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Résumé et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame (2003)
Rédigé par : Claire Launay, Thomas Mouriès
Date de rédaction :
Organismes : Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Dossier : 9 thèses pour repenser la gouvernance, Résumés et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame, Ed. Charles Léopold Mayer, Descartes, Paris, 2003.
1. Qu’est-ce que la gouvernance ?
a. La gouvernance ne se réduit pas à la « bonne gouvernance »
L’usage que je fais du mot gouvernance est beaucoup plus large que ce que propose la Banque mondiale. On y trouvera bien sûr, comme dans les principes de bonne gouvernance, les exigences élémentaires de la démocratie que sont l’accès à l’information, le devoir des gouvernants de rendre compte afin que les citoyens aient prise sur les décisions qui les concernent directement au plus proche de leur vie quotidienne. Je partage aussi l’attention portée par l’Union européenne à la perception des principes et aux pratiques effectives, le cadre juridique et institutionnel proprement dit étant inséparable, en amont, des représentations que se font les acteurs et, en aval, de la pratique réelle des institutions. Je récuse, en revanche, une vision purement managériale de la société comme je récuse l’illusion de recettes de bonne gouvernance qui garantiraient en tout point de la planète, à partir d’un modèle inséparable de l’économisme dominant, la bonne gestion des affaires publiques et, au-delà, la cohésion et l’épanouissement des sociétés. (15)
b. La gouvernance est un système de régulation
(…) si l’on définit la gouvernance comme l’ensemble des régulations qui permettent à une société de vivre durablement en paix et de garantir sa pérennité à long terme, il n’est, au XXIe siècle, de gouvernance que mondiale. (129)
En définitive c’est bien, conformément à son sens étymologique, l’art de la navigation en haute mer, c’est-à-dire de la gestion du temps, de l’incertitude, des ressources et de la coopération qui fonde la gouvernance. (127)
Système de régulation de la société, la gouvernance s’attache nécessairement à capter et relier les informations permettant de produire un diagnostic permanent de l’état du système, de mesurer les échanges internes et externes et de prendre des mesures correctrices nécessaires. La structure, la qualité et la disponibilité publique de ces informations sont donc un enjeu décisif de la gouvernance. (307)
c. La gouvernance est un processus
La multiplication de ces exemples nous a conduit (…) à parler du passage d’une démocratie de procédures, fixant le lieu et les formes de la décision, à une démocratie de processus, où s’identifient les grandes étapes de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation d’un projet collectif. Ce que j’appelle le cycle de la gouvernance. (304)
(…) il faut (…) parler de cycle de la gouvernance, c’est-à-dire de processus se déroulant dans le temps. Là où la philosophie classique met l’accent sur la décision, sur le moment précis où l’autorité arrête une politique, s’intéressant essentiellement à la légalité de la procédure suivie, par exemple aux différentes étapes de validation d’un projet de loi, la nouvelle approche de la gouvernance s’intéresse à l’organisation dans le temps du processus par lequel s’organisent, se mettent en œuvre et se corrigent les politiques publiques. (302)
Pourquoi ne pas imaginer, dans un avenir peut-être proche, que des partis politiques s’affrontent non plus sur des solutions mais sur les conditions d’organisation collective du processus d’élaboration de ces solutions ? (312-313)
d. La gouvernance induit un changement de regard
(…) la gouvernance n’est pas un fait nouveau, une manière neuve de concevoir et gérer l’action publique, mais plutôt un regard nouveau sur une réalité préexistante. (17)
La délimitation de la gouvernance doit se faire plutôt à partir de l’énoncé des objectifs poursuivis en commun, des critères éthiques qui doivent guider l’action, des règles de coopération entre niveaux de gouvernance et du principe de moindre contrainte (…). Ainsi, à une vision traditionnelle de la gouvernance caractérisée par une répartition des compétences, par des institutions sectorisées et par des règles vient se substituer une vision nouvelle où la gouvernance se définit par des objectifs, des principes éthiques et des dispositifs concrets de travail. (141-142)
2. Quels sont les fondements de la gouvernance ?
a. La gouvernance s’enracine dans les réalités et les pratiques
Fruit d’une histoire, d’une culture et de traditions bien ancrées, traduite par des codes, des institutions et des règles qui sont autant de garanties de la stabilité et de la continuité des sociétés, la gouvernance est par nature et par vocation un système d’évolution lente. Ce ne sont pas, dans ce système, les organisations et le droit qui évoluent le plus lentement mais les représentations, les formes de pensée et les corps sociaux qui les incarnent. (18)
On appréhende beaucoup mieux la réalité de la gouvernance par sa pratique quotidienne que par des traités de science politique. (22)
La gouvernance étant un art plutôt qu’une science (idée sur laquelle je reviendrai à plusieurs reprises), sa connaissance repose avant tout sur une approche « clinique » : ce ne sont pas des expériences de laboratoire qui font avancer mais la confrontation de « cas ». (30)
La gouvernance est un art tout d’exécution qui ne se comprend qu’à partir de la vie quotidienne. (65)
Une gouvernance légitime ne se réduit plus à des institutions et à des règles mais englobe un ensemble complexe de pratiques sociales. (108)
b. L’éthique est au cœur de la gouvernance
J’ai noté en introduction qu’éthique et gouvernance se trouvaient associées comme les deux faces d’une même pièce. D’abord parce qu’il s’agit dans les deux cas de réaffirmer que les fins doivent l’emporter sur les moyens. Ensuite, parce qu’il n’y a pas de gouvernance pacifique ni a fortiori de gouvernance démocratique sans un fondement éthique. (131)
Puisqu’en l’état actuel de l’humanité toute gouvernance procède en dernier ressort d’une gouvernance mondiale, que cette gouvernance mondiale ne peut qu’avoir une base contractuelle et que cette base contractuelle est fondée sur des principes éthiques, alors l’adoption de principes éthiques communs pour notre temps devient décisive. L’éthique conditionne l’émergence de la communauté sociale et de la communauté politique à l’échelle planétaire. (135)
3. Comment est mise en œuvre la gouvernance ?
a. La gouvernance s’exerce comme un « art »
D’entrée de jeu, nous avions dit que la gouvernance était un art plutôt que l’application mécanique de principes universels et nous avions souligné que celui-ci consistait à parvenir simultanément au maximum d’unité et au maximum de diversité. Nous en voyons ici l’application. La recherche d’une solution pertinente satisfaisant à des principes directeurs communs est typique de l’exercice d’un art. L’artisan dispose d’une palette d’expériences, de principes et de savoir-faire mais il doit les combiner en fonction de contraintes et de configurations à chaque fois spécifiques. Dans le cadre de la gouvernance (…) c’est la confrontation de l’expérience des uns et des autres, de tous ces cas spécifiques, qui permet de dégager les principes directeurs communs et qui offre en même temps l’illustration, par des échecs ou des réussites, de la manière de mettre en œuvre ces principes dans des circonstances particulières. Il appartient ensuite à l’artisan, à partir de cet ensemble de cas cliniques, de réaliser son propre chef-d’œuvre. La palette des situations qui ont fait l’objet de l’échange d’expériences constitue un réservoir de solutions possibles et de sources d’inspiration. Il ne s’agit en rien de recettes infaillibles ou de modèles à suivre. Dans une perspective de subsidiarité active, l’insistance est mise sur le processus d’élaboration de solutions et non sur la reproduction automatique de modèles. (…) la présentation d’une politique mise en œuvre à un endroit donné a peu de signification pour les autres tant qu’elle ne se complète pas d’une description du processus par lequel cette solution a été trouvée. (195)
L’autre caractéristique de l’art est de s’intéresser à des solutions satisfaisantes plutôt qu’à l’idée de solution optimale. (…) S’il est possible, dans les systèmes techniques ou bien lorsque l’on réduit les acteurs à une seule de leurs dimensions, par exemple si l’on réduit les êtres humains à leur rationalité économique, de prétendre trouver une solution optimale, cette prétention disparaît lorsque l’on reconnaît que la recherche d’une solution négociée est un processus laborieux. L’objectif n’est plus de trouver la solution optimale mais d’aboutir à une solution convenable, pertinente. On retrouve là encore la démarche de l’artisan. (196-197)
b. La gouvernance concilie unité et diversité
(…) la gouvernance est l’art de trouver la traduction, adaptée à chaque réalité spécifique, de principes communs. (23)
Qu’il s’agisse de la gestion de la biosphère, de l’encadrement de l’économie ou de l’organisation de la société tout entière, l’art de la gouvernance consiste à atteindre le maximum de cohésion avec la plus grande liberté d’initiative, la plus grande unité avec la plus grande diversité. Toute innovation locale qui s’avère mieux adaptée, qui accroît le capital social, qui élargit en définitive la palette des réponses tout en respectant un certain nombre de principes communs est un progrès pour tous. (173)
c. La gouvernance articule les différentes échelles, du local au mondial
La clé de la gouvernance de demain ce n’est plus le principe de répartition des compétences entre niveaux mais au contraire celui de coopération entre niveaux. Ce principe de coopération repose sur un fait d’expérience : toutes les sociétés sont confrontées à des problèmes de même nature mais chacune doit y apporter des réponses spécifiques. De là découle le principe de subsidiarité active (…). (124)
d. La gouvernance enjoint de refonder la société
Une dimension essentielle du cycle de la gouvernance est (…) de créer les conditions d’appropriation des questions par les citoyens. (311)
Il importe souvent moins à une personne ou une communauté de savoir qu’une décision a suivi les voies légales que de vérifier que son point de vue a été écouté, entendu et pris en compte. C’est pourquoi les mécanismes démocratiques traditionnels, compatibles avec une tyrannie de la majorité, ne suffisent pas à garantir la légitimité de la gouvernance. (162)
(…) la communauté est une construction sociale et politique issue de l’histoire, une construction toujours fragile si l’on ne veille pas régulièrement à en consolider les fondements. Une communauté s’institue. Elle ne peut pas se réinventer tous les jours, mais elle ne peut pas non plus se nourrir seulement d’une histoire commune et des mythes et événements fondateurs du passé. La nécessité d’actes institutionnels, fondant ou refondant la communauté, est plus impérieuse encore quand il s’agit d’ensembles à advenir comme les grandes régions du monde ou la communauté mondiale.
Une des dimensions de la gouvernance est, au-delà des échéances électorales, de créer des processus par lesquels, de loin en loin, la communauté se refonde elle-même. (147)
Dossier : 9 thèses pour repenser la gouvernance, Résumés et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame. Ed. Charles Léopold Mayer, Descartes. Paris. 2003.
Institut de recherche et débat sur la gouvernance : www.institut-gouvernance.org