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Note préparée à la demande de la Commission Agriculture et Alimentation de Coordination Sud
Rédigé par : Amel Benkahla, Stefano Mason
Date de rédaction :
Organismes : Groupe de Recherches et d’Echanges Technologiques (GRET), Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF), Coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale (Coordination Sud)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Une estimation récente avance le chiffre de 120 millions d’éleveurs et agropasteurs dans le monde. Quelques 50 millions d’entre eux se situent en Afrique subsaharienne, où le pastoralisme est une pratique largement utilisée dans une zone allant du Sénégal à la Somalie. Les communautés pastorales africaines sont aussi nombreuses dans la bande allant de la Corne de l’Afrique jusqu’à la Namibie. Le pastoralisme est également important dans les zones arides de l’Asie centrale et du Sud 1 du plateau du Tibet, en Europe et en Asie, ainsi que des plateaux andins en Amérique latine.
Longtemps combattu par les Etats, qui voyaient dans ces sociétés mobiles des sources d’instabilité, le pastoralisme est aujourd’hui reconnu comme un système durable, particulièrement adapté aux zones arides et montagneuses. Alors que le pastoralisme revient sur le devant de la scène, avec notamment les déclarations de N’Djamena et Nouakchott (2013), le lancement de nouveaux programmes d’ampleur qui lui sont dédiés dans le Sahel, et tout récemment, dans le rapport 2016 du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire 2, où les systèmes pastoraux font l’objet de caractérisation et recommandations spécifiques, quel regard porter sur le pastoralisme et comment l’accompagner ?
1 Le pastoralisme est la principale activité économique pour la population en Mongolie et dans les ex républiques russes d’Asie Centrale, et dans des vastes régions de la Chine (Inner Mongolia) et de la Russie (populations Ewenki et Buriates).
2 2016 Rapport HLPE _CSA - Le développement agricole durable au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition : quels rôles pour l’élevage
L’élevage pastoral et agropastoral (ou pastoralisme) est un système de production basé sur un élevage extensif valorisant majoritairement les parcours naturels. Utilisé par des communautés qui vivent dans des contextes souvent marginaux, il est associé à un mode de vie fondé sur un lien particulier entre l’homme, l’animal et la nature.
Le pastoralisme est le principal moyen de subsistance, source de nourriture, revenus et emplois dans de nombreuses zones arides et montagneuses. Ce mode de vie a permis aux communautés de gérer les ressources de manière durable, indépendante et flexible. Dans de nombreuses régions (Afrique de l’Ouest, Andes, plateaux mongoles), il est plus productif que l’élevage sédentaire et produit l’essentiel des produits animaux. Certains éleveurs pastoraux, dits agropasteurs, combinent l’élevage avec la production de céréales et de fourrages (alors que les agro-éleveurs sont des agriculteurs qui ont introduit l’élevage dans leur système d’activités).
Le pastoralisme, un système résilient capable de s’adapter à la variabilité climatique
Un système agroécologique de valorisation des espaces marginaux
Dans de nombreuses régions, l’élevage pastoral repose principalement sur les pâturages naturels et sur la valorisation des résidus de culture. Sa viabilité est le résultat d’une maîtrise traditionnelle fondée sur trois piliers : le choix et la combinaison de différentes espèces d’herbivores adaptés au milieu (bovins, zébus, chameaux, dromadaires, ovins, caprins, yaks, rennes, alpagas, lamas, chevaux, ânes), sur l’utilisation grâce à la mobilité de pâturages naturels divers (essentiellement les parcours naturels fournissant plantes herbacées, arbres et arbustes) et surtout sur le capital social de la mobilité qui permet aux groupes pasteurs d’entretenir et de développer les alliances avec les groupes sédentaires et les acteurs des marchés des nombreuses localités parcourues.
Les déplacements des troupeaux sont réglés en fonction de l’existence de pâturages, de l’accès à l’eau mais aussi parfois par d’autres facteurs (marchés, réseaux sociaux, conditions de sécurité, présence de feux de brousse ou de prédateurs). L’élevage pastoral contribue fortement à l’amélioration de la fertilité des sols grâce aux transferts de matière organique qui se font entre les zones de pâtures et les espaces cultivés et valorise aux mieux les ressources disponibles aux différentes saisons, grâce aux connaissances écologiques du milieu accumulées au fil des ans par les éleveurs. En tant que système agricole durable et autonome basé sur un faible recours aux intrants, l’élevage pastoral pourrait mériter la mention d’activité agroécologique, mais ceci reste largement en question, l’élevage pastoral étant encore parfois perçu comme facteur de dégradation des ressources naturelles.
C’est la mobilité qui est à l’origine de la résilience du système pastoral. Lors des sécheresses la mobilité constitue largement le moyen de limiter les pertes quand les éleveurs peuvent accéder à des zones de replis stratégiques : zones humides, aires protégées, parcours soudaniens, tout en retrouvant des conditions plus favorables aux échanges céréales bétail.
Une contribution significative aux revenus des ménages et à l’économie nationale, malgré des appuis marginaux
Le pastoralisme bénéficie non seulement aux communautés pastorales, mais aussi à tous ceux qui exploitent l’ensemble des produits pastoraux. La viande, le lait, les fibres et la peau, transformés ou pas, se retrouvent dans les marchés des centres urbains. La fumure, le travail et le transport par la traction animale sont exploités dans les zones agricoles. L’élevage pastoral fournit également des services essentiels pour la conservation de la biodiversité et la préservation des écosystèmes.
L’élevage pastoral constitue une activité importante du secteur primaire dans de nombreux pays d’Afrique (pays sahéliens), d’Asie (steppes mongoles) et d’Amérique latine (Andes). En Afrique, il constitue plus d’un tiers du PIB agricole des pays sahéliens (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad). L’OCDE considère que si on prenait en compte également la contribution de l’élevage à l’agriculture (fumure, attelage, etc.), cette part augmenterait pour atteindre 50 % du PIB du secteur primaire. Dans beaucoup de pays d’Asie Centrale, tel qu’au Kazakhstan, Kirghizstan et en Mongolie, l’élevage pastoral vit une phase d’expansion due à la décollectivisation du secteur, et représente plus de la moitié du PIB agricole.
Pourtant, l’élevage est un secteur disposant de peu de soutiens publics. En Afrique de l’Ouest, seulement 10 % des dépenses dans le secteur agricole est dédié à l’élevage, alors que les chefs d’Etats de l’Union Africaine s’étaient engagés à ce que 30 % y soient consacrés. Au-delà des montants alloués, le ciblage des appuis est également primordial, afin que ces fonds soutiennent prioritairement les systèmes pastoraux et agropastoraux. Or on observe une tendance des politiques ces dernières années dans plusieurs pays à privilégier plutôt les appuis à des systèmes d’élevage dits modernes, plus intensifs et jugés théoriquement plus compétitifs (introduction de races européennes ou américaines, production fourragère, insémination artificielle, stabulation, ranching, etc.).
Un patrimoine culturel et humain d’une grande richesse
Les sociétés pastorales insistent souvent sur leurs spécificités et souhaitent parfois se différencier des autres exploitations familiales, en utilisant le terme de « communautés pastorales ». Pour elles, le pastoralisme va au-delà de l’activité de production animale, il s’agit aussi d’un mode de vie, d’une culture, et d’une identité à part entière. A ce titre, les organisations pastorales défendent le droit des pasteurs à conserver leur mode de vie et leur culture, ainsi que leurs institutions coutumières. La mobilité, qui caractérise ces sociétés, a été longtemps combattue par les Etats, via des politiques de sédentarisation et d’assimilation. Aujourd’hui, ce droit à la mobilité connaît d’indéniables avancées, grâce au plaidoyer intense qui a été mené par les organisations d’éleveurs.
Il n’en demeure pas moins qu’on observe une évolution croissante des systèmes traditionnels pastoraux purs vers des systèmes agropastoraux (notamment, depuis les grandes sécheresses dans le Sahel), avec une gestion différenciée des troupeaux, une semi-sédentarisation d’une partie de la famille. La frontière entre agriculteurs et éleveurs tend aussi à s’estomper, surtout en Afrique de l’Ouest, avec de plus en plus d’éleveurs qui développent des productions agricoles et fourragères et des agriculteurs qui se lancent dans l’élevage. Les problématiques liées au développement de l’élevage extensif deviennent dès lors, non plus seulement une question portée par les communautés pastorales et agropastorales, mais par une frange plus large de la société.
De nombreux défis qui fragilisent les systèmes pastoraux
Entrave à la mobilité et disparition des communs pastoraux
Malgré les nombreuses avancées obtenues, la pression démographique, les effets du changement climatique, les options prises en termes de promotion de l’agriculture à grande échelle avec l’avancement du front agricole et le phénomène de privatisation des ressources ne jouent pas en faveur de la mobilité et du soutien aux systèmes extensifs.
Dans de nombreuses zones autrefois constituées de ressources pastorales communes, la privatisation des communs a conduit à une dépossession des populations pastorales des ressources aux- quelles elles avaient autrefois accès ou à une mar- chandisation des résidus de récolte et de l’accès aux points d’eau, qui fragilise leurs activités.
Dans les cas où la pression foncière est la plus forte et où le développement de l’agriculture s’est réalisé sans schéma d’aménagement préalable, c’est l’accaparement des ressources en eaux et le blocage des couloirs de passage qui empêchent les animaux de s’abreuver et qui augmente la fréquence des conflits entre agriculteurs et éleveurs (ou conduit tout simplement à terme à l’abandon de certaines zones pastorales).
Le faible investissement public dans les infrastructures pastorales, la non sécurisation du foncier pastoral, et plus largement le manque de vision holistique de la gouvernance des territoires pastoraux (permettant de sécuriser la mobilité et l’accès aux ressources pastorales) conduisent aujourd’hui à fragiliser ces systèmes.
Concurrences accrues sur les marchés
Les systèmes pastoraux et agropastoraux font également face à une concurrence accrue sur les marchés. En Afrique de l’Ouest, les productions locales sont concurrencées par d’autres produits : substitution croissante de la viande locale par d’autres sources de protéines à bas prix tels que les abats, le poulet ou le poisson surgelé venant d’Inde, du Brésil, d’Europe ou de Chine, qui sont disponibles à des prix inférieurs à ceux de la viande sahélienne dans les pays côtiers (Bénin, Nigeria). Le lait local subit toujours une concurrence forte du lait importé, notamment dans les centres urbains des pays côtiers. Les consommateurs urbains restent difficilement accessibles en raison d’une faible compétitivité du prix du lait local par rapport au lait importé et l’absence d’incitation des entreprises de transformation à s’approvisionner localement (seulement 10 à 50 % des approvisionnements des entreprises laitières ouest-africaines est constitué de lait local).
Les interdépendances et complémentarités historiques entre pays côtiers et pays sahéliens, liées notamment au commerce du bétail tendent à s’amoindrir (difficultés croissante du convoyage à pied des animaux, problèmes de taxation aux frontières, volonté des pays côtiers de développer leur propre élevage sur le modèle d’un élevage « moderne »), ce qui peut à terme fragiliser les équilibres régionaux ouest-africains.
En Asie, l’arrivée de l’économie de marché il y a une vingtaine d’années, a poussé les éleveurs transhumant du Gobi mongol à augmenter les effectifs de chèvres 3 pour la production de cachemire, quasiment unique source de recettes, afin de tirer des revenus suffisants. Il en résulte un fort déséquilibre entre espèces élevées et une importante crise de surpâturage, qui menace gravement la pérennité des écosystèmes locaux.
Marginalisation socio-culturelle, politique et environementale
Le décalage qu’on observe entre l’importance du sous-secteur dans l’économie, l’environnement et les sociétés d’une part, et le volume des ressources publiques qui sont affectées à l’élevage 4 d’autre part, est symptomatique de la sous-évaluation par les décideurs des multiples enjeux liés à l’élevage et d’une marginalisation politique et sociale des éleveurs. Ce phénomène, qui remonte en Afrique à l’époque coloniale, peut être expliqué, entre autre, par une faible présence des pasteurs et de leurs représentants dans les espaces de décision. La tendance a commencé à s’inverser suite à la création des pastoral parliamentary groups (PPG) au Kenya, Ouganda et en Ethiopie, qui constituent depuis plus d’une décennie une excellente base représentative des pasteurs dans les cercles politiques nationaux.
Après des décennies de marginalisation et de politiques de l’élevage qui incitaient à la sédentarisation des pasteurs, des avancées en matière législative pour les pasteurs sont en cours aussi dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, en matière de droits sur les terres et à la mobilité 5.
Des domaines d’intervention prioritaires pour soutenir le développement du pastoralisme
Lors du dernier Forum paysan, tenu à Rome les 15 et 16 janvier 2016, et au cours de l’Année internationale de l’agriculture familiale, les organisations pastorales ont proposé d’agir sur plusieurs axes pour soutenir leur développement, en tenant compte des spécificités du pastoralisme:
Investir dans le développement des ressources pastorales
La reconnaissance de la mobilité, y compris transfrontalière, constitue une condition indispensable au maintien d’un pastoralisme durable. La reconnaissance des droits des pasteurs à accéder et gérer les ressources naturelles pastorales (terre, pâturages, eau) doit se traduire concrètement dans les politiques et instruments de gestion du foncier et des ressources naturelles, afin de limiter la privatisation des espaces et le changement de vocation des espaces pastoraux, qui sont dans beaucoup de pays particulièrement vulnérables.
Afin de valoriser les parcours et de maintenir leur contribution majeure à la sécurité alimentaire des pays ouest africains, les élevages pastoraux ont aussi besoin que soient poursuivis les efforts en faveur de la réalisation d’infrastructures clés (points d’eau, pistes rurales et couloirs pastoraux, etc.) qui vont permettre de sécuriser la mobilité des troupeaux. Ces aménagements sont encore trop peu nombreux au regard des besoins. La construction d’unités de production et la promotion de technologies innovantes pour la production de fourrages et la transformation des résidus de récolte s’avèrent également indispensables pour venir compléter l’alimentation des animaux et sécuriser les élevages en cas de crise.
Faciliter l’accès des éleveurs aux services économiques et promouvoir les chaines de valeur locales
Comme pour toutes les exploitations familiales, l’accès aux services économiques demeure un enjeu clé, qu’il s’agisse d’accès aux intrants pour la production (services vétérinaires, nutrition animale, services de conseil), que d’accès aux marchés (locaux, nationaux, régionaux, internationaux) pour les produits d’origine animale issus de ces systèmes extensifs.
Enfin, l’élevage pastoral, qui se caractérise par sa mobilité et son caractère la plupart du temps régional, a besoin que soient mis en place des services transfrontaliers adaptés (santé animale, aires de repos des animaux, infrastructures de marché). Pour que les filières locales des produits de l’élevage puissent se développer, il est nécessaire d’agir aussi au niveau des politiques commerciales pour limiter les importations à bas coût entrant directement en concurrence avec les produits locaux, tout en développant des politiques incitatives en faveur d’unités de transformation s’approvisionnant à partir de produits locaux.
Soutenir les services adaptés à la mobilité des personnes et renforcer l’implication des pasteurs dans l’élaboration des politiqUes publiques
Si en partie les TIC, comme par exemple les systèmes de transaction monétaire mobiles ou les systèmes d’alerte précoce satellitaires informant sur l’état de la biomasse disponible ou la présence de feux de brousse, permettent une évolution du secteur pastoral vers un modèle plus performant, beaucoup de contraintes restent encore à lever pour une meilleure prise en compte des besoins des populations pastorales.
Les organisations pastorales mondiales demandent le développement des services sociaux de base (santé humaine et animale, protection sociale, éducation, eau potable et énergie, accès au crédit et à la formation) adaptés aux populations pastorales, en veillant à prendre en compte les besoins des communautés pastorales, notamment des femmes et des enfants : il s’agit notamment des services mobiles.
Les mêmes organisations demandent le renforcement des plateformes pastorales existantes (tel que le WAMIP, World Alliance of Mobile Indigenous People), facilitant l’élaboration des politiques avec les gouvernements et les institutions régionales 6.
3 Au détriment des moutons, bovins, chevaux et chameaux.
4 Au Niger, au Mali, au Burkina Faso et au Sénégal, les dépenses publiques allouées à l’élevage sur la période 2002-2011 représentent 4 à 8 % seulement des dépenses allouées au secteur agricole
5 La Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont adopté une loi sécurisant le pastoralisme au cours des dix dernières années. Au Tchad et au Sénégal, une législation pastorale est en cours d’élaboration.
6 Pour plus d’informations sur le pastoralisme, une importante revue bibliographique est disponible dans deux bulletins thématiques publiés par Inter-réseaux en mai 2015. Voir aussi le site de la FAO dédié au pastoralisme : www.fao.org/pastoralist-knowledge-hub/fr.
note-c2a-25-pastoralisme.pdf (1,6 Mio)