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Contexte géographique et historique de la région étudiée: la partie Nord de la plaine occidentale de Chinandega
Rédigé par : Camille Jahel
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), AgroParisTech, Comité technique « Foncier et développement » (CTFD), University of Antwerp, Universidad Centroamericana UCA de Nicaragua (UCA)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Jahel, Camille. Concentration des ressources et mutations du système agraire dans une zone historiquement agro-exportatrice du Nicaragua. Analyse diagnostic dans la région de Chinandega.
Mémoire de stage de fin d’études Université Paris X - AgroParisTech. Septembre 2013. Stage suivi par Pierre Merlet et co-financé par le Comité Technique Foncier et Développement (AFD, France).
L’article est issu du travail réalisé en 2013 au cours d’un stage de Master Recherche (Dynamiques comparées des développements - Université Paris X – Nanterre) au sein d’AGTER et avec l’Université Centroaméricaine de Managua (UCA), suivi par Pierre Merlet (AGTER et Université d’Anvers) et Hubert Cochet (AgroParisTech).
Ce document a été produit avec l’appui du projet mobilisateur « Appui à l’élaboration des politiques foncières » piloté par le Comité Technique Foncier et Développement (www.foncier-developpement.fr). Son contenu n’engage que ses auteurs et ne reflète pas la position de l’administration française ni celle du Comité Technique « Foncier et Développement ».
Le contexte : brève présentation de la région d’étude
La zone d’étude est située au Nord de la plaine pacifique du Nicaragua, dans le département de Chinandega, à proximité du Salvador et du Honduras. Elle s’étend sur une superficie d’environ 300 km2, et est constituée d’une plaine alluvionnaire délimitée à l’est comme à l’Ouest par des massifs volcaniques et au Nord par un estuaire.
La zone bénéficie d’un climat tropical de savane aux températures élevées (autour de 27°C toute l’année) et avec deux saisons:
Une saison sèche de Décembre à Avril marquée par une absence presque totale de précipitations
Une saison humide d’Avril à Novembre qui voit tomber entre 250 et 400 mm de pluie par mois mais caractérisée par la présence d’un mois relativement sec en Juillet qui est appelé canicule (150 mm).
FIGURE 1: CARTE BIOPHYSIQUE DE LA REGION AU NORD DE CHINANDEGA. REALISATION C.HEDOUIN ET C.JAHEL A PARTIR DE LA CARTE TOPOGRAPHIQUE DE L’INETER (2006).
Le climat est favorable aux productions demandant une température élevée comme la canne à sucre, le coton et les musacées.
Le fort contraste pluviométrique entre les deux saisons et la menace caniculaire donnent un réel avantage aux producteurs disposant d’un système d’irrigation.
Issus de transformations et redistributions de matériaux de cendres volcaniques et de pyroclastes, les sols de la plaine sont réputés pour être les meilleurs d’Amérique Centrale, de par leur profondeur, leur bon drainage et leur structure limoneux-sableuse. La plaine bénéficie aussi d’un réseau hydrique dense et d’une nappe phréatique peu profonde. La canne à sucre y est la culture prédominante, elle couvre plus de 80 % de l’espace. Les parcelles de canne sont de grande taille et de forme géométrique, près d’un tiers possède un système d’irrigation. L’usine de la multinationale traitant la culture et la transformation de la canne est basée au milieu de cette plaine.
Les régions en périphérie de la plaine voient se développer d’autres activités agricoles : les piémonts du massif à l’Ouest sont trop pentus et secs pour la canne, un petit parcellaire de cultures vivrières accompagne une activité d’élevage bovin mixte. La zone proche de l’estuaire est très humide, laissant place à quelques grandes parcelles de canne d’humidité et d’autres plus petites de bananes plantain. Enfin, les sols des flancs du volcan San Cristobal, à l’Est, sont très sableux et plus adaptés à la culture de l’arachide que celle de la canne.
FIGURE 2: BLOC DIAGRAMME SCHEMATIQUE DE LA ZONE. REALISATION JAHEL.
Les terres de la plaine très productive sont majoritairement aux mains de grands propriétaires terriens et d’entreprises capitalistes agro-exportatrices alors que les espaces périphériques se caractérisent plus par une dynamique productive centrée sur une agriculture paysanne avec des unités de production de plus petite taille.
Une histoire agraire qui facilite la concentration de la terre entre les mains d’une multinationale sucrière
Avant la colonisation par les espagnols, La zone est habitée par des populations indigènes, qui développent des systèmes culturaux sophistiqués, basés sur la culture de maïs et du haricot. La terre est à cette époque une propriété communale caractérisée par l’existence de droits collectifs détenus par la communauté indigène dans son ensemble et de droits individuels détenus par les familles indigènes.
Au milieu du XVIème siècle, les espagnols arrivent au Nicaragua marquant le début d’un processus de pillage des ressources naturelles et humaines. La surexploitation des populations locales, les guerres, les maladies, et les exportations d’esclaves vers les mines du Pérou sont responsables d’une baisse drastique de la population mais aussi du début d’un processus rapide de métissage de la population dans l’Ouest du pays
Durant la période coloniale, alors que certaines communautés indigènes arrivent à préserver le contrôle de certaines aires limitées de territoire, le processus dominant est l’installation de grandes haciendas détenues par des conquistadors ayant obtenu leurs droits sur la terre directement depuis la monarchie espagnole (transfert direct ou achat de droits). Les droits transférés par la couronne espagnole incluent des droits sur les populations indigènes locales qui servent de main d’œuvre pour la production d’indigo, de viande séchée et de cuir.
Après l’indépendance en 1821, les grandes familles nicaraguayennes consolident leurs haciendas sur les meilleures terres de la zone. Elles sont à l’origine du regain des politiques de travail forcé et elles tentent de s’approprier les terres des collectivités indigènes. Mais, malgré ces politiques, la période est marquée par une forte expansion paysanne, comme à l’échelle nationale, menée par les groupes « métis » installés en périphérie de la plaine et des haciendas.
Dans les années 40, l’organisation agraire repose sur une structure polarisée latifundia-minifundia, héritée de la période coloniale. La plupart des terres appartient à de grandes exploitations avec cependant au sein de ces structures des terres (en général celle de moins bonne qualité) réservées aux travailleurs qui y développent une agriculture de subsistance. Entre ces grandes exploitations, on trouve également une multitude de petits producteurs cultivant maïs, riz, haricot, arbres fruitiers avec parfois un petit élevage bovin.
Les évolutions plus récentes de la zone entre les années 1950 et aujourd’hui, sont représentées de manière schématique dans l’illustration suivante. La zone d’étude y est simplifiée en quatre sous-zones, chacune représentée par une plage de couleur.
FIGURE 3: SCHEMAS CHOREMATIQUES DES DYNAMIQUES AGRAIRES ENTRE LES ANNEES 50 ET LES ANNEES 90
Les années 60 à 70’s : dictature Somociste et boom du coton (figure 3.a.)
La culture du coton devient rapidement la première source d’entrée de devises du pays. Sa forte rentabilité attire des entrepreneurs capitalistes nicaraguayens qui achètent des terres dans la plaine pour produire du coton. De plus, l’existence de contrats particuliers entre grands et petits propriétaires pousse ces derniers à se convertir eux aussi dans la production de coton qui est revendu aux grands propriétaires par la suite.
Le coton se récolte à la main ce qui nécessite un travail ouvrier important. Or à cette époque il existe beaucoup de main d’œuvre disponible à faible coût migrant dans la zone de manière saisonnière (figure 3.a.) et beaucoup de paysans de la zone qui participent aux travaux de récolte durant la saison sèche deviennent peu à peu des semi-prolétaires. Avec des conditions de labeur très pénibles et des salaires bas, le travail dans le coton permet aux ouvriers agricoles de gagner seulement le strict minimum pour survivre.
La forte concentration des terres due à l’extension de la production de coton fait naître de fortes tensions pour les ressources qui se traduisent par l’invasion de parcelles par des groupes de paysans sans terre. Cette situation aboutit à la mise en place d’une première « réforme agraire », en 1964, qui s’inscrit dans le cadre des préconisations de l’Alliance pour le Progrès, appuyée par les USA après la révolution cubaine. L’impact de cette réforme dans la zone d’étude est cependant faible puisque cette dernière ne s’est traduite que par la création de trois communautés paysanne (visibles figure 3.a.). A l’inverse on observe une accélération du processus de migration de familles paysannes vers la frontière agricole du centre du pays à la recherche de terres pour s’installer. Cette intervention de l’état n’est finalement pas un frein au développement du coton, au contraire, elle ne fait que stabiliser une partie du semi-prolétariat de la zone. Ainsi, la culture de coton continue à s’étendre, et la zone voit même l’arrivée de puissantes compagnies bananières états-uniennes.
La réforme agraire sandiniste, redistribution des terres et création d’un registre parallèle (figure 3.b.)
A la fin de l’année 78, alors que la révolte contre la dictature augmente dans le pays, des groupes paysans menés par des leaders du FSLN1 envahissent les terres de certaines grandes exploitations. L’insurrection finale en juin 79 marque la fin de la guerre et la victoire des sandinistes qui vont rester au pouvoir les 11 années suivantes.
Le gouvernement sandiniste promeut le développement des formes paysannes coopératives et des fermes d’état, sur des terres confisquées, puis sur les terres expropriées après la promulgation de la loi de réforme agraire en 1981. Ainsi, une trentaine de coopératives voit le jour dans toute la zone, souvent reléguées en périphérie des poches paysannes alors que les meilleures terres sont destinées aux grandes exploitations étatiques et tournées majoritairement vers les cultures d’exportation (cf figure 3.b.). Beaucoup de grands propriétaires privés, considérés comme alliés du mouvement révolutionnaire, gardent néanmoins le contrôle de leurs terres, de sorte qu’en 1988, ils détiennent encore 1/3 des terres de la zone.
La fin des années 80 est marquée par l’essoufflement de la culture de coton dans la zone et l’endettement graduel des exploitations cotonnières. Un double phénomène est responsable de cette situation : d’une part, la monoculture de coton a épuisé les sols et demande de plus en plus d’applications de produits phytosanitaires, ces derniers devenant de plus en plus chers. D’autre part, la réforme monétaire de 1988 met fin à une situation artificielle de rentabilité de la culture de coton à grande échelle : la surévaluation de la monnaie nationale pour cette culture d’exportation exigeante en intrants, l’importance des crédits de campagne et l’hyperinflation avaient permis à la culture de se maintenir alors qu’elle n’aurait plus du tout été compétitive sur la base de prix de marchés. Les petits producteurs font faillite et doivent céder leurs terres à leurs créanciers, les gros producteurs vendent une partie de leurs terres pour pouvoir se maintenir.
Pendant toute cette période est mis en place un système parallèle d’enregistrement des droits fonciers pour les terres redistribuées par la réforme agraire qui ont fait l’objet de l’émission par l’Etat d’un « titre de réforme agraire ».
L’entrée du parti libéral au pouvoir : privatisation et concentration des terres (figure 3.c.)
A la fin de la guerre, certains grands propriétaires terriens qui avaient été expropriés réclament et obtiennent les terres qu’ils avaient perdues dans les années 1980. Le reste des terres touchées par la réforme agraires, considéré comme biens de l’Etat est également privatisé. Les fermes d’états qui ne sont pas rendues à leurs anciens propriétaires sont rachetées par des investisseurs privés.
Un démantèlement des coopératives a lieu à l’initiative de leurs membres. La majorité des coopératives divisent leurs terres plus ou moins équitablement entre les associés qui continuent à cultiver individuellement. Chaque associé se retrouve avec, comme preuve de ses droits fonciers, un papier de la coopérative où est décrite et localisée sa parcelle.
L’insécurité foncière, due à la précarisation des titres de réforme agraire, la suppression des subventions et crédits et l’absence de moyens ou d’outils de production adaptés aux nouvelles structures agraires poussent beaucoup de producteurs à vendre les terres qu’ils viennent de recevoir. Un fort exode rural a lieu, les poches paysannes diminuent et la période est marquée par un retour massif des grands domaines capitalistes. (figure 3.c.)
Trois éléments essentiels vont faciliter la venue d’entrepreneurs capitalistes dans la zone à partir des années 90:
Le pré-découpage des terres en parcelles de très grande taille, hérité de l’organisation coloniale et finalement peu modifié par la réforme agraire ;
Les politiques de privatisation des terres et leur revente;
La situation de faillite que connaissent beaucoup d’agriculteurs, responsable d’une forte disponibilité des terres et d’un marché foncier aux prix très peu élevés.
Dans un contexte de libéralisation de l’économie, où les politiques publiques sont largement en faveur de la venue d’investisseurs étrangers et de la mise en place de productions destinées à l’exportation, la multinationale d’origine guatémaltèque Pantaleon arrive finalement assez naturellement pour s’installer dans la zone et peut racheter facilement des surfaces importantes, suffisantes pour la mise en place d’une production sucrière à grande échelle.
1 Front Sandiniste de Libération National
sur le diagnostic agraire
Cochet, H., Devienne, S. and Dufumier, M. (2007) “L’agriculture comparée, une discipline de synthèse? “, Économie rurale297-298, economierurale.revues.org/index2043.html
Dufumier, M. (1996) Les projets de développement agricole : manuel d’expertise Paris : Karthala
Mazoyer, M. and Roudart, L. (1997) “Pourquoi une théorie des systèmes agraires?” Cahiers Agricultures 6:591-595
Mazoyer, M. and Roudart, L. (2002) Histoires des agricultures du monde : Du Néolithique à la crise contemporaine, Paris : Seuil
jahel_2014_fiche1_canne_final.pdf (1,9 Mio)