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Rédigé par : Cécile Pinsart, version initiale révisée par par Michelle Ongbassomben, Marta Fraticelli et Mathieu Perdriault
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), ISTOM - Ecole Supérieure d’Agro Développement International (ISTOM)
Type de document : Étude / travail de recherche
Enquêtes de terrain de Cécile Pinsart lors de son stage au Cameroun en 2011
Dans l’arrondissement de Djoum, au Sud du Cameroun, ont été créés plusieurs « forêts communautaires » conformément aux dispositions de la loi forestière. Une large majorité d’entre elles ne sont toujours pas en exploitation ou ne l’ont été qu’occasionnellement.
La « forêt communautaire » MAD appartient aux villages de Minko’o, Akontangan et Djop. Elle est située dans l’arrondissement de Djoum, dans le canton Fang centre, à un peu plus de cinq kilomètres de la ville de Djoum. Sa surface est d’environ 2 500 hectares. Son histoire et les conflits qui s’y sont développés entre les différents groupes sociaux illustrent les difficultés que rencontre très souvent ce dispositif légal. On y découvre également comment il modifie les relations sociales et politiques au niveau local.
Histoire de la forêt communautaire MAD
1- Sept années de préparation
La création d’une « forêt communautaire » par les villages de Minko’o, Akontangan et Djop a débuté en mars 2002. Les populations locales ont tout d’abord dû s’accorder sur la nature de l’organisation dotée d’une personnalité juridique qui porterait la demande de sa création auprès des autorités. Elles ont choisi de créer un Groupement d’Intérêt Communautaire (GIC)
Leur demande a porté sur un espace forestier résiduel situé autour de la route et borné par une concession forestière industrielle (UFA 09-012) et par la forêt communale de Djoum. Cet espace, qui n’avait pas encore été « affecté » faisant partie du domaine forestier non permanent. C’est la disponibilité limitée en espaces forestiers de cette catégorie qui a conduit les trois villages à opter pour une stratégie collective : la création de trois « forêts communautaires » distinctes aurait exigé un investissement trop important et des coûts de transport trop élevés par rapports aux volumes de bois disponibles.
INSERER CARTE LOCALISATION MAD
Fig. XX Localisation de la « forêt communautaire » MAD (Source: élaboration propre à partir d’une carte de l’Atlas Interactif du Cameroun, WRI, 2011)
Dès le début des années 2000, plusieurs acteurs du développement soutenaient des projets de « foresterie communautaire » dans l’arrondissement de Djoum. Les trois communautés impliquées ont bénéficié de ces appuis. L’ONG CED (Centre pour l’Environnement et le Développement) a impulsé les premières demandes de création de la « forêt communautaire ». Les trois villages ont aussi reçu le soutien de l’ONG catholique camerounaise CEDAC pour les démarches d’établissement du plan simple de gestion (PSG). Les membres de l’instance de gestion de la forêt communautaire, le Groupement d’Intérêt Communautaire (GIC), ont aussi suivi des séminaires de formation proposés par la coopération néerlandaise.
En 2003, les limites géographiques de la « forêt communautaire » ont été fixées. L’année suivante, une réunion de concertation a désigné un responsable de gestion, défini ses objectifs et validé les limites de la « forêt communautaire » de MAD. En 2008, le CEREP (ONG Camerounaise basée à Ebolowa et financée par la coopération néerlandaise) en est devenu le nouveau « partenaire ». C’est seulement en 2009 que les villageois ont obtenu la validation du Plan Simple de Gestion, après une très longue attente.
2- Une mise en exploitation qui profite d’abord aux intervenants externes
Au moment de l’obtention du certificat annuel d’exploitation, en 2010, les communautés ne disposent pas encore des capacités techniques et des moyens nécessaires à la mise en exploitation de la forêt communautaire. Elles font alors appel à une société d’exploitation forestière camerounaise, la SIFCAM. Un contrat est signé sous l’égide de l’ONG CEREP, mais les conditions imposées sont très désavantageuses pour la communauté (les prix établis pour le bois sont bien en dessous des prix du marché1). D’après certains informateurs, la communauté aurait pâti de pratiques de corruption qui auraient impliqué certains responsables de l’entreprise, du GIC et du CEREP. Une clause d’exclusivité empêchait par ailleurs de faire appel à tout autre exploitant.
L’entreprise exploitante réussit également à s’approprier des documents d’autorisation de transport du bois (les lettres de voiture sont souvent utilisées pour le transport de bois coupé illégalement, leur prix sur le marché illégal serait estimé à 300 000 F CFA, soit 460 euros) auprès du Ministère des forêts, bien que ces documents ne puissent normalement être retirés que par les membres du bureau du GIC.
Les conflits entre les trois villages et l’entreprise sous-traitante aboutissent à l’abandon du chantier par l’entreprise après quelques mois. Le bois qui avait été coupé est abandonné. La situation demeure inchangée pendant un an, sans que les membres du GIC n’aient accès à de nouvelles informations et surtout sans qu’il soit possible de récupérer les lettres de voiture. En juin 2011, un nouvel acheteur sollicite les membres du bureau du GIC pour l’achat du bois abandonné. Le GIC est contraint d’accepter, malgré le prix dérisoire qui lui est proposé.
La « forêt communautaire » MAD participe aujourd’hui au projet lancé en juin 2011 par la coopération néerlandaise (SNV) pour le soutien de quatre « forêts communautaires » dans l’arrondissement de Djoum, préalablement à la mise en œuvre du processus APV Flegt2.
La création de la « forêt communautaire » génère de nombreux conflits au sein des communautés
La création de la « forêt communautaire » introduit un nouveau système de normes et de pouvoir relatif à la gestion des ressources forestières, là où l’accès et la gestion de la terre et des ressources naturelles relevait jusqu’alors du droit coutumier. La coexistence et l’intégration de ces deux systèmes n’est pas un processus anodin. Des conflits surgissent en particulier autour de la gestion des ressources ligneuses.
1- Conflits autour de la définition du plan de gestion
Les conditions d’exploitation de la « forêt communautaire » établies dans le « plan simple de gestion » ont posé de nombreux problèmes. Elles sont très désavantageuses pour deux des trois villages associés dans le montage de la « forêt communautaire ». La lourdeur des démarches qui auraient été nécessaires pour contester et obtenir la reformulation du plan de gestion ont poussé les villages lésés à l’accepter sous condition de renouveler les membres du bureau de manière à ce que celui-ci soit d’avantage représentatif de l’ensemble des trois villages.
2- Difficultés à instaurer un fonctionnement démocratique au sein du GIC
Le bureau du GIC de la « forêt communautaire » de MAD a été renouvelé trois fois. Les membres du premier bureau avaient été choisis par cooptation par les initiateurs du projet. Tous étaient des habitants d’un seul village, Minko’o, à l’exception du délégué (un poste en réalité seulement fictif). Jusqu’à la rédaction du Plan Simple de Gestion, les démarches ont été centralisées dans les mains de ce groupe, qui n’en a pas rendu compte au reste des membres du GIC.
Le second bureau du GIC a été élu d’une façon plus démocratique sous les pressions des villages de Djop et Akontangan. Le nouveau gestionnaire, issu du village de Djop, appartient à la catégorie sociale communément désignée par le terme « élite » au Cameroun. Il est à la fois chef du clan réunissant les populations de sept villages du canton Fang et leader politique. Il s’agit d’un haut fonctionnaire retraité qui, comme la plupart, a décidé de s’investir dans des activités de courtage de développement. Suite à la signature du contrat avec le SIFCAM, dans un manque de transparence certain vis-à-vis des villageois, le gestionnaire a été accusé de corruption et démis de ses fonctions.
Lors de l’assemblée extraordinaire tenue pour l’élection du troisième bureau, a été élu comme gestionnaire le secrétaire du premier bureau, principal initiateur du projet de la forêt communautaire. Il est une « élite » du village de Minko’o. Ancien cadre dans le secteur industriel à Yaoundé, il a dû se réinstaller dans son village suite à la crise économique. Il y a assumé un rôle d’intermédiaire avec les ONG, une activité qu’il considèrait suffisamment importante pour avoir refusé d’assumer la chefferie du village. Cette position sociale lui permet de concentrer l’information et de garder une place clé dans la gestion de la « forêt communautaire ». Il est également en mesure d’exclure du bureau du GIC toute personne qu’il considérerait susceptible de lui faire perdre la maîtrise des décisions dans la gestion de la « forêt communautaire ».
Causes et conséquences du noyautage de la gestion du GIC par les « élites » locales
Depuis leur création, les espaces de gestion de la « forêt communautaire » ont été accaparés par une minorité de personnes, surtout des « élites intellectuelles », selon l’appellation locale, à savoir des personnes ayant un niveau d’instruction plus élevé que la majorité des villageois. Elles visent à obtenir une position avantageuse au sein des instances de gestion du GIC pour pouvoir orienter en fonction de leurs intérêts l’appropriation de la rente générée par l’exploitation du bois. De ce fait, les autorités coutumières, comme le reste du village, ne disposent pas d’informations suffisantes sur la gestion de la « forêt communautaire ». La majorité des villageois des trois communautés est extrêmement méfiante envers les membres du bureau du GIC. Certains disent de ces derniers qu’ils sont mus par le seul objectif de « bouffer l’argent ».
La « foresterie communautaire » est ainsi vécue par la plupart des villageois comme une affaire étrangère à leurs activités et à leurs intérêts. Les éventuelles retombées positives promises pour la collectivité ne semblent pas justifier une implication plus active pour les obtenir.
Certains jeunes villageois - souvent ceux qui bénéficient des meilleurs niveaux de formation - sont désireux de s’investir dans la « foresterie communautaire ». Ils ne parviennent cependant pas à accéder à l’information relative à la gestion de son exploitation, que la loi impose pourtant de rendre publique. Ils sont encore moins susceptibles d’intégrer le bureau du GIC. Cette situation engendre frustrations, rancœurs et conflits.
3- Conflits liés à la déconnexion de l’appareil de gestion de la foresterie vis-à-vis des autorités coutumières
Les autorités coutumières déplorent la difficulté d’accès aux informations et l’impossibilité de participer à la prise de décision concernant la gestion des ressources forestières au sein de la forêt communautaire. Elles restent pourtant du point de vue de tous les villageois les instances de référence légitimes dans le cadre du droit coutumier.
Du fait de l’intérêt que représente la gestion de la forêt communautaire, des conflits surgissent :
entre les familles élargies appartenant à des villages différents, alors que les rapports entre ces familles sont normalement de nature égalitaire.
entre les autorités coutumières des trois villages et les membres du bureau du GIC. Ainsi, le jeune chef d’Akontangan estime que son village est mal représenté. Il considère que ses représentants au sein du GIC de remettent en question la légitimité de son rôle en tant que chef de village. La chefferie de Djop, quoique relativement bien intégrée à la gestion de la forêt communautaire à travers le poste de trésorier, se plaint de rétention d’information par le gestionnaire de la forêt communautaire et par les villageois de Minko’o. Le chef de ce dernier village, bien que n’étant pas membre officiel du bureau du GIC, a en revanche accès aux informations relatives à son fonctionnement et est convié par le gestionnaire du GIC lors des réunions et séminaires organisés par les partenaires associatifs externes.
Le bureau du GIC est devenu une autorité concurrente des instances coutumières dans le domaine de la gestion des ressources naturelles et en particulier pour l’une des plus lucratives d’entre elles, le bois. Le surgissement de cette autorité a bouleversé les normes et références institutionnelles de la collectivité.
L’exemple suivant en fournit une illustration : une des nouvelles règles impose aux villageois l’obligation de demander au GIC une autorisation pour couper tout arbre se trouvant à l’intérieur du périmètre de la « forêt communautaire », y compris lorsque celui-ci est situé sur une parcelle agricole dont la « propriété » a été reconnue à des individus par la communauté. Cela est perçu comme une discrimination exercée par les membres du GIC et ce, d’autant plus que la demande doit être formulée par écrit. L’institution d’une « forêt communautaire » sur des terres coutumières comprenant non seulement des espaces couverts de forêts qui n’ont jamais été coupées, mais aussi et surtout des espaces agricoles travaillés en abattis-brûlis et donc des friches arborées, entraîne une modification des droits qui avaient été fixés de façon endogène par les habitants. De nombreux villageois contestent la légitimité du bureau du GIC à établir de nouvelles règles de gestion sur des ressources qui auparavant relevaient du droit coutumier.
4- Difficultés liées à la mise en œuvre d’une stratégie commune à trois villages
Avec la mise en place de la « forêt communautaire », s’ouvre pour les villageois la possibilité d’exploiter pour la première fois les ressources ligneuses d’une façon commerciale. Logiquement, une compétition pour le contrôle de l’espace et l’appropriation des ressources forestières se développe. Les conflits concernent notamment, comme cela vient d’être illustré, la possibilité de décider de la répartition de la rente tirée de l’exploitation des ressources ligneuses. Dans le cas de la forêt de MAD, la gestion est compliquée par le fait que trois villages doivent s’accorder sur la définition des limites de l’exploitation et la répartition de ses bénéfices.
Les villageois d’Akontangan estiment que le Plan Simple de Gestion ne leur attribue pas la juste part de bénéfices qui correspond à la proportion du périmètre exploité qui se trouve sur leur territoire coutumier. Ils soupçonnent, par ailleurs, les villageois de Minko’o d’adopter une stratégie colonisatrice aux dépens de leur « réserve foncière »3. Dès 2011, le village d’Akontangan menaçait de se dissocier de la « forêt communautaire » si une assemblée extraordinaire du GIC n’était pas convoquée pour permettre d’engager une procédure de révision du plan simple de gestion, permettant que le revenu tiré de l’exploitation annuelle des assiettes de coupe revienne à chaque village en proportion des surfaces forestières que celui-ci fournit.
Une telle révision engendrerait une perte financière importante pour les villages de Djop et Minko’o, qui prétendent de leur coté disposer de la plus grande partie exploitée. Ils affirment par ailleurs que c’est la densité de peuplement des villages (Minko’o étant nettement plus peuplé que les deux autres villages) qui justifie l’actuelle répartition des revenus.
L’organisation du territoire selon le droit endogène donne lieu à des espaces où les parcelles et les jachères d’individus de villages différents s’entremêlent. Il n’est donc pas possible de tracer des limites claires entre les villages et il semble donc peu probable que les villageois de Minko’o’ et Akontangan trouvent aisément un consensus dans la définition d’une telle limite.
La mise en œuvre d’une stratégie commune entre les trois villages pour la gestion des ressources est complexe. Elle repose sur un consensus fragile. Les rapports entre les villages sont caractérisés par une compétition pour l’espace et les ressources qui rend difficile la construction d’une stratégie commune comme l’exige le modèle de la « foresterie communautaire ».
L’insertion du dispositif de la « forêt communautaire » dans la réalité des rapports de force existant sur le terrain crée donc un certain nombre de problèmes. Ils sont, pour beaucoup, dus à la notion simpliste de communauté que la loi retient dans sa définition de ce modèle d’exploitation de la forêt.
1De plus le contrat ne tient pas compte de certaines clauses que la loi impose lorsque le bois est exporté vers le marché européen : le prix payé pour le bois est dans ce cas plus élevé, du fait de la grande quantité de déchets produits durant la coupe et de la perte conséquente de revenu.
2L’accord Volontaire de Partenariat FLEGT (Flegt est l’acronyme pour: Applications des réglementations forestières, Gouvernance et Échanges commerciaux) est un accord international bilatéral entre l’UE et un pays exportateur de bois, dont le but est d’améliorer la gouvernance forestière du pays et de s’assurer que le bois importé dans l’UE remplie toutes les exigences réglementaires du pays partenaire. Le Cameroun s’est engagé à signer l’APV avec l’UE en janvier 2013.
3La partie de forêt réservée à l’ouverture de nouvelles parcelles, notamment par les jeunes.