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Fonds documentaire dynamique sur la
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AMERIQUE CENTRALE. Fragilité et limites des réformes agraires. 1/3. NICARAGUA.

Fiche 1 de 3.

Les antécédents

Pendant la période coloniale, en marge des lois qui ne reconnaissent que les « espagnols » et les « indiens », se constitue petit à petit un groupe social métis qui va constituer l’essentiel du paysannat du Nicaragua. Après l’indépendance (1821), l’oligarchie et les nouvelles couches dominantes ne peuvent conserver leur domination que si elles contrôlent l’essentiel des terres: c’est en développant la culture du café, en privatisant les terres vierges à leur faveur et en bloquant la progression de la frontière agricole paysanne qu’elles y parviennent 1. La révolte sandiniste des années trente exprime la réaction des couches paysannes du Nord à ce processus et à l’introduction forcée de rapports de production capitalistes. Son écrasement ouvre une longue période de dictature, jusqu’à la prise du pouvoir par le Front Sandiniste de Libération en 1979.

La réforme agraire nicaraguayenne

Comme beaucoup de pays latino-américains, le Nicaragua expérimente une première «réforme agraire» dans les années 60. Une très forte répression empêche alors toute organisation syndicale dans les campagnes et son impact est pratiquement nul, si l’on comptabilise à part des projets de colonisation sur la frontière agricole, qualifiés à tort de réforme agraire.

Lorsque le Front Sandiniste prend le pouvoir en 1979, il n’existe pas d’organisation paysanne nationale susceptible de représenter les petits producteurs. L’ATC 2, une association de création récente qui regroupe des paysans pauvres et des ouvriers agricoles, met à profit la mobilisation populaire et le contexte politique pour étendre son influence à tout le pays, mais reste encore fragile. Au lieu d’appuyer les mobilisations paysannes et les prises de terres, le gouvernement révolutionnaire confisque les terres des somocistes pour les transformer en fermes d’Etat, forçant les paysans pauvres qui en avaient pris possession à devenir ou redevenir ouvriers agricoles. Seuls de petits groupes réussissent à garder le contrôle des terres en adoptant un statut de coopératives de production. En 1981, craignant que les paysans aisés ne se rallient à l’opposition, le FSLN appuie la création de la UNAG 3, regroupant petits et moyens producteurs aux côtés d’une partie de la bourgeoisie agraire pro-sandiniste. L’ATC n’organise plus que les ouvriers agricoles, et les paysans pauvres, dont la combativité et les revendications sont jugées incompatibles avec la politique d’unité nationale et de défense n’a plus d’espace d’organisation spécifique. C’est dès lors l’Etat qui dirige l’exécution de la réforme agraire par l’intermédiaire de l’INRA puis du MIDINRA 4.

La loi de réforme agraire (1981), permet d’affecter progressivement les terres insuffisamment utilisées des grands domaines. Les bénéficiaires en sont les entreprises d’Etat et les coopératives de production. Les paysans doivent accepter de travailler dans ces coopératives de production pour avoir accès à la terre de la réforme agraire.

Le secteur d’Etat arrive rapidement à représenter 20% de la production agricole totale du pays. Une politique d’investissement volontariste accorde la priorité absolue à quelques grands projets agro-industriels que la politique macro-économique essaye de rendre compatibles avec la satisfaction des besoins immédiats des secteurs urbains. De 1981 à 1984, la UNAG ne joue aucun rôle protagoniste dans l’approfondissement de la réforme agraire 5. Alors que l’Etat gère les appuis techniques, le crédit, l’assistance technique, la formation à la gestion des coopératives, elle s’occupe de « l’organisation », sans avoir les moyens de remettre en cause les schémas qui lui sont imposés. Dans les coopératives de production, diverses formes de production se mettent en place, mais les producteurs ne peuvent accéder à la propriété individuelle ou à une sécurisation foncière de leurs parcelles. La vente des terres de réforme agraire, cédées gratuitement aux bénéficiaires, restera interdite jusqu’à la perte des élections par le FSLN.

Cette division des tâches fait obstacle à l’émergence d’un véritable mouvement paysan: de fait, le mouvement coopératif ne se structure en Fédération de Coopératives qu’en 1990, après la défaite électorale du FSLN. Face à une politique économique et agraire (1980-1984: priorité aux fermes d’Etat, prix administrés, déstructuration des canaux commerciaux) contraire aux intérêts des petits producteurs, la résistance paysanne se met en place sous des formes diverses 6.

Fin 84, la situation économique, politique et militaire est devenue très critique. Afin de renouer l’alliance avec la paysannerie, le gouvernement révolutionnaire réintroduit la liberté du commerce, améliore les termes de l’échange entre villes et campagnes et modifie sa politique agraire 7. Les redistributions de terre s’intensifient et on laisse le choix du mode d’organisation aux bénéficiaires. Les assignations de terre pour une exploitation individuelle se multiplient mais les titres de réforme agraire restent non négociables et continuent le plus souvent à être attribués collectivement. Entre 85 et 87, près de la moitié du secteur d’Etat est redistribuée à des coopératives ou à des paysans. Ces mesures aident le gouvernement à reprendre le contrôle de la situation: la production vivrière augmente, l’avancée de la « contra » est stoppée mais le déchirement de la paysannerie est réel. L’assouplissement de la politique agraire à partir de 84 ne se transforme pas en une révision radicale. Une fois le pays sorti de la situation d’urgence, le FSLN stoppe l’approfondissement de la réforme agraire.

Bilan des transformations de la structure agraire à la fin des années 80

En 1988, la transformation des structures foncières est réelle, mais limitée. Les grandes exploitations (plus de 350 ha) ne représentent plus que 19% de la Surface Agricole Utile (7% privées et 12% fermes d’Etat), au lieu de 36% en 1978. Les coopératives de production travaillent 12% des terres et le reste est aux mains des producteurs paysans individuels et des couches de la petite bourgeoisie agraire. 70.000 familles paysannes ont reçu de la terre, à peu près une famille paysanne sur deux, mais la surface redistribuée sous forme d’usufruit individuel ne représente que 5% de la Surface Agricole.

Le contexte politique change radicalement en 1990 avec la victoire aux élections de l’opposition. Sous l’impulsion des producteurs, les terres des coopératives de production sont divisées en quelques années et la production individuelle devient la règle 8. Avant que les transformations agraires impulsées par les gouvernements ultérieurs ne se traduisent dans les faits, la structure agraire nationale a été modifiée en profondeur, par le biais de réformes successives et souvent contradictoires. Le Nicaragua est devenu au début un des pays d’Amérique Latine à la structure foncière la moins inégalitaire. Les exploitations de moins de 140 ha contrôlent environ 70% de la surface agricole du pays contre 47% en 1979, tandis que les exploitations de plus de 350 ha sont passées de 36% à 17%. Mais la situation reste très fragile.

Les années 1990: insécurité et concentration foncière

Le gouvernement de Violeta Chamorro entreprend un travail de réconciliation nationale. Le retour à la paix permet la réactivation de la frontière agricole, bloquée pendant le conflit armé. En ce qui concerne le foncier, il met en place un mécanisme d’indemnisation des anciens propriétaires affectés par la réforme agraire, commence un processus de révision des titres de réforme agraire.

Il privatise les fermes d’Etat en faveur des combattants des deux bords 9, d’anciens propriétaires, d’acheteurs privés. Les ouvriers des fermes d’Etat obtiennent par leur lutte la possibilité de continuer à exploiter une partie des terres sous forme d’entreprises des travailleurs, censées acquérir le foncier au bout de quelques années.

De 1990 à 2000, une série de lois sont publiées pour traiter ce que l’on appelle le problème de la propriété; elles ne sont le plus souvent que très partiellement appliquées. En établissant ou en maintenant une insécurité foncière maximale sur les terres réformées, et par delà les discours légalistes, les gouvernements successifs favorisent de fait une recomposition du paysage agraire en faveur des plus forts.

Il faut ajouter à cela l’insécurité économique: la politique d’ajustement structurel 10 a brutalement changé les règles du jeu en supprimant les multiples subventions dont bénéficiaient les producteurs.

Non seulement les nouveaux petits exploitants et les entreprises d’Etat privatisées au bénéfice des travailleurs sont soumis aux pressions des anciens propriétaires et de la police, souffrant une très forte insécurité foncière justifiée par de nombreux problèmes légaux laissés en suspens, mais ils sont asphyxiés économiquement par la réduction drastique de l’accès au crédit et par l’absence ou l’inadéquation des renégociations des dettes acquises antérieurement par leurs coopératives ou leurs entreprises. Dans ces conditions, les avantages d’une répartition plus égalitaire de la propriété foncière en matière de développement économique ont bien du mal à s’exprimer.

En même temps, les indemnisations des anciens propriétaires 11 atteignent des montants exorbitants, insoutenables au niveau macroéconomique pour le pays.

Malgré des dispositions légales facilement contournées, les ventes des terres réformées, à des prix très inférieurs à leur valeur marchande en partie du fait de leur légalisation imparfaite, ont été massives, et ce, surtout sur les terres les plus riches ou à potentiel touristique ou urbanistique 12. Si on fait un bilan prenant en compte les acquis, (terres cédées aux anciens combattants, par exemple) et les pertes (ventes, restitutions aux anciens propriétaires), les bénéficiaires du secteur réformé ont vu entre 1990 et 2000 la surface qu’ils contrôlaient se réduire de 400.000 ha ! Et le processus continue aujourd’hui.

Les organisations paysannes n’ont pas réussi à trouver des réponses à ce véritable effondrement des structures issues de la réforme agraire. En 93-94, la UNAG et la FENACOOP admettent que la division des coopératives est la règle mais elles conservent un discours collectiviste dominant, refusant toujours d’envisager des systèmes permettant une légalisation individuelle des parcelles, et même l’instauration de mécanismes qui auraient permis un contrôle des transactions ultérieures par une instance collective.

Globalement, le bilan de la colonisation agricole, des marchés fonciers et de la réforme agraire est donc pour le moins mitigé, au regard du coût économique et humain des transformations que le Nicaragua a vécu au cours des dernières décennies. Il y a eu une certaine amélioration en terme d’accès à la terre 13, mais le recensement de 2001 confirme ce que l’observation empirique permettait de supposer: la structure agraire du pays évolue de nouveau rapidement vers une polarisation de plus en plus forte.

Tableau 1 : Evolution de la distribution du foncier au Nicaragua: 1963 et 2001
Catégorie% propriétaires% Superficies
année1963200119632001
< 0,7 ha2500
0.7- 7 ha483943
7- 140 ha44523754
140 - 350 ha331821
> 350 ha114122
Totaux (000)1022003.8236.254

Source: Recensement 2001 CENAGRO.

 

Alors que 44% des exploitants ont encore moins de 3% des terres, 1% continue à contrôler près du quart des surfaces agricoles du pays 14.

Le processus de vente des terres de la réforme agraire se poursuit au bénéfice d’une minorité de nicaraguayens et d’acheteurs étrangers.

Bien que la grande production soit aujourd’hui en crise, avec la chute des prix du café sur le marché international par exemple, une politique agricole cohérente qui mettrait la petite production marchande au cœur de la stratégie de développement n’est pas encore au programme des décideurs ni d’aucun grand parti d’opposition.

Si le contexte politique n’est pas favorable à de nouvelles propositions de réforme agraire, d’autres politiques foncières seraient envisageables. Mais les seuls programmes qui reçoivent un appui massif des institutions internationales (Banque Mondiale, Union Européenne, …) concernent la légalisation des terres, avec la modernisation du cadastre et du registre de la propriété 15.

Une véritable politique des structures serait pourtant indispensable, avec une régulation des marchés fonciers et des formes d’accès en faire valoir indirect, en cohérence avec une politique agricole qui permettrait l’expression du potentiel de développement de la petite et moyenne production.

Ce n’est qu’à cette condition que les très riches potentialités naturelles du pays pourront être utilisées pour un développement durable qui en finisse avec la pauvreté.

1 à la fin du XIXième et au début XXième siècle

2 Asociación de Trabajadores del Campo. Elle n’était implantée que très localement en 1979.

3 Union Nationale des Agriculteurs et des Eleveurs

4 Institut Nicaraguayen de la Réforme Agraire puis Ministère du Développement Agricole et de la Réforme Agraire.

5 Ses dirigeants, aux intérêts souvent opposés à ceux des paysans pauvres, ne revendiquent pas un accès à la terre plus égalitaire.

6 Dans la région centrale du pays, ne pouvant se canaliser par des organisations reconnues elle se manifeste par les recrutements de la contre-révolution, massivement financée et armée par les USA. Dans la région pacifique, la résistance paysanne prend d’autres formes: recours au marché noir, établissement dans les coopératives de production de lopins et de troupeaux individuels, plus ou moins clandestins, demande de terres de coopératives de services, ralliement à des courants contestataires liés à l’église catholique.

7 Là encore, le rôle de la UNAG dans l’application de ces mesures n’est que secondaire.

8 en 1994, 80 % des coopératives ont été parcellées

9 les gradés recevant beaucoup plus que les simples soldats

10 commencée par le gouvernement sandiniste et continuée par son successeur

11 souvent immigrés aux USA pendant la révolution et ayant alors acquis la nationalité américaine, ce qui « justifie » la pression du gouvernement des USA et le chantage à l’aide internationale pour l’indemnisation de « ses » ressortissants.

12 Dans les communes de San Juan del Sur et Cardenas, au potentiel touristique élevé, 91% des terres des coopératives avaient déjà été vendues en 1994.

13 le coefficient GINI est passé de 0,79 en 1963 à 0,71 actuellement. CENAGRO recensement agricole 2001.

14 le recensement du fait de la méthode utilisée sous estime de façon systématique la concentration foncière, puisqu’il raisonne en termes d’exploitations et non de propriétaires, lesquels ont souvent plusieurs exploitations dans diverses régions.

15 avec toutefois un appui aux communautés indigènes de la Côte Atlantique pour la délimitation et reconnaissance de leurs territoires.

Bibliographie

IRAM [MERLET M., POMMIER D. et al.] Estudios sobre la tenencia de la tierra. OTR. Banque Mondiale. Septembre 2000.

Merlet, Michel. Réformes agraires, marchés fonciers, organisations paysannes: échecs et défis. Les cas du Nicaragua et du Honduras. Communication au Séminaire International Transitions foncières et changement social. CIESAS - IRD. Mexico. Mars 1999.

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