. Politiques des structures au Danemark, en France et au Portugal. in Cahiers Options Méditerranéennes, vol. 36. CIHEAM - Institut Agronomique Méditerranéen, Montpellier (France).
LACHAUD, Jacques. SAFER, Définitions, Fonctions, Recours. Ed France Agricole. 1998.
Première version de cette fiche. Cahier de propositions Politiques foncières et réformes agraires. M. Merlet, FPH, APM, IRAM, 2001.