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Fiche 1/3
Rédigé par : Marta Fraticelli
Date de rédaction :
Type de document : Article / document de vulgarisation
Quand on parle de réforme agraire, on pense d’abord aux pays du Sud ou de l’Europe de l’Est. Plusieurs pays du Sud de l’Europe de l’Ouest ont pourtant aussi mis en place des réformes agraires, mais celles-ci sont peu connues au delà des frontières des États qui les ont appliquées. Il est utile d’analyser leurs acquis et les problèmes qu’elles ont rencontrés quand on réfléchit sur les politiques foncières dont le XXIe siècle a besoin.
Cette synthèse traite (en trois fiches) de la réforme agraire en Italie, une politique foncière des plus importantes dans ce pays au XXe siècle. Plusieurs interventions avaient essayé à différents moments de corriger une distribution très inégalitaire du foncier et une structure agraire caractérisée par la prépondérance de grands domaines (latifundia) « féodaux », notamment dans le Sud, mais sans vrais résultats jusqu’à la réforme de 1950.
La réforme agraire de 1950
La question agricole constitue un des problèmes économiques et sociaux majeurs à résoudre dans la transformation des structures productives de l’Italie de l’après guerre : l’agriculture, par delà des différences régionales fortes, est encore responsable d’un cinquième du revenu brut et de 44 % de l’emploi au niveau national.
Les difficultés les plus importantes du point de vue de la situation foncière et de l’emploi se concentrent dans le Mezzogiorno (le Sud de l’Italie) et dans plusieurs zones du Centre. Les structures agraires y sont beaucoup plus déséquilibrées que dans le reste du pays: les grandes propriétés (plus de 100 ha, mais souvent aussi plus de 1.000 ha !) y couvrent encore un tiers du territoire. Le poids de la grande propriété absentéiste est devenu insupportable et empêche tout progrès économique et social.
Classes (en ha) | Nombre de propriétés | % | Superficie (ha) | % |
Jusqu’à 0,5 | 5.130.851 | 53,9 | 874.989 | 4,1 |
0,5-5 | 3.747.192 | 39,4 | 5.826.367 | 26,9 |
5-10 | 330.733 | 3,5 | 2.289.669 | 10,6 |
10-50 | 253.689 | 2.7 | 5.049.909 | 23,3 |
50-100 | 28.381 | 0,3 | 1.956.450 | 9,1 |
Plus que 100 | 21.396 | 0,2 | 5.575.567 | 26,0 |
Source : enquête INEA, 1948
Régions | Jusqu’à 50 ha | 50-100 ha | 100-1000 ha | > 1000 ha | Total |
Nord | 71 | 10 | 16 | 3 | 100 |
Centre | 45 | 8 | 31 | 16 | 100 |
Sud | 60 | 7 | 25 | 8 | 100 |
Sicile | 61 | 8 | 26 | 5 | 100 |
Sardaigne | 47 | 12 | 23 | 18 | 100 |
Source : Ministère pour la Constituante, Rapport Agriculture, Vol.I, 1945
C’est aussi dans le Mezzogiorno, haut lieu de la grande propriété absentéiste et arriérée, que les enjeux d’une transformation capitaliste de l’agriculture italienne sont les plus forts. La situation agraire de cette région, où la permanence des contradictions endémiques entre la petite propriété paysanne et le grand latifundium est la source du rancœur des paysans méridionaux et des révoltes répétées, fait que cette région sera l’objet d’une attention toute particulière. Les interventions de réforme agraire ne s’appliquent pas à l’agriculture italienne toute entière comme cela avait été prévu initialement. La réforme se limite à l’application de trois dispositions territorialement délimitées:
la première concerne le haut plateau de la Sila, en Calabrie (loi Sila du 12 mai 1950),
la deuxième s’applique à différentes régions [[En particulier les territoires du delta du Po, de la Maremme toscane et du Lazio, de la vallée du Fucino, des régions des Pouilles, Campane, Lucane, Calabre et Sardaigne.]] (loi Stralcio du 21 octobre 1950, considérée comme provisoire, car elle renvoyait à une loi générale qui n’a jamais été promulguée),
la troisième est une loi régionale qui concerne la Sicile.
Le projet initial de réforme agraire du gouvernement était autre, mais la proposition de loi présentée en Commission agriculture au Sénat a été bloquée. Il constituait un compromis entre différentes positions et prévoyait des interventions d’intensités variables en fonction des différentes réalités territoriales. Une action plus intensive d’expropriation et la formation de petites propriétés agricoles était envisagée uniquement dans les zones de grande propriété foncière et là où la rente foncière prenait les formes les plus arriérées et constituait un obstacle fondamental au décollage de l’agriculture. Dans les autres régions, là où l’exploitation paysanne était déjà bien présente, on prévoyait d’affecter des terres publiques à l’agrandissement des exploitations dans les zones de montagne et de collines, et de favoriser la constitution de consortia avec les propriétés les plus importantes en redistribuant aux paysans celles dont la surface dépassaient un certain seuil (qui restait à définir) dans les zones d’installation paysanne ancienne consacrées à la viticulture, l’arboriculture fruitière et la culture des oliviers.
À cette esquisse, s’opposait le projet de réforme agraire de la Gauche qui proposait d’attribuer aux Régions la responsabilité principale de la mise en place de la réforme, et la fixation d’une limite maximale et permanente de superficie à la propriété privée. Ce projet aurait conduit à l’expropriation de 3 à 4 millions d’hectares de terres qui auraient pu être redistribuées aux paysans. Son objectif était d’arriver à une combinaison d’exploitations paysannes individuelles autonomes, d’unités exploitées de façon associative, et d’autres formes d’entreprises privées limitées par une surface maximale autorisée.
Alors que ces différentes conceptions étaient discutées, dans un climat de chômage élevé et d’affrontements politiques, les luttes pour l’occupation des terres reprenaient au second semestre de 1949, surtout au Sud de l’Italie. Il devenait urgent de mettre en place une réforme dans les zones où la concentration de la propriété foncière était la plus forte et les protestations des paysans et des ouvriers agricoles les plus violentes. Entre mai et décembre 1950, sont élaborées les trois lois de réforme agraire qui donnent lieu à une intervention complexe de réforme du système foncier, qui reste toutefois limitée à certaines zones et réalités sociales. Sont définis comme territoires d’application de la loi, outre que les régions de la Sila (7) et de la Sicile (8), une série de zones (comprensori di riforma):
le delta du Po (1), la Maremme (2),
la vallée du Fucino (3),
les régions Pouilles, Lucanie et Molise (4),
la Sardaigne (5) et
la Campanie (6).
Environ 70% de la superficie expropriée se trouve dans le Sud de l’Italie.
Aucune limite maximale permanente de superficie n’a été fixée pour la propriété.
Le mécanisme d’expropriation permettant de récupérer les superficies à redistribuer détermine la partie de terre à affecter à partir du degré d’extension de la production et de la valeur globale du revenu du domaine. En dessous d’une limite minimale de revenu imposable, les propriétés ne sont pas affectées. La quote-part des surfaces expropriées sera directement proportionnelle au revenu global et donc inversement proportionnelle au revenu moyen par hectare.
De cette façon 2.805 propriétaires terriers sont expropriés partiellement, à différents degrés.
La surface ainsi obtenue représente 760.000 ha, subdivisés en lots de 6 à 8 ha en moyenne qui sont attribués à 113.000 familles paysannes. Ont été affecté 64% des unités de production de plus de 1.000 ha et la totalité de celles qui avaient plus de 2.500 ha.
Les expropriations affectent les terres de plus mauvaise qualité, celles qui ne disposent pas d’infrastructures, de maisons d’habitation, de bâtiments d’exploitation, ni de systèmes d’approvisionnement en eau1.
Les motivations qui sous-tendent la réforme foncière de 1950 sont initialement plutôt politico-sociales que économiques. Il devenait impossible de contrôler les luttes paysannes montantes dans les régions méridionales, et il fallait garantir un climat de paix sociale nécessaire dans la phase de reprise économique. La Démocratie Chrétienne (DC), parti majoritaire d’inspiration catholique, vise aussi à obtenir ainsi un soutien politique dans les zones méridionales, dont l’importance dans le poids global des votes est significative. Il lui faut notamment contrer l’avancée du Parti Communiste dans le campagnes, l’influence de celui-ci ayant été renforcée par son rôle pendant la Résistance durant la deuxième guerre mondiale.
L’idée à la base du projet politique de la réforme foncière est restée celle qui avait été affirmée par les représentants du parti de la majorité dès 1948. L’objectif est de favoriser la propriété privée individuelle de la terre et la constitution d’entreprises agricoles sur une base familiale. On privilégie ainsi la constitution de fermes de petites dimensions (poderi) sans envisager la mise en place des formes de gestion collective des ressources.
Les traits caractéristiques de la législation sur la réforme agraire
La réforme agraire italienne trouve son fondement juridique dans l’article 44 de la Constitution de la République. Celui-ci stipule qu’au fin d’encourager une exploitation efficace du sol et d’établir des rapports sociaux équitables, les propriétaires fonciers agricoles doivent être assujettis à des charges et des obligations, et la loi doit fixer des limites à la propriété privée des terres suivant les Régions et les zones agricoles, encourager et imposer la mise en valeur des terres, la transformation des latifundia et la réorganisation des exploitations.
La loi n° 230, la loi Sila, votée le 12 mai 1950 pourvoit à la colonisation du plateau de la Sila dans la région de la Calabria et des territoires baignés par la mer Ionienne.
La loi spéciale du 21 octobre 1950, la loi Stralcio, a étendu, avec quelques modifications, les dispositions de la loi Sila à d’autres territoires que le Gouvernement a définis.
Ensuite, le 27 décembre 1950 le gouvernement de la région Sicile promulgue la loi de réforme agraire pour la Sicile (loi n°104), qui présente des caractéristiques particulières.
Voyons quels sont les principaux traits communs des deux premières lois :
la date de référence pour les propriétés soumises à l’expropriation: 15 novembre 1949.
Les indemnités d’expropriation sont calculées à partir de la valeur fiscale, déterminée et vérifiable, retenue pour la fixation de l’impôt progressif sur le patrimoine. Le paiement de ces indemnités 2 est effectué en bons négociables au porteur à 5% émis par le Gouvernement, amortissables en 25 ans, sauf paiements partiels effectués à ceux qui sont obligés, ou qui ont l’intention, d’améliorer les terres 3.
Les zones expropriables seront transformées et améliorées par les Services de la réforme agraire, avec le concours des attributaires.
Le prix d’achat des terres améliorées et attribuées ne doit pas excéder les deux tiers du coût des améliorations, y compris les labours profonds, la fumure de fond, etc., après déduction des subventions de l’État 4, ni les deux tiers de l’indemnité d’expropriation versée aux propriétaires 5. Le paiement par les attributaires devra être effectué en 30 annualités portant intérêt à 3,5 %.
Les clauses principales du contrat prévoient une période d’essai de trois ans. Le paiement anticipé des annualités n’est pas autorisé. Jusqu’à ce que le prix d’achat ait été intégralement payé, la terre allotie ne peut être transférée ni louée, ni cédée de quelque manière que se soit, totalement ou partiellement.
En cas de décès de l’attributaire avant que le prix d’achat ait été entièrement payé, ses droits sont transférés au conjoint, ou à défaut, la terre retourne aux Services de la Réforme agraire. Les héritiers des attributaires ont alors droit au remboursement des annuités déjà versées.
Les attributaires jouissent de l’aide technique, économique et financière octroyée par les Services de la Réforme agraire.
Des coopératives ou des regroupements obligatoires seront organisés pendant au moins 20 ans dans chaque secteur de réinstallation.
Les propriétés expropriables sont déterminées selon des critères différents:
celles dont la superficie est supérieure à 300 ha et de préférence au-dessus de 1.000 ha. (loi relative à la Sila)
Dans les régions affectées par la loi spéciale de réforme agraire, les propriétés produisant plus de 30.000 lires de revenus fonciers imposables. Peuvent être exemptées d’expropriation les terres constituant des fermes modèles ou se livrant entièrement à l’élevage du bétail. En outre, le propriétaire exproprié peut conserver définitivement une partie des terres sujettes à expropriation, à condition qu’il améliore une partie des terres expropriables (un tiers et jusqu’à 300 ha) et les autres terres non expropriables situées sur le territoire auquel la loi spéciale s’applique6.
On perçoit au travers de ces dispositions qu’une des tâches essentielles des Services de la réforme agraire est la transformation de l’utilisation des terres, avec l’introduction de pratiques culturales nouvelles et améliorées.
1E.Sereni, “Il capitalismo nelle campagne (1860-1900)”. Ed. Einaudi, 1968
2Loi n°333 du 18 mai 1951 et loi n°156 du 15 mars 1958]
3Loi n°224 du 21 mars 1953
4Texte unifié n°215 du 13 février 1953
5Loi n°600 du 9 juillet 1957
6Le propriétaire a le droit de conserver une partie des terres améliorées, que l’on appelle le tiers résiduel, en lien avec le nombre d’enfants de la famille (loi # 841 de 1950). La loi # 2377 du 20 décembre 1952 établit que le propriétaire peut conserver 15 % de la superficie constituant le tiers résiduel pour chaque enfant à partir du quatrième, avec un résiduel maximum égal au tiers déjà transformé.
BARBERIS C., La riforma fondiaria: trent’anni dopo. Franco Angeli, 1979
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CAVAZZANI A., La riforma agraria come strumento di integrazione e modernizzazione, in Rivista di Economia Agraria, n°4, 1979.
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FABIANI G., L’agricoltura italiana tra sviluppo e crisi (1945-1985). Il Mulino, 1986