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10 ans après le Forum Mondial sur la Réforme Agraire (FMRA) et la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR
Date de rédaction :
Organismes : Forum Mondial sur l’Accès à la Terre (FMAT), Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Centro de Estudios Rurales y de Agricultura Internacional (CERAI)
Type de document : Communiqué
Antécédents
Il y a déjà longtemps que la question de l’accès à la terre est reconnue comme un passage obligé vers l’amélioration des conditions de vie des populations rurales les plus vulnérables et vers l’amélioration de la sécurité alimentaire du plus grand nombre. En 1979, La Conférence Mondiale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural, organisée par la FAO, concluait à la nécessité de distribuer la terre à ceux qui n’y avaient pas accès et aux producteurs qui n’en avaient pas assez pour vivre dignement de leur travail. En 1996, Le Sommet Mondial sur l’Alimentation réuni par la FAO à Rome constatait que le problème de la faim était loin d’être résolu et fixait l’horizon 2015 pour réduire de moitié le nombre de personnes qui souffrent de la faim, objectif qui fut reconnu comme hors de portée six ans après, à l’occasion d’un nouveau sommet réuni sur le sujet (2002). En 2004, la FAO, dans son rapport sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le Monde, soulignait que la faim continuait sa progression à l’échelle mondiale.
C’est dans ce contexte que le Centro de Estudios Rurales y de Agricultura Internacional (CERAI) et un grand nombre d’organisations de la société civile ont organisé, en décembre 2004 à Valencia (Espagne), le Forum Mondial sur la Réforme Agraire (FMRA) qui a réuni 500 délégués représentant plus de 200 organisations et provenant de 72 pays des 5 continents. Ce fut l’occasion de constater à quel point le manque d’accès à la terre et les processus de marginalisation des paysanneries alimentaient la pauvreté, l’exode rural et les flux migratoires. En conclusion de ses travaux, le FMRA affirmait ainsi que l’objectif partagé de souveraineté alimentaire allait de pair avec celui de l’accès à la terre et aux ressources naturelles et que la reconnaissance des droits des paysanneries du Monde constituait un préalable.
Deux ans après l’impulsion nouvelle donnée par le FMRA, la FAO et le Gouvernement du Bré- sil organisaient en 2006, à Porto Alegre (Brésil) la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR). Les Etats présents à cette conférence réaffir- mèrent que l’insécurité alimentaire, la faim et la pauvreté rurale résultaient en grande partie d’un manque d’accès aux ressources productives dont souffraient la plupart des agriculteurs du Monde. Le rôle potentiel majeur des agricultures familiales en général, et des communau- tés rurales traditionnelles et groupes indigènes en particulier, fut mis en avant pour promou- voir la sécurité alimentaire de tous et le développement durable. Cette conférence concluait ses travaux en soulignant la nécessité de réorienter les politiques de développement vers les populations les plus vulnérables en renforçant leurs droits, tant individuels que collectifs.
Dix ans après le FMRA (2004) et la CIRADR (2006), un bilan amer
Les évolutions que l’on observe depuis dix ans sur le terrain au niveau mondial sont bien éloignées des recommandations qui avaient été formulées par le FMRA et la CIRADR, avant même que le processus d’acquisitions/locations de terres à grande échelle par un petit nombre d’acteurs économiques ne prenne l’ampleur qu’il a aujourd’hui.
Ces dernières années, les interrogations quant aux impacts sociaux et politiques des projets d’investis- sement à grande échelle et aux risques qu’ils font peser sur la sécurité alimentaire et l’environnement ont été exprimées à de nombreuses occasions et au sein d’organismes divers. La non transparence des transactions foncières et la négation des modalités locales d’accès et d’usage des ressources fon- cières et hydriques ont été reconnues comme des facteurs favorisant l’éviction des paysans. La fina- lité de ces projets, généralement l’exportation de produits agricoles de base, a été mise en regard des problèmes de sécurité alimentaire que rencontrent les populations des pays hôtes, notamment quand leur implantation vient souvent substituer aux cultures alimentaires des cultures destinées à la production d’agrocarburants. Enfin, ce type de projet repose souvent sur des systèmes de production axés sur la monoculture et faisant largement appel à l’utilisation massive d’énergie fossile, d’intrants d’origine industrielle et de semences transgéniques présentant des risques de pollution des sols et des eaux et de diminution de la biodiversité.
D’une manière plus générale, les transformations contemporaines de l’agriculture dans de nombreuses régions du Monde et la poursuite de l’accroissement démographique se sont accompagnées d’une part, de la paupérisation d’un très grand nombre de paysannes et de paysans et d’autre part, de l’expulsion de millions de personnes du secteur agricole, phénomène traduisant le blocage de l’investissement et la crise profonde que connaissent de nombreuses régions agricoles. Cette véritable mise à l’écart de plusieurs centaines de millions d’agriculteurs, faute d’un accès adéquat à la terre, à l’eau d’irrigation et aux autres moyens de production, alimente aujourd’hui un processus global de marginalisation et de perte de dignité, porteur de déséquilibres majeurs. Ce manque de garantie concernant l’accès à la terre, à l’eau, aux espaces de pêche et aux forêts, et le développement parallèle de grands projets agro-industriels et forestiers conduisent de plus en plus fréquemment à l’éviction de communautés entières de leur lieu de vie et de travail. On sait par ailleurs que ce sont précisément ces secteurs appauvris des campagnes qui constituent le gros des contingents de mal nourris de la planète. « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », dressé par la FAO en 2013, met en avant le nombre de 842 millions de sous alimentés, dont les trois quarts sont des ruraux.
Les Nations Unies ont déclaré 2014 comme étant « l’année des agricultures familiales » appelant ainsi à remettre ce modèle au centre des politiques et investissements agricoles, reconnaissant leurs spécificités et capacités à augmenter la production alimentaire tout en préservant les écosystèmes, à générer de l’emploi et à réduire la pauvreté. A un moment historique où celles-ci n’ont jamais été autant menacées à l’échelle de la planète toute entière, cette décision prend un sens évident et une dimension particulière. De nombreuses initiatives ont par ailleurs été prises en ce sens et le dialogue entre gouvernements nationaux, organisations de la société civile et organismes multilatéraux a pu être réactivé sur de nouvelles bases, incluant notamment la question du droit à la terre et aux ressources naturelles. Une des plus significatives est celle du Comité de la Sécurité Alimentaire (CSA), impliquant à la fois des États, des institutions internationales et des organisations de la société civile, et qui a adopté en 2012 les « Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ». Au terme de deux années de négociation, ces directives furent l’expression d’un large consensus pour promouvoir une gouvernance responsable du foncier, comme réponse au processus d’accaparement. Réuni à Rome le 21 février 2014, le Forum Paysan appelait solennellement les gouvernements à mettre en application les décisions adoptées par la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR, 2006) et par le CSA.
L’APPEL
Dix ans après le Forum Mondial sur la Réforme Agraire FMRA (Valencia, 2004) et la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural CIRADR (Porto Alegre, 2006), et dans le prolongement de l’Année Internationale des Agricultures Familiales (AIAF), nous, signataires du présent appel, soulignons la nécessité de réunir à nouveau, dans un débat ouvert, différents acteurs sociaux et institutions pour faire avancer la réflexion et améliorer l’accès des agriculteurs pauvres à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles.
La situation actuelle - persistance de la faim, croissance démographique, exclusion, chômage massif, crise environnementale et perte de souveraineté alimentaire - ainsi que les acquisitions, locations et concessions foncières, invitent à revisiter la question de l’accès à la terre et aux ressources productives. Si la rentabilité financière des investissements est souvent au rendez-vous, elle n’est pas garante, loin de là, de leur efficacité économique, ni de l’intérêt des populations concernées et des générations à venir. Le choix de promouvoir des entreprises agricoles basées sur la production d’un petit nombre de denrées, grandes consommatrices d’intrants de synthèse et d’énergie fossile, et basées sur l’emploi de travailleurs salariés, se traduira-t-il par un accroissement significatif de la production et de la richesse produite ? Permettra-t-il la création d’emplois et de revenus pour des centaines de millions d’actifs aujourd’hui sur la voie de l’exclusion, et autant ou davantage appelés à entrer sur le marché du travail ? La révolution agricole à venir, susceptible à la fois de nourrir correctement 9 milliards d’humains, de donner du travail au plus grand nombre et d’éradiquer la faim, pourra-elle être basée, comme par le passé, sur un remplacement massif du travail par du capital ? Comment faire en sorte que les principes énoncés dans le cadre des « directives volontaires » se traduisent effectivement dans les faits par le respect des droits des populations et la promotion d’un développement durable ?
Enfin, la question des droits et des « biens communs » nous semble devoir être réinscrite à l’agenda des discussions internationales. L’accaparement massif des ressources de la planète, par-delà la diversité de ses manifestations, traduit leur marchandisation toujours plus étendue, au nom de la croissance et du bien-être à l’échelle mondiale. Mais cela conduit à ignorer les dimensions historiques, écologiques, sociales, culturelles et politiques des dynamiques en cours, et à minimiser leurs impacts. Dans ce contexte, il nous semble indispensable de remobiliser la question des droits de l’homme, élargie à celle du droit des populations à disposer d’un accès équitable à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles et de leur droit à mettre en œuvre les systèmes de production les plus conformes à la fois à leurs choix techniques, écologiques, économiques et culturels, et à l’intérêt général.
Nous appelons les organisations de la société civile et les institutions gouvernementales à se mobiliser pour que soit ouvert un forum mondial consacré à l’accès à la terre et aux ressources naturelles. Il est indispensable de mettre en débat les analyses et les propositions de chacun sur les évolutions en cours et les problèmes majeurs qu’elles engendrent. Nous appelons la réunion d’un tel forum pour dégager et mettre en œuvre les réponses les plus efficaces pour les résoudre.
Signataires
Le 26 janvier 2016, l’appel avait été signé par :
545 organisations paysannes, de la société civile, ou de recherche (254 d’Afrique, 51 d’Asie, 104 d’Europe, 96 d’Amérique Latine, 11 d’Amérique du Nord, 28 globales)
607 personnes,
9 institutions gouvernementales ou intergouvernementales