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Fonds documentaire dynamique sur la
gouvernance des ressources naturelles de la planète

Sécurisation et régulation foncières : des enjeux aux outils. Quelques obstacles à la cohérence des politiques

Résumé

En Afrique de l’Ouest, les réformes des politiques foncières sont à l’ordre du jour. Bien souvent, les discussions portent essentiellement sur les outils et les mécanismes de sécurisation et de régulation foncière. Il faut certes des outils, mais a-t-on suffisamment pris conscience qu’un même outil pouvait servir des enjeux bien différents selon la façon dont il était conçu mais aussi employé ? A-t-on suffisamment perçu la diversité des enjeux possibles d’une politique foncière ? Et que savons-nous des effets réels de ces outils sur ces différents enjeux ?

Dans de nombreux pays ouest africains, gouvernements, organisations de producteurs et de la société civile et experts réfléchissent à de nouvelles politiques, lois et règlementations pour redéfinir les modes d’accès à la terre et aux ressources naturelles, ainsi que les modalités de gestion, d’exploitation et d’appropriation des terres et des ressources naturelles. La réflexion est souvent centrée sur la recherche de l’outil miracle alors qu’il est nécessaire de définir d’abord précisément des orientations foncières, à partir desquelles on pourra ensuite identifier quels mécanismes de sécurisation et de régulation foncières sont les plus adaptés. Tout d’abord quelques mots sur ces notions de sécurisation et de régulation foncières.

Sécurisation, régulation et politique foncières

La sécurisation foncière est un ensemble de mesures et d’outils qui permet aux détenteurs de droits fonciers de jouir de ces droits et d’être protégés contre d’éventuelles contestations. Mais quels détenteurs et quels droits ? Là est toute la question. On peut en effet rechercher la sécurisation de tous les types de droits (d’autant plus que les droits locaux appliqués aux ressources naturelles et à la terre sont très diversifiés en Afrique de l’Ouest) ou juste de certains d’entre eux, de la même façon de tous les types de détenteurs de droits ou seulement de certains d’entre eux, de certains types d’espaces, de ressources ou d’activités. Le terme de sécurisation foncière est ainsi employé selon des visions différentes, qui peuvent même être contradictoires.

La régulation foncière est l’ensemble des mesures prises pour garantir le fonctionnement des systèmes fonciers ou pour contrôler ou corriger ce fonctionnement. Exemple : le développement du phénomène d’« accaparement » des terres n’était pas prévu lorsque les politiques foncières actuelles ont été définies. Beaucoup d’acteurs pensent qu’il faut réguler ce phénomène, c’est-à-dire élaborer de nouvelles règles qui permettront de le contrôler. L’ensemble de ces mesures est plus large que celles concernant spécifiquement les droits fonciers. Bien d’autres politiques influencent en réalité le foncier (politiques de décentralisation, politiques fiscales, environnementales et de gestion des ressources naturelles, d’aménagement du territoire, d’appui à l’investissement privé, etc.) et doivent être prises en compte lorsque l’on réfléchit à une modification des orientations politiques sur le foncier.

D’abord identifier les différents enjeux

De multiples enjeux motivent la mise en place des politiques liées au foncier, dont certains peuvent apparaître contradictoires, par exemple entre productivité, équité et durabilité. Il faut pourtant réussir à construire des politiques qui intègreront complémentairement les différents enjeux, auxquels s’ajoutent d’ailleurs des enjeux émergents, comme faciliter l’adaptabilité aux changements climatiques. Malheureusement, ces enjeux sont rarement explicités dans les débats sur le foncier. Or, débattre des enjeux et s’entendre sur leur diversité est indispensable pour deux raisons. D’une part, cela aide à mieux comprendre la complexité de la question foncière dans un contexte donné, en particulier les différents intérêts en présence et leur logique, ce qui permettra ensuite de mieux les rapprocher. D’autre part, cela est indispensable pour pouvoir choisir des outils et mesures qui correspondent mieux aux enjeux prioritaires partagés. Ce n’est toutefois pas chose simple, dans la mesure où chacun des acteurs concernés n’est porteur que d’une partie des enjeux. Ainsi, le responsable administratif d’une région pensera peut-être avant tout à la contribution de sa région à la production agricole du pays et à éviter de grands conflits fonciers violents ; le chef d’une petite exploitation familiale voudra peut-être avoir le droit de louer des terres pour augmenter ses superficies et valoriser sa main d’oeuvre familiale ; le chef d’une grande exploitation familiale désirera peut-être avoir la possibilité d’accéder au crédit ; un chef de village cherchera peut-être à préserver la paix sociale dans sa communauté et le système coutumier de gestion foncière ; un élu local aura peut-être pour enjeu majeur d’améliorer les recettes fiscales de sa collectivité, etc. « S’entendre sur les enjeux », c’est en définitive inciter chaque acteur à accepter les enjeux portés par les autres parties prenantes, afin de rechercher collectivement comment les concilier dans la définition des orientations politiques. Il est encore temps aujourd’hui de mettre en oeuvre cette démarche dans les différents pays ouest-africains.

Mais on oublie les enjeux et on se focalise sur les outils

Malheureusement, les enjeux sont rarement un sujet de débat dans les discussions sur les politiques foncières : les outils entrent souvent bien trop tôt dans les débats, avant que l’on se soit clairement entendu sur les enjeux. Il est très fréquent d’entendre par exemple : « ce qu’il nous faut, ce sont des titres de propriété » ou « on ne réglera pas le problème foncier dans ce pays tant qu’on n’aura pas de cadastre » ou encore « il faut décentraliser la gestion foncière ». Mais pour aboutir à quoi ? À une sécurisation de quels types de droits, de quels types d’acteurs, de quels types d’activités ? Un même type de mesure ou d’outil peut permettre d’atteindre des résultats opposés, selon la façon dont il est conçu et employé, et selon les autres mesures qui sont appliquées complémentairement. Réciproquement, on peut atteindre le même résultat avec des outils et des systèmes juridiques qui sont en apparence très différents. Ce qu’il est important de retenir ici, c’est qu’une mesure ou un outil de sécurisation ou de régulation foncière n’est pas une fin en soi et peut aboutir à des effets très différents selon la façon dont il est pensé et piloté. Ce qui est essentiel pour l’efficacité et l’équité d’une politique foncière est de passer suffisamment de temps au départ pour s’entendre précisément sur les différents enjeux avec toutes les parties prenantes, ce qui d’ailleurs peut aboutir à simplement adapter les politiques et les outils existants plutôt que d’en créer de nouveaux.

Les mesures et outils sont nombreux et diversifiés

C’est une bonne nouvelle mais une difficulté supplémentaire. Voici par exemple différents domaines sur lesquels, selon les outils, on peut agir, tout en se demandant : pourquoi voulons-nous agir particulièrement sur cela ? Quels impacts pense-t-on que cela peut avoir sur les enjeux fonciers prioritaires ? Cherche-t-on à reconnaître des règles ou des pratiques existantes ou bien à changer en profondeur ces éléments ?

  • Les niveaux de décision et de gestion foncière

  • L’identification / le recensement des droits ou des occupations

  • La formalisation de droits (lesquels ?)

  • Les modes d’accès au foncier et aux ressources naturelles

  • Les modes de transmission du foncier

  • La fiscalité foncière

  • Les règles domaniales

  • L’allocation du foncier entre acteurs

  • L’aménagement du territoire, l’occupation des sols

  • La structure des exploitations agricoles (tailles, configurations, distances)

  • La délimitation physique des espaces ou territoires

  • Les modes de gestion des conflits fonciers. Etc.

Pour chacun de ces champs, les mesures possibles sont nombreuses. Prenons un exemple avec le « champ » des transactions foncières :

  • des mesures et outils peuvent agir sur la formalisation des transactions foncières (ex. : mise à disposition en zone rurale de contrats-types pour les locations de parcelle) ;

  • d’autres peuvent limiter les différents types de transactions (ex. : autoriser ou non le métayage) ;

  • d’autres enfin peuvent réguler ce marché (ex. : fixer des normes sur le prix de vente des terres).

Les décisions se prennent à différents niveaux

De nombreuses politiques sectorielles touchent aux problématiques relatives à la terre et aux ressources naturelles. Or cet ensemble de politiques relève au niveau national de la responsabilité de nombreux départements ministériels et résulte également, notamment sous l’effet des processus d’intégration régionale et de décentralisation, de responsabilités situées à d’autres niveaux territoriaux : international, national, régional, local. Cette multiplicité des lieux de décision représente une contrainte forte à la nécessaire cohérence des orientations. Elle met en exergue toute l’importance des concertations entre les différents niveaux territoriaux, la nécessité de se baser sur une vision nationale et de pouvoir s’appuyer sur une très bonne coordination intersectorielle.

Les effets des mesures et outils sont très difficiles à prévoir

Selon leur nature et leur mode d’application, les mesures et outils peuvent profondément modifier les équilibres socio-économiques et environnementaux (équilibres et complémentarités entre activités, impacts environnementaux, accroissement et répartition des richesses, paix sociale, etc.). Or il est très difficile de prévoir leurs effets, d’autant plus qu’ils seront le résultats de la combinaison de différentes mesures, de leur niveau d’acceptation par les populations, de la façon dont elles seront appliquées et arbitrées par les différents niveaux de décision et de gestion, etc. De plus, un même outil peut servir à atteindre des objectifs opposés. Quelques exemples : l’élaboration d’une convention locale peut élargir la gamme des possibles en matière de modalités d’accès à la terre tout comme elle peut tendre à la réduire. Un outil comme le plan foncier rural peut être utilisé pour sécuriser les exploitations familiales ou faciliter l’installation de nouveaux investisseurs privés. La formalisation des transactions foncières peut dans certains cas favoriser les « propriétaires coutumiers », dans d’autres les exploitants. Enfin, un outil ou une mesure peut engendrer des effets sur le terrain avant même d’être mis en oeuvre : les populations, apprenant qu’un outil va être utilisé sans en maîtriser les conséquences, peuvent développer, par anticipation, des stratégies de limitation des risques. De nombreux cas ont ainsi été observés dans le cadre du projet Plan Foncier rural ivoirien dans les années 1990.

En conclusion, reconnaître que l’outil n’est pas la solution miracle pour une politique foncière souligne la difficulté à construire une politique publique efficace. Il existe néanmoins des méthodes pour essayer de les surmonter. Ainsi, pour aider les acteurs à s’entendre précisément sur les enjeux d’une politique foncière, des démarches participatives « multi-niveaux » ont été mises au point. Leur objectif est de favoriser une intégration par chacun des acteurs des enjeux portés par les autres, pour parvenir ensuite ensemble à la définition de mécanismes opérationnels de sécurisation et de régulation foncières. Ces démarches sous-entendent que la meilleure voie pour obtenir des politiques foncières efficaces est d’associer les différents acteurs de la politique publique : usagers (en tenant compte de leur grande diversité), élus locaux, représentants de la société civile, chefferies coutumières, experts, services techniques et administrations centrales et déconcentrées… Cependant, elles nécessitent d’être mises en oeuvre sous une forme suffisamment complète pour permettre des débats inclusifs (ne pas exclure certaines catégories d’acteurs), informés (permettre à tous les groupes d’acteurs d’atteindre un seuil minimum d’informations sur le sujet) et équilibrés (éviter qu’un groupe d’acteur ne nuise à la pleine participation des autres). D’énormes progrès ont été réalisés dans ce sens depuis une dizaine d’années et doivent être mieux diffusés et acceptés par les responsables des politiques publiques.

Bibliographie

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