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Rédigé par : Joseph Comby
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), LandNet West Africa, Le Hub Rural - Appui au développement rural en Afrique de l’Ouest et du Centre (Le Hub Rural), Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF), Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Type de document : Article / document de vulgarisation
L’impôt annuel sur les terres est l’un des impôts les plus anciens et les plus simples qui soient. Il a pourtant été longtemps négligé dans les pays ouest-africains où la propriété reste considérée comme un privilège. Cette fiche donne donc à réfléchir sur un sujet encore tabou. Contrairement aux idées reçues, la mise en place d’un impôt foncier annuel sommaire peut se faire sans cadastre, ni informatique, comme de multiples exemples le prouvent. Certaines précautions sociales doivent, certes, être prises mais, outre les ressources qu’il procure aux budgets locaux, il contrarie la rétention stérile de terrains inutilisés et il contribue, sur la durée, à la sécurisation des droits fonciers des producteurs ou des habitants car il leur fournit, de fait, des preuves écrites d’occupation.
Un impôt vieux comme l’agriculture…
La taxation annuelle des terres agricoles est l’un des impôts les plus anciens et les plus simples qui soit. Il a 4 000 ans d’existence en Égypte ou en Irak, et c’est lui qui a financé la construction des états européens. L’impôt sur les sols urbains est apparu dans un deuxième temps, mais son produit a progressivement dépassé le premier, au fur et à mesure que la création de richesses se déplaçait des campagnes vers les villes.
L’absence actuelle d’impôt foncier, en particulier d’impôt foncier agricole, dans beaucoup de pays du Sud dont les ressources fiscales sont pourtant très insuffisantes, est une anomalie historique qui s’explique par la combinaison de deux facteurs :
dans ces pays, l’alimentation des villes repose souvent davantage sur des importations étrangères que sur la production paysanne qui est autoconsommée et dégage peu de revenus monétaires ;
leurs économies reposent surtout sur l’exportation de ressources primaires facile à taxer (dans l’étroite limite de ce qu’autorise la compétition sur les matières premières).
… à ne pas confondre avec la taxation des mutations
Taxes foncières, redevances de voirie, impôts sur la propriété, contributions immobilières, droits d’enregistrement, etc. : les dénominations sont nombreuses, mais se ramènent toutes à deux grands types de prélèvements :
les taxations annuelles : impôts, prélèvements, droits, redevances, contributions et taxes prélevées chaque année sur les propriétaires et/ ou les occupants des terrains et/ou des bâtiments ;
les taxations occasionnelles prélevées à l’occasion des mutations (ventes, donations, successions, partages) ou des procédures de régularisation foncière ou des autorisations d’urbanisme.
Leur seul point commun est d’alimenter les budgets publics. Pour le reste, ils ont des effets économiques et sociaux diamétralement opposés. Au- tant les premiers (les seuls traités dans cette fiche) ont un effet positif, autant l’effet des seconds est souvent contre- productif :
les prélèvements annuels incitent à mettre en valeur les terrains (et les autres biens immobiliers) : celui qui ne cultive pas sa terre et qui doit payer une taxe chaque année pour la conserver finira par la vendre ou la louer à quelqu’un qui saura lui faire produire quelque chose. De la même façon, le grand nombre de parcelles viabilisées vacantes dans certaines villes du Sud ne s’explique que par la gratuité de leur détention ;
les prélèvements occasionnels incitent à éviter, autant que faire se peut, chacune des occasions de prélèvement : éviter de vendre ou, au moins, éviter de déclarer la vente (ou la location), éviter de demander une autorisation de construire, éviter de clore une succession ou de sortir d’une indivision, éviter de déclarer un déboisement, un forage, etc.
Taxer le propriétaire ou taxer l’occupant ?
Théoriquement, dans la mesure où le loyer du terrain est librement négocié entre le propriétaire et le locataire le plus offrant, il est indifférent de taxer le propriétaire (qu’il exploite lui-même ou non son terrain), ou l’occupant (présumé locataire). Dans les deux cas, la charge de l’impôt va finalement peser sur le propriétaire, au moins sous forme de manque à gagner (il ne pourra pas réclamer un loyer aussi élevé si le locataire paie déjà une taxe). En langage économique, on dit alors que la rente foncière est partagée entre le loyer versé au propriétaire et l’impôt versé à la collectivité publique.
C’est donc pour des raisons de commodité administrative que l’on choisit de taxer soit le propriétaire soit l’occupant :
dans les pays où le processus d’enregistrement des mutations foncières est rigoureux et où la liste des propriétaires de chaque localité est tenue à jour, il est plus commode de taxer les propriétaires car il sera possible de récupérer les taxes impayées lors de la prochaine mutation, voire de saisir le bien et de le mettre en vente pour récupérer les impayés ;
au contraire, dans un pays où les processus d’appropriation et de mutation des biens fonciers sont encore incertains, il est beaucoup plus simple de s’en tenir à une taxation de l’occupant apparent avec comme outil de contrainte la seule saisie des biens meubles et des récoltes qui se trouvent en possession de cet occupant.
Dans les pays du Sud, une taxation de l’occupant apparent est donc l’option la plus commode et la plus efficace. L’impôt foncier y acquiert au passage une vertu supplémentaire : il donne à l’occupant une preuve annuelle de son occupation qui jouera en sa faveur dans les processus de reconnaissance des droits fonciers.
De l’impôt sur le terrain à l’impôt sur le capital
Selon les pays et les époques, les impôts sur les terres agricoles et les terrains urbains sont distincts ou sont confondus. Ils peuvent également constituer un système fiscal unique, incluant la taxation de l’ensemble des biens immobiliers (cas de la property tax aux États-Unis). Ils peuvent même s’intégrer dans un impôt plus large, sur l’ensemble du capital détenu par un contribuable.
L’impôt sur les terres et les terrains étant le plus simple à mettre en œuvre, c’est évidemment par là qu’il faut commencer, sans que cela interdise les évolutions postérieures.
En milieu urbain se pose la question de la relation entre taxation des terrains et taxation des bâtiments. La solution française de taxation des terrains nus d’une part et des constructions avec leurs terrains d’assise d’autre part, ne s’explique que pour des raisons historiques, et conduit à des difficultés inutiles dans les villes du Sud où l’on cherche à l’appliquer.
Il serait plus simple d’avoir un impôt à taux unique sur l’ensemble des biens immobiliers, mais en gardant une double évaluation : d’un côté une évaluation forfaitaire du bâti par mètre carré de plancher, par type de construction et par quartier, de l’autre une évaluation forfaitaire des terrains nus par mètre carré par quartier. Ceci afin qu’aucun bien, même vétuste, ne soit imposé en dessous de sa valeur potentielle en tant que terrain nu constructible.
Impôt national ou impôt local?
L’impôt foncier a longtemps été un impôt national, prélevé par répartition: le produit attendu de l’impôt était réparti entre chaque province, puis dans celle-ci, chaque village avait à fournir une certaine somme. C’était à lui d’en répartir le montant entre les détenteurs au prorata de l’étendue et de la qualité des terres, sous la responsabilité d’un notable désigné, d’un conseil de village, d’un fonctionnaire, ou d’une combinaison des trois. Par la suite, une part de prélèvement y a souvent été ajoutée pour financer les dépenses collectives locales.
Aujourd’hui, à l’exception notable de l’État communiste chinois, l’impôt foncier semble partout devenu un impôt local. Car le foncier est la mieux localisée de toutes les richesses, tandis que les revenus (dont la localisation n’est pas évidente) et la circulation des marchandises sont plus facilement taxés à l’échelon national.
On notera au passage que le fondement de la démocratie locale a souvent été lié à la conquête de l’autogestion de l’impôt foncier et que la vie politique communale tourne encore principalement sur la discussion du montant d’impôt à prélever pour financer des biens communs. Sans liberté de lever l’impôt, la démocratie locale est amputée.
L’impôt foncier est également celui qui se prête le moins à la fraude fiscale et qui assure la meilleure égalité devant l’impôt, surtout si la liste des contribuables et des montants est publique.
Baser la taxe sur la valeur vénale ou sur la valeur locative ?
Théoriquement, dans une économie de marché, les deux solutions sont équivalentes car la valeur locative (le loyer auquel le terrain peut être loué) tend à être proportionnelle à la valeur vénale (le prix auquel le terrain peut être vendu) : le taux changera mais le produit de la taxe sera identique.
C’est pour des raisons historiques que les pays européens ont des taxes foncières basées sur les valeurs locatives car à l’époque de la création de ces taxes, les ventes de terres étaient rares alors que les mises en location étaient fréquentes et le montant des loyers mieux connu. Dans des pays comme le Canada, les États Unis ou l’Australie qui n’ont pas connu les grands propriétaires bailleurs, l’impôt foncier est toujours basé sur les valeurs vénales.
Cette seconde solution est préférable dans la plupart des pays du Sud où les actes de location sont rares et incertains.
Évaluations forfaitaires ou évaluations au cas par cas ?
Seuls les pays qui attendent un produit élevé de leur fiscalité foncière procèdent à des évaluations individualisées de chaque bien immobilier (par
exemple, tous les biens sont réévalués tous les trois ans au Québec où l’impôt foncier est très lourd). Partout ailleurs, on procède à des évaluations de masse, c’est-à-dire à un simple classement des biens par type et par zone, avec adoption d’un tarif forfaitaire au mètre carré des bases imposables, par type et par zone.
Une vieille méthode classique consiste, dans un secteur géographique donné, à choisir pour chaque type de terre ou de bâtiment, un exemple représenta- tif dont on connaît la valeur; puis une commission (ou un expert, ou les deux) classe tous les autres biens du secteur selon leur plus ou moins grande ressemblance avec les exemples retenus.
Un cadastre est-il nécessaire ?
À l’origine, le « cadastre » est une simple liste de contribuables. C’est pour répartir de manière plus équitable la charge de l’impôt qu’est apparu le plan cadastral au XVIIIe siècle. Jusque-là, on s’était partout contenté de dresser la liste des contribuables de chaque localité avec la surface approximative qu’ils détiennent, souvent exprimée en nombre de journées de travail nécessaire à sa culture. En France, les principes de la fiscalité foncière ont été fixés en 1791 alors que la première génération de plans cadastraux n’a été achevée que soixante ans plus tard.
Aujourd’hui, un travail d’une telle ampleur ne se justifie plus. De simples photographies aériennes ou satellitaires suffisent pour repérer les terrains et évaluer leurs tailles approximatives. Au Bénin, le registre foncier urbain, souvent cité en modèle, a ainsi commencé à Cotonou, par le report à main levée des terrains sur un simple plan de la ville. Les travaux de levés topographiques menés par la suite, ont été coûteux et n’ont en définitif rien apporté de plus quant à l’efficacité fiscale du système.
En milieu urbain, un simple système d’adressage, tel que proposé par la Banque mondiale, considérablement moins couteux qu’un plan cadastral, suffit à baser un impôt foncier sommaire sur la base d’une identification visuelle et aérienne des biens à chaque adresse. Il est absurde que le coût de la précision supplémentaire obtenue par un levé topographique soit supérieur au supplément de produit fiscal obtenu. Dans un pays pauvre, on est, la plupart du temps, loin du compte. En outre, sans un système rigoureux de mise à jour, le cadastre le plus parfait devient vite obsolète et inutile.
Quel est le niveau optimal d’une taxation annuelle ? Quels taux pratiquer ?
La limite inférieure de l’impôt foncier doit être fixée en fonction des coûts de sa perception. Il ne serait pas raisonnable de percevoir un impôt qui ne produise pas une recette au moins égale, par exemple, au double du coût total de ses frais de perception. Un taux de frais administratifs de l’ordre de 10 % du produit fiscal est considéré comme admissible.
La limite supérieure ne dépend, elle, que des capacités contributives que le bien pourrait procurer au contribuable s’il était rentabilisé au mieux.
Lorsque la limite supérieure ainsi définie risque d’être moins élevée que la limite inférieure, cela signifie qu’il faut renoncer à étendre la perception de l’impôt au secteur considéré. Dans les pays du Sud, cela peut correspondre à de vastes espaces ruraux vivant en marge de l’économie de marché.
En pratique, un taux de l’ordre de 1% des valeurs vénales potentielles réelles est acceptable dès lors que l’on est dans un secteur géographique où, de fait (sinon de droit), un marché foncier existe déjà.
Le rôle de l’impôt foncier dans la sécurisation foncière
L’impôt foncier annuel a un rôle positif dans les processus de sécurisation des droits fonciers :
il introduit l’idée que la propriété, avant d’être source de privilèges, est d’abord créatrice d’obligations ;
il décourage beaucoup de revendications abusives de reconnaissance de propriété (personne n’ira corrompre un fonctionnaire pour avoir le droit de payer l’impôt) ;
il conduit de facto à recenser les occupants des terrains et à leur fournir des preuves d’occupation de bonne foi (récépissés des versements annuels).
Faut-il différer la taxation des valorisations ?
Beaucoup de pays développés introduisent un facteur incitatif dans leur fiscalité foncière en prévoyant des durées plus ou moins longues d’exemption d’impôt en cas de constructions nouvelles, de travaux d’irrigation ou de drainage, de viabilisations nouvelles, etc. afin de favoriser l’investissement.
Complexes à gérer, ces dispositifs sont à déconseiller car ils sont mal adaptés à des pays ne disposant pas de systèmes administratifs performants. Ils risquent de n’être alors que la porte ouverte à la corruption.
Les risques politiques et sociaux
Presque toujours efficace sur le plan économique, l’impôt foncier est par- fois difficile à gérer politiquement car il est moins indolore qu’un impôt indirect ou des taxes douanières. Il convient donc de l’implanter progressivement, en commençant par les territoires les plus riches et en appliquant des taux modestes qui augmenteront ensuite, de façon pragmatique, en fonction des résultats obtenus. Il faut surtout faire mieux accepter le système par la population en la rendant maîtresse des utilisations qui seront faites des produits fiscaux, à travers des procédures participatives (cf. Amérique latine).
L’impôt foncier présente également des risques sociaux. L’introduction brutale d’un impôt sur les terres, dans une région dominée par une économie paysanne sous-monétarisée, ne peut avoir pour effet que d’en chasser la population pauvre au profit d’entreprises.
La prudence et la justice sociale peuvent alors conduire à introduire une dose de progressivité dans l’impôt foncier, en décidant que les X premiers m2 de terres cultivés par une famille ne sont pas imposables, idem pour les logements, afin que la partie la plus pauvre des ruraux comme des urbains n’aient rien à payer.
On remarquera qu’à l’inverse de l’impôt foncier annuel, l’impôt sur les ventes tend, au contraire, à produire de l’insécurité juridique, particulière- ment dans les pays pauvres où les acteurs auront toujours tendance à reporter à plus tard l’enregistrement d’une mutation afin d’échapper aux taxes.
ctf_comby_impot-foncier_fr.pdf (170 Kio)