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Résumé exécutif
Rédigé par : Ward Anseeuw, Giulia Baldinelli
Date de rédaction :
Organismes : International Land Coalition (ILC), OXFAM, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Centro Peruano de Estudios Sociales (CEPES), Agencia Católica Irlandesa para el Desarrollo (TROCAIRE), International Fund for Agricultural Development (IFAD), International Institute for Environment and Development (IIED), Center for International Forestry Research (CIFOR), World Inequality Lab (WIL), Global Land Programme, Universitat Bern, Xavier Science Foundation, Community Land Scotland, Tanzania Land Alliance
Type de document : Étude / travail de recherche
Les inégalités foncières sont en pleine croissance dans la plupart des pays. Pire encore, les nouvelles mesures et analyses publiées dans le présent rapport de synthèse montrent qu’elles sont sensiblement plus élevées qu’annoncé précédemment. Cette tendance représente une menace directe pour les moyens de subsistance d’environ 2,5 milliards de personnes travaillant dans l’agriculture de petite échelle partout dans le monde.
Les inégalités foncières sont également au cœur de nombreuses autres formes d’inégalités liées aux richesses, au pouvoir, au genre, à la santé et à l’environnement, et sont fondamentalement indissociables des crises qui frappent le monde d’aujourd’hui, à savoir le recul de la démocratie, le changement climatique, les problèmes de sécurité sanitaire mondiale et pandémies, les migrations de masse, le chômage et les injustices intergénérationnelles. Outre leurs effets directs sur l’agriculture de petite échelle, il est évident que les inégalités foncières nuisent aussi à la stabilité et au développement de sociétés durables, et ont des répercussions sur presque tous les aspects de la vie de tout un chacun.
La terre est un bien commun qui fournit de l’eau, de la nourriture et des ressources naturelles, toutes essentielles à la préservation de la vie. Elle est la garante de la biodiversité, de la santé, de la résilience et des moyens de subsistance équitables et durables. Elle est immuable, non renouvelable et entretient des liens inextricables avec les individus et les sociétés humaines. La manière dont nous la gérons et la contrôlons façonne nos économies, nos structures politiques, nos communautés, nos cultures et nos croyances depuis des millénaires.
Malgré le rôle central joué par les inégalités foncières dans un nombre très important de défis internationaux, et malgré la reconnaissance mondiale de l’importance capitale de droits fonciers sûrs et équitables incarnée par les objectifs de développement durable (ODD) et les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts (VGGT), les inégalités touchant les droits fonciers et la répartition des avantages qui en découlent sont en pleine croissance, et l’utilisation non durable des terres impose un lourd fardeau à ceux qui sont le moins capables de le supporter.
Le « terrain inégal » dont il est fait mention dans le titre de ce rapport de synthèse est celui qu’occupe une majorité de populations rurales. Celles-ci sont au cœur du présent rapport et du travail de la Coalition internationale pour l’accès à la terre.
Les petits agriculteurs et exploitants familiaux, les peuples autochtones, les femmes des zones rurales, les jeunes et les communautés rurales sans terres sont forcés d’exploiter des parcelles de plus en plus petites, voire chassés de leurs terres, tandis qu’un nombre de plus en plus important de terres est concentré entre les mains d’une poignée de personnes servant les intérêts des entreprises agroalimentaires et d’investisseurs lointains qui utilisent des modèles de production industriels employant toujours moins de main-d’œuvre.
Le présent rapport apporte un éclairage nouveau sur la portée de ces inégalités foncières et la vitesse à laquelle elles augmentent. Il fournit l’image la plus complète à ce jour de cette problématique, en puisant dans 17 rapports de recherche commandés spécialement et dans l’analyse des données et de la littérature existantes. Il présente en détail les causes et conséquences des inégalités foncières, analyse quelques pistes, et propose une solution pouvant potentiellement changer les choses.
S’il existe encore des lacunes importantes dans nos connaissances, notamment sur l’étendue des intérêts financiers et des entreprises dans le secteur foncier, il est évident que les inégalités foncières sont beaucoup plus importantes et augmentent beaucoup plus rapidement que nous ne le pensions jusqu’ici. Il est urgent et dans l’intérêt de tous de régler cette situation.
De l’importance des inégalités foncières
Les inégalités foncières découlent historiquement des séquelles du colonialisme, des conquêtes et des divisions, et revêtent une charge politique considérable dans de nombreuses régions du monde. Grâce aux politiques agraires axées sur les petits producteurs et exploitants familiaux, ainsi qu’aux politiques de redistribution des terres mises en œuvre par plusieurs États entre e début du 20e siècle et les années 1960-1970, les principaux instruments de mesure ont enregistré une baisse lente mais stable des inégalités foncières.
Depuis les années 1980 cependant, les inégalités foncières sont de nouveau en hausse. Nous expliquerons pourquoi plus loin dans ce rapport de synthèse, mais, pour résumer, cette situation résulte en grande partie de l’appui fourni aux modèles agricoles industriels de grande échelle par les politiques dictées par les marchés et les économies ouvertes priorisant les exportations agricoles, ainsi que de la hausse des investissements des secteurs de la finance et des entreprises dans l’agroalimentaire, et de la faiblesse des institutions et mécanismes existants face à la hausse de la concentration des terres.
L’un des principaux effets de la tendance actuelle est l’émergence d’un système foncier et agroalimentaire de plus en plus polarisé, qui entraîne une hausse des inégalités entre les plus modestes et les plus gros propriétaires fonciers. Les systèmes alimentaires dominants à l’échelle mondiale sont contrôlés par un petit nombre d’entreprises et d’institutions financières, motivées par la logique du retour sur investissement à grande échelle obtenu par les économies d’échelle. À l’autre extrême, on retrouve des systèmes agroalimentaires dominants à l’échelle locale, largement composés de petits producteurs et d’exploitants familiaux, reliés à certaines parcelles de terre particulières. Ces deux systèmes ne sont pas complètement séparés, puisqu’il existe de nombreuses intersections entre eux, mais ils incarnent deux approches qui s’éloignent de plus en plus l’une de l’autre.
Le rôle central joué par les inégalités foncières dans les autres formes d’inégalités, ainsi que dans les crises et tendances mondiales, laisse supposer l’existence d’un système complexe d’interconnexions. Les inégalités foncières se manifestent de nombreuses manières, qu’elles soient sociales, économiques, politiques, environnementales ou territoriales. La plupart de ces manifestations sont interdépendantes et s’influencent mutuellement, ce qui donne naissance aux crises et tendances majeures auxquelles on assiste aujourd’hui.
Les inégalités foncières sont fondamentalement rattachées aux inégalités politiques, en particulier dans les sociétés où accumulation des terres est synonyme de pouvoir politique. Cette situation alimente le contrôle par les élites et accroît les inégalités de revenus, de richesse et de patrimoine. Lorsque les institutions sont de faible qualité, les politiques servant les puissants ont tendance à être favorisées, au détriment des politiques bénéficiant aux pauvres, aux sans-terre, aux petits agriculteurs, aux peuples autochtones, aux femmes et aux exploitants familiaux. De même, une propriété ou un contrôle foncier fortement concentrés peuvent déstabiliser les processus politiques et nuire aux efforts visant à assurer une redistribution plus équitable. Ainsi, au bout du compte, les inégalités foncières affaiblissent la démocratie.
Les inégalités foncières ont aussi pour conséquences le chômage et la baisse des revenus, qui ont des répercussions importantes pour les pays en développement comptant une part significative de jeunes. Les grandes exploitations industrialisées absorbent généralement moins d’ouvriers et ont tendance à précariser la main-d’œuvre, en tirant les salaires vers le bas. En Afrique particulièrement, où le secteur agricole est encore le premier employeur et où le chômage des jeunes est un problème de taille, la poursuite ininterrompue des tendances actuelles sur le plan des inégalités foncières provoquerait une catastrophe sociale et économique d’une ampleur considérable.
Le changement climatique est à la fois une cause et une conséquence des inégalités foncières. Il réduit la productivité agricole dans certaines régions du monde et force de nombreuses personnes à abandonner leurs terres. Et tandis que les monocultures de grande échelle, nuisibles à l’environnement, contribuent au changement climatique, les pratiques plus durables des petits agriculteurs et des peuples autochtones sont menacées par les expulsions, la déforestation, la perte de biodiversité et les pressions excessives exercées sur l’eau et d’autres ressources naturelles.
Il existe de fortes corrélations entre inégalités foncières, modification des pratiques agricoles, sécurité sanitaire mondiale et propagation des maladies. La COVID-19 est la dernière zoonose à naître d’une combinaison de techniques d’élevage insalubres et de pressions exercées sur les terres et la vie sauvage, exacerbées par les moteurs mêmes des inégalités foncières. La COVID-19 a également contribué aux inégalités foncières en entraînant des dépossessions dans les sociétés plus répressives.
La migration a toujours été une stratégie d’adaptation des personnes confrontées à la pauvreté, à des conditions de vie précaires, à l’exclusion sociale et à l’absence d’opportunités – autant de facteurs qui découlent d’un accès inégal à la terre. Les migrations de masse et forcées résultent également des conflits, des déplacements de population, des changements climatiques et des démocraties précaires, et sont motivées ou aggravées par les inégalités foncières.
Les inégalités foncières sont inextricablement liées à l’exclusion sociale et à l’injustice intergénérationnelle.
Les femmes et les jeunes des zones rurales se heurtent à de nombreuses difficultés en lien avec les inégalités foncières, y compris un accès réduit aux terres et aux perspectives d’emploi, exacerbé par le changement climatique. Les inégalités foncières ont donc des répercussions en matière d’exclusion sociale et de désautonomisation, en entraînant une réduction structurelle des opportunités pour les jeunes générations rurales, en particulier les filles, d’améliorer leur sort à long terme.
L’éradication de la pauvreté et de la faim, la santé et le bien-être, les moyens de subsistance décents, l’égalité des sexes, l’action climatique, la paix et des institutions solides dépendent donc tous, dans une certaine mesure, de la lutte contre les inégalités foncières. Si rien n’est fait pour lutter contre les inégalités foncières quelles qu’elles soient, il ne sera pas possible d’assurer un développement inclusif et durable ne faisant pas de laissés-pour-compte.
Il est clairement démontré que les petits agriculteurs, exploitants familiaux et peuples autochtones produisent généralement plus de valeur nette par unité de surface que les grandes entreprises, et que leurs pratiques d’utilisation des terres favorisent la biodiversité et des sols, forêts et sources d’eau plus sains. Les droits fonciers des femmes et les droits fonciers collectifs sont particulièrement importants dans ce contexte. Motivés par la logique du patrimoine et de la gestion des terres plutôt que par les profits à court terme, leurs détenteurs peuvent largement contribuer à la réalisation des objectifs mondiaux de développement équitable et durable, et sont pourtant de plus en plus exclus par la tendance mondiale à la concentration des terres.
Inégalités foncières – la dure réalité
La mesure traditionnelle des inégalités foncières – le coefficient de Gini relatif à la répartition des terres, calculé à partir d’enquêtes auprès des ménages enregistrant la propriété et la superficie des exploitations par taille – fournit une perspective utile à long terme sur les inégalités foncières dans les pays. Elle ne dresse toutefois qu’une vision partielle de la situation, qui ne tient pas compte de
la nature multidimensionnelle de la terre (régime foncier, qualité, actifs), ne reflète pas les propriétés foncières multiples ou le contrôle effectif des terres et n’inclut pas les sans-terre. Dans le cadre de cette Initiative sur les inégalités foncières, ces données ont été complétées à l’aide de méthodologies innovantes, mises en œuvre dans un échantillon de 17 pays. Les résultats indiquent que la situation en matière d’inégalités foncières est beaucoup plus grave qu’on ne le pensait.
Aujourd’hui, on estime qu’il existe environ 608 millions d’exploitations agricoles dans le monde, et que la plupart sont encore des exploitations familiales. Pourtant, 1 % des exploitations les plus importantes exploitent plus de 70 % des terres agricoles de la planète et s’inscrivent dans le système alimentaire industriel, tandis que 80 % des propriétés agricoles sont de petites exploitations de moins de deux hectares et sont généralement exclues des chaînes alimentaires mondiales.
Si les tendances varient sensiblement d’une région à l’autre, toutes les régions du monde sont touchées, depuis 1980, par une augmentation considérable de la concentration des terres (Amérique du Nord, Europe, Asie et Pacifique) ou par un renversement des tendances à la baisse (Afrique et Amérique latine). On assiste, dans la plupart des pays à faible revenu, à un nombre croissant d’exploitations accompagné d’une baisse constante de leur superficie, tandis que dans les pays à revenu élevé, les grandes exploitations s’élargissent de plus en plus.
Les recherches menées dans le cadre de ce projet ont conclu, en tenant compte des propriétés multiples de parcelles, de la valeur des terrains et de la population de sans-terre, que les inégalités foncières avaient été, jusqu’ici, largement sous-estimées.
Les nouvelles mesures prises dans les pays de l’échantillon montrent globalement que les 10 % les plus riches des populations rurales accaparent 60 % de la valeur des terres agricoles, tandis que les 50 % les plus pauvres, généralement plus dépendants de l’agriculture, n’absorbent que 3 % de cette valeur. Si l’on compare ces informations aux données des recensements traditionnels, elles montrent une hausse de 41 % des inégalités foncières rurales lorsque le statut de sans-terre et la valeur des terres agricoles sont pris en compte, et une hausse de 24 % si seule cette dernière est prise en considération.
Ces nouvelles estimations apportent également de nouvelles perspectives importantes sur les schémas internationaux des inégalités foncières. Si l’Amérique latine demeure la région la plus inégalitaire, les inégalités foncières augmentent proportionnellement plus dans les pays asiatiques et africains de l’échantillon lorsque la valeur des terres et les populations sans terres sont prises en compte. Les pays d’Asie qui semblaient modérément égalitaires dans le cadre des mesures traditionnelles (comme l’Inde, le Bangladesh et le Pakistan) présentent les niveaux d’inégalité les plus élevés lorsque la valeur des terres et les populations sans terres sont incluses dans le calcul. En Chine et au Viet Nam, en revanche, le degré d’inégalité foncière entre propriétaires fonciers est plus élevé qu’en Asie du Sud et qu’en Afrique, mais la concentration des terres n’est que légèrement plus élevée lorsque la valeur des terres et les ménages sans terres sont pris en considération. L’Afrique présente les niveaux d’inégalité entre propriétaires fonciers les plus faibles, mais ce chiffre augmente considérablement lorsque la valeur des terres et les populations sans terres sont incluses.
La main invisible – les facteurs cachés des inégalités foncières
Les conclusions relatives aux inégalités foncières publiées dans ce rapport constituent presque certainement un euphémisme, puisqu’aucune des données disponibles ne montre l’étendue des terres contrôlées ou exploitées par des entreprises et fonds d’investissement, même si leurs opérations impliquent clairement l’existence d’intérêts importants dans le secteur foncier de différents pays.
Ces formes moins visibles de contrôle ne nécessitent pas forcément que ces entreprises soient propriétaires desdites terres. L’agriculture contractuelle, par exemple, peut intégrer les terres dans les chaînes d’approvisionnement, créant ainsi de nouvelles dépendances et perpétuant les modèles extractifs. La concentration de la propriété et du contrôle est de plus en plus importante dans le secteur agroalimentaire, ce qui influence la façon dont les terres sont utilisées. Par ailleurs, la présence croissante des marchés et acteurs financiers fait que les terres sont considérées comme une catégorie d’actifs et peut sensiblement changer la façon dont elles sont contrôlées et utilisées.
Dans le secteur de l’agroalimentaire, l’organisation commerciale est liée aux modes industriels de production primaire, qui recherchent des avantages d’échelle. En outre, ces acteurs contrôlent, via l’intégration horizontale et verticale, de larges tronçons de chaînes de valeur spécifiques, allant souvent des semences à la vente au détail en passant par les intrants, ce qui leur permet d’exercer un contrôle important sur les terres pour en tirer le meilleur parti et cotribue indirectement aux inégalités foncières.
La concentration du contrôle est aggravée par l’intérêt croissant que manifeste le secteur financier pour les terres agricoles. Certaines terres agricoles sont désormais considérées comme des actifs financiers, dénués de propriétaire physique connu, sujets à des processus décisionnels pouvant être extérieurs à l’exploitation. Les instruments tels que l’actionnariat ou l’utilisation de valeurs dérivées détachent les investissements de leur base matérielle et peuvent apporter une plus grande instabilité aux marchés agricoles tout en exerçant des pressions spéculatives sur les terres et les produits agricoles. Les principaux fonds administrés du monde figurent parmi les gestionnaires de fonds et sociétés d’investissement privé impliqués dans les investissements agricoles, mais ceux-ci ont également réalisé des investissements considérables dans de grands groupes de la grande distribution et dans les plus grandes entreprises semencières et d’élevage du monde.
Les structures d’entreprise et financières complexes et les participations croisées font qu’il est de plus en plus difficile de discerner les lignes de responsabilités en matière d’utilisation et de gestion des terres, alors même qu’elles prennent une place de plus en plus importante. Il est également difficile de demander des comptes aux investisseurs pour leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux, puisque les investisseurs primaires sont anonymes ou géographiquement et institutionnellement éloignés des terres en question.
À la recherche de solutions aux inégalités foncières pour une transformation véritable
Les politiques et mesures présentées dans le présent rapport de synthèse ne sont pas exhaustives. Il n’existe pas non plus de solution universelle. Ce rapport propose en revanche plusieurs mesures possibles à adapter en fonction du contexte, de la région ou du pays, tout en remarquant que le secteur foncier subit des transformations constantes et de plus en plus rapides, et que les mesures d’atténuation devront toujours être adaptées au fil du temps.
Il est important de souligner que les efforts de redistribution foncière ne permettront pas à eux seuls de garantir des moyens de subsistance durables, et a fortiori la prospérité, pour la majorité des populations rurales. Il est nécessaire de mettre en place un ensemble de mesures, telles que des programmes de redistribution, des réformes réglementaires, des mesures fiscales et des mesures de redevabilité, non seulement en lien avec la terre mais également dans l’ensemble du secteur agroalimentaire, des intrants à la vente au détail. De telles interventions supposeront de redresser les inégalités de pouvoir touchant les secteurs foncier et agroalimentaire, tout en appuyant la création de rapports plus équitables entre les personnes et les terres.
Les réformes agraires de redistribution des terres ont joué un rôle décisif dans certains pays, mais ont généralement entraîné des bouleversements sociaux et politiques majeurs pour porter leurs fruits. Pour être efficaces et empêcher un retour des inégalités foncières au fil du temps, les réformes agraires devront être fondées sur des objectifs politiques à long terme alignés sur la trajectoire socioéconomique générale d’un pays et accueillir un changement structurel de grande envergure. Elles devront également tenir compte des besoins socioéconomiques des bénéficiaires ciblés, tels que l’accès au crédit, aux services d’appui et aux infrastructures.
La réglementation recouvre un ensemble de mesures régissant les transferts, la propriété, l’utilisation et le contrôle des terres. Elle devrait également inclure la réglementation des mécanismes institutionnels de propriété et de contrôle des terres mis en œuvre via des instruments financiers sophistiqués, y compris les fonds listés et non listés. Pour être efficace, la réglementation du marché foncier suppose l’existence d’institutions de gouvernance d’utilité publique tenant compte des droits collectifs et ayant la capacité d’agir avec une certaine autonomie. Ainsi, le marché peut être intégré dans la société et contrôlé par des institutions comprenant des représentants des habitants d’un territoire.
Les taxes foncières peuvent être un instrument progressiste pour lutter contre les inégalités foncières. Utilisées efficacement, elles peuvent décourager l’accumulation, réduire la spéculation et entraver la transmission intergénérationnelle des inégalités.
Elles peuvent également fournir une source prévisible de revenus pouvant être reversés dans des investissements dans les infrastructures et services publics. Les obstacles aux taxes foncières peuvent être de nature politique ou être dus à l’absence d’informations sur la propriété foncière, les transactions foncières et les variations de valeur.
Il est peu probable que le renforcement de la redevabilité des entreprises et des investisseurs vis-à-vis des terres ait lieu sans mesures d’exécution. Tandis que certains mécanismes, tels que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales énoncent des aspirations positives, le changement et le respect des normes qu’ils expriment ne peuvent avoir lieu qu’avec une obligation de conformité et de déclaration. Au bout du compte, il est nécessaire d’adopter des lois et cadres politiques nationaux plus solides qui obligent les investisseurs à suivre les normes les plus strictes de diligence raisonnable et les normes de protection des droits de l’homme et de l’environnement. Il est également nécessaire d’appuyer un suivi plus indépendant et innovant des entreprises et investisseurs menant des activités en lien avec l’agriculture et les terres, ainsi que de l’actionnariat et du contrôle de la production.
Toutes les solutions aux inégalités foncières doivent aborder les inégalités foncières horizontales, qui touchent particulièrement les femmes et les groupes détenteurs de droits fonciers collectifs. Les droits collectifs sûrs protègent le bien-être, les moyens de subsistance et la capacité de rétention des terres notamment des peuples autochtones et communautés locales, et renforcent le rôle de protection joué par ces populations et territoires vis-à-vis du changement climatique, de la gestion mondiale de la biodiversité, de la conservation bioculturelle et de la justice, notamment territoriale et entre les genres. Il est essentiel d’exiger le respect du consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) des communautés. La sécurisation des droits fonciers des femmes est tout aussi importante et difficile, y compris pour les terres détenues collectivement. L’obtention de droits fonciers égaux pour les femmes suppose une association complexe de mesures, y compris des réformes juridiques et l’adaptation des normes sociales et attitudes et comportements.
Le changement sera difficile, mais pas impossible. Des contre- mouvements et actions collectives cherchant à rendre les modèles de production et chaînes de valeur actuels plus justes pour les agriculteurs et plus inclusifs voient le jour en réaction aux inégalités foncières. Des mouvements agroécologiques défendant les droits fonciers d’agriculteurs indépendants pratiquant l’agriculture familiale ont également pris de l’ampleur. Ils militent pour le changement et mettent en œuvre différentes pratiques sur les terres.
La voie du changement
Malgré la place importante qu’occupent les inégalités foncières, les outils servant à les combattre sont mollement appliqués, et les intérêts en jeu dans les modes de distribution des terres sont solides et difficiles à changer, en particulier face aux moteurs structurels des inégalités.
Mais il est impératif que les choses changent. La lutte contre les inégalités foncières est alimentée par le même sentiment d’urgence que celui sous-tendant les appels à l’action sur d’autres défis connexes : crises climatique et environnementale, pauvreté, maladie et menaces pesant sur la démocratie. Ce même sentiment d’urgence pousse les communautés à prendre des mesures pour construire des systèmes alimentaires et agricoles plus durables, contribuer à la construction de sociétés plus unies et les rendre plus résilientes.
Toutefois, renverser les inégalités foncières de façon significative nécessitera une transformation profonde des rapports de force. Pour fonctionner, les solutions nécessiteront une modification majeure des normes politiques, économiques et juridiques.
Elles supposeront de frapper au cœur de ce qui rend les sociétés et les économies inégales et non durables. Elles demanderont des efforts considérables de la part des organisations de populations rurales, des peuples autochtones, de la société civile, des décideurs politiques et des dirigeants des secteurs des entreprises et financier. Des processus inclusifs permettant à toutes les parties prenantes de s’exprimer, en particulier les plus vulnérables, devront être créés.
Les nouveaux savoirs émergeant de cette Initiative sur les inégalités foncières visent à appuyer ce processus de changement et à étayer les actions de plaidoyer et de campagne, ainsi que la mise en place d’un dispositif à long terme pour mesurer et contrôler les inégalités foncières à l’échelle mondiale. Au bout du compte, l’avenir alternatif envisagé par toutes les personnes contribuant à ce travail sera guidé par les nouvelles visions du bien-être humain et de la prospérité planétaire. La façon dont nous utilisons, partageons et gérons la terre, l’eau et les ressources naturelles est au cœur de cette vision.