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Une expérience de gestion collective du foncier basée sur des Trusts.
Rédigé par : Sjoerd Wartena, Michel Merlet
Date de rédaction :
Type de document : Article / document de vulgarisation
James M. Libby Jr. et Darby Bradley, Vermont Housing and Conservation Board. A conspiracy of Good Will among Land Trusts and Housing Trusts. (Le Conseil du Logement et de la Conservation du Vermont: une conspiration pour la bonne cause des sociétés foncières et des sociétés pour le logement).
Ce texte a été publié dans Charles Geisler and Gail Daneker (edited by), Property and Values, Alternatives to Public and Private Ownership. (Propriété et Valeurs. Alternatives à la propriété publique et privée), Island Press, Equity Trust, 2000.
Pour la plupart des citoyens américains, les jours où il était possible de se promener dans les campagnes à proximité de son lieu de résidence sont révolus. Le développement urbain a consommé beaucoup de terres, détruit les paysages et souvent en même temps dévitalisé les centres-villes. Recréer une cohérence entre développement urbain et conservation des terres agricoles et naturelles répond ainsi à des besoins des urbains et des ruraux. Il devient possible de définir une base commune qui réunit citadins et acteurs ruraux autour d’intérêts partagés.
Ce travail est bien avancé dans le Vermont. L’expérience décrite dans cette fiche ouvre des perspectives intéressantes en articulant des objectifs sociaux, économiques et d’urbanisme avec la protection des terres agricoles et naturelles.1
En 1986, des groupes d’écologistes et d’avocats oeuvrant pour le logement social, créaient au Vermont la « Coalition pour le logement et la nature ». Cette coalition cherchait à pousser les pouvoirs publics à créer un fonds d’Etat, qui pourrait fournir un soutien financier et technique à des organisations à but non lucratif pour protéger les fermes, les forêts, les sites naturels et historiques ET pour développer des logements sociaux (habitations à loyers modestes, « affordable housing »).
La coalition a réussi à trouver des fonds publics avec la création du « Conseil pour l’habitation et la Conservation », une organisation semi-publique remarquable, qui soutient un réseau d’associations locales à but non lucratif dans l’État du Vermont. Cette réussite a permis de développer des modèles de propriété, de gestion et des régimes fonciers novateurs fondés sur de nouveaux équilibres entre intérêts privés et valeurs communautaires.
Le contexte
De nombreux textes scientifiques et éducatifs ont été produits aux EUA sur la confluence entre nature et culture et sur les possibles conflits qui résultent d’interactions humaines avec la nature. Ces travaux sont liés à un mouvement regroupant des milliers de personnes qui travaillent directement avec des « land trusts », pour pérenniser la protection de la terre.
« Land trust » se réfère ici à des organisations à but non lucratif dotées d’un statut fiscal spécifique (exemption de paiement d’impôts). Ils ont comme but de conserver des terres en assistant ou en intervenant directement dans les transactions foncières, principalement en recevant en don ou en achetant des terres ou des « easements ».
Les auteurs définissent conservation easement comme un type de document foncier légal, intitulé « Grant of Development Rights and Conservation Restrictions », que l’on pourrait traduire « cession de droits fonciers comprenant des restrictions liées à la conservation », qui est donné ou vendu à un land trust ou à un établissement public. Un conservation easement spécifie jusqu’à quel niveau peut avoir lieu un développement résidentiel ou commercial sur les terres. Il établit des restrictions sur les futurs usages du sol et des ressources naturelles (par exemple, terres agricoles, terres forestières, eau, zones humides, et/ou vie sauvage) en définissant ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. 2
En l’an 2000, il existait 1213 land trusts aux EUA, surtout dans l’Est du pays. Cette forme d’organisation s’est développée fortement dans les montagnes rocheuses, le Sud et le Sud Ouest du pays
Les gens qui soutiennent ce mouvement, y adhèrent et y apportent de l’argent ou des terres, constituent un véritable groupe de pression sur les pouvoirs publics. Le mouvement regroupe de grandes organisations comme « The Nature Conservancy » (TNC) qui gère 5 millions d’hectares et compte 900.000 adhérents sur l’ensemble des E.U.A., et de petites associations, liées à un village ou à un « pays », dans le sens français du mot.
Pour attirer l’intérêt des pouvoirs publics, ces organisations ont tissé des liens avec des organisations qui s’occupaient de la construction et de la rénovation des habitations à loyer modeste sur la longue durée. Ce dernier point constituait une condition pour recevoir des aides publiques. Ces « trusts » liés au logement ont avant tout une série d’objectifs sociaux (économiques, alimentation, sécurité sociale, enfants, emploi, éducation et intégration sociale). Ils entendent contribuer à une distribution plus équitable des richesses et à une plus grande justice économique. Ils travaillent sur les relations entre la propriété foncière et la situation sociale dans les zones périurbaines (détresse urbaine, chômage, perte des repères et isolement, faible investissement dans les écoles, transport insuffisant, et d’une façon générale, insuffisances de l’infrastructure citadine).
James M. Libby Jr. et Darby Bradley mettent en évidence les intérêts communs entre ces deux mouvements et expliquent en quoi cette politique a permis de mettre en place des droits de propriété spécifiques permettant de mieux gérer l’espace urbain et rural.
Le développement des « land trusts » au Vermont
Le Vermont a été le 14ème État qui a adhéré à l’Union, en 1791. Les villes industrielles et commerçantes se trouvaient jadis au coeur d’un milieu rural et agricole prospère. L’Etat avait un aspect assez européen. Avec le temps, l’augmentation de la population, le développement des infrastructures, cette situation a bien changé et les paysages se sont transformés. L’installation de résidents aisés et le tourisme ont donné lieu à un processus de spéculation foncière. Malgré des mesures législatives prises dès 1970, la situation s’est dégradée. Le sentiment qu’il fallait faire quelque chose qui aille au-delà de la législation pour protéger les montagnes et les forêts, pour garder des fermes bien structurées et pour préserver les paysages s’est développé. C’est ainsi qu’est apparu le mouvement de la conservation de la terre.
L’état du Vermont était déjà conscient et actif sur ce thème au début du XXème siècle. Il s’était porté acquéreur de sites naturels et avait augmenté ses efforts dans ce domaine depuis 1950. Les actions privées avaient débuté avec TNC (The Nature Conservancy). A partir de 1977, les villes ont également pris conscience que la maîtrise foncière posait problème, mais des mesures d’une certaine ampleur restaient illusoires, virtuelles et non appliquées. Un fonctionnaire, Rick Carbin, avait alors proposé un début de solution pour les villes en donnant trois pistes:
Un land trust qui protégerait la terre en négociant avec les propriétaires volontaires une convention de conservation.
Une organisation pour le logement, qui construirait des maisons avec des loyers modestes
Un comité de développement économique, qui créerait des emplois au niveau local.
La proposition land trust a eu un grand succès. Elle a donné naissance au Vermont Land Trust (VLT), qui a essayé d’intégrer les deux autres points dans ses objectifs.
Au début, la plupart des terres de TNC venaient des propriétaires qui recevaient des avantages fiscaux en échange des donations. Alors que TNC s’orientait vers la protection des sites naturels remarquables, le Vermont Land Trust a concentré son attention sur la protection des terres agricoles, des forêts et des fermes.
Le VLT a développé un système d’épargne solidaire et il a pu acheter ainsi une grande propriété à Woodstock, pour 1 million de dollars, alors qu’il ne disposait que de 5000 $ en banque. Sur ce terrain VLT a organisé un plan de développement durable qui garantissait de façon pérenne la conservation des terres en en limitant les usages possibles et il a revendu ensuite la propriété avec les servitudes correspondantes, en couvrant tous ses frais.
VLT n’eut jamais à faire appel de nouveau à ses créditeurs pour combler un déficit. Tous ont pu conserver leur épargne et le site a été sauvé. VLT a accordé beaucoup d’attention au développement d’un travail de partenariat avec les collectivités locales, les Parcs Nationaux et les services de l’Etat.
Naissance d’une coalition pour le logement et la conservation du Vermont
En 1986, TNC et VLT ont réalisé que, du fait de la flambée des prix du foncier et de la spéculation foncière, ils n’arriveraient plus à protéger assez la nature, les forêts et les terres agricoles sans une assistance des pouvoirs publics. Les housing trusts (trusts pour le logement) étaient alors confrontés à un problème de même nature. Ayant constaté que leurs problèmes étaient comparables et complémentaires, ils ont décidé de former une coalition.
VLT et TNC avaient déjà engagé un lobbyiste pour préparer une proposition de loi qui prévoyait un fonds d’Etat pour la conservation de la terre. Ils ont su trouver des appuis politiques, et reçu le soutien de secteurs divers, comme celui des défenseurs des personnes de faibles revenus. Il existait au début une certaine méfiance de la part de ces derniers qui craignaient d’être utilisés pour cautionner une opération qui aurait ensuite servi à autre chose qu’à améliorer l’habitat social. De l’autre côté, les écologistes se montraient frileux pour coopérer avec des militants qui luttaient pour les classes sociales défavorisées en manifestant dans la rue. Mais les avantages évidents de l’alliance ont permis de surmonter ces différences et ces craintes. Le nouveau gouvernement était prêt à s’engager et la large coalition a impressionné les politiques.
L’Etat a investi lourdement pour pérenniser la construction de l’habitat social et la conservation des terres grâce à une nouvelle instance: le « Conseil pour le Logement et la Conservation du Vermont » « Vermont Housing and Conservation Board » (VHCB).
Le Conseil est une organisation mixte (État et société civile), qui lutte pour préserver des loyers modérés et de longue durée. Il est devenu une organisation clé pour la lutte contre la spéculation foncière. Son succès vient de la coalition d’organisations qui en principe avaient des intérêts contradictoires; habitat et/contre espace naturel. L’objectif a été d’abord la protection des terres agricoles. Ils y ont ajouté par la suite celle des sites naturels, des espaces de loisirs et du patrimoine historique. Mais c’est surtout l’incorporation de l’habitat social qui a attiré enfin l’intérêt des élus.
Le fait que des intérêts divers aient été réunis sous un même chapeau était essentiel pour la survie du projet dans un climat politique changeant. Au fur et à mesure que le VHCB s’agrandissait, il a été de plus en plus consulté pour la mise en place de projets (péri)-urbains et ruraux.
Il convient de souligner que le VHCB ne fait pas qu’acheter de la terre. Après avoir fixé des conditions et signé des accords avec les parties, il revend une partie des terres.
En 1998, pour chaque 4 $ utilisé pour la conservation des terres, 1 $ venait de l’État du Vermont, 1 $ du Gouvernement Fédéral et 2 $ du privé. Ce partenariat est primordial. Le mouvement des land trusts veille sur les conditions décrites dans la convention. L’Etat contribue par le biais de mesures législatives adaptées.
La fonction du VHCB est d’administrer des fonds fédéraux divers pour l’habitation et la conservation. Les associations à but non lucratif (TNC, VLT etc.) travaillent à réunir les fonds privés, mais ils sont fortement stimulés par le fait que les pouvoirs publics doublent la mise par rapport à leur collecte.
Le problème de la pérennité du dispositif
James Libby et Darby Bradley soulignent que la législation sur la propriété ne favorise pas la création de conditions favorables pour que ces actions soient pérennes. Il faut créer des nouveaux modèles de propriété, qui évitent la spéculation, laquelle reste une des clefs de voûte du système capitaliste.
Une loi légalisant un bail conditionné a néanmoins été votée en 1977. Pour l’habitation, une sorte de bail emphytéotique a été mis en place.
La protection et la conservation sont destinées à durer mais les leçons légales et de la gestion sont complexes. A la longue, la gestion devient un casse-tête. Surtout avec des nouvelles générations, plus individualistes et moins militantes, qui ne sont pas toujours d’accord avec des restrictions dans la durée. Après un début enthousiaste, les petits land trusts ont souvent des problèmes de gestion. On constate qu’ils délèguent de plus en plus celle-ci à des trusts plus grands, mieux équipés et professionnalisés, qui permettent un meilleur fonctionnement dans la durée.3
Cette « pérennisation » est un vrai défi pour le mouvement. Les housing trusts se retrouvent aussi souvent confrontés à un manque de capital et donc de personnel pour l’entretien et la gestion 4. A cause de ce manque de personnel et de bénévoles, ils ont négligé la recherche de nouveaux adhérents et la création de liens avec des Fondations et ils ne sont pas assez actifs sur le plan de l’épargne solidaire.
Conclusion
Par delà les limites que nous venons d’évoquer, l’expérience du Vermont est pour le moment une réussite. La combinaison d’un fort soutien politique, un solide réseau d’organisations à but non lucratif, une situation économique assez favorable, la chance et une atmosphère de collaboration et de partenariat dynamique ont donné des résultats probants et des idées à d’autres groupes, aux entreprises, et aux citoyens en général.
Les auteurs soulignent toutefois que cette situation favorable ne durera pas éternellement. Un climat économique morose, des élus différents, avec d’autres priorités, qui ne partagent plus la philosophie de la coalition et les difficultés classiques de trouver des bénévoles et des gestionnaires motivés et de confiance peuvent causer des problèmes dans le futur.
Mais les fondements de l’expérience étant solidement posés, on peut espérer que l’expérience saura s’adapter et se maintenir.
1L’article à partir duquel cette fiche a été préparée fait partie de l’ouvrage édité par Charles Geisler et Gail Daneker, Property and Values, Alternatives to Public and Private Ownership. (Island Press, Equity Trust, 2000) qui démontre que raisonner en terme de propriété « publique » et « privée » ne fonctionne pas et ne correspond pas à la réalité. La propriété de la terre est toujours soumise à des conditions sociales et pas seulement à des questions économiques. Le livre est divisé en quatre parties: I : Nouvelles perspectives sur la propriété, II : Public, privé et au-delà, III: Histoires sur la propriété hors des Etats-Unis, IV: Les nouvelles politiques de la propriété. Il est remarquable de constater que beaucoup de textes traitent à la fois du foncier agricole, des espaces naturels et de l’habitat. (note des rédacteurs).
2Il faut replacer le terme easement dans le cadre de la common law, le système juridique dominant dans les pays anglo-saxons qui part de l’existence de droits de propriétés multiples, se développant dans l’espace et dans le temps, et pouvant appartenir à différents ayant droits. C’est dans ce système juridique très différent du système civiliste que nous connaissons que s’insère le concept du land trust, qui va bien au-delà d’une simple franchise fiscale. Traduits suivant les concepts du Code civil, le mot easement fait donc référence à une propriété foncière limitée par l’existence de servitudes multiples. (Note de Michel Merlet).
3Il y a là une remarquable coïncidence avec nos expériences en France avec les petits Groupements Fonciers Agricoles, qui après un certain nombre d’années d’existence, rencontrent les mêmes problèmes et veulent faire transiter leur organisation vers un dispositif du type Foncière, mis en place par Terre de Liens. (Note de Sjoerd Wartena).
4On peut aussi ici faire la comparaison avec Habitat - Humanisme en France. (Note de Sjoerd Wartena)