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Éditorial de la lettre d’information du réseau AGTER. Juin 2018
La plupart des grands projets d’irrigation aujourd’hui promus par les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds (souvent en partenariat public/privé), et censés contribuer à la fois au développement de l’agriculture dite d’entreprise et de l’agriculture familiale, institutionnalisent de facto une sorte de dualisme agricole.
Outre que ce dualisme exprime d’abord un rapport de force, il est aussi porteur de contresens multiples et révèle une immense incompréhension de l’économie agricole réelle. On continue, envers et contre tout, à opposer une agriculture « commerciale » à une agriculture « familiale » comme si les agriculteurs familiaux n’étaient pas eux-mêmes, et depuis très longtemps, intégrés aux échanges marchands et comme si une partie significative de leur production n’était pas destinée à être vendue …. Et l’on continue à opposer les « investisseurs », entendez « privés » (le « secteur privé ») aux agriculteurs familiaux comme si ces derniers n’étaient pas eux-mêmes des acteurs privés et par ailleurs susceptibles d’investir.
Par ailleurs, ces projets, dont le volet « privé » repose sur des exploitations de grande taille, souvent spécialisées dans une seule production, faisant largement appel aux intrants de synthèse et ayant recours exclusivement sur la main d’œuvre salariée, se fondent presque tous sur 2 hypothèses rarement questionnées.
1/ ces grandes exploitations seraient plus performantes économiquement … ceci reste à démontrer au cas par cas …, et surtout, selon quels critères économiques serait mesurée cette « performance » ? La capacité à prendre des parts de marché à l’international (la fameuse « compétitivité ») ? La rentabilité financière des capitaux investis ? La création de valeur ajoutée ? La productivité du travail ? Celle de la terre ? La création d’emplois ?
2/ Ces investisseurs apportent des capitaux au secteur agricole, capitaux dont ce secteur aurait grand besoin. Mais apportent-ils vraiment du capital d’exploitation ? Quels capitaux et comment ? Quand ?
Tordre le coup à ces oppositions dénuées de tout sens - commerciale/familiale, secteur privé/agriculture familiale – et questionner les deux hypothèses ci-dessus permet en revanche de mettre le doigt sur les différences fondamentales qui séparent bien ces deux types d’agriculture.
Un entrepreneur – ou un actionnaire - qui investit du capital dans l’agriculture, plutôt que dans un autre secteur de l’économie, regarde d’abord la rentabilité financière de son investissement, c’est-à-dire la capacité de son investissement à rémunérer les porteurs de capitaux. Il faut alors augmenter la productivité du travail (notamment grâce à la motorisation) et réduire au maximum les coûts, sachant que dans ce genre d’exploitations agricoles reposant exclusivement sur la force de travail salariée, le travail est considéré comme un coût …. Il s’agit dès lors de réduire au maximum la masse salariale : diminution de la main d’œuvre, accroissement de la flexibilité des travailleurs et précarisation, pression à la baisse sur les salaires, etc… L’efficacité financière peut alors être au rendez-vous, mais beaucoup plus rarement l’efficacité économique, si l’on mesure celle-ci à l’aune de la valeur ajoutée créée ou de la productivité de la terre (valeur ajoutée nette par unité de surface). Quant à la répartition de la valeur, elle se fait toujours au détriment des travailleurs et de l’emploi.
Dans l’agriculture familiale au contraire, c’est le revenu agricole qui compte le plus. C’est ce revenu (la part de valeur ajoutée qui revient au producteur, éventuellement augmentée des subventions perçues) qui lui permet de faire vivre sa famille et, si possible, d’investir pour accroître son capital. Lui aussi cherchera à accroître la productivité de son travail et celle des membres de sa famille qui participent aux travaux ; mais le travail n’est pas un coût en tant que tel. Ce que l’on cherche à réduire, c’est sa pénibilité, pas son coût monétaire ! L’intérêt de ces agriculteurs est donc bien à la fois d’accroître la productivité du travail et de faire en sorte que la plus grande part de la valeur ajoutée produite soit affectée à la rémunération du travail familial et à l’amélioration de l’outil de production, un objectif qui rejoint l’intérêt de la collectivité : davantage de richesse créée, notamment par unité de surface et une répartition de la valeur favorable à l’emploi et à l’investissement !
Divers
Les questions posées par Hubert Cochet dans son éditorial sont bien présentes dans les travaux que de nombreux membres du réseau AGTER mènent actuellement. Lors de la dernière newsletter nous vous informions du chantier de réflexion collective du Comité Technique « Foncier et Développement » qu’AGTER co-anime avec la SCAFR - Terres d’Europe et qui porte sur l’évolution des structures agraires dans le monde et l’installation des jeunes en agriculture. Les prochaines sessions prévues début juillet favoriseront, à partir de la présentation d’études de cas, une analyse croisée de cette problématique dans des contextes très contrastés, y compris dans des zones irriguées.
A ce chantier s’ajoutent les travaux récents (et toujours en cours) consacrés aux partenariats publics-privés en irrigation en Afrique Sahélienne et aux rapports entre agriculture familiale et agrobusiness en Côte d’Ivoire (en agriculture irriguée mais également en économie de plantation). Une partie des résultats de ces études sera présentée prochainement dans le cadre des Rencontres des Études Africaines en France qui se tiendront à Marseille du 9 au 12 juillet. En effet, AGTER participera au panel intitulé « Agricultures entrepreneuriales et agricultures familiales en Afrique Subsaharienne : formes, liens et modèles de développement ». Vous trouverez la composition complète du panel ici.
En attendant les résultats des discussions qui ressortiront de ces différentes sessions et dont nous vous tiendrons informés, nous vous proposons la sélection d’articles et de vidéos qui suit.
Le 5 juillet 2018 (14h-17h) : Réunion thématique d’AGTER : Le concept d’agriculture familiale à l’épreuve de l’anthropologie économique. Lieu : AgroParisTech (Paris)