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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

La réforme du régime forestier de 1994

Le cadre législatif camerounais

Résumé

Comme ses homologues européens dont il est largement hérité, le cadre législatif camerounais dissocie la gestion des ressources forestières de celle des espaces agricoles. Le « régime forestier », institué à l’époque coloniale, assigne aux espaces forestiers des fonctions spécifiques qui ont d’abord été principalement axées sur la production et l’extraction de bois pour le marché, avant d’intégrer, il y a une vingtaine d’années, des considérations nouvelles en lien avec les enjeux écologiques et sociaux attachés à la forêt. L’État camerounais a conservé les outils de la maîtrise de l’exploitation forestière que contrôlait avant lui l’administration coloniale. Depuis l’indépendance, il a essentiellement alloué des droits de gestion et d’exploitation à des fins commerciales et protégé les exploitants de toute remise en cause de cette « vocation » productive des forêts. Jusqu’à une période récente, les revendications des populations locales à l’égard des territoires forestiers n’étaient que très marginalement prises en compte.

À partir de 1994, des réformes législatives et politiques ont été mises en place pour réduire le clientélisme et la corruption, accusés de gangrener le secteur. Elles ont marqué des avancées significatives dans la reconnaissance des droits des populations locales sur les ressources forestières. Cette fiche retrace les grandes lignes de l’évolution des cadres institutionnels de la gestion des ressources forestières et détaille les principales dispositions de la réforme de 1994.

L’exploitation forestière au Cameroun, des débuts à nos jours

1- L’exploitation des forêts avant la réforme de 1994

Les administrations coloniales considéraient les forêts tropicales du Cameroun comme offertes à la « mise en valeur » de leurs ressources. Les colonisateurs se sont consacrés à l’organisation de leur exploitation et à la perception de la « rente » naturelle qu’elles recèlent. L’État du Cameroun indépendant a largement repris à son compte cette vision de la forêt. Au fil de décennies de gestion centralisée de l’appropriation de la rente forestière, se sont établies des relations très déséquilibrées entre les entreprises exploitantes et les populations locales. Les premières, souvent d’origine étrangère, entretiennent des liens privilégiés avec les « élites » politiques nationales et locales qui leur ont garanti l’accès aux ressources forestières.

L’exploitation commerciale des forêts débute dans les années 1880 sur la côte Atlantique, puis s’étend vers le centre et le sud du pays à partir de 1930. Elle est restée peu réglementée durant la période coloniale1.

Avec l’indépendance, l’exploitation du bois est en partie nationalisée et placée sous le contrôle de l’entreprise d’État SOFIBEL. Une autre part reste assumée par des sociétés commerciales, souvent d’origine européenne. L’exploitation s’étend aux forêts de l’est du pays avec la construction d’infrastructures routières. La faible réglementation et les grandes difficultés à contrôler ces vastes territoires laissent le champ libre à une exploitation arbitraire très intense. Les zones désenclavées, comme la périphérie de Yaoundé, souffrent les premières des conséquences de ce qui n’est autre qu’un pillage « minier »2 des ressources forestières. L’exploitation s’intensifie après 1985 avec la chute des cours du pétrole, du cacao et du café.

Dans le même temps, la préoccupation de l’opinion publique internationale pour la protection des forêts s’amplifie. Après le Sommet de la Terre organisé par les Nations Unies à Rio en 1992, une plus grande régulation du secteur forestier et la démocratisation de la gestion des ressources forestières apparaissent de plus en plus nécessaires.

2- Les efforts de régulation du secteur forestier à partir de 1994

Une réforme importante du cadre législatif, politique et institutionnel relatif à la gestion des forêts du Cameroun a lieu en 19943. Elle ouvre légalement leur contrôle et le partage de leurs bénéfices à davantage de camerounais. Cette réforme a été conçue dans le cadre des programmes d’ajustement structurel définis par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, qui en ont fait une condition d’octroi de leur financement. L’un de ses principaux objectifs est d’accroître la contribution du secteur forestier aux recettes d’exportation camerounaises. Elle vise aussi à poser un cadre de régulation et de gestion des ressources forestières plus transparent et participatif.

Présentation générale de la réforme du régime forestier de 1994

1- Un zonage des territoires forestiers

La loi distingue différentes catégories d’espaces forestiers auxquels sont assignées des fonctions spécifiques :

  • des zones sont destinées à la « conservation » des ressources naturelles et

  • d’autres à l’exploitation du bois.

Mais les formes d’exploitation permises par la loi ne sont pas, selon le législateur, contradictoires avec l’objectif de conservation des ressources forestières. Il a attribué aux différents acteurs (exploitants forestiers, usagers locaux, collectivités locales…) des droits et des obligations censés garantir le maintien du couvert forestier y compris dans les zones d’exploitation. C’est ainsi que ces dernières peuvent être établies, au côté des zones de sanctuarisation (conservation), à l’intérieur du « domaine forestier permanent » défini par la nouvelle loi.

La loi de 1994 semble considérer, en revanche, que toute forme d’activité agricole est incompatible avec préservation de la forêt. Elle distingue les forêts situées dans des zones où est pratiquée l’agriculture, le « domaine forestier non permanent » et les espaces forestiers du « domaine forestier permanent ». Ce zonage, dont l’importance stratégique est importante, est réalisé sans une véritable consultation des populations. Il isole ainsi au sein d’espaces couverts de forêts des terres à « vocation » agricole, que la loi nomme zones « agro-forestières » où l’agriculture est permise aux populations locales.

Cette distinction retire aux espaces que la loi qualifie de « forestiers » toute finalité de production alimentaire. Elle institue par là-même l’idée que toute présence humaine à un autre titre que celui de la « conservation » ou de l’ « exploitation » est incompatible avec le maintien durable de la forêt. Ce critère de séparation spatiale devient un puissant facteur d’exclusion et une source de conflits4 lorsqu’il doit être appliqué à des espaces où des individus et des groupes ont noué une relation de dépendance alimentaire et culturelle avec la forêt (Voir fiche C-7).

Carte du Domaine forestier du Cameroun, d’après le travail de cartographie du World Resources Institute
Formes de gestion du système de zonage du Domaine Forestier National du Cameroun, tel que défini par la loi forestière de 1994

2- La conservation des forêts

La création d’un réseau d’aires protégées est une priorité des agences internationales traitant des forêts depuis la conférence de Rio (1992). Au Cameroun, la politique de conservation est soutenue par plusieurs organisations non gouvernementales engagées dans la protection de la biodiversité et des ressources forestières, notamment l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature (IUCN) et le Fonds Mondial pour la Nature (WWF). Elle s’articule à des programmes mis en œuvre à l’échelle du Bassin du Congo, tel le programme ECOFAC5 , financé par la Communauté européenne.

Le plan de zonage fixé par la loi de 1994 prévoit la protection de 20 % de la superficie des forêts camerounaises à travers la création d’aires protégées6. Certaines mesures issues de la réforme visent à favoriser la participation des populations locales à la gestion de ces territoires. Leurs nouveaux statuts reconnaissent la présence des populations qui y vivent et leur attribuent des droits de gestion. Certaines activités, en particulier la chasse et l’abattage des arbres, y sont strictement réglementées.

Mais il semble qu’aucune des aires de conservation établies à ce jour n’ait encore donné lieu à une cogestion véritablement opérationnelle. Les difficultés liées à la concertation entre les acteurs étatiques et les utilisateurs locaux des ressources, parfois victimes de l’imposition de la loi sans consultation, entraînent d’importants conflits lors de la mise en place des aires protégées7. Par ailleurs, il est notoire que les activités de braconnage et de prélèvement illégal de bois restent très répandues dans ces vastes étendues dont le contrôle appelle des moyens supérieurs à ceux dont disposent les autorités qui en ont la charge.

3- L’exploitation des forêts

L’exploitation du bois reste la finalité majeure. La législation forestière camerounaise permet l’exploitation des ressources forestières à travers neuf « titres » différents délivrés sous la tutelle du Ministère des forêts (MINFOF) :

  • Permis d’exploitation du bois d’œuvre ;

  • Permis d’exploitation des produits spéciaux ;

  • Permis d’exploitation du bois de chauffe ou des perches ;

  • Autorisations personnelles de coupe ;

  • Autorisations de récupération de bois ;

  • Forêt communautaire ; Vente de coupe ;

  • Forêt communale ;

  • Concession forestière (portant sur une « Unité d’Aménagement Forestier », UFA).

L’exploitation effectuée sous chacun de ces titres contribue différemment à la production totale de bois. Celle-ci est très majoritairement le fait des entreprises qui agissent dans le cadre de concessions forestières. Le plan national d’affectation des terres, « plan de zonage » destine 7 millions d’hectares à la qualification en Unités d’Aménagement Forestier8.

L’exploitation s’est nettement développée depuis la fin de la colonisation avec une augmentation notable du nombre de compagnies forestières présentes au Cameroun au cours des dernières décennies. En 2005, 4,95 millions d’hectares de forêts étaient déjà attribués au titre de concessions forestières (UFA)9. Les forêts de production couvraient en 2008 34% de la superficie forestière totale10. La production et le marché du bois sont aujourd’hui dominés par un petit nombre d’entreprises d’origine étrangère (françaises, chinoises, italiennes, libanaises et belges).

a- L’exploitation commerciale du bois par des entreprises privées dans les Unité Forestière d’Aménagement

La réforme de 1994 permet l’établissement d’exploitations forestières par des entreprises privées à travers deux types de permis :

  • Les droits de « ventes de coupe » portent sur des surfaces qui ne peuvent excéder 2 500 ha. Elles sont délimitées dans le Domaine Forestier Non Permanent et exploitables un an renouvelable deux fois. Il s’agit d’une intervention ponctuelle. Leur octroi ne nécessite pas pour le demandeur de présenter de plan de gestion des parcelles concernées.

Les Unités Forestières d’Aménagement (UFA) sont délimitées dans le Domaine Forestier Permanent. Leur exploitation est cédée à des entreprises par l’État, dans le cadre de concessions d’exploitation attribuées à l’issue d’ « appels d’adjudication ». Le choix de l’entreprise adjudicataire est opéré par une commission interministérielle qui doit prendre en compte la qualité technique et financière de l’offre proposée par les différents candidats à l’exploitation. La décision finale et ses motifs ainsi que le dossier du candidat retenu sont rendus publics.

Les entreprises ont clairement plébiscité le dispositif des concessions, qui existait avant la réforme mais à laquelle elles préféraient d’autres catégories de titres que celle-ci a supprimé. En 2006, 85% du bois commercialisé provenait de l’exploitation des UFA, alors qu’en 1998 elles n’en fournissaient que 30% (G. Topa & al., 2010). En 2009, 96 concessions forestières avaient été attribuées pour une superficie totale de 6 381 684 ha avec plan d’aménagement approuvé ou en cours de préparation.11

La durée des concessions d’UFA est fixée à quinze ans et est renouvelable. L’extraction des bois d’une parcelle ne doit pas avoir lieu dans les 30 ans qui suivent sa première exploitation12. Les diverses conditions réglementaires auxquelles doit satisfaire l’exploitation sont intégrées dans les « plans d’aménagement ». Ils précisent l’assiette de coupe annuelle (1/30 de la surface de l’UFA)13 et la délimitation de trois zones appelées « séries » : une « zone de conservation » de dimension assez réduite où la coupe est interdite ; une « zone d’agro-foresterie » où les populations locales peuvent maintenir leurs activités ; et la série destinée à la production. Les autorités administratives et traditionnelles locales doivent être informées par l’entreprise du démarrage de l’exploitation avant qu’il n’ait lieu. La législation impose que la cartographie précise des espaces utilisés par les populations locales (champs agricoles, arbres fruitiers, sites sacrés…) dans le périmètre concerné soit réalisée avec elles.

Le plan d’aménagement doit être présenté par l’entreprise adjudicataire dans les trois ans qui suivent l’attribution de la concession. Pendant la période intermédiaire, la loi ne concède que des droits provisoires d’exploitation. Dans la pratique, l’obligation de soumettre un plan n’est pas toujours respectée.

L’octroi de concessions par appels d’offre a permis d’augmenter les loyers de concession, qui sont établis en proportion de la surface octroyée. Ils sont passés de 0,6 dollars EU par hectare par an avant la réforme à des montants situés entre 5,6 à 13,7 dollars EU.

Les appels d’offres lancés par l’État ne donnent cependant pas toujours lieu à la concurrence que celui-ci pourrait souhaiter. Les moyens font par ailleurs défaut pour contrôler régulièrement les conditions d’exploitation comme il serait nécessaire afin de limiter les fraudes.

b- L’exploitation commerciale du bois par des entreprises privées au titre des « autorisations de récupération et d’évacuation de bois »

Ces permis ne font pas référence à des surfaces ni à des volumes de bois précis. Ils sont attribués dans le cadre de chantiers de construction de routes et autres infrastructures pour organiser la récupération du bois abattu lors de l’exécution de ces projets.

Ces « petits » permis d’exploitation ont donné lieu dans de nombreux cas à des pratiques frauduleuses14. Ils sont notamment utilisés pour « blanchir » du bois coupé illégalement ailleurs15.

c- L’exploitation commerciale du bois par des collectivités

C’est un changement majeur introduit par la réforme de 1994. Elle permet au communautés et aux collectivités locales de tirer partie de l’exploitation forestière, assumée directement par elles ou en faisant recours à des entreprises privées. Ces dispositions sont présentées et discutées dans la partie suivante.

Superficie forestière et nombre de concessions attribuées selon les différents statuts légaux
Concessions, UFA6,4 millions d’ha (2009)11416
Forêts communautaires 1 million d’ha (2010)17299
Forêts communales286 440 ha classés (2011)12

Poids respectif des différents dispositifs d’aménagement forestier (Source MINFOF 2010)

Décentralisation et déconcentration de la gestion de l’exploitation des forêts en faveur des populations locales

Les mesures visant à décentraliser et déconcentrer la gestion forestière au bénéfice des communes et des populations locales constituent une des principales avancées de la réforme de 1994. Le transfert de compétences par le pouvoir central en direction de la périphérie était inattendu dans le contexte social et politique du Cameroun largement structuré par le principe de « domanialité », en vertu duquel l’appareil d’État dispose de la primauté de décision en matière d’utilisation des ressources naturelles sur l’essentiel du territoire.

Pour la première fois dans le bassin du Congo, est admise la possibilité de reconnaître des droits de gestion et exploitation sur les ressources forestières aux communautés locales (à travers le dispositif dit de « Foresterie communautaire ») et aux communes (à travers le dispositif dit de « Forêt communale »). La réforme touche aussi la fiscalité forestière et oriente plus directement vers l’échelon local une partie des recettes publiques tirées de l’exploitation des ressources forestières.

1- La dévolution de droits de gestion et d’exploitation commerciale aux acteurs locaux

La loi forestière de 1994 a dans une certaine mesure intégré le principe de gestion participative des ressources naturelles. Toutefois, les retombées en termes de partage des bénéfices tirés de l’exploitation des ressources sont restées très limitées. Les conditions de création des nouveaux dispositifs d’exploitation à des fins collectives, telles que la dimension des territoires alloués et la durée des droits reconnus, entravent leur développement et font obstacle à leur généralisation. De plus, les règles d’organisation du territoire auxquelles ils répondent peuvent entrer en contradiction avec les systèmes de gestion coutumiers qui forment la référence première, quotidienne, de nombre d’individus et qui structurent notamment leurs systèmes agraires et alimentaires.

La foresterie communale et la foresterie communautaire font l’objet de plusieurs fiches spécifiques de ce dossier, qui contient également plusieurs études de cas (voir fiches C-7,C-ec1;C-ec2;C-ec3 et C-9). Nous ne présentons ici que les grandes lignes de leur définition légale.

a- L’exploitation des forêts par les communes

Le développement de ce modèle de gestion a été impulsé et appuyé financièrement par les bailleurs de fonds internationaux (notamment français et allemands)18 pour favoriser la décentralisation de la gestion forestière. La « foresterie communale » introduit la possibilité pour les communes d’exploiter des espaces forestier pour en tirer un revenu direct et, théoriquement, améliorer les conditions de vie de leurs habitants au travers de programmes de développement municipal.

Les forêts communales relèvent des réglementations générales propres au Domaine Forestier Permanent, et leur périmètre est versé au « domaine privé » de la commune. La création et la mise en exploitation d’une forêt communale suppose l’approbation par l’administration forestière du « plan d’aménagement » établi par la commune. Ce plan doit prévoir la réalisation d’un inventaire des ressources fauniques et floristiques sur au minimum 1% du territoire forestier destiné à la qualification. Une étude d’impact environnemental comprenant consultation des villages riverains doit être menée.

L’organisation de l’exploitation du bois revient de manière exclusive à la commune, tout comme les revenus qu’elle génère. L’exploitation peut être réalisée par des services communaux ou confiée à une entreprise sous-traitante. Les produits forestiers non ligneux peuvent aussi faire l’objet d’exploitation si celle-ci a été programmée dans le cadre du plan d’aménagement et approuvée par l’administration.

En juin 2011, le Cameroun comptaient trente-deux forets communales classées ou en cours de classement d’une surface moyenne d’environ 25 000 hectares.

b- La gestion des forêts dans le cadre de la « foresterie communautaire »

Le dispositif de la « Foresterie communautaire » est considéré par de nombreux auteurs comme la mesure la plus innovante de la réforme de la loi forestière de 1994. Les communautés rurales sont désormais susceptibles de se voir reconnaître officiellement des droits de gestion des ressources forestières commerciales et notamment du bois, ce qui leur était auparavant inaccessible.

Précisons que la gestion des forêts par des communautés n’a en soi rien de nouveau au Cameroun, ce qui l’est, c’est la mise en place d’un cadre qui en reconnaisse la possibilité légale pour l’exploitation du bois.

La dévolution des droits de gestion est formalisée par une « Convention de gestion » signée par l’État et par l’organisme19 représentant la ou les éventuelles communautés villageoises associées. Elle concède ces droits pour 25 ans renouvelables sur une surface d’au maximum 5 000 hectares.

Le titre d’exploitation est attribué après soumission d’un « Plan Simple de Gestion » qui doit prévoir une rotation de l’activité d’exploitation à l’intérieur de la concession, qui laisse au moins 25 années à la forêt pour se régénérer entre deux coupes. Ce plan est révisé tous les 5 ans. La convention attribue aussi à la communauté des droits sur les produits forestiers non ligneux sous réserve que les modalités de leur exploitation soit aussi décrite dans le Plan Simple de Gestion.

Les bénéfices reviennent à la communauté gestionnaire qui peut choisir de réaliser elle-même l’exploitation ou la sous-traiter par contractualisation. Dans ce dernier cas, l’entreprise qui en prend la charge peut agir au titre de la « vente de coupe », des divers « permis d’exploitation » ou d’ « autorisations personnelles de coupe »20.

Une fiche de ce dossier analyse en détail ce dispositif et les nombreuses limites qu’il rencontre (voir les fiches 8.1 à 8.3). Retenons en seulement deux pour le moment :

  • la création d’une « forêt communautaire » requiert des procédures administratives complexes. Les démarches et les coûts qui leur sont associés dépassent généralement les capacités techniques et financières des communautés locales.

  • Par ailleurs, les moyens nécessaires à l’exploitation des ressources ligneuses font le plus souvent défaut aux communautés. Leur dépendance vis à vis des agents économiques à qui elles doivent la confier (au sein même des communautés comme à l’extérieur) se traduit très fréquemment par l’accaparement d’une grande part des bénéfices ou des ressources à leurs dépens.

c- Un système plus équitable de taxation de l’activité forestière

La réforme de 1994 modifie la fiscalité applicable aux activités d’exploitation forestière, qui ne reposait auparavant que sur la seule taxation des troncs (grumes) exportés. Elle vise à augmenter les recettes fiscales et à assurer un partage plus équitable de la rente forestière.

Un impôt s’applique désormais à tous les titres de coupe attribués par appel d’offre : c’est la « Redevance forestière annuelle » (RFA) (ou « redevance de superficie »)21. Son montant est proportionnel aux surfaces octroyées en concession. Il s’apparente en cela à un loyer. Depuis sa création, la redevance à l’hectare22 a pu être progressivement augmentée grâce à la mise en concurrence des entreprises forestières pour l’attribution des titres.

La loi de finance de 1998 répartit les recettes de la RFA entre l’État (qui en conserve 50%), les communes (qui en perçoivent 40%) et les communautés riveraines de l’UFA (à qui reviennent les 10% restant). La part destinée à ces dernières doit transiter par les communes. Les fonds issus de la redevance forestière constituent le premier poste de recette des collectivités locales. Dans la pratique, la distribution et l’utilisation de la RFA ne sont pas transparentes. Il en résulte localement de nombreux conflits. Une part minime des sommes prélevées auprès des exploitants parvient effectivement aux populations locales.

D’autres taxes, dites parafiscales car non régulées par la loi de finance, participent à la répartition de la rente forestière. Elles s’appliquent aux « ventes de coupes» (à hauteur de 1 000 FCFA/m3 de bois coupé) et sont reversées aux communes qui doivent les employer pour financer des infrastructures dans la zone concernée par l’exploitation. L’importance des recettes de cette taxe pour le revenu des communes régresse cependant avec la moindre attribution des titres de « ventes de coupes ».

Une tentative d’encadrer l’exploitation des forêts pour assurer des bénéfices durables et mieux partagés ?

La nouvelle loi forestière constitue une évolution politique significative dans un pays où l’exploitation des forêts relevait du seul contrôle de l’État central et s’opérait au travers de pratiques contractuelles très peu transparentes. Elle a mis à plat un ensemble de titres forestiers et de concessions de toutes tailles et durées qui portaient parfois sur des portions de territoire se chevauchant23. Elle a restructuré les institutions publiques responsables de la gestion du secteur forestier et transféré une partie de leurs compétences vers le secteur privé, les collectivités locales et les communautés.

Les forêts restent cependant essentiellement dans le « domaine national » et relèvent encore à ce titre largement l’autorité première de l’État. La réforme n’a pas modifié radicalement le degré de concentration de l’activité d’extraction du bois. Vingt entreprises industrielles contrôleraient 80% la production nationale, essentiellement au travers des « concessions forestières » de grandes superficies.

Surtout, elle n’a pas réellement modifié les possibilités de gestion des ressources forestières par les communautés, comme l’illustrent les fiches suivantes.

Annexes: les principaux textes normatifs régissant les droits sur les forêts au Cameroun

1994Loi 94/01 portant sur le régime des forêts, de la faune et de la pêche
1995Décret fixant les modalités d’application du régime des forêts
1998Manuel des procédures d’attribution et des normes de gestion des forêts communautaires
1998Arrêté fixant les modalités d’emploi des revenus de l’exploitation forestière destinés aux communautés riveraines
2001Arrêté fixant les modalités d’attribution, en priorité aux communautés villageoises riveraines, de toute forêt susceptible d’être érigée en forêt communautaire
2009Nouveau manuel de procédures d’attribution et des normes de gestion des forêts communautaires
2010Signature avec l’Union Européenne de l’Accord de Partenariat Volontaire, APV, concernant l’application des Réglementations Forestière, la Gouvernance et les Échanges Mondiaux, FLEGT (Forest Law Enforcement and Trade)

1Quelques titres d’autorisation des coupes (permis « de chantier », « de coupe industrielle », « de coupe ordinaire », et autres permis « spéciaux » pour l’ébène et le rotin) et un cahier de charges ont été introduits, par décrets en 1926 et en 1931.

2 minier » signifiant que l’exploitation a été menée sans chercher à préserver les capacités de renouvellement de la forêt, fonctionnant sur le mode de l’extraction définitive qui est celui des mines.

3Loi N°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche. Disponible à l’adresse: www.droitafrique.com/images/textes/Cameroun/Cameroun%20-%20Loi%20foret.pdf

4A. Karsenty, L.Medouga Mébenga, A. Pénelon, Spécialisation des espaces ou gestion intégrée des massifs forestiers ?,Bois et forets des tropiques n°251, 1997

5Programme de Conservation et Utilisation Rationnelle des Écosystèmes Forestiers d’Afrique Centrale

6Forêts de protection, parcs nationaux, réserves de faune. Les principales aires protégées actuelles sont la Réserve de Biosphère du Dja (526.000 ha) dans le Sud, celle de Mbam et Djerem (416.512 ha) au Centre, et celle de Campo Ma’an (264.064 ha) au Sud-Ouest. Les zones dites « à intérêt cynégétique » sont des espaces délimités à des fins de conservation et valorisation économique de la faune sauvage. Lorsque ces zones sont gérées de façon communautaire on parle de zones à intérêt cynégétique à gestion communautaire.

7A. Binot et au., L’échec de la sécurisation foncière dans les aires protégées, dans « Gestion participative des forêts d’Afrique centrale », Quae, 2010.

8ILC, RRI, CIRAD. 2011. Large acquisition of rights on forest lands for tropical timber concessions and commercial wood plantations.

9Ibidem.

10COMIFAC. 2009. Les forêts du Bassin du Congo. État des forêts 2008.

11Données de l’OFAC, Observatoire des forêts d’Afrique Centrale, www.observatoire-comifac.net/index.php

12Cela signifie que l’exploitant a le droit de retourner sur la même parcelle seulement 30 ans après la première coupe.

13Le plan d’aménagement prend aussi en considération le diamètre minimal en-deça duquel la coupe d’un arbre n’est pas permise (« diamètre minimal d’exploitation », DME) fixé par l’Administration pour chaque essence. L’exploitation est de plus limitée aux essences à valeur commerciales. Certaines essences spéciales font l’objet de restrictions supplémentaires.

14G. Topa et al., 2010

15CED, 2011

16SDIA, MINFOF, 2010

17D’après les chiffres présentées lors du séminaire organisé par le MINFOF sur les forêts communautaires en juin 2010

18Il a été conçu en référence à des modèles de certains pays européens.

19Cet organisme peut avoir le statut juridique de Groupement d’Initiative Commune (GIC), de Coopérative, d’une Association ou Groupe d’Intérêt Économique. Le sigle GIC est parfois développé de façon différente, comme Groupement d’Intérêt Communautaire. Toutefois, à notre connaissance, la décret du 23 novembre 1992 92/455/PM parle bien de Groupement d’Initiative Commune.

20Les autorisations personnelles de coupe sont des petits permis d’exploitation qui peuvent être octroyés pour un maximum de 30 m³ de bois, à couper dans un délai de 3 mois, pour des fins non commerciales.

21Un autre impôt introduit par la réforme de 1994 est la taxe d’entrée à l’usine, qui cherche à contrôler davantage les mouvements du bois et à éviter les gaspillages.

22Les taux fixés par la loi sont de 1000 FCFA/ha (1,52€) pour les concessions forestières et de 2500 FCFA/ha (3,81€) pour les ventes de coupe.

23G. Topa, A. Karsenty, C. Megevand, L. Debroux, Banque Mondiale, 2010

Bibliographie

Alden Wily L.. 2011. A qui appartient cette terre ? Le statut de la propriété foncière coutumière au Cameroun, Centre pour l’Environnement et le Développement, FERN, The Rainforest Foundation UK. Ed. Fenton.

Cerutti P. O., et Lescuyer G.. 2011. Le marché domestique du sciage artisanal au Cameroun, état des lieux, opportunités et défis, CIFOR.

Karsenty A., Mendouga Mébenga L. et Pénelon A.. 1996. Spécialisation des espaces ou gestion intégrée des massifs forestiers ?, Revue Bois et forets des tropiques, # 251. CIRAD.

Karsenty A.. 1996. La sécurisation foncière en Afrique, Karthala.

Larrère R. et Nougarède O.. 1990. La forêt dans l’histoire des systèmes agraires : de la dissociation à la réinsertion ?, Cahiers d’économie et de sociologie rurales, INRA.

Topa G., Karsenty A., Megevand C. et Debroux L. 2010. Forêts tropicales humides du Cameroun, Une décennie de réformes. Banque Mondiale, Washington.