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Rédigé par : Michel Merlet
Date de rédaction :
Organismes : Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de Développement (IRAM), Réseau Agriculture Paysanne et Modernisation (APM), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type de document : Étude / travail de recherche
Merlet, Michel. Cahier de propositions. Politiques foncières et réformes agraires. Octobre 2012. Réseaux APM,IRAM. 130 p.
Si les réformes agraires sont souvent incontournables une fois que la polarisation de la structure agraire est devenue très forte, elles ne peuvent de toute évidence constituer un mécanisme permanent d’intervention, du fait de leur coût économique et politique.
Ce sont d’autres types de politiques foncières, des politiques de régulation permanente des marchés fonciers visant à optimiser la distribution des ressources foncières dans la durée et à empêcher des processus indésirables de concentration73 qui sont nécessaires. Ces politiques foncières doivent aussi permettre à la structure agraire d’évoluer, en rendant possible la modernisation des exploitations familiales.
Ce type de politiques a été déterminant dans la plupart des pays développés, en particulier en Europe occidentale. Alors qu’il y a quelques années, les trajectoires historiques des pays développés constituaient souvent des références obligatoires pour qui s’interrogeait sur les processus de développement dans les pays en voie de développement74, elles ont été aujourd’hui effacées de la plupart des textes de référence des économistes travaillant pour les organismes internationaux ou la coopération75. Le dogme néolibéral a pénétré si puissamment les esprits que parler de régulation des marchés tient aujourd’hui du blasphème. Même au sein de la communauté européenne, très peu sont les voix qui s’élèvent pour revendiquer l’intérêt de politiques foncières qui ont pourtant grandement contribué à y créer les conditions pour le développement économique.
Ces politiques peuvent être de différentes natures:
des interventions correctives sur les marchés fonciers. L’exemple des SAFER en France fait l’objet d’une fiche spécifique dans le tome 2 du cahier76.
le remembrement, c’est à dire la recomposition du parcellaire qui permet de regrouper les champs divisés génération après génération et devenus trop petits ou trop étroits pour permettre l’utilisation des moyens techniques modernes. Le remembrement exige, pour pouvoir être réalisé à un coût raisonnable et sans trop de problèmes juridiques, une très forte participation des producteurs qui doivent se mettre d’accord pour réaliser à l’amiable les échanges de parcelles permettant la constitution d’exploitations viables.
des interventions sur les autres marchés et en particulier le marché financier. La plus importante et la plus directement liée à notre sujet est le crédit foncier, qui constitue un complément indispensable à la plupart des mécanismes destinés à décloisonner les marchés fonciers. En l’absence de mécanismes de financement accessibles aux paysans, la terre mise en vente peut seulement être achetée par les plus aisés et par les gros propriétaires terriens, d’où une tendance à la concentration de la propriété77
une politique fiscale intégrant des impôts fonciers, qui constituent in fine la seule manière de pouvoir compenser les effets de rente
une réglementation des héritages, ou des régimes fiscaux incitatifs qui les orientent vers un seul bénéficiaire78
un ensemble d’aides spécifiques liées à une politique des structures, installation des jeunes agriculteurs, retraite anticipée des exploitants âgés, mais ces mesures impliquent que l’Etat dispose de moyens pour mener une telle politique
ou même autorisation de produire en conformité avec une politique des structures.
Il ne faut pas non plus oublier les politiques liées aux formes de faire valoir indirect dont nous avons déjà parlé en abordant la sécurisation des droits des producteurs (réglementation du fermage, que l’on retrouve dans la plupart des pays européens).
La séparation de l’exploitation et de la propriété peut constituer une autre manière de gérer le foncier en corrigeant les problèmes liés aux transferts de la terre d’une génération à une autre.79
Enfin, des appuis aux régions défavorisées sont presque toujours nécessaires pour atteindre un développement homogène sur le territoire d’un pays. En ce sens, l’exemple des Pays Bas est particulièrement instructif. Ce pays, qui dispose d’un système de gestion du foncier dans lequel l’Etat intervient de façon importante au côté des organisations professionnelles, a maintenu jusqu’à il y a très peu de temps un système de prix régionaux destiné à compenser les inégalités de productivité régionales et son agriculture est devenue l’une des plus productive d’Europe.80
Si ces politiques ont été surtout le fait des pays développés, elles sont aussi importantes pour les pays en voie de développement. L’Albanie, après une redistribution des terres aussi radicale que l’avait été la collectivisation, a de toute évidence besoin aujourd’hui d’une politique des structures81. La politique des structures est aussi fondamentale dans les autres pays du pourtour méditerranéen.82
Au Brésil, un certain nombre de politiques proches ont commencé à être appliquées avec la participation de la puissante organisation paysanne CONTAG (Confederação Nacional dos Trabalhadores na Agricultura, Brasil) et de l’Etat. Ils comprennent entre autres composantes la mise en place de mécanismes de crédit foncier85. Ces projets qui ont bénéficié d’appuis de la part de la Banque Mondiale, ont été présentés comme des projets de substitution à la réforme agraire, ce que nous avons décrit comme «réforme agraire assistée par le marché». Ils permettent sans doute aux organisations paysannes d’acquérir une expérience nouvelle fort utile dans le domaine des politiques foncières, mais ne remplaceront en rien la réforme agraire.86
Ces politiques de régulation des marchés et de structures ne sont pas exemptes de défauts. Elles peuvent donner lieu à des problèmes de corruption, à des manipulations de diverses natures. Le contexte européen a sans nul doute été favorable à leur mise en place, du fait de l’histoire agraire spécifique du continent, et parce que le plus souvent, c’est sur la base de systèmes de cogestion entre l’Etat et les organisations paysannes que la régulation s’est mise en place.
Mais, par delà ces limites, ces politiques n’en restent pas moins essentielles quand un pays dans lequel la production familiale est importante ne dispose plus de terres vierges susceptibles d’être mises en valeur. Mais alors, un certain nombre de conditions sont nécessaires pour qu’elles puissent s’appliquer:
sans organisations syndicales et professionnelles agricoles fortes, représentatives et démocratiques, c’est en général difficile, voire impossible.
sans une politique agricole cohérente qui protège les agricultures familiales des effets dramatiques de leur mise en concurrence avec des agricultures produisant, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’efficacité économique, à des coûts incomparablement plus bas, c’est également impossible.
73 qui amèneraient à avoir à réaliser plus tard une réforme agraire !
74 Voir dans la partie 2 du cahier la fiche # 5. Taiwan. Un exemple où réforme agraire, politique agricole et développement économique sont en cohérence. (C. Servolin, à partir de E. Thorbecke). Voir aussi MERLET, M. L’optimisation de l’utilisation des ressources foncières: une question stratégique de gouvernance, qui n’est plus seulement nationale, mais aussi locale, et mondiale. dans « Un agronome dans son siècle. Actualité de René Dumont. » Karthala, Juin 2002.
75 Rien par exemple sur ce sujet dans le texte introductif, la conférence électronique au niveau mondial impulsée par la Banque Mondiale en mars 2001 sur les politiques foncières (mis à part les deux contributions de O. Delahaye et M. Merlet), ni dans ses conclusions. Voir Deininger, Land Policy and Administration: Lessons learned and new challenges for the Bank’s development agenda. Preliminar Draft. 2001. et Land institutions and land policy. Creating and sustaining synergies between state, community, and market. A policy research report. 2001. Banque Mondiale.
76 Voir la fiche # 16. MERLET M. France. La SAFER, un mécanisme original de régulation des marchés fonciers par les organisations paysannes et l’Etat.
77 dont l’importance est le plus souvent supérieure aux divisions qui se produisent par les héritages.
78 comme en Angleterre.
79 Voir par exemple les Groupements Fonciers Agricoles en France, ainsi que la fiche # 17 de Jose BOVE sur la Société Civile des Terres du Larzac, en partie deux du cahier.
80 Voir la fiche # 15. S. DEVIENNE. Pays-bas : une politique agricole interventionniste visant à réduire les inégalités régionales.
81 Voir la fiche # 12. A. Civici. Albanie. Du collectivisme absolu à une parcellisation égalitariste radicale.
82 On pourra consulter à ce propos les différents articles du Cahier Options Méditerranéennes # 36 publié par l’Insitut Agronomique Méditerranéen, Montpellier 1996. Par exemple, Ohran Dogan et Bahri Cevik Les procédures du remembrement en Turquie. et des mêmes auteurs La politique d’aménagement des structures de production en Turquie. Négib Bouderbala. Le morcellement de la propriété et de l’exploitation agricole au Maroc.
83 A partir de HERNANDEZ, Maria-Isabel. Ejemplos de políticas de tierra en varios países de Europa occidental. España, Francia, Portugal, Italia, Dinamarca. RESAL. IRAM. Août 2001.
84 Voir fiche # 15. Partie Deux.
85 Voir Reforma agrária, desenvolvimento e participação: uma discussão das transformações necessárias e possíveis. Antônio Márcio Buainain José Maria da Silveira Edson Teófilo (NEAD).
86 Leur mise en application a eu pour conséquence négative d’augmenter les tensions entre organisations paysannes, en susciter une très vive opposition de la part d’autres organisations comme le Mouvement des Sans Terres (MST) qui craignent qu’ils ne fassent que dévier l’attention sur l’urgence et la nécessité de la réforme agraire au Brésil.