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Pourrais-tu nous faire un bref rappel sur le contexte agraire actuel au Mexique, en revenant notamment sur les changements observés durant les dernières décennies?
Tout d’abord, il faut signaler qu’au Mexique comme ailleurs, les années 1980 ont marqué un point de rupture entre un avant et un après. Toutes les réformes structurelles qui ont été mises en place durant cette décennie ont grandement fragilisé la petite paysannerie et profité au secteur privé. Par exemple, les plans d’ajustement structurel imposés à cette époque ont supprimé les institutions publiques d’accès au crédit, aux semences…
Surtout, le changement important pour le secteur agraire dans les dernières décennies est l’introduction de la possibilité de privatiser les terres ejidales, avec la « réforme agraire » de 1992, que j’appelle la « contre-réforme agraire ». D’abord, je dois rappeler ce que sont les ejidos. C’est un mode de tenure foncière issu de la révolution mexicaine, une propriété sociale gérée à la fois de manière collective et individuelle. Ceux qui ont lutté pour la terre au moment de la révolution pouvaient se constituer en groupe pour faire une demande de terres et devenir des ejidatarios, c’est à dire reconnus comme les bénéficiaires de l’ejido. Les hectares attribués pour chaque ejido constitué étaient ensuite répartis entre chaque famille d’ejidatario. Chaque ejido possède ses propres organes de décision collective. Les décisions prisent en son sein doivent ainsi passer par une assemblée ejidale. Cela est très important, les ejidatarios ne pouvaient pas changer l’usage du sol sans autorisation de l’assemblée. De même, jusqu’à récemment, la vente des terres ejidales était interdite. Même s’il y avait des ventes de terres « illégales », celles-ci avaient généralement lieu entre les membres de la communauté : on vendait à un voisin, à quelqu’un de la famille, très peu à des personnes extérieures. Et ces transactions passaient par l’assemblée ejidale pour autorisation. Aujourd’hui, depuis la réforme de 1992, la vente des terres ejidales est autorisée. Pour moi, cette réforme est la rupture la plus importante de ces dernières décennies car elle a permis l’individualisation de la prise de décision. Avant, les décisions passaient toujours par l’assemblée ejidale, il y avait cette possibilité de contrôle collectif, il y avait une socialisation des problèmes, et c’était donc un peu plus difficile pour les entreprises privées d’entrer dans les ejidos. Bien sûr, il y avait des ejidos dans lesquels l’assemblée était manipulée et ne représentait qu’un petit nombre, mais il y avait aussi des ejidos où l’assemblée était un vrai lieu de discussion et de prise de décision commune : il y avait un éventail de possibilités, mais, en tout cas, il existait cette possibilité pour l’assemblée ejidale d’exercer un pouvoir sur les décisions. Aujourd’hui, ce pouvoir est réellement affaibli : une personne n’a plus besoin de l’avis de l’assemblée pour vendre sa terre ou pour signer un contrat, donc le contrôle de la collectivité est en baisse.
Ensuite, rappelons que la répartition des terres qui eut lieu suite à la révolution mexicaine - bien que cette redistribution n’ait pas eu lieu de manière « automatique » mais se soit étalée sur plusieurs décennies et se soit appliquée différemment selon les zones et les gouvernements - avait permis de consolider une paysannerie forte, au niveau économique et politique. Or, à partir de 1994, le gouvernement mexicain annonce « C’est la fin de la réforme agraire, il n’y aura plus de distribution de terres » : les paysans ont donc perdu beaucoup de force politique à ce moment. Cette réforme vint mettre fin au jeu politique et économique qui avait lieu entre la paysannerie et l’État pendant tout le 20ème siècle, après la révolution mexicaine. Dans certaines parties du Mexique la paysannerie jouait un fort rôle économique, certaines zones étaient vraiment « le grenier » du pays, pour le maïs, la canne à sucre, le riz… et dans ces régions les relations paysannerie/État étaient très fortes. Les paysans de ces zones avaient alors facilement accès au crédit, aux engrais … . Mais n’oublions pas qu’il y avait aussi des communautés isolées, surtout indigènes, où l’État intervenait beaucoup moins. En tout cas, avec la signature de l’ALENA en 1994, et l’entrée dans ces accords du maïs et des haricots, la base de la nourriture mexicaine, le Mexique fait un cadeau aux États-Unis et signe la mort des paysans. Le gouvernement de Carlos Salinas, d’orientation vraiment néolibérale, a pris la décision de ne plus soutenir le secteur agricole, de ne plus croire dans la production agricole, et de miser sur l’industrialisation du pays. Pour ce gouvernement l’agriculture était un secteur économique nul, et la paysannerie pouvait être sacrifiée puisqu’elle n’était pas un soutien politique du gouvernement. Ce gouvernement a voulu implanter au nord du pays, et un peu au sud aussi, des industries maquilladoras. Il pensait que de nombreuses entreprises privées s’installeraient et absorberaient toute la main d’œuvre rurale du pays, mais cette politique fut un échec complet : les entreprises privées ne sont pas venues comme espéré, la production agricole ne bénéficiait d’aucun soutien, le maïs avait été offert en cadeau dans l’ALENA … . L’État a tout simplement abandonné la paysannerie.
Quelles évolutions observent-on dans les campagnes mexicaines depuis cette réforme?
D’abord, comme évoqué plus haut, la baisse du pouvoir de l’organisation collective des ejidos, facilite par exemple l’introduction de semences transgéniques car il donne la possibilité aux ejidatarios de faire des contrats directs avec des entreprises privées, sans nécessairement passer par le contrôle de l’assemblée. Donc, si un agriculteur juge que pour lui c’est bénéfique d’utiliser des semences OGM, les autres membres de l’ejido pèseront plus difficilement dans la décision. De plus, j’ai observé que la baisse du pouvoir de l’assemblée ejidale a un effet sur la privatisation de ressources autrefois communes. Par exemple, avant, les rivières étaient toujours d’accès commun et maintenant si quelqu’un dit « ce cours d’eau passe par ma terre donc tu ne peux pas utiliser cette eau » et bien l’assemblée n’a plus le pouvoir de dire que l’eau doit rester en usage commun. L’assemblée devient de moins en moins importante, donc ce genre de réaction individuelle se produit, pas nécessairement bien sûr, mais en tout cas on a une individualisation des décisions.
Ensuite, on a vu durant les dernières décennies une augmentation terrible des migrations : l’exode rural vers les villes -déjà fort depuis les années 1960 avec les débuts de l’industrialisation- s’est accentué mais, surtout, on observe à cette époque une augmentation incroyable des migrations des ruraux vers les États-Unis. Bien sûr, dès les années 1940, des mexicains émigraient vers les États-Unis, avec le « programa del brasero » par exemple, mais ce n’était pas un phénomène aussi important qu’aujourd’hui et, surtout, c’était en très grande majorité les hommes qui partaient. Alors que dans les années 1980-1990, c’est des familles entières qui commencent à émigrer, les femmes et les enfants y compris. Aujourd’hui, les jeunes femmes partent aussi, on a un vieillissement des campagnes mexicaines.
Aussi, la situation environnementale est aujourd’hui vraiment difficile dans certaines régions. Par exemple, dans les États du Chiapas, de Guerrero, de Oaxaca, qui sont des parties du pays où l’on trouve plutôt des communautés indigènes, on voit un épuisement des sols, une perte de la fertilité des terres, des déboisements importants, la pollution des rivières… Toutes ces dégradations environnementales rendent encore plus difficile le fait que les paysans puissent vivre de l’agriculture. Aujourd’hui, dans certaines régions, seulement entre 10% et 30% du revenu d’une famille rurale provient de l’agriculture, le reste provient de l’argent de la migration ou d’un emploi dans le secteur des services…
De plus, dans certaines régions, comme à Oaxaca, où j’ai travaillé, il y a vraiment le risque d’une crise alimentaire. Les gens nous disent : « Bon, maintenant on ne mange plus que deux fois par jour. ». J’ai remarqué que beaucoup de personnes, pour tout repas du soir, ne buvait qu’un atole, une boisson mexicaine à base de farine de maïs. Mais cette boisson n’est même plus faite avec le maïs qu’ils produisent eux-mêmes. Les gens achètent maintenant un sachet d’atole industriel, fabriqué par Maseca, qui est une entreprise mexicaine qui s’est enrichie considérablement dans les années 1980 et qui est aujourd’hui une transnationale qui contrôle tout le marché du maïs, au Mexique et en Amérique centrale. Avec l’industrialisation de la farine de maïs cela revient moins cher et plus facile de faire l’atole, donc les gens achètent ces sachets. Ces changements alimentaires ont bien sûr des effets nutritionnels important. C’est incroyable comme les paysans ont perdu le pouvoir sur les produits que la famille mange en quelques années. Maintenant, les produits industriels ont envahi les campagnes.
Tu parlais de l’exode rural qui est en hausse, mais qu’en-est-il des conditions de vie de ceux qui restent dans les campagnes, en particulier les femmes?
Effectivement, les adultes qui sont restés en campagne sont majoritairement des femmes. Mais les jeunes femmes sont aussi parties, il reste surtout des femmes de plus de 45 ans. Elles doivent travailler dans les champs, s’occuper de la famille qui est restée, mais ça ne veut pas dire qu’elles ont la liberté de décider de tout. On pourrait penser que les femmes qui sont restées peuvent désormais gérer les terres, la production, à leur façon, puisque les hommes ne sont plus sur place, mais non ! Les décisions dépendent encore des hommes migrants qui sont partis ailleurs. Elles doivent toujours attendre les décisions des hommes pour gérer le travail agricole. C’est incroyable comme les mécanismes de contrôle perdurent. Les décisions sont toujours dépendantes des hommes qui n’habitent plus là. Dans ce sens, ça devient difficile de gérer la terre en passant toujours par les décisions des hommes.
Quels types de mesures existent aujourd’hui pour protéger l’agriculture de type familial au Mexique?
Il n’y a pas de volonté de protéger la production agricole familiale face à l’agro-industrie. Par exemple, il n’existe pas de programmes ou de subventions qui viseraient à améliorer la productivité des agriculteurs familiaux, en les aidant à récupérer la fertilité des sols par des pratiques agro-écologiques par exemple. Non, il n’y a pas de programmes de ce type. Cependant, il existe une variété de petits programmes divers, on peut les voir sur la page web du ministère de l’agriculture, mais quand tu cherches à avoir plus d’informations, à savoir comment ça marche, personne ne sait ! Personne dans les institutions ne semble capable d’expliquer comment marchent ces programmes, qui peut toucher les aides, quelles sont les démarches à suivre, il n’y a pas d’informations là-dessus… Ces programmes sont trop dispersés, le budget qui leur est accordé est restreint, il n’y a pas de cohérence … . C’est incroyablement compliqué. Enfin, rien n’est fait pour que ces programmes soient effectifs, ils existent seulement pour que le gouvernement mexicain puisse dire : « Oui, nous avons mis en place 30 programmes pour la petite paysannerie », mais derrière cela il n’y a aucune volonté réelle de protéger ou renforcer l’agriculture familiale.
La place qu’occupe aujourd’hui la paysannerie mexicaine dans l’espace politique est donc réellement minime ? De même, qu’en est-il de la place des communautés indigènes?
Comme je l’ai dit, je pense que le rôle de la paysannerie au Mexique est très affaibli, politiquement notamment. Même s’il y a des mouvements, même s’il y a toujours des choses qui se font, comme la campagne « Sin maiz no hay pais », le gouvernement ne s’inquiète pas de ces mouvements, il n’en a pas peur.
Par rapport aux communautés indigènes, le mouvement le plus important c’est bien sûr le mouvement zapatiste, qui est né en même temps que la signature de l’ALENA, en 1994, et juste après la « contre-réforme agraire ». Ce mouvement a mis les indigènes, les peuples indiens, sur la scène politique mexicaine. Parce qu’au Mexique, contrairement à ce qu’il en est en Bolivie ou en Équateur, les communautés indigènes n’ont pas d’importance politique. Ces communautés sont toujours considérées comme marginales, comme n’ayant pas leur place dans l’économie et la politique du pays. Elles n’ont jamais été considérées comme une force politique. Dans certaines communautés indigènes mexicaines, il y eut parfois des leaders qui ont pris le parti de lutter pour la défense des indigènes mais ce n’était pas aussi important que dans d’autre pays. Le canal de la contestation au Mexique passait d’abord par la paysannerie. C’est avec le zapatisme qu’il y a eu un changement politique par rapport aux communautés indigènes, puisqu’ils ont commencé à revendiquer des droits en tant qu’indigènes. Avant cela, on avait à faire à des mouvements paysans, dans lesquels, bien sûr, il y avait des indigènes; mais les revendications n’étaient pas articulées autour de la question indigène, des questions culturelles. Les revendications portaient sur la question du territoire, des terres, etc. L’entrée par la question indigène est apparue réellement avec le mouvement zapatiste.
Est-ce qu’on peut parler aujourd’hui de l’existence d’un « mouvement paysan » au Mexique ? Si oui, autour de quelles revendications centrales s’articule-t-il?
Je pense que l’une des luttes importantes de ces dernières années qui a rassemblé plusieurs petits mouvements et les a connectés entre eux est la lutte contre le maïs transgénique qui existe depuis les années 2000. Grâce à cette mobilisation, il y a désormais beaucoup plus de connexion entre les différents mouvements du pays. Cette mobilisation a aussi permis d’augmenter la visibilité de certaines organisations paysannes, notamment dans l’état de Chihuahua où des organisations paysannes importantes, qui ont toute une histoire de lutte agraire, sont devenues beaucoup plus visibles suite à cette mobilisation. Aujourd’hui, dans tout le pays il y a des mouvements qui sont en lutte contre des mines, contre des barrages, pour gérer eux-mêmes leurs forêts, pour le prix du maïs, etc… Il existe toute une série de luttes différentes, éparpillées, qui ont certes des connexions entre elles, mais ce n’est pas comparable au contexte des années 1980 où il existait un lien beaucoup plus fort entre les diverses luttes agraires. Notons également que, récemment, il y a eu une forte mobilisation des apiculteurs dans les communautés Mayas et Yucatèque, à la suite de l’introduction du soja transgénique. Avant, il n’y avait pas d’organisations rurales importantes dans le Yucatan, aujourd’hui oui, il existe des organisations qui luttent pour une agriculture durable, contre les OGM … . Avec tous ces problèmes, il commence à y avoir des connexions entre tous ces mouvements qui affrontent des problèmes divers mais qui se disent que, s’ils ne font pas face à ces problèmes ensemble, ils ne vont pas s’en sortir. Donc oui, il y a des mouvements de contestation ruraux, on ne peut pas dire le contraire, mais pas encore assez forts pour que le gouvernement en ait peur.
Peux-tu revenir sur la structure foncière actuelle au Mexique?
Comme vous le savez, grâce à la révolution mexicaine il y a eu une véritable répartition de la terre au Mexique, par rapport à d’autres pays d’Amérique Latine. Ainsi, au regard des chiffres on pourrait dire qu’au niveau foncier il n’y a pas vraiment de concentration des terres aujourd’hui. Cependant, on observe aujourd’hui deux types de mécanismes qui débouchent sur des phénomènes de concentration des terres : dans l’État de Jalisco par exemple, où j’ai travaillé, il existe des propriétés de 20 000 ou 30 000 hectares. Comment est-ce possible ? La terre est en fait répartie entre différents membres de la famille : il y avait par exemple 500 hectares au nom du fils, 800 hectares au nom de la mère, 500 hectares au nom de tel autre fils… Au final, cela constituait un véritable latifundium familial. Le deuxième phénomène qui a lieu est la concentration des terres par la location de terres : il y a des ejidos aujourd’hui qui sont entièrement loués par une industrie privée. Le problème est qu’il n’y a pas de chiffres disponibles, j’ai cherché mais ces chiffres ne sont pas enregistrés. On peut voir qu’il y a des ejidos entièrement loués à des industries d’exportations maraîchères, par exemple. Les industriels louent la terre aux ejidatarios, ils cultivent des produits maraîchers, ils utilisent beaucoup de produits agrochimiques, de fertilisants qui polluent énormément, et après 3-4 ans d’utilisation des terres, une fois qu’ils ont bien épuisé les sols, ils s’en vont ailleurs pour faire la même chose. Le plus grand entrepreneur avec qui j’ai pu faire un entretien avait 1500 hectares. 1500 hectares de production maraîchère pour l’exportation c’est beaucoup!
De plus, un phénomène croissant qu’on observe dans les ejidos c’est ce qu’on appelle l’agriculture contractuelle. Ce type de contrat existait avant la réforme de 1992. Philippe Morris par exemple, avec le tabac, a commencé il y a déjà longtemps à faire de l’agriculture contractuelle au Mexique. L’entreprise arrive avec les plans de tabac et dit « Je vous donne les plans, je vous donne les engrais, c’est vous qui cultivez et vous me vendez la production ensuite ». Mais, comme je l’ai déjà précisé, avant la réforme de 1992, la conclusion d’un contrat de ce type, entre un ejidatario et une entreprise, devait passer obligatoirement par l’assemblée ejidale, qui pouvait s’y opposer ou accepter, ça dépendait de l’assemblée, mais en tout cas il y avait une discussion collective. Maintenant, cela relève d’un choix purement individuel puisque ça ne passe plus par l’assemblée ejidale.
Un autre phénomène qu’on observe est l’expansion de la culture de l’avocat. L’avocat est devenu très très important, beaucoup d’ejidos de la partie ouest du pays sont consacrés à la culture de l’avocat, vers Michoacan notamment. On parle d’« aguacatisation » pour parler de l’expansion de ces monocultures d’avocat aux mains d’entreprises privées. Avant cela, on avait vu le développement des cultures d’oranges, mais comme il y a eu beaucoup de concurrence avec le Brésil, aujourd’hui c’est l’avocat, pour l’exportation vers les États-Unis, la Chine, l’Europe.
Quels sont les défis principaux de la paysannerie mexicaine aujourd’hui?
Il est difficile de répondre, le problème général est que le travail de la terre ne permet pas de vivre dignement. Beaucoup de paysans me disent que ça ne vaut plus la peine d’investir autant de travail dans la terre pour cultiver puisque les produits sont vendus à un prix très bas qui permet à peine de récupérer les coûts de production. Je dirais que l’accès au marché avec des prix rémunérateurs est l’un des défis les plus importants pour les paysans. Mais il y a certaines régions où c’est encore l’accès à la terre le problème principal. De plus, la question de la durabilité écologique des modes de production se pose, j’entends beaucoup de paysans se plaindre maintenant de la qualité des terres, des sols appauvris… En tout cas, les paysans sont aujourd’hui dans une vulnérabilité très forte, une vulnérabilité économique qui entraîne toutes autres sortes de vulnérabilités. Par exemple, une famille va être contrainte de vendre son bétail pour pouvoir soigner un de ses membres qui est tombé malade, parce qu’il n’y a pas de sécurité sociale pour être pris en charge à l’hôpital. Donc c’est une situation très fragile.
Est-ce qu’il existe des alternatives qui viendraient du côté des consommateurs qui se mettent en place pour contrer cet état de fait?
Oui, on voit émerger des alternatives. Comme les circuits courts qui émergent près des villes, à Mexico, à Guadalajara… Par exemple, on a vu dernièrement le boom du maïs bleu, préféré par les consommateurs urbains, ce qui a encouragé la production de ce maïs natif et a permis à de nombreux paysans de continuer à le produire. Aujourd’hui, on commence à parler d’ « une production mexicaine pour les mexicains », les gens commencent à se dire qu’il faut essayer de consommer les produits mexicains.
Enfin, peux-tu revenir sur ta posture de chercheuse « engagée », comment envisages-tu le travail de la recherche ? En France, au sein du monde académique il existe plutôt un rejet de cette position du chercheur « engagé » sur des terrains …
En Amérique Latine c’est très courant d’avoir des chercheurs engagés auprès de mouvements sociaux. Je pense que c’est assez généralisé, ce n’est pas aussi rare qu’en Europe. Nous voulons changer les choses car on voit que les choses pourraient être différentes. Mais le système d’évaluation des chercheurs au Mexique n’encourage pas du tout cela, car les chercheurs sont évalués en fonction du nombre d’articles qu’ils publient, du nombre de citations de leur travail qui sont recensées… Le système d’évaluation dans la recherche a évolué de telle manière que les chercheurs n’ont plus le temps pour s’impliquer dans les mouvements sociaux, sur le terrain : « Ça n’entre pas dans l’évaluation donc je ne le fais pas ». Je pense qu’il y a de plus en plus un contrôle sur l’engagement des chercheurs.