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Les Notes de Sud #5
Rédigé par : Mathieu Perdriault
Date de rédaction :
Organismes : Coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale (Coordination Sud), Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Les membres de Coordination SUD dénoncent l’accaparement des terres, de l’eau et des autres ressources naturelles liées à l’alimentation. Ils ont consacré à ce problème l’une des premières publications de la commission Agriculture et alimentation (C2A), le traitant comme une menace pour la sécurité alimentaire 1. En 2016, la commission a partagé des recommandations sur les politiques foncières qui permettraient d’y faire face en Afrique 2 et participé du 31 mars au 2 avril, par l’intermédiaire de plusieurs de ses membres, à un forum mondial multi-acteurs consacré à dégager des pistes d’actions, le Forum mondial sur l’accès à la terre et aux ressources naturelles (FMAT) à Valencia en Espagne.
Près de 400 membres de mouvements citoyens ruraux et urbains, d’institutions de recherche et d’organisations gouvernementales, représentants des dizaines de millions de personnes à travers le monde, ont débattu des causes de la dépossession des personnes vivant dans les zones rurales de leurs terres et des ressources naturelles. Mesurant les conséquences économiques, sociales et écologiques de leur éviction, aussi dramatiques que celles du réchauffement climatique, ils appellent à une mobilisation inédite pour un changement urgent des politiques publiques.
Origine de l’initiative
Les terres agricoles et les ressources naturelles sont appropriées et concentrées aux mains d’un nombre toujours plus réduit d’agents économiques. Cette évolution est à l’opposé des aspirations formulées par le Forum mondial sur la réforme agraire, organisé à València en 2004 à l’initiative du Centre international d’études rurales et agricoles (CERAI) avec la Via Campesina et de nombreuses organisations de la société civile.
Les déclarations d’engagement faites en réponse à ces revendications par les États, lors de la Conférence internationale sur la réforme agraire et le développement rural en 2006, sont restées lettre morte.
Pour faire le point sur les avancées et les blocages actuels, et chercher les solutions à cette situation, un groupe constitué de plusieurs réseaux d’organisations paysannes et de la société civile, d’institutions publiques et de personnes ressources du monde entier, a décidé, en juin 2014, d’organiser le FMAT.
Ce projet s’est inscrit dans le prolongement de l’Année internationale de l’agriculture familiale en 2014 (AIAF), dont les principales parties‑prenantes ont désigné le FMAT comme un processus majeur pour accroître l’influence de l’agriculture familiale sur les politiques publiques et mieux garantir ses intérêts. Le Forum rural mondial, qui était à l’origine de l’AIAF, a rejoint le Comité international d’organisation du FMAT en tant que membre observateur en novembre 2014.
Le FMAT visait également à contribuer aux réflexions engagées suite à l’adoption des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale (VGGT) pour en favoriser la mise en application. Ces recommandations, fixées en 2012 par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), après une longue phase d’écoute des propositions de la société civile, posent des principes pour établir une gouvernance des terres et ressources naturelles favorable au développement durable.
Elles ont marqué certaines avancées conceptuelles de la part des gouvernements nationaux. Néanmoins, elles ont laissé ouverte la question de leur mise en œuvre effective. Le FMAT a été reconnu, notamment par l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) en charge du secrétariat du CSA, comme un dispositif utile pour dégager des pistes concrètes de progression dans leur application.
La dynamique du FMAT a mobilisé en tout quelques 650 organisations paysannes et de la société civile et rurale urbaine, une dizaine d’organisations gouvernementales nationales et internationale et plus de 600 personnes (dont de nombreux‑ses chercheurs‑ses et quelques élu‑e‑s) des cinq continents 3.
Participant‑e‑s et programme de travail
Le principe directeur du FMAT et l’une de ses principales caractéristiques : faire débattre à voix égales représentant‑e‑s de la société civile et membres d’institutions gouvernementales. Ses organisateurs‑rices ont tenu à ce que l’ensemble des participant‑e‑s échangent dans un cadre de débat ouvert et que les documents consignant leurs contributions au débat (retours d’expériences, analyses, propositions, etc.) reflètent toute la diversité des opinions exprimées. Cette règle du débat a été d’emblée considérée comme fondamentale pour que les échanges contribuent pleinement à faire émerger les analyses, les actions citoyennes et les mesures politiques les plus pertinentes. La rencontre de 2016 du FMAT a réuni 390 participant‑e‑s en provenance de 64 pays des 5 continents : en majorité des utilisateurs‑rices familiaux‑les et communautaires des terres et des ressources naturelles (agriculteurs‑rices, éleveurs‑ses, pêcheurs‑ses, forestiers‑ères, etc.), mais également des citoyen‑ne‑s urbain‑e‑s agissant pour l’accès au foncier et l’habitat décent ou en solidarité avec les organisations rurales, des chercheurs‑ses, des membres d’institutions gouvernementales locales, nationales et internationales et quelques élu‑e‑s.
L’Afrique était représentée par 96 personnes de 25 pays. L’Amérique latine était représentée par 67 personnes de 18 pays. L’Asie était sous‑représentée en nombre de participant‑e‑s (13 personnes de 12 pays), mais elle l’a été au travers d’interventions marquantes qui ont permis de faire considérer l’importance de ce continent qui rassemble plus de 80 % des paysan‑ne‑s de la planète. L’Amérique du Nord était présente au travers d’une douzaine de personnes. 215 citoyen‑ne‑s européen‑ne‑s venants de 12 pays ont également participé.
Les participant‑e‑s issu‑e‑s de ces deux régions industrialisées étaient en grande partie des représentant‑e‑s d’organisations de la société civile rurale et urbaine 5, mais aussi des étudiant‑e‑s, des chercheurs‑ses, des élu‑e‑s et des membres d’administrations. Cette représentation a permis que soient exposées des expériences issues d’une très grande diversité d’endroits du monde, qui ont toutes servi la réflexion sur les actions nécessaires. Les membres des organisations qui ont participé au FMAT représentent des dizaines de millions de personnes et même davantage si l’on considère les membres de leurs famille.
Ces près de 400 participant‑e‑s ont confronté durant trois jours leurs analyses pour dégager des mesures politiques et des pistes d’action afin de stopper et inverser la tendance accrue à l’accaparement des terres et des richesses qui en sont tirées. Elles et ils ont travaillé chaque jour en séance plénière et en ateliers sur une thématique générale et certaines de ses dimensions particulières, fixées en amont par le Comité international d’organisation et les participant‑e‑s aux échanges préparatoires en ligne. Le premier jour visait à dresser le bilan des évolutions contemporaines de l’accès aux terres et ressources naturelles. Le deuxième a été consacré à la comparaison des performances socio‑économiques des usages familiaux et communautaires des ressources naturelles avec celles de l’exploitation capitaliste à salarié‑e‑s à grande échelle. Le troisième visait à réfléchir aux mesures politiques souhaitables pour résoudre l’accaparement des terres et des ressources naturelles et aux actions citoyennes nécessaires pour obtenir leur mise en œuvre.
Conclusions et messages principaux du FMAT
1. L’éviction des paysan‑ne‑s et des autres utilisateurs‑rices communautaires et familiales‑ux des ressources naturelles est un problème aussi grave que le changement climatique. Il appelle une orientation générale radicalement différente dans le domaine des politiques publiques et des règles touchant à l’agriculture, aux droits fonciers, à l’investissement et au commerce. Cette orientation doit accorder un accès prioritaire et sécurisé aux terres et ressources naturelles et aux autres moyens de production pour tou‑te‑s ces utilisateurs‑rices ainsi que des conditions garantissant des prix rémunérateurs pour celles et ceux qui nécessitent des débouchés sur les marchés.
2. L’accaparement des terres et des ressources n’est pas seulement provoqué par des grands projets. L’éviction des ruraux‑les s’opère aussi, et certainement davantage encore, du fait de l’agrandissement d’unités d’exploitation des ressources naturelles de dimension moindre signifiant la disparition d’activités vitales pour de très nombreuses personnes (petites fermes, élevages, pêches, activités forestières, etc.).
3. Avec les analyses sociales, écologiques, juridiques et politique, l’analyse économique doit être mobilisée pour comprendre l’absurdité et la gravité des orientations politiques nationales et internationales actuelles que sont notamment la dérégulation des marchés de produits et services agricoles et de l’investissement mais aussi l’absence très fréquente de tout contrôle des transferts de droits d’utilisation des ressources naturelles (qu’il s’agisse de propriété, location, usages partiels, etc.) qui permettrait d’en éviter la concentration. À la lumière de l’analyse économique, l’agriculture capitaliste à salarié‑e‑s à grande échelle se révèle par exemple beaucoup moins performante que l’agriculture à petite échelle en termes de valeur ajoutée créé à l’hectare et de partage de cette valeur parmi les membres de la société.
4. L’une des missions essentielles des collectivités locales et des politiques publiques nationales doit être d’assurer l’approvisionnement alimentaire des centres urbains par les producteurs‑rices locaux‑les ce qui suppose de concevoir tous les processus de développement urbain en conséquence : préservation d’espaces agricoles au bénéfice de l’agriculture paysanne, politiques de développement des filières de transformation et des marchés locaux (appui aux outils de transformation artisanaux et locaux et contrats d’approvisionnement de la restauration collective des écoles, hôpitaux, administrations en produits locaux, etc.).
5. Une mobilisation citoyenne mondiale sans précédent est indispensable pour obtenir le changement d’orientation politique nécessaire. Elle suppose le dépassement des divisions au sein de la société civile et l’alliance avec des appuis utiles dans le monde de la recherche et certaines entités publiques (administrations et élu‑e‑s). Les priorités institutionnelles des organisations de la société civile sont un facteur d’écart. Des objectifs communs de changement politique général sont nécessaires au rassemblement, puis une campagne mondiale portée par toutes les composantes de l’alliance est à développer.
6. D’autres voies vers l’avenir sont d’ores et déjà empruntées : luttes contre l’accaparement des terres et ressources naturelles, agroécologie intensive en emplois, valorisation du travail améliorée au travers de circuits plus courts dans le cadre de relations villes‑campagnes nouvelles, etc. Elles doivent constituer le socle du mouvement citoyen en faveur du changement politique. Ainsi des plateformes nationales et mondiales doivent permettre l’échange entre ces expériences et la construction, par leurs parties prenantes et toutes les organisations souhaitant agir dans ce sens, des principes de changements et des propositions tenant compte des spécificités des contextes locaux.
7. Le ROPPA et la CONTAG/COPROFAM s’engagent à organiser un prochain Forum mondial pour contribuer à l’émergence et à l’amplification de ce mouvement d’alliance, et porter l’exigence d’une mobilisation enfin effective des États qui pourraient être marquée par une Conférence internationale du type de celle qui traite des changements climatiques.
Les actes complets du FMAT sont aussi téléchargeables au pied de cette page.
1 Coordination SUD, «Les accaparements de terres, menace pour la sécurité alimentaire», Note de la C2A n°3, octobre 2010
2 Coordination SUD, «Quelles politiques foncières promouvoir pour sécuriser les agricultures familiales en Afrique?», Note de la C2A n°24, février 2016
3 La liste des organisations impliquées, le programme de travail détaillé, les actes du forum, la synthèse des ateliers et d’autres ressources multimédias en plusieurs langues sont en ligne sur le site du FMAT : www.landaccessforum.org
4 Collège composé par Samir Amin (Forum mondial des alternatives), José Bové (député européen), Hubert Cochet (AgroParisTech), Olivier De Schutter (ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation), Vicent Garces (ancien député européen, CERAI), Cecilia Leiva Montenegro (ancienne vice-ministre de l’agriculture du Chili), Kaul Nurm (Comité économique et social européen), Michel Merlet (aGter), Marcel Mazoyer (AgroParisTech) et Henri Rouillé d’Orfeuil (Académie d’Agriculture de France, AIAF France)
5 aGter (en charge du secrétariat du FMAT), AVSF, CCFD-Terre Solidaire, Confédération Paysanne et Secours Catholique-Caritas France y étaient représentées. Coordination SUD a financé la participation de membres d’organisations partenaires d’Amérique latine et d’Afrique.
note-de-sud-5-fr.pdf (530 Kio)
actes_fmat_2017-fr-def.pdf (1,8 Mio)