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Cahier de propositions POLITIQUES FONCIERES ET REFORMES AGRAIRES. Partie I. Comment garantir un accès à la terre conforme à l’intérêt de la majorité de la population ? (2/5) Le marché peut-il assurer seul une distribution optimale du foncier ?

Documents sources

Merlet, Michel. Cahier de propositions. Politiques foncières et réformes agraires. Octobre 2012. Réseaux APM,IRAM. 130 p.

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2. Le marché peut-il assurer seul une distribution optimale du foncier ?

On constate en relisant l’histoire agraire de la plupart des régions du monde que l’évolution des marchés mène très souvent à des phénomènes de concentration du foncier. Lorsqu’elle est élevée, cette concentration devient un grave obstacle au développement économique, à la fois du fait de la faible productivité de la grande production et parce qu’elle réduit au minimum le pouvoir d’achat de la plupart de la population.

Si les petites exploitations sont les plus efficaces, pourquoi l’évolution du marché ne les favorise-t-elle pas ? C’est la question que Binswanger, Deininger, et Feder se posent dans leur travail60. Ils y répondent en affirmant que non seulement les marchés fonciers sont imparfaits, mais aussi les autres marchés, de capital, des biens de production et ils analysent les multiples interventions des Etats qui ont d’une façon ou d’une autre favorisé la grande production.

Nous avons vu en introduction que le fonctionnement imparfait des marchés fonciers est en quelque sorte inhérent à la nature même de ce bien si particulier qu’est la terre. Améliorer le fonctionnement des marchés dans ces conditions peut être utile, mais ne saurait en aucun cas être suffisant. D’autres types de mesures sont nécessaires. Nous examinerons successivement les politiques de colonisation, de réforme agraire, et d’intervention sur les marchés fonciers.

Depuis quelques années, la dynamique des marchés fonciers a pris des dimensions nouvelles avec la mise en concurrence d’agricultures aux niveaux de compétitivité de plus en plus différents et la libéralisation des marchés mondiaux. De très grandes unités de production se sont développées dans les pays de l’Est de l’Europe, profitant de la privatisation des anciennes fermes d’Etat, d’un coût très faible de la main d’œuvre et des biotechnologies promues par quelques multinationales (voir la fiche # 11 sur la Pologne dans la partie deux de ce cahier). On retrouve des phénomènes semblables dans certains pays du Sud, par exemple en Argentine (voir encadré # 14).

Ces nouveaux latifundia n’ont plus rien à voir avec les grandes propriétés extensives d’autrefois. Ils donnent l’apparence d’une productivité très élevée, mais qui en vérité ne se fonde que sur des prix qui mènent à la ruine la majorité des agriculteurs des pays en développement et une grande partie de ceux de la plupart des régions développées. Cette productivité apparente est aussi obtenue grâce à des techniques qui mettent en danger les équilibres écologiques.

On ne peut plus aujourd’hui analyser les productivités relatives des agricultures sans se référer aux effets de la mondialisation sur les prix mondiaux61. On ne peut pas non plus continuer à raisonner les mécanismes de correction que sont les réformes agraires de la même façon qu’autrefois.

Encadré # 14 Nouvelles modalités de concentration foncière en Argentine (a partir de Jorge Eduardo Rulli, avril 2002)62

La crise argentine actuelle est totale et alors que les fondements même de notre identité s’effondrent, les véritables causes de ce désastre restent dans l’ombre.

Le modèle rural qui nous a été imposé est un modèle d’exportation de marchandises ("commodities"), de concentration de la terre et d’exclusion des populations.

20 millions d’hectares des meilleures terres agricoles sont aujourd’hui aux mains de pas plus de 2.000 entreprises. C’est dans les années 90 que s’est produit le plus important transfert de l’exploitation des terres de l’histoire du pays, avec le remplacement de la vieille oligarchie par une nouvelle classe d’entrepreneurs. 300.000 producteurs ont été expulsés et plus de 13 millions d’hectares ont été saisis à cause de dettes impayables.

Il faut ajouter à cette catastrophe sociale l’immigration massive des ouvriers agricoles. Dans le Chaco, une machine remplace 500 ouvriers. Les propriétaires ruinés louent leurs terres aux grands entrepreneurs, qui utilisent les nouveaux paquets technologiques incorporant les sojas transgeniques et les herbicides de Monsanto.

Le paysage est transformé, avec la mise en place d’une agriculture sans agriculteurs. On dénombre plus de 500 villages abandonnés. Notre pays ressemble à un laboratoire où on expérimenterait l’extinction de la vie rurale. Occupé par les transnationales des semences, Cargill, Nidera, Monsanto, il est devenu invivable et les désastres écologiques et climatiques se multiplient.

On a imaginé un système d’aides pour tenter de compenser les effets de ces transformations sur le niveau de vie de la population argentine, dont la moitié se trouve aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté: cinq millions de personnes ont faim. Mais le regard de la gauche urbaine ne dépasse pas les bidonvilles des périphéries des grandes villes. La machine à produire des pauvres continue de fonctionner sans être visible dans les campagnes.

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60 On pourra voir aussi sur ce thème la partie introductive du texte de CARTER Michael et MESBAH Dina State-Mandated and Market-Mediated Land Reform in Latin America, publié par la Banque Mondiale dans Including the Poor, Washington, 1993, (pp. 278-305).

61 voir Marcel Mazoyer, op cit. et le compte rendu de l’atelier IRAM sur les politiques foncières au Forum Social Mondial 2002. www.apm-monde.org ou www.iram-fr.org

62 Jorge Eduardo Rulli, Rel-Uita. Uruguay, avril 2002. La biotecnología y el modelo rural en los orígenes de la catástrofe argentina. www.rel-uita.org/