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Rédigé par : Mariatou Koné
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), LandNet West Africa, Le Hub Rural - Appui au développement rural en Afrique de l’Ouest et du Centre (Le Hub Rural), Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF), Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Type de document : Article / document de vulgarisation
L’état des lieux de la problématique de l’accès des femmes à la terre en Afrique de l’Ouest laisse apparaître qu’elles sont utilisatrices de la terre, pilier du développement agricole, mais, que de façon générale, elles n’ont pas un accès égal à cette ressource avec les hommes. Bien que les situations soient variées, elles ont majoritairement des droits restreints et provisoires. Dans un contexte de sociétés en mutation, de plus en plus, des textes législatifs, des organismes, des organisations non gouvernementales tentent d’y remédier. Mais cela est d’autant plus difficile que d’autres catégories sociales, même parmi les hommes, peuvent être dans des situations foncières précaires. Quel sens y a-t-il à espérer une sécurisation des droits des femmes si ceux des hommes ne sont pas sécurisés ?
Pour une meilleure compréhension de la situation foncière des femmes en Afrique de l’Ouest, trois questions centrales méritent d’être posées :
Quels sont les rapports de la femme au foncier ?
Comment se caractérisent les droits d’accès, de gestion et le transfert de la terre pour la femme ?
Quelles dispositions ou stratégies pour une prise en compte des « be soins fonciers » de cette catégorie sociale ?
La réponse à la première question conduit à la description des « moments de rencontres » entre la femme et la terre, et des raisons de ces ren contres. La deuxième permet d’abor der la question des droits exercés par la femme. Enfin, dans la dernière partie, on essayera de mettre en lumière les avancées juridiques en matière de droit des femmes à la terre, on exa minera les initiatives existantes et les différents filets de sécurité dont dis pose aujourd’hui la femme pour exercer ses droits.
Les rapports de la femme à la terre : la femme utilisatrice de la terre
La femme utilise la terre d’abord pour la réalisation d’activités de production pour la sécurité alimentaire du ménage ou de la famille. Dans une moindre mesure, elle a un rapport à la terre quelquefois en tant que surveillante d’un patrimoine foncier destiné à un citadin, un parent ou à sa jeune progéniture de sexe masculin.
Sur les terres qui lui sont octroyées par son époux, son frère ou son père, ou des hommes de sa famille, la femme produit du vivrier pour nourrir la famille dont elle s’occupe ou dans laquelle elle vit. Généralement ces cultures ne sont pas pérennes, elles ne mobilisent le sol que pour une saison pluvieuse ou une durée de cycle n’excédant pas l’an. Quand il lui arrive de commercialiser une partie de sa production, les fonds sont utilisés pour se procurer des denrées non cultivables (sel, protéine, pétrole, allumette, etc.) ou satisfaire des besoins élémentaires (vêtements, soins, etc.) pour elle et ses enfants.
La femme est également main d’œuvre familiale. Elle participe à la création et/ ou à l’entretien de champs ou plantations de membres de la famille de sexe masculin (frère, père, époux, etc.). Sa « rétribution » dépend de la volonté de ces personnes (des produits de première nécessité, une partie de la production ou une contrepartie monétaire…).
Généralement, les femmes dépendent des hommes pour accéder aux terres ; elles y accèdent de manière indirecte de deux façons : avant d’être mariée, la femme travaille comme membre de la famille et participe aux travaux agricoles avec sa mère ; une fois mariée, la femme travaille sur des terres appartenant à son mari ou à la famille de celui-ci. Quels sont alors les droits conférés aux femmes ?
La question des droits exercés par la femme
Les conditions d’accès de la femme sont déterminées par son statut matrimonial : jeune fille célibataire, femme mariée seule ou dans un mariage polygynique (dans ce cas, le rang de l’épouse compte), femme divorcée ou veuve, épouse avec ou sans enfants… Le nombre et le sexe de ses enfants comptent également.
Traditionnellement, quel que soit le régime successoral en vigueur ou le mode de transmission des biens, la femme reçoit ou hérite rarement des terres de valeur de façon définitive avec des droits exclusifs.
Ce sont les hommes qui ont à charge les dispositifs locaux d’administra tion foncière à l’échelle villageoise. La femme, comme les cadets sociaux, est exclue des droits de gestion du patrimoine foncier lignager. Les droits limités qui leur sont octroyés les em pêchent d’investir de façon durable dans leurs exploitations. Les superficies qu’elles exploitent sont souvent petites et à faible productivité. En outre, elles n’ont pas droit aux cultures qui mobili sent le sol sur plusieurs années : pas de culture pérenne (café, cacao, manguier, oranger, anacarde, etc.), industrielle et/ou de rente (coton, ananas, etc.).
Cette précarité les confine dans une position de dépendance foncière et économique vis-à-vis des hommes, dans les milieux où l’agriculture est la principale source de revenus. Malgré tout, des mutations s’opèrent pour les femmes depuis l’époque coloniale sur certains types de terres.
En effet, les droits exercés par les femmes sont relativement moins pré caires dans les aménagements ou blocs culturaux créés par l’État colonial ou post-colonial. Les attributions y sont en principe faites sans distinction de sexe, selon les critères des intervenants « extérieurs » à la société locale. De même, de façon traditionnelle, l’ex ploitation des bas-fonds et marécages était dévolue aux femmes, aux jeunes hommes et aux étrangers sans restriction de droits. Certaines femmes y exercent des activités de pêche, d’autres de la riziculture, des cultures maraî- chères… On rencontre des femmes « propriétaires » ou gestionnaires de bas-fonds, quelle qu’en soit la superfi cie, comme par exemple dans la province de la Comoé au Burkina Faso.
Toutefois, les règles concernant les bas-fonds sont en cours d’évolution, surtout dans les zones forestières. Au- trefois sans valeur pour les hommes, comparativement aux terres de plateau (« dures » et « rentables »), les bas- fonds font l’objet d’enjeux nouveaux, poussant les hommes à chercher à les exploiter eux-mêmes.
L’insécurité grandissante des produc teurs ruraux, et notamment des exploitations familiales, s’observe certes sur les terres « dures » mais également de plus en plus sur les bas-fonds et les terres aménagées. Aussi, n’ayant pas officiellement de pouvoir de décision, les femmes assistent-elles parfois im puissantes au bradage, à l’accapare ment des terres, à l’éclatement voire la disparition du patrimoine foncier fa milial (surtout quand elles n’ont pas de fils), comme c’est le cas en pays Gban et en pays Bété dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire.
Si la femme paraît marginalisée, de nombreux exemples montrent que des hommes le sont aussi. Seulement, à ces derniers la possibilité est offerte de voir évoluer leurs droits en fonction de l’évolution de leur statut (ainé/ cadet, vieux/jeunes, célibataire/marié, autochtone/allochtone, etc.).
La situation d’insécurité, la gestion de l’ incertitude n’étant pas propre aux femmes, de même que la question de l’autonomisation, que faire alors pour renforcer les droits fonciers de la femme dans un contexte de compétition pour l’accès à la terre ? Com ment améliorer sa productivité et ses conditions d’existence ?
Pour une prise en compte des « besoins fonciers » de la femme
Plusieurs initiatives locales, nationales, régionales et internationales tentent de « dé-marginaliser » la femme en matière de foncier rural, afin qu’elle puisse jouir d’une occupation sécurisée du sol.
Ainsi, un travail de renforcement des capacités s’effectue petit à petit : des formations et des actions d’éducation, de sensibilisation et de conseil juridique ont lieu en direction des chefs coutumiers, religieux, administratifs, politiques et des populations.
Des mesures législatives sont prises comme la loi ivoirienne relative au foncier rural qui en principe consacre l’égalité de l’homme et de la femme concernant l’accès à la propriété foncière, de même que celle des jeunes et des vieux (ou des ainés et des cadets).
Des ONG s’investissent, à l’instar de WILDAF Afrique de l’Ouest (Women in Law and Development in Africa- West Africa / Femmes, Droits et Développement en Afrique [FeDDAF-AO]) qui, en 2009, propose d’« utiliser la loi comme un outil pour l’autonomisation des femmes rurales en Afrique de l’Ouest » afin de permettre aux femmes de connaître leurs droits, de les revendiquer pour en jouir au même titre que les hommes dans leur vie familiale, communautaire et professionnelle.
On constate de nouvelles dynamiques illustrées par des cas de bonnes pratiques, de femmes « propriétaire terrien » ou « propriétaire de verger ou plantation », avec une occupation sécurisée du sol : des femmes élites urbaines, politiquement engagées (maire, député), leaders, cadres dans l’administration ou membres d’ONG, des intellectuelles, des femmes dont les enfants ont socialement réussi. Le niveau d’études ou d’instruction, la situation professionnelle, la position sociale, le statut social aussi bien de la femme que de ses enfants, sont parfois des facteurs améliorant la promotion et l’exercice des droits fonciers de la femme.
Subtilement et parallèlement, ces femmes utilisent les règles étatiques (recherche de papiers, reçus, attestations, permis d’occuper, etc.) et négocient avec les instances coutumières, pour à la fois légaliser et légitimer leurs droits. Le plus important pour elles, c’est moins d’être propriétaire de terres que propriétaire de cultures sur des terres sécurisées, où un investissement durable est possible.
Les femmes s’organisent également en groupements (par exemple de type GIE, groupement d’intérêt économique), ce qui augmente leurs possibilités d’exploiter durablement des parcelles. On constate par endroits (Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Niger, Libéria et Ghana) de nouveaux modes d’accès à la terre par les femmes (partage d’héritage du vivant du père, achat de plantation, de verger ou de terre par la femme, etc.).
De plus en plus, lorsque la femme reçoit une terre du vivant de son père (malgré la présence de frères), elle la garde même après la mort de ce dernier. La femme (ou fille) y exerce tous les droits (contrôle, gestion, exploitation, aliénation, etc.). Même lorsque la fille se marie, elle peut conserver le bien foncier reçu de son père. La cession est définitive et peu remise en cause en cas de mise en valeur. Les menaces de récupération de la parcelle par des hommes de la famille sont réelles lorsqu’elle ne la met pas entièrement en valeur.
À Niablé, dans l’Est de la Côte d’Ivoire, même lorsque les frères disent accepter l’équité dans le partage des biens fonciers, il leur arrive d’user de pratiques et de stratégies pour mettre en valeur une plus grande partie des terres du père en violant l’espace concédé aux sœurs. De même, lorsqu’une femme reçoit une plantation ou un verger de sa mère, elle la conserve même après le décès de celle-ci. Autrement dit, les dons entre vifs (par les ascendants directs : père et mère) commencent à se répandre et les droits y afférant sont respectés pour tous. Les parents, quel que soit leur niveau d’instruction ou d’étude, y ont de plus en plus recours comme stratégie pour protéger leurs filles mais aussi leur fils et éviter des tensions, des spoliations voire des conflits entre leurs enfants ou entre enfants et ayants droit coutumiers.
L’achat des terres par les femmes commence aussi à rentrer dans les mœurs. En Côte d’Ivoire, dans la région d’Abengourou, les femmes ont depuis les années 1980 la possibilité d’acheter des terres et d’y planter du café et/ou du cacao. Dans la zone dense de Maradi au Niger, on note les mêmes stratégies d’accès aux champs de mil, sorgho, voandzou, souchet, etc.
Les projets d’aménagements hydroagricoles constituent des opportunités de développement économique pour les femmes. Par exemple, la loi d’orientation agricole malienne précise que « l’État privilégie l’installation des jeunes, des femmes et des groupes vulnérables comme exploitants agricoles, notamment en favorisant leur accès aux facteurs de production et par des mécanismes d’appui techniques ou financiers particuliers ». L’État malien, à travers une décision, a effectivement réservé la moitié des zones aménagées à ces groupes vulnérables.
Conclusion
Les femmes rencontrent sensiblement les mêmes problèmes que d’autres catégories sociales que sont les jeunes hommes et les étrangers (allochtones ou non nationaux) ; mais contrairement à ces derniers, la marge de manœuvre des femmes est traditionnellement plus réduite. On note progressivement une évolution des pratiques.
Ce thème englobe trois grandes problématiques :
l’équité dans l’accès à la terre, en termes de qualité, de superficies et de droits ;
la sécurité de l’exploitation et des investissements de la femme pour une amélioration de ses revenus, mais aussi pour la sécurité alimentaire du groupe social constitué ;
la protection et la préservation des droits fonciers de la femme qui posent le problème de la sécurisation foncière des producteurs ruraux en général dans un contexte de compétition généralisée, de morcellement des terres et d’urbanisation croissante.
Comment alors garantir le droit à la terre et comment articuler harmonieusment droits locaux et législations foncières pour une gestion durable et équitable des terres et des ressources par tous les acteurs en général et les femmes en particulier ?
DOKA M. et MONIMART M., 2003, Pression foncière et nouvelles formes d’accès à la terre : vers une déféminisation de l’agriculture au Sud Niger ?, Londres, IIED. pubs.iied.org/pdfs/9331FIIED.pdf
DJIRÉ M., 2007, Réformes foncières et accès à la terre au Sahel : quelles stratégies pour les réseaux ? Communication à la conférence-débat organisée par International Land Coalition et IFAD, Rome, 20 septembre 2007. www.landcoalition.org/program/doc/femmes_et_foncier_Djire.doc
FAO, 2009, Accès à la terre en milieu rural en Afrique : stratégies de lutte contre les inégalités de genre, Rome, FAO-Dimitria.
www.fao.org/docrep/fao/011/ak159f/ak159f00.pdf
KONÉ M., 2006, Foncier rural, citoyenneté et cohésion sociale en Côte d’Ivoire : la pratique du tutorat dans la sous-préfecture de Gboguhé. www.mpl.ird.fr/colloque_foncier/Communications/PDF/Kone.pdf
Les actualités foncières ouest-africaines sur « genre et foncier » : www.hubrural.org/spip.php?id_rubrique=1&page=actualite&mot=55&type=98
ctf_kone_femmes-et-foncier_fr.pdf (280 Kio)