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Compte-rendu de l’atelier WT54. Forum Chine Europe 2007
Date de rédaction :
Organismes : Forum Chine Europe, Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH), Renmin University of China - 中國人民大學
Type de document : Article / document de vulgarisation
Présentation de la situation chinoise:
Le système foncier en Chine est très différent du système foncier européen. Le foncier chinois est divisé en deux catégories distinctes:
Le foncier urbain est propriété de l’État, mais peut aussi être mis sur le marché et donc faire l’objet de transactions marchandes. Est considéré comme foncier urbain l’ensemble des terres constructibles ou délimitées dans les plans d’urbanisme.
Le foncier rural, lui, est utilisé à des fins de production. Il peut être propriété d’État ou propriété collective des communautés rurales. Les terres rurales de propriété collective sont allouées à des agriculteurs qui possèdent un droit d’usage de 20 à 50 ans sur leurs terres. C’est ce que l’on appelle un « droit d’usage forfaitaire ». Ce droit d’usage forfaitaire est un droit de résidence ou de culture, familial ou personnel. Il est héritable, mais ne peut être ni vendu, ni hypothéqué. Si L’État décide d’attribuer un autre usage aux terres agricoles sur lesquelles s’applique le droit d’usage forfaitaire, il doit verser des compensations aux agriculteurs ou aux communautés qui en bénéficiaient.
Un des plus grands enjeux auxquels la Chine est confrontée aujourd’hui est lié au processus d’urbanisation et d’industrialisation ultrarapide du territoire. Les villes grandissent et occupent des terres qui étaient auparavant rurales. Or, il existe une grande différence de prix entre le foncier rural et le foncier urbain. En effet, le foncier urbain possède une valeur comparative beaucoup plus importante. En outre, il peut être acheté auprès de l’État sous forme d’adjudication, d’appels d’offre ou autre. Tout le foncier qui génère des intérêts, c’est-à-dire le foncier résidentiel ou industriel, doit être acheté auprès de l’État. En ce qui concerne le foncier public (autoroutes, bâtiments publics, etc…), il peut être obtenu auprès des autorités et c’est ce qui s’appelle la réquisition.
L’expansion des villes crée donc des intérêts lucratifs énormes. Un grand défi de la Chine contemporaine consiste à réguler l’appétit féroce des villes pour protéger les droits et les intérêts des agriculteurs. Ce défi est d’autant plus difficile à relever que les intérêts publics sont extrêmement puissants: il est particulièrement difficile d’assurer la protection égalitaire de tous les intérêts engagés dans le processus d’urbanisation.
Bien sûr, il peut être difficile d’estimer les bénéfices générés par le phénomène d’urbanisation, dans la mesure où il n’existe pas de marché foncier rural. Toutefois, la valeur d’une terre peut être estimée de différentes façons, par exemple en fonction de la valeur des cultures qui y sont faites et en fonction de sa valeur immobilière. Même s’il n’existe pas de marché rural, la valeur des terres rurales peut donc être évaluée.
Aujourd’hui, la société chinoise doit trouver des solutions aux problème généré par le processus d’urbanisation : le bénéfice de ce processus doit-il revenir à l’État ou aux agriculteurs et à leurs communautés villageoises ? La loi avait prévu des compensations pour soutenir les paysans devant quitter leurs terres sous la pression du mouvement d’expansion des villes. Ces compensations financières pouvaient s’élever à 30 fois le revenu annuel du paysan. Aujourd’hui des négociations sont en cours entre l’État et les communautés villageoises pour savoir comment ce bénéfice va être réparti.
En outre, si la ville décide d’élargir les terrains urbains, des associations de travaux préparatoires d’intérêts fonciers se réunissent. Elles sont constituées de représentants de la collectivité agricole et de représentants des communautés urbaines. Ensemble, ces représentants définissent un prix pour la réquisition des terres. Si deux tiers des représentants ruraux acceptent le prix, alors les terres peuvent être réquisitionnées, passent en propriété de la communauté urbaine et peuvent être mises sur le marché.
Pour nuancer un peu l’idée qui opposerait la toute-puissance des villes à la faiblesse des campagnes chinoises, il convient aussi de rappeler que 80% des terres arables sont protégées par des organismes et ne peuvent pas être réquisitionnées sans autorisation du gouvernement central. Quatre organismes s’occupent directement des questions du sol et des terres arables : le Ministère de l’Agriculture (et plus particulièrement le bureau de la protection écologique des terres arables), le Ministère des Territoires, la Direction Générale de la Protection de l’Environnement, et la Direction Générale de la Protection des Forêts.
L’État exerce un contrôle très strict des zones protégées mais avec l‘augmentation de la production, il convient d’admettre que la qualité des sols diminue. Aussi, le critère de qualité n’est plus le seul critère à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer la valeur d’une terre arable. Aujourd’hui, on évalue aussi la valeur d’un sol en fonction de son niveau de pollution par exemple. Même si toutes les institutions citées plus haut ont en leur sein des bureaux spécialisés dans la gestion et la surveillance écologique de la qualité des sols, c’est surtout à travers la mise en place de projets que le contrôle est exercé, et non grâce à des politiques de contrôle formelles.
Quoi qu’il en soit, la Chine connaît aujourd’hui une importante perte en volume des terres cultivées. La sécurité alimentaire du pays est donc mise en danger. L’urbanisation et l’industrialisation massives du pays ne sont pas les seules causes de ce phénomène. On remarque aussi que la vocation pour l’agriculture est de moins en moins présente dans les zones rurales. Les agriculteurs ont de moins en moins envie de cultiver les terres, en grande partie parce qu’ils n’arrivent plus à tirer profit de leur activité. En effet, les ressources de la population urbaine augmentent beaucoup plus rapidement que les ressources des agriculteurs.
Le gouvernement chinois n’accorde pas l’importance qu’il devrait accorder à la multi-fonctionnalité de l’agriculture et de l’agriculteur. Lorsque l’on parle du foncier, on ne parle pas seulement d’une ressource exploitable, on parle aussi d’un habitat et d’un environnement écologique rural. Comment mettre en valeur cette multifonction du foncier agricole et du foncier rural? Développer le tourisme rural, qui permettrait aux agriculteurs d’augmenter leurs revenus, pourrait être une piste de solution. Mais il faut aussi permettre aux agriculteurs de maintenir le rôle important qu’ils occupent dans la conception traditionnelle chinoise de l’agriculture.
Les méthodes de gestion et d’exploitation durables des terres existent bien dans la tradition agricole chinoise, mais les innovations technologiques et l’imposition du système de marché empêchent les agriculteurs de les mettre en pratique. Un des grands défis de la Chine contemporaine consiste donc à favoriser le retour aux modes de gestion traditionnelle, comme par exemple la pisciculture en milieu rizicole.
Un exemple intéressant qui illustre le flou juridique actuel quant à la politique foncière chinoise est l’exemple des terres forestières. Le foncier forestier se divise en deux grandes catégories :
Les terrains forestiers publics constituent des propriétés d’État. Ces terrains sont gérés par l’État au niveau du district par le biais de différents organismes. Certains d’entre eux font l’objet d’une protection particulière, auquel cas ils sont gérés par des organismes particuliers. L’accès du peuple à ces terres de propriété étatique est contrôlé : la déforestation n’est pas autorisée mais les habitants peuvent utiliser ces terres à des fins non forestières (rien de ce qui concerne l’utilisation du bois n’est autorisé) contre l’achat d’un droit d’usage. Dans le nord et le nord/est, 70% du foncier rural est étatique, dans le sud il représente 50%.
Le foncier forestier de propriété collective, ou villageoise, concerne surtout les terrains situés autour des exploitations agricoles. Le droit d’usage revient à l’agriculteur, qui peut pratiquer sur ce terrain n’importe quelle activité, à l’exception d’activités commerciale ou de déforestation. Toutefois, si les agriculteurs ont besoin de construire un logement, ils peuvent demander une autorisation au district. L’autorisation est accordée en fonction de la densité forestière de l’endroit et du bois nécessaire à la construction de la maison. L’agriculteur, s’il reçoit l’autorisation, peut abattre certains arbres repérés à l’avance, sous surveillance d’une équipe envoyée par le gouvernement. Il existe des droits d’usage forfaitaires individuels ou familiaux, selon lesquels on peut planter des arbres, mais encore une fois l’abattage est proscrit.
Les prairies sont restées de propriété publique jusque dans les années 1980, puis ont été régulées par des contrats de droit d’usage forfaitaire. Les pâturages d’hiver sont sous régime de contrat, alors que les pâturages d’été restent contrôlés par un système de propriété étatique sans contrat. Le gouvernement chinois ambitionne de promouvoir la sédentarisation des éleveurs, notamment en hiver, donc il accorde des terres aux éleveurs pour que leurs familles puissent s’y établir. Mais il le double statut des pâturages d’été et des pâturages d’hiver crée souvent une situation de flou juridique pour les éleveurs. Les terres sur lesquelles ils pourraient se sédentariser peuvent parfois être réquisitionnées.
En outre, depuis 2003, l’État chinois ambitionne de restreindre les surfaces dédiées au pâturage : l’État a versé des compensations financières aux éleveurs en échange de la restitution de leurs terres.
Il existe donc une grande contradiction : dans les grandes prairies de l’ouest on a créé des zones de protection regroupant des terres qui, auparavant, faisaient l’objet de contrat forfaitaires. Aujourd’hui, les activités d’élevage sont interdites sur ces terres.
La restriction de l’activité d’élevage constitue en effet une autre volonté de l’État chinois. Les terres se voient attribuer des quotas. Si le quota est dépassé, l’éleveur doit payer une amende, alors que s’il réduit son élevage, il se voit attribuer des compensations financières.
Si les prairies sont reconverties à d’autres fins (industrielles par exemple) il est nécessaire d’obtenir une autorisation de l’État, mais il n’y a pas encore de loi pour encadrer ces reconversions. Là encore, la situation de flou juridique est grande.
Questions des participants européens sur la situation chinoise:
Quel est le lien entre le droit formel et les pratiques ? Le prix du foncier rural est-il défini juste au moment où une terre doit passer sous le droit urbain, ou un prix existe-t-il avant, défini en fonction d’autres mécanismes, fussent-ils illégaux ?
Y a-t-il des agriculteurs « en croissance » (qui ont plus de terre que les autres par exemple) même si les terres rurales sont collectives, ou le système est-il strictement égalitaire ? En l’état actuel, la situation peut-elle évoluer ?
Les agriculteurs ne souhaitent plus rester agriculteurs. Il y a crise agricole, et crise de revenus des agriculteurs. Que se passe-t-il au niveau des politiques agricoles globales ? L’exode rural est-il déterminé par des possibilités de revenus beaucoup plus importants en ville ?
Quelles sont les méthodes mises en pratique pour ressusciter les modes d’agriculture traditionnelle chinoise favorisant un développement durable ?
En 2005 il y a eu 84.000 incidents, manifestations qui tournaient autour de ces questions de répartition de terres. Les inégalités augmentent en Chine. A quel point la richesse créée récemment en Chine est-elle créée par l’industrie, ou par des systèmes de corruption, de spéculation, etc.? La richesse créée bénéficie-t-elle plus à l’Etat, ou à des particuliers qui réussissent à la capter ?
Pensez-vous que l’augmentation de la taille des exploitations agricoles soit nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire et favoriser la modernisation de l’agriculture ?
La propriété est celle de l’État ou de la collectivité. Le concept de propriété en Chine doit donc s’entendre en terme d’usage. La « propriété », au sens chinois, inclut donc l’idée de service. Est-ce que ce système persiste ? Peut-il changer ?
Une des fonctions actuelles de l’agriculture chinoise consiste à produire des travailleurs bon marché pour l’industrie et les activités urbaines. Ce phénomène n’entre-t-il pas en contradiction avec la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire ?
Quelle est la nature réelle des droits des communautés traditionnelles ? Par exemple, les droits des nomades doivent traditionnellement être différents des droits des communautés d’agriculteurs. Comment faire évoluer ces droits, en prenant en compte la diversité des situations traditionnelles et en établissant des normes générales et équitables ?
Dans les études de prospective menées actuellement par les autorités chinoises, quelles sont les estimations sur le nombre d’agriculteurs qui doivent quitter l’agriculture dans une génération ?
Peut-on passer de terres arables en prairies, éventuellement de prairies en forêts, etc. Comment ?
Existe-t-il des possibilités de transferts de contrats forfaitaires au sein de la famille, ou au sein de la communauté rurale ?
L’État est propriétaire des terres, il détient donc la clef de toute l’avancée urbaine : est- ce que l’État s’est fixé des objectifs en termes d’urbanisation ? Que signifie le concept d’«État» en Chine par rapport à ce problème ? Y a-t-il des dissensions entre les ministères, ou entre l’État central et les provinces ?
Les politiques de diversification des revenus agricoles, comme par exemple le tourisme rural, peuvent s’avérer dangereuses, et même détruire les zones rurales. Y a-t-il des programmes de protection culturelle, qui permettraient d’assurer la durabilité de ces politiques ?
Quelles méthodes traditionnelles et durables peuvent jouer un rôle essentiel pour nourrir les mégalopoles chinoises? Quelles stratégies a-t-on pour sauver la sécurité alimentaire quand un agriculteur gagne 3 fois moins que n’importe qui en ville ?
Le concept de société d’harmonie, développé en Chine, rejoint le concept de développement durable, mais y ajoute un objectif de paix. Dans un objectif de société d’harmonie, comment voyez-vous l’organisation des pouvoirs entre les autorités locales et les autorités centrales ? Y a-t-il des divergences d’intérêts qui font que les autorités locales empêcheraient le développement durable à des fins lucratifs ?
L’industrialisation des campagnes est prônée par le gouvernement chinois : est-ce un point qui peut rejoindre l’idée de multifonctionnalité de l’agriculteur ?
Vous n’avez pas évoqué l’obligation de l’inscription de la population agricole dans son lieu de résidence, le hukou, nécessaire pour bénéficier du droit à l’école, aux services de santé. Quel rôle cela a-t-il dans les phénomènes de migration des travailleurs de la campagne vers la ville ?