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Rédigé par : Michel Merlet
Date de rédaction :
Organismes : Groupe de Recherches et d’Echanges Technologiques (GRET), Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (Sénégal) (CNCR)
Type de document : Étude / travail de recherche
Cette fiche synthétise les principaux points d’analyse d’une étude réalisée par Michel Merlet (AGTER) à la demande du CNCR et du GRET sur les politiques des structures qui ont été mises en place en France dans la seconde partie du XXe siècle. La fiche résumé et l’étude complète sont téléchargeables en bas de cette page.
Entre 1950 et 2010, la proportion d’actifs agricoles par rapport à l’emploi total est passée de 35% à 4,2% dans les pays développés, et de 81% à 48,2% dans les pays en développement. On a l’habitude de considérer que les pays « développés » doivent nécessairement avoir une population active agricole réduite, de moins de 5% de la population active totale. Mais rien ne permet de penser que l’évolution observée au cours des dernières décennies dans ces pays soit inéluctable. Rien n’indique non plus que la sortie de l’agriculture d’une partie importante de la population constitue un facteur de développement pour la société dans son ensemble. Tout dépend en fait des possibilités de création d’emplois existant dans les secteurs non agricoles.
Au niveau mondial, près de 40% de la population active travaille aujourd’hui dans l’agriculture. Il est évident qu’une évolution des unités de production agricoles de la planète dans les prochaines décennies similaire à celle qu’ont connue les pays développés au XXe siècle nous conduirait très rapidement à un sous emploi totalement insoutenable.
Il nous faut d’emblée souligner que la situation démographique et économique de la France des années 1950 et 1960 était très différente de celle qui prévaut aujourd’hui dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Si une diminution de la population agricole est sans doute inéluctable en Afrique de l’Ouest, elle devra se mettre en place sous des modalités distinctes et à un rythme très différent de ceux qu’ont expérimentés les pays européens. Mieux connaître la nature de la politique des structures appliquée en France dans la seconde partie du XXe siècle peut être très utile pour réfléchir à des stratégies de développement pour les pays du Sud, même si les propositions pour l’Afrique de l’Ouest sont à inventer par les habitants du sous-continent eux-mêmes.
Résumé
En France, on appelle « politique des structures » un ensemble de mesures qui ont pour objectif de réguler la taille des exploitations agricoles. Ces mesures s’appuient sur des lois ou sur des règlements administratifs, elles peuvent être directes ou indirectes. Elles visent à ce que la taille des unités de production agricole soit conforme aux besoins de la société dans son ensemble dans une période donnée.
Les besoins de chaque société diffèrent selon les époques. Les composantes d’une politique des structures doivent donc être adaptées à chaque moment historique. Mais il est toujours nécessaire de prendre en compte les évolutions sur plusieurs générations, ce qui n’est jamais aisé. L’avantage des formes de production paysannes et familiales vient ici du fait que production et reproduction de la famille font partie d’une même unité de décision. Ce n’est pas le cas d’une entreprise travaillant avec une main d’œuvre salariée.
La prise en compte de l’intérêt des générations futures nous conduit d’emblée à considérer que par delà l’existence de droits individuels, il existe toujours une dimension commune, communautaire aux ressources naturelles et en particulier à la terre. Il en a toujours été ainsi au cours de l’histoire, mais l’invention récente de « La propriété » lors de la révolution française a conduit à le perdre de vue. Rien d’étonnant dès lors que la réflexion sur la politique des structures amène à dissocier différents types de droits et d’ayants droit. Il peut parfois suffire d’utiliser des instances existantes de gestion de droits collectifs. Il peut aussi être indispensable d’en créer de nouvelles. Les SAFER en sont un exemple, imparfait sans doute, mais intéressant. Le droit de vendre un terrain agricole en France n’est plus un droit exclusif du propriétaire, il est partagé avec la SAFER, qui représente la collectivité et applique un projet décidé conjointement par l’État et les organisations de producteurs.
L’exemple français illustre l’importance d’un pacte social impliquant la paysannerie et le reste de la société. Cela nécessite que la société dans son ensemble soit convaincue de l’intérêt de préserver et de moderniser les formes de production paysannes et familiales. C’est aujourd’hui loin d’être acquis, l’idéologie dominante, toutes orientations confondues, privilégiant et idéalisant de plus en plus l’entreprise et méprisant les formes de production paysannes, considérées comme archaïques. Cela commence sans doute par un travail de récupération de l’auto-estime, de construction d’un projet propre, comme l’ont fait dans les années 50 les membres de la JAC.
Ce travail est largement engagé aujourd’hui par de nombreuses organisations de petits producteurs dans le monde, mais il reste encore centré sur la défense de leurs droits fondamentaux. Il convient sans doute de développer aujourd’hui un discours qui mette en avant que c’est aussi et surtout parce que les petits producteurs produisent plus de richesses par hectare, créent beaucoup plus d’emplois et assurent une meilleure protection des ressources naturelles que la grande production capitaliste qu’il est de l’intérêt de tous de les appuyer. Cette démarche nécessite un changement profond de perspectives.
Partout dans le monde, considérer la terre seulement comme un capital ou une marchandise est lourd de conséquences: cela conduit à justifier et à favoriser des processus de dépossession et d’appropriation privative par une minorité d’acteurs.
L’Afrique de l’Ouest au début du XXIe siècle est très différente de la France de l’après-guerre. Les systèmes de droits fonciers, la démographie, l’organisation des familles et les conditions écologiques sont autres et ils varient beaucoup d’un pays à un autre. Une modernisation de l’agriculture similaire à celle qu’a connue la France provoquerait un exode rural massif: en l’absence d’alternatives d’emplois dans les secteurs non agricoles, elle se traduirait par une augmentation insoutenable de la pauvreté urbaine.
Il conviendra donc d’inventer de nouveaux modèles. L’intervention sur les marchés fonciers y jouera un rôle important, mais seul un ensemble cohérent de politiques répondant à un projet de société clairement défini permettra une évolution harmonieuse des structures agricoles dans l’intérêt du plus grand nombre et un développement durable, économique, écologique et social.
Une politique des structures n’est pas une intervention corrective ponctuelle, comme l’est une réforme agraire redistributive par exemple. Elle intervient dans la durée sur des processus préexistants, sur les héritages, sur les marchés de droits, sur les ré-allocations de fonds, subventions et impôts. En France le contrôle des marchés de location a joué un rôle très important dans l’évolution des structures de production depuis les lois sur le statut du fermage, publiées à la fin des années 1940 en réponse à une revendication historique des paysans.
Il existe aujourd’hui différents marchés liés à la terre : un marché de la terre (des droits de propriété, avec toutes les limites que présente cette propriété en France), un marché du droit de cultiver (essentiellement fermage), un marché des aides et des subventions, des droits à produire, un marché des fonds agricoles, un marché des parts sociales 1. Le reconnaître n’implique aucunement de considérer que la terre soit une marchandise comme une autre. C’est bien parce que la terre n’en est pas une et parce qu’elle est toujours insérée dans des rapports sociaux que ces marchés ne peuvent et ne pourront jamais s’autoréguler. C’est en fait pour cela qu’une politique des structures est indispensable pour pourvoir répondre aux intérêts de la collectivité.
Une politique des structures peut difficilement aujourd’hui se raisonner uniquement à l’échelle nationale. Nous avons évoqué l’impact de l’évolution des politiques agricoles européennes. La réglementation ou la libéralisation du commerce international et des investissements dans le monde ont des impacts considérables sur les structures agraires. Il sera donc important de considérer la possibilité de travailler au niveau de plusieurs pays d’une même grande région, dans un premier temps, et le plus rapidement possible à l’échelle mondiale. L’observation des phénomènes d’appropriation et de concentration des terres dans le monde appelle d’une certaine façon une véritable politique des structures au niveau global.
1 L’étude reprend les principales mesures de régulation qui ont été appliquées en France et souligne les insuffisances actuelles de ces dispositifs, en particulier vis à vis de l’agriculture sociétaire et des marchés de parts ou d’actions.