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Assemblée Générale de la Fédération départementale des fermiers et métayers du MODEF. 17 novembre 2017, Saint Perdon, Département des Landes.
Rédigé par : Les informations agricoles / Modef des Landes
Date de rédaction :
Organismes : Mouvement de défense des exploitants familiaux. Landes (Modef - Landes)
Type de document : Article de presse
Le fermage, l’accès au foncier et la répartition des terres agricoles entre agriculteurs restent des sujets fondamentaux pour tous ceux qui veulent un développement agricole et rural dynamique et harmonieux. Pour le Modef, cela passe par des exploitations nombreuses dans nos territoires et des jeunes qui s’installent.
L’assemblée générale de la fédération des fermiers et métayers du Modef est l’occasion de mettre les questions foncières au cœur de la réflexion du syndicat. Elle a en 2017 invité Michel Merlet, agronome et directeur d’AGTER, à mettre en perspective la question du fermage en s’appuyant sur une analyse comparative de ses effets dans plusieurs pays européens (France, Espagne, Roumanie, …).
Michel Merlet a commencé à s’intéresser aux questions foncières suite à une situation peu banale. En effet, après la coopération, il est resté au Nicaragua dans une ONG. De fil en aiguille, le jeune agronome s’est retrouvé à travailler sur la réforme agraire pour le compte du ministre de l’agriculture du front sandiniste. De son expérience, il ressort avec la conviction qu’une analyse politique sérieuse des questions foncières est à mettre entre les mains de tous ceux qui œuvrent pour une gestion durable de la planète, qu’ils soient paysans organisés dans un mouvement paysan, citoyens ou décideurs. Aujourd’hui directeur d’AGTER, il est venu présenter au congrès des fermiers et métayers du Modef comment en fonction des conditions d’application et du contexte, le fermage peut donner des résultats complètement différents.
AGTER
L’objet d’AGTER est de contribuer à une amélioration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles.
AGTER est née des forums sociaux mondiaux. Les différents modes de gestion de la terre sont très peu connus d’un coin de la planète à l’autre. Par exemple, l’idée d’un système de fermage sécurisé tel qu’il existe en France apparaît impensable en Amérique latine.
En matière agraire, les opportunités pour redistribuer fondamentalement les cartes sont généralement de courte durée. Pour ne pas manquer ces « fenêtres », il est utile de pouvoir s’appuyer sur des analyses d’expériences ayant eu lieu dans d’autres contextes historiques et géographiques.
« Nous devons tirer les enseignements de ces expériences. Nous ne pouvons plus nous permettre de perdre du temps à revivre les mêmes échecs », lance Michel Merlet. D’où l’ambition d’AGTER de mettre à disposition des acteurs (organisations paysannes, décideurs politiques…) des outils pour penser la gestion des terres agricoles.
DANS UNE VISION HUMANISTE
L’association assume un parti pris, celui d’éviter à tout prix que les communs (terre, eau, ressources naturelles…) ne soient détruits alors qu’ils sont nécessaires pour la vie des humains. Par conséquent, nous avons collectivement le devoir de les transmettre en bon état aux générations futures.
« Le fait que le foncier soit de plus en plus maîtrisé par ceux qui possèdent les capitaux, ce qu’on appelle la financiarisation, est extrêmement dangereux. Les capitalistes feront des profits en produisant ce qui rapporte le plus et le jour où ils pourront dégager des profits plus juteux ailleurs, ils s’en iront sans se préoccuper de la situation qu’ils laissent derrière eux », commente le directeur d’AGTER.
En revanche, il est de l’intérêt général bien compris de gérer correctement et équitablement les ressources communes. « De toute manière, si des milliards d’habitants de la planète ne parviennent pas à vivre de leur métier de paysans, cela posera nécessairement des problèmes dans nos pays occidentaux », poursuit-il.
Dans cette perspective, la régulation n’est pas un vieux concept archaïque. Au contraire, ce sont des mécanismes concrets qui sont à construire en fonction de la société que nous voulons.
UN COPIER-COLLER EST RISQUÉ
Transposer un système qui marche dans d’un contexte n’implique pas forcément qu’il donne des résultats similaires dans d’autres conditions. Partant de ce constat, la fédération des fermiers et métayers a demandé à Michel Merlet de présenter un panorama de ce qu’a donné l’application du fermage dans différents pays. Des connaissances précieuses pour mieux identifier dans le statut du fermage, obtenu de haute lutte par nos aînés, les éléments incontournables pour une gestion du foncier favorable à la production agricole domestique et en phase avec notre vision de l’agriculture et du développement rural.
Raymond Pédeboscq de Pouillon a exprimé cette préoccupation de manière concrète : « Si on laisse faire l’agriculture productiviste, il n’y aura pas beaucoup d’installations. Nous ne devons pas oublier que la mission de l’agriculture, c’est de nourrir les populations et non de faire de l’argent pour faire tourner l’économie capitaliste ».
Par ailleurs, Mélanie Martin, présidente de la FDJA-Modef est convaincue de l’intérêt du fermage : « Quand les terres se vendent à 13 000 € l’hectare, il est évident que nous devons nous battre pour que le fermage soit pour les jeunes un moyen d’accéder à la terre et de réaliser leur projet dans de bonnes conditions économiques. Le fermage est toujours un enjeu d’actualité ».
Tout ceci étant posé, commençons notre tour d’horizon sur le fermage dans différents contextes.
EN ESPAGNE
Après la dictature franquiste, en 1980, l’Espagne adopte une loi sur le fermage très favorable aux exploitants. Le bail était contracté pour une durée de 6 ans + 15 ans. Cependant, en raison de la structure foncière du pays, les très grands propriétaires terriens parviennent à bloquer le marché locatif des terres. Se considérant lésés, les propriétaires préfèrent laisser le foncier à l’abandon plutôt que de louer.
« Avec cet exemple espagnol, on constate que les principes fixées par la loi sont importants. Mais, en l’absence d’organisations paysannes fortes pour imposer qu’ils se traduisent dans les faits, les propriétaires sont parvenus à verrouiller la situation et à imposer leurs conditions », fait observer l’agronome.
En 1986, l’Espagne entre dans la communauté économique européenne. La loi de modernisation des exploitations agricoles de 1995 a pour but d’améliorer leur compétitivité. Pour accompagner l’agrandissement des exploitations, la loi facilite une plus grande mobilité de la terre, tant en propriété qu’en location. Pour ce faire, la durée du bail est ramenée à 5 ans et, au bout de cette période, la reprise par le propriétaire n’est assujettie à aucune condition. En outre, la fiscalité favorise la transmission de la propriété à des entreprises dites « prioritaires ».
« Dans le livre blanc du ministère de l’agriculture espagnol, les exploitations prioritaires ne représentaient que 8 % du total. Il estimait donc que 92 % des fermes étaient vouées à disparaître », ajoute Michel Merlet.
En 2003, sous le gouvernement de José Maria Aznar, la loi raccourcit à 3ans la durée du fermage. Sous le gouvernement de José Luis Zapatero, cette loi est annulée.
« Nous voyons bien ici que les règles de régulation foncière changent selon les pouvoirs politiques », relève le directeur d’AGTER.
EN ANGLETERRE
Paradoxalement, en Angleterre, la protection des fermiers s’est accrue tout au long de la période 1947-1984. « Il convient de préciser que nous avons à faire ici à des fermiers ne sont pas si petits », glisse malicieusement Michel Merlet.
Ainsi, les lois de 1947 et 1948 attribuent au fermier un droit d’usage à vie. Et l’application de la loi est même rétroactive.
En 1976, la sécurité du fermier est étendue à deux générations (dès lors que l’attributaire remplisse les conditions). Là encore, les dispositions sont rétroactives.
Depuis, en plusieurs étapes, la tendance a été complètement inversée.
En 1984, le droit d’usage à deux générations est annulé.
En 1986, le renouvellement du bail est annuel et par tacite reconduction. Le montant du loyer des terres est révisé tous les 3 ans.
En 1995, les parties sont libres de négocier. Les précédents contrats restent valables mais ne constituent plus une option ouverte pour les nouveaux contrats.
UNE POLITIQUE FISCALE RADICALE
Toujours à l’aide de l’exemple britannique, l’intervenant a attiré l’attention des congressistes sur un tout autre levier pour agir sur le foncier : la fiscalité et plus particulièrement les droits de succession.
L’impôt sur le revenu et les droits de successions furent progressifs de 1894 à la fin de la première guerre mondiale. Depuis, de manière constante, les droits de succession sur les terres agricoles détenues par des bailleurs (non exploitants) n’ont cessé d’augmenter, passant de 40 à 50 % en 1930, puis à 60 % en 1939.
La politique fiscale s’avère efficace, les propriétaires fonciers cèdent leurs terres aux fermiers en exercice qui, en outre, bénéficient de conditions de crédit avantageuses. Résultat : le mode de faire valoir direct (propriétaire-exploitant) qui était de 11 % en 1914 représente 49 % de la SAU en 1960.
EN ROUMANIE
À la fin des fermes collectivistes, une forte redistribution des terres a été opérée. Cependant, faute d’outils, de crédits d’équipement, de semences et d’engrais, la très grande majorité des nouveaux petits propriétaires n’avait pas les moyens de les exploiter. La plupart n’a donc d’autre issue que de louer sa parcelle.
En Roumanie, une seule exploitation peut exploiter 3 000 ha loués à plus de 500 propriétaires différents. « On m’a rapporté que, dans une exploitation de ce type, sur trois employés permanents, l’un d’eux était occupé à temps plein par la gestion des baux », illustre Michel Merlet.
Ici, le rapport de force étant inversé, l’application du statut du fermage aurait des effets complètement différents.
« Si un grand capitaliste peut faire du business sans avoir à acheter la terre, c’est encore mieux, cela lui procure des profits plus élevés », signale le directeur d’AGTER.
Il fait remarquer que, en Europe, le fermage a favorisé l’agrandissement des exploitations. À cet égard, la juxtaposition de deux cartes est éloquente : La part des exploitations de plus de 100 ha est la plus élevée là où le fermage s’est le plus développé.
PEUT ÊTRE DANGEREUX
Autrement dit, le levier du fermage qui sécurise celui qui travaille la terre par rapport au propriétaire n’est pas suffisant. « Le fermage sans contrôle des structures, c’est dangereux ».
« Sans oublier que, en l’absence de plafonnement, les primes Pac encouragent l’agrandissement », complètent plusieurs congressistes. Michel Merlet rebondit en racontant qu’en Roumanie, les 3 exploitations qui font 50 000 ha ont tout intérêt à ce que cela ne change pas.
Dans les grandes structures entre les mains de capitalistes qui font travailler des salariés, la richesse produite nette par hectare est très faible. À l’inverse, les petites exploitations travaillées par des paysans sont très souvent plus productives.
En conclusion, il faut déterminer quel type d’agriculture nous voulons promouvoir, quelle agriculture est souhaitable en fonction de l’intérêt général. Puis, pour conforter la configuration voulue, il s’agit de trouver les formes de régulation foncière les mieux adaptées, en tenant compte d’éléments de contexte.
© Les informations agricoles / Modef des Landes
article repris avec l’accord de la publication.