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Une publication du Comité Technique Foncier et Développement
Rédigé par : Samir El Ouaamari
Date de rédaction :
Organismes : Comité technique « Foncier et développement » (CTFD), Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Groupe de Recherches et d’Echanges Technologiques (GRET), International Institute for Environment and Development (IIED)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Les promoteurs des projets de développement se contentent en général d’une évaluation financière favorable pour décider de leur mise en oeuvre. Au-delà de cette condition, ils peuvent, s’ils le souhaitent, adhérer à des cadres non contraignants dont le respect permettrait de minimiser les impacts négatifs des projets. Pourtant il existe des méthodes d’évaluation économique qui permettent de juger si les projets contribuent ou pas à la poursuite des objectifs d’intérêt général – dont l’accroissement de la richesse nette et la répartition équilibrée de celle-ci au sein de la société. Leur réhabilitation est aujourd’hui plus que nécessaire pour une meilleure orientation des investissements.
Les projets de développement sont censés contribuer à atteindre de grands objectifs globaux tels que la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire ou l’utilisation durable des ressources naturelles. Les agences de développement insistent sur l’insuffisance de l’investissement dans le secteur agricole des pays en voie de développement.Mais l’évaluation de la contribution à ces objectifs des projets qu’elles financent reste problématique. Deux principes sont promus par les agences de coopération :
les entreprises doivent respecter au minimum certains principes, comme les « standards de performance environnementale et sociale » de la SFI (Société Financière Internationale, bras financier de la Banque mondiale), largement repris par les agences de développement nationales ;
les entreprises se doivent d’être « socialement responsables ». Plutôt que de leur imposer un cadre législatif contraignant, on leur demande d’améliorer volontairement leurs pratiques. Plusieurs démarches fondées sur la responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) ont été définies : norme ISO 26000, Pacte mondial des Nations Unies, codes de bonne conduite, etc.
Ces démarches établissent les requêtes que les projets doivent satisfaire pour supprimer ou atténuer leurs impacts négatifs (sur les Droits de l’Homme, la sécurité alimentaire, la qualité de l’eau, etc.) ou pour apporter aux victimes de « justes » compensations. Si les standards de la SFI représentent des conditionnalités à l’octroi de prêts, le respect du deuxième groupe de démarches mentionnées est soumis à la bonne volonté des entreprises.
Au-delà des analyses d’impact environnemental et social, les critères utilisés par les États et les institutions financières pour appuyer des projets d’investissement concernent surtout leur faisabilité financière. Il peut s’agir de garantir la disponibilité de capital et la rentabilité financière du projet. L’idée implicite est qu’un investissement rentable pour l’entrepreneur ne peut qu’engendrer de la croissance économique et contribuer ainsi aux objectifs de développement du pays.
Néanmoins, les avantages et les inconvénients d’un projet peuvent être très différents selon que l’on se place du point de vue de chacun des différents agents économiques (l’investisseur, les populations locales, les opérateurs amont et aval des filières concernées, etc.) ou du point de vue de la société toute entière (la collectivité nationale par exemple). Dans ce sens, les Directives Volontaires de la FAO nous invitent à envisager une analyse économique des grands investissements à emprise foncière qui prenne en compte toutes les externalités et le coût d’opportunité des ressources engagées.
Plusieurs méthodes d’évaluation de projets mesurant leur efficacité à satisfaire des objectifs d’intérêt général existent. Précisons les notions clés sur lesquelles elles reposent.
Comment évaluer un projet agricole du point de vue de la société dans son ensemble ?
L’intérêt général : une notion clé dans l’évaluation économique
Au sein de la société, les intérêts des différentes catégories sociales sont souvent contradictoires, parfois incompatibles. Il est du ressort de l’État de fixer les choix en matière de développement qui s’ajustent le mieux à l’intérêt du plus grand nombre. En ce sens, la décision sur ce qui est de l’intérêt général peut être considérée plus légitime lorsqu’elle relève de gouvernements démocratiques.
Bien entendu, en absence de mécanismes permettant une meilleure participation des citoyens (dont ceux relevant des couches sociales les plus vulnérables), cette conception de l’intérêt général peut sembler étroite. Néanmoins, elle permet une première approche des effets des projets au-delà de ceux qui se réfèrent à certaines catégories d’agents.
Parmi les objectifs définis par les États au nom de l’intérêt général, on peut trouver, entre autres, la croissance économique, la création d’emplois, l’amélioration de la qualité de vie des citoyens, la sécurité alimentaire ou la gestion durable des ressources naturelles.
Des avantages et des inconvénients à identifier
Ce qui suppose un avantage (ou un inconvénient) d’un projet de développement pour un agent économique donné peut ne pas l’être pour la collectivité dans son ensemble. Ainsi, par exemple :
une subvention à l’équipement allouée à un entrepreneur constitue un avantage pour celui-ci. Or, pour la collectivité (nationale par exemple) il n’est ni avantage ni inconvénient, mais représente un transfert de ressources entre agents économiques ;
la réalisation du projet peut s’accompagner d’externalités environnementales négatives qui ne représentent pas forcément un inconvénient pour l’entrepreneur mais sont un problème pour la société dans son ensemble.
Les effets directs, indirects et induits des projets
L’évaluation économique d’un projet passe par dresser la liste de ses effets. Si les effets sur les agents directement concernés peuvent être facilement identifiés, ceux qui résultent de la nouvelle situation créée par le projet et qui portent sur d’autres secteurs de la collectivité sont plus difficiles à prévoir. À ce titre, une bonne connaissance des processus de transformation de l’agriculture propres à des contextes géographiques différents peut être très utile.
À partir de l’exemple d’une plantation de café de 200 hectares établie par un investisseur privé bénéficiaire d’une concession forestière en Éthiopie, découvrons quelles catégories d’effets peuvent résulter de la mise en oeuvre d’un projet. Avant la mise en place de la plantation de café, les agriculteurs qui habitent et cultivent en céréales les clairières adjacentes, accédaient à la forêt pour de nombreux usages. Le fonctionnement de leurs unités de production est très lié à la possibilité d’accéder aux espaces forestiers : ils y affouragent leurs bêtes dont la fumure fertilise les parcelles cultivées et ils s’y procurent du bois pour confectionner leurs outils. Ils y obtiennent aussi des revenus directs (collecte d’épices et production de miel vendus localement). Enfin, ils y établissent de petites caféières et ils en défrichent des parties pour élargir les surfaces en culture attelée lorsque la population vient à augmenter. La plantation emploie des journaliers de septembre à décembre pour les désherbages et la récolte. Cependant, ce travail journalier est incompatible avec le calendrier de travail des cultures vivrières des paysans locaux. Ce sont donc des saisonniers des régions voisines qui sont embauchés. (Voir plus haut l’encadré « Effets directs, indirects et induits ».)
Comparer les situations « avec » et « sans » projet
Une fois listés tous les effets prévisibles du projet, on quantifie leur valeur monétaire. Il s’agit d’obtenir le différentiel de toutes les valeurs gagnées et perdues dans la situation « avec projet » avec celles engagées dans la situation « sans projet ». Les situations « avec » et « sans » projet ne doivent pas être confondues avec les situations « avant » et « après » projet. En effet, la prise en considération des situations avant et après projet dans le cadre d’une évaluation économique reviendrait à faire l’hypothèse, peu réaliste, que la situation observable avant la mise en oeuvre du projet n’évoluerait pas si le projet n’avait pas lieu. Dans le cadre d’une évaluation ex ante, il est nécessaire de construire un scénario « sans projet » dont l’exactitude repose sur un travail d’analyse des évolutions probables de l’agriculture dans la région concernée par le projet, dans le cas où celui-ci n’aurait pas lieu. Revenons à l’exemple précédent afin d’illustrer cela :
Des méthodes pour évaluer la contribution d’un projet à l’intérêt général
Considérer la valeur réelle des avantages et des coûts pour la collectivité…
Deux grandes méthodes d’évaluation économique permettent d’estimer la contribution d’un projet à l’augmentation de la richesse disponible pour la société dans son ensemble. L’une comme l’autre reprennent les notions clés que nous venons d’expliciter. La méthode des « prix de référence » s’attache à mesurer le bénéfice apporté à une collectivité en mesurant l’accroissement du revenu net qui lui est associé. Pour cela, il est nécessaire d’appliquer des prix théoriques aux biens produits et aux moyens de production consommés, qui reflètent mieux leur valeur du point de vue de la collectivité que les prix de marché. Propagée par la Banque mondiale, cette méthode a été beaucoup utilisée dans les années 1970-1980.
… et mettre en évidence ses effets sur la redistribution des revenus
Afin de s’intéresser aussi aux effets de redistribution qui résultent des projets, une autre méthode a été mise au point à la même époque par des chercheurs français liés aux institutions de coopération. L’évaluation économique par la méthode « des effets » regarde comment la valeur ajoutée supplémentaire associée au projet évalué se répartit au niveau des différentes catégories d’agents économiques et quels sont les effets du projet sur le budget de l’état et la balance de paiements. L’évaluation économique par cette méthode permet en même temps de connaître le supplément (ou la diminution) des revenus que chaque agent économique peut attendre du fait de la mise en oeuvre du projet. Cela présente un grand intérêt dans le contexte d’aggravation des inégalités de revenus que l’on constate très souvent aujourd’hui, en contradiction avec le discours dominant de lutte contre la pauvreté.
Des outils d’aide à la décision
Courantes dans les années 1990, ces méthodes ont été laissées de côté au profit d’évaluations ex-post par résultats des projets publics et par la mise en place de pratiques de sauvegarde dans le cas des projets d’entreprises privées. Ces dernières, plus rapides et moins coûteuses, ne mettent pas en lumière les effets du projet à l’échelle de la collectivité, ni la nouvelle répartition des richesses qui résulte du projet.
Ainsi, il est difficile de savoir quelle est finalement la contribution réelle des projets mis en oeuvre et, en particulier, s’ils ne sont pas parfois plus coûteux pour la collectivité que ce qu’ils ne lui rapportent. En revanche, l’évaluation économique permet de répondre à ces questions.
Dans un contexte de désengagement des États et de réduction budgétaire de l’aide extérieure, l’évaluation économique des grands programmes et projets de développement permet d’éclairer utilement les décideurs.
Le document peut être téléchargé sur cette page à partir du site du Comité technique Foncier et Développement. Pour cela, cliquez sur le lien ci dessous.
DUFUMIER, 1996, Les projets de développement agricole. Manuel d’expertise, Paris, CTA-Karthala.
CTFD, Guide d’analyse ex-ante des projets d’investissement agricole à emprise foncière, Paris, AFD.