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Rédigé par : Clément Jaubertie
Date de rédaction :
Organismes : Terres d’Europe - Société de conseil pour l’aménagement foncier rural (Terres d’Europe - Scafr)
Type de document : Étude / travail de recherche
Ce document fait partie d’une étude comparative des politiques foncières rurales menée conjointement par Terres d’Europe SCAFR et AGTER avec l’appui de la Chaire d’agriculture comparée d’AgroParisTech. Il porte sur 5 pays européens, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Pologne. Il a été réalisé à la demande du Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (France) aujourd’hui Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.
Synthèse : politique foncière et évolution de la structure des exploitations agricoles en Allemagne
Les structures agricoles allemandes diffèrent nettement de région en région ou d’un Land à l’autre. Le clivage entre les Lander de l’ouest (Baden-Württemberg, Bayern, Berlin, Bremen, Hamburg, Hessen, Niedersachsen, Nordrhein-Westfalen, Rheinland-Pfalz, Saarland) et les Lander de l’est (Brandenburg, Mecklenburg-Vorpommern, Sachsen, Sachsen-Anhalt, Thüringen) est très marqué au niveau des structures agricoles. A l’est, les grandes exploitations (30 % en nombre) occupent la majeure partie du territoire (90 % de la SAU) et participent à hauteur de 90 % au résultat brut agricole. Ces grandes exploitations sont presque exclusivement des exploitations de personnes morales et la plupart des terres (80%) sont cultivées en fermage.
A l’ouest, les exploitations d’une taille inférieure à 50 hectares occupent une place importante dans la part du territoire cultivé (40% de la SAU) et sont dominantes en nombre (80%). Les deux Länder du Bade-Wurtemberg et de la Bavière à eux seuls réunissent 47,6 % des exploitations en Allemagne sur seulement 27,4 % de la Surface Agricole Utile. Le fermage est moins présent à l’Ouest (54 % des terres). Les exploitations agricoles familiales dominent et une part conséquente des agriculteurs sont pluriactifs.
Au delà des structures agricoles, le clivage est/ouest est aussi présent sur les marchés fonciers. A l’ouest, le marché des terres libres est fermé et le prix des terres beaucoup plus élevé qu’à l’est (18000€ contre 6000 €).
Ces différences est/ouest peuvent s’expliquer, au niveau du foncier, par l’addition de plusieurs facteurs entre les deux régions. On peut notamment citer les différences dans les pratiques de transmission des exploitations mais aussi l’impact de l’histoire ancienne et des politiques agraires menées à l’est et à l’ouest sur les 50 dernières années.
Les différences est/ouest d’accès au capital foncier et d’exploitation
Après la chute du national-socialisme, l’Allemagne souffrit de la pénurie des produits agricoles. Occupée militairement, elle se trouva privée de sa puissance industrielle et des régions annexées qui seules pouvaient permettre une autonomie alimentaire. Une réforme agraire devait être entreprise pour modifier les structures agraires en place.
Les quatre puissances (France, Royaume-Uni, États-Unis et URSS) occupant le territoire allemand montrèrent des divergences d’opinion quant aux mesures à prendre pour la réalisation de cette réforme mais elles furent unanimes quant à son principe même : réaliser la dislocation des grands domaines et supprimer la puissance politique de leurs propriétaires. Ces objectifs firent aussitôt partie de la politique alliée de démilitarisation. A terme les résultats des réformes agraires menées furent différents au sein de chaque zone.
A l’est, la réforme agraire concerna près d’un tiers de la SAU, les grands domaines, beaucoup plus nombreux dans cette partie de l’Allemagne, furent démantelés et la terre redistribuée aux ouvriers agricoles, réfugiés et petits agriculteurs. Dans les zones occupées par les gouvernements anglais, français et américain la réforme fut plus modeste, elle ne concerna que 5% de la SAU.
Les différences de résultats peuvent s’expliquer par l’importance historique des grandes exploitations dans chacune des zones d’occupation mais aussi par les choix des différents gouvernements pour son application. La réforme agraire à l’est s’est réalisée sans indemniser les grands propriétaires contrairement à l’ouest ou le processus s’est accompli de manière plus lisse en indemnisant les terres expropriées.
Ces différentes réformes agraires ont en partie homogénéisé en 1947 les structures agricoles sur l’actuel territoire allemand. L’exploitation familiale de polyculture élevage dominait le paysage.
Les choix des politiques agraires des années suivantes ont amené les exploitations agricoles vers des chemins dissemblables et expliquent la dualité des situations agraires présentes aujourd’hui.
A l’est, le modèle d’agriculture collectivisé a abouti à la création de grandes coopératives de production spécialisées en production végétales ou animales. L’accès au capital foncier et au capital d’exploitation se réalisait dans une perspective collective. De la réforme agraire à la production en coopérative, la R.D.A a connu une révolution agraire qui a transformé profondément les rapports de production. Le système foncier mis en place, se rapprochait du modèle de politique foncière lénino-marxiste décrit par Coulomb dans lequel l’Etat dispose de la propriété éminente des terres et conçoit alors la forme agronomique et techniquement considérée comme la plus rentable pour assurer d’une part d’une politique de salaire égalitaire et d’autre part d’un « profit » finançant l’industrie.
A l’ouest, les politiques agricoles qui se sont succédées jusqu’aux années 1990 ciblaient l’exploitation familiale via le soutien au revenu et des prix garantis. L’exploitation restait fondée sur le noyau de la propriété foncière familiale, central par sa valeur économique et sa fonction sociale. L’augmentation du capital foncier et du capital d’exploitation à l’ouest se réalisait de manière progressive dans une démarche familiale grâce aux politiques mises en place.
Lors de la réunification, les coopératives de production de l’ex RDA furent transformées en exploitations de droit commun (coopératives, sociétés commerciales, sociétés de droit privée etc.) avec la possibilité pour chaque associé de quitter l’exploitation en retirant ses terres et ses parts et de reprendre une activité familiale.
Les bénéficiaires des terres restituées ont, pour les plus grands propriétaires (> 10 hectares) commencé à exploiter leurs terres, les petits propriétaires préférant louer les leurs à d’autre exploitants, personnes morales ou physiques.
Si le développement d’exploitations familiales a été encouragé dans les nouveaux Lander (prix réduit, allègement fiscaux), les conditions d’accès au capital foncier à l’est au moment de la réunification et la politique de compétitivité ont favorisé l’émergence de grandes exploitations fonctionnant par une mise en valeur indirecte des terres (fermage).
Les différences de transmission et de pérennisation du capital foncier et d’exploitation
Les différentes modalités de succession ont progressivement impacté la structure globale des exploitations dans chaque région. Dans les régions où, sous influence du droit franc ou du code civil napoléonien, la répartition à part égale était la règle, les petites exploitations se sont développées. Pour éviter un morcellement trop important et assurer la viabilité des exploitations, d’importantes opérations de remembrement ont été effectuées à partir des années soixante dix.
La succession sans division pratiquée en Allemagne du nord a abouti au maintien des exploitations et a facilité leur agrandissement.
Aujourd’hui le maintien des niveaux de compétitivité des exploitations est l’une des priorités en Allemagne. Le mode de transmission sans division est accessible dans toutes les régions. Dans les régions n’ayant pas de lois spéciales sur la transmission à un héritier principal ou n’ayant pas de réglementations spéciales sur les fermes, la Bavière par exemple, les testateurs utilisent leur marge de manœuvre et transmettent intégralement à un successeur, par testament ou contrat de transmission, des exploitations agricoles devant continuer d’exploitées après le changement de génération. Des dédommagements sont convenus ne surchargeant pas les capacités des exploitations agricoles.
L’administration se réserve aussi un droit de regard via l’utilisation de la loi de mutation foncière qui l’autorise à s’opposer au morcellement ou à la reprise d’un bail si ce dernier met en danger la viabilité d’une exploitation.
Plusieurs auteurs (Doll, Fasterding) s’interrogent sur la nécessité de ces lois spéciales sur le fermage rural, sur la conclusion des baux ou sur les mutations foncières. Plusieurs demandes d’abrogation de la loi de mutation foncière ont été formulées mais l’abrogation a cependant été refusée notamment à cause des possibilités d’attribution préférentielle des exploitations agricoles en cas de succession contenues dans cette loi, ce dispositif étant considéré indispensable dans les régions d’Allemagne ou il n’existe aucun règlement spécial pour la transmission des « fermes » et aucun droit successoral en matière de transmission à un héritier principal.
Les points abordés ne permettent pas de comprendre entièrement les dynamiques foncières en jeu dans les parties est et ouest de l’Allemagne. Il serait intéressant d’approfondir le fonctionnement des grandes exploitations. En effet, derrière le terme exploitation de personne morale, on peut retrouver des exploitations très différentes : certaines se rapprochant des exploitations familiales, d’autres appartenant à des fonds de pension sont gérées de manière capitaliste.
Par ailleurs, il faudrait aussi examiner de plus près les modes de faire valoir de la terre. A partir des données collectées, nous avons pu observer une préférence du faire valoir indirect dans la partie est de l’Allemagne mais il n’a pas été possible de quantifier ou d’analyser le développement de l’agriculture par prestation de service, une agriculture en pleine expansion dans plusieurs pays européens (France, Angleterre).
A l’ouest, il serait important de comprendre la part de la pluriactivité dans le fonctionnement des exploitations agricoles. Au regard des taux d’ouverture du marché foncier à l’ouest, il semblerait que les familles paysannes soient peu enclines à vendre leurs terres. En cas d’insuffisance de revenus courants; elles se tourneraient plutôt vers la recherche d’activités complémentaires extérieures et/ ou la location de terres pour bénéficier des plus-values foncières liée à l’avancement du front « urbain ».