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Rédigé par : CEPES, traduction et adaptation par Averill Roy (AGTER)
Date de rédaction :
Organismes : Centro Peruano de Estudios Sociales (CEPES), Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Institut d’étude du développement économique et social (IEDES), Université Paris1 Panthéon Sorbonne, La Revista Agraria (LRA)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Dossier spécial de la revue LA REVISTA AGRARIA, # 107, Mai 2009, éditée par le Centre Péruvien d’Études Sociales (CEPES)
Cet article informe et alerte sur les dangers d’un nouveau processus de concentration de la propriété foncière en cours au Pérou depuis le début des années 1990.
Le débat sur la concentration foncière a été relancé au Pérou en avril 2009, lorsqu’un représentant du Congrès du Parti Apriste Péruvien (issu du mouvement anti-impérialiste APRA, Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine) a présenté une nouvelle proposition de loi limitant à 40000 hectares la taille des propriétés agricoles sur la zone côtière.
Contrairement aux apparences, ce projet de loi ne cherche pas à restreindre la surface légale des propriétés foncières. Son objectif vise en réalité à autoriser les grands groupes agroindustriels à étendre leurs propriétés au-delà des plus grands latifundios que le Pérou ait connus jusque dans les années 60. Cette intention de faciliter une plus forte concentration des terres n’est pas sans rappeler le régime des haciendas qui gangrénait la société rurale péruvienne il y a encore cinquante ans et auquel s’est attaqué la Réforme Agraire.
La Réforme Agraire péruvienne a été l’une plus radicales entreprises dans la région à cette même période. Porté par un gouvernement militaire d’influence marxiste, un intense processus de redistribution de la terre a été engagé dès 1969 et s’est étendu sur une période de 10 ans. Cette réforme agraire est parvenue à éliminer la grande propriété traditionnelle et les propriétaires terriens en tant que classe dominante. Dans les années qui ont suivi, l’échec du coopérativisme prôné comme modèle de développement agricole a conduit à la parcellisation des terres collectivisées et a ouvert progressivement la voie au développement du marché foncier.
Le vent de la libéralisation économique, dès le début des années 1980, a conduit l’État à troquer progressivement son rôle de régulateur et à s’effacer devant les impératifs du marché. Assurant désormais la bonne marche des politiques libérales à des fins de renforcement de l’industrie exportatrice, l’État a démantelé peu à peu les lois agraires de la décennie précédente, ainsi que l’ensemble des normes relatives à la gestion des ressources naturelles.
Ce remaniement législatif facilite l’émergence d’une nouvelle catégorie d’acteurs entrepreneurs et investisseurs, présents dans les secteurs agricoles et miniers, qui vont progressivement s’accaparer les ressources foncières et naturelles.
Cette concentration foncière a les mêmes conséquences que le latifundio traditionnel en terme de spoliation des droits sur les territoires des communautés paysannes, sur la santé et les modes de vie des populations menacées par la pollution des activités extractives. De plus, par le jeu de relations clientélistes, elle menace directement la gouvernance territoriale au sein des vallées. Au delà du modèle de développement agricole à suivre, la concentration foncière pose également la question du partage des richesses dans la société ainsi que celle de la démocratie aussi bien au niveau local que national.
Averill Roy
Le récent projet de loi qui limite la taille de la propriété foncière sur la zone côtière péruvienne a au moins un mérite : il contribue à mettre en débat le processus de concentration des droits sur la terre – que ce soit sous la forme de propriété, de contrats, de concessions ou autres modalités – actuellement en place au Pérou depuis le milieu des années 1990. La proposition de l’Apra n’est pas de mettre un frein au phénomène, mais propose en réalité de le consolider en « limitant » à 40 000 hectares la taille maximale autorisée pour un seul propriétaire – surface pourtant supérieure à la plus grande des haciendas qui existaient dans la région avant la réforme agraire de 1969.1
Les latifundios et la réforme agraire
La question de la taille de la propriété foncière a toujours été matière à débat. Elle devient véritablement un sujet sensible peu avant la réforme agraire suite à la publication du recensement agraire de 1961 qui révèle que 75,9 % de la surface recensée est concentrée par seulement 0,4 % des unités de production rurales 2 – une situation similaire à celle de beaucoup de pays de la région. On défendait à cette époque l’idée que l’injustice sociale générée par la polarisation entre latifundio et minifundio était un obstacle à la démocratie et à la modernisation sociale et économique. La nécessité d’une réforme agraire s’impose alors à la fin des années 50 et au début des années 60 au Pérou ainsi que dans de nombreux pays d’Amérique latine.
Le gouvernement de Velasco Alvarado (1968-1975) met en place une réforme agraire qui permet l’expropriation des propriétés de plus de 150 ha de terres irriguées. Cette réforme n’a pas pour projet de répartir la terre entre les paysans. Ces derniers sont regroupés dans des coopératives agraires de production (CAP) qui dans bien des cas ont permis de réunir les terres de plusieurs haciendas. Dans la région andine, on créée sur le même principe des sociétés agricoles d’intérêt social (SAIS) qui remplacent les anciennes haciendas d’élevage de la cordillère. La mise en valeur collective répondait à la volonté affirmée de maintenir les économies d’échelle que le fractionnement des terres risquait de faire disparaître.
Mais peu de temps après, l’immense majorité des CAP et des SAIS ont fait faillite. Une fois liquidées par leurs propres associés, les terres collectivisées sont alors divisées en parcelles familiales. Aux centaines de milliers de petits agriculteurs indépendants existant déjà à la fin des années 1970, s’ajoutent ces dizaines de milliers de familles de paysans, qui depuis représentent la majorité des producteurs agricoles du Pérou.
Les débuts du processus de concentration
La modification des règles du jeu ouvrant la voie au récent processus de concentration de la propriété 3 a été amorcée par quelques changements législatifs au tout début du gouvernement de Fernando Belaúnde (1980-1985). Dès sa première année de mandat, il émet un décret qui met fin à la réforme agraire et qui légalise la parcellisation des coopératives déjà en cours. Son gouvernement, et celui du premier mandat de Alan Garcia (1985-1990) mettent en place des normes relatives à l’utilisation des terres non cultivées susceptibles de pouvoir être irriguées, donc exploitées. En 1988, un autre décret repousse la limite de la taille des propriétés de surfaces irriguées sur la zone côtière à 450 ha, multipliant par trois la limite imposée par la réforme agraire.
Alberto Fujimori (1990-2000) met en place […] une politique économique néolibérale qui, malgré quelques modifications, est toujours en vigueur aujourd’hui. Parmi l’ensemble des mesures qu’il entreprend, une des réformes les plus significatives consiste à lever les restrictions à la libéralisation du marché foncier. Un autre décret permet l’intervention des sociétés anonymes dans la maitrise et la gestion de la propriété agraire, en autorisant le faire-valoir indirect, la location et l’hypothèque, qui avaient été précédemment interdits par la réforme agraire. Par ailleurs, il autorise les propriétés d’une surface maximale de 1 000 ha pour les terres devenues cultivables grâce à des travaux d’irrigation réalisés sur initiative privée.
La remise en cause du statut protégé des terres communales
En 1991, la « Loi de Promotion des Investissements dans le Secteur Agraire »4 transforme désormais les terres non cultivées en propriétés de l’État, englobant une partie des terres communales sans titre de propriété, et autorise de surcroit la location des terres communales 5. La remise en cause de la protection des terres communales se poursuit avec l’inscription dans la nouvelle constitution de 1993 de la possibilité de vendre les terres communales. En 1995 est votée la « Loi Foncière », qui repousse toutes les limites imposées à la taille des propriétés et aux transferts de terres. Elle est modifiée plus tard afin que la concession de servitudes pour les entreprises minières passe par un accord préalable avec le propriétaire des terres – majoritairement les communautés paysannes – en l’absence duquel s’établit la servitude minière. En 2008, un nouveau décret législatif va plus loin encore en établissant les servitudes d’office, sans aucune consultation préalable.6
En 1997, la loi de titrement des communautés paysannes de la région côtière introduit le concept de l’« abandon de terre » selon lequel les terres que les communautés ne cultivent plus deviennent désormais propriété de l’État, ce qui revient à transgresser la précédente Loi Foncière.
Poursuivant dans la même voie, le gouvernement d’Alan Garcia (2006-2011) s’est montré tout aussi déterminé que son prédécesseur. Illustrant les principes énoncés dans son manifeste Le syndrôme du chien du maraîcher 7, le gouvernement d’Alan Garcia met en place un ensemble de décrets cherchant à fragiliser d’avantage les droits sur la terre des communautés paysannes et des peuples natifs. L’éclatement de très fortes contestations a cependant obligé le Congrès à introduire quelques modifications dans les décrets et à en proposer d’autres à valider ultérieurement.
En quoi la concentration est-elle négative ?
Le dynamisme de l’agriculture d’exportation de la côte péruvienne durant ces quinze dernières années a été en partie généré par des entreprises agricoles dont les superficies sont très étendues. En introduisant des formes de gestion moderne, des technologies de dernière génération (incluant l’irrigation au goutte à goutte assistée par ordinateur), ces entreprises ont appris à s’adapter aux fluctuations du marché international. L’argumentation en faveur de la grande propriété se base essentiellement sur ces constatations.
Mais la réussite de quelques entreprises n’est pas suffisante pour entraîner un développement rural non excluant, équitable, prospère et durable, objectif vers lequel le Pérou devrait tendre. Au contraire, la concentration de la propriété et des capitaux dans les mains de quelques entrepreneurs implique une concentration du pouvoir, et peut conduire à limiter considérablement les opportunités des autres personnes et organisations.
Une entreprise agricole ou un groupe d’entreprises peut dominer toute une vallée, générant une influence démesurée sur les gouvernements municipaux, dans les assemblées des représentants, dans leur propre gouvernement régional et même dans la société – conduisant à créer une sorte de gamonalisme du XXIème siècle8. Dans la région où se trouvent les entreprises sucrières telles que Cartavio ou Casagrande – qui appartiennent aujourd’hui à Grupo Gloria – la population dépasse les 100 000 personnes. Dans cette région, il ne s’agit plus de propriété foncière mais d’un véritable contrôle territorial (On peut faire le même constat en ce qui concerne les concessions minières et pétrolières). On observe en effet que ce phénomène est d’ores et déjà en cours de réalisation. Jouant de leurs pleins pouvoirs, ces entreprises bafouent fréquemment le droit des salariés. Elles empêchent la formation de syndicats – qui sont quasi inexistants en comparaison des 100 000 ouvriers agricoles salariés dans les entreprises d’agroexportation – et entravent également les inspections du Ministère du Travail. Ce type de développement n’est pas en mesure de résoudre la pauvreté qui touche les trois quarts de la population rurale.
De plus, le postulat selon lequel seules les grandes entreprises sont efficaces n’a jamais été confirmé par des études sérieuses. Ceux qui soutiennent cette idée sont les intéressés eux-mêmes : les investisseurs, les partisans politiques du néolibéralisme ainsi que les professionnels de cette même orientation politique. Il existe par ailleurs un débat international concernant l’agriculture familiale – à ne pas confondre avec le minifundio – selon lequel les potentialités en terme d’efficacité productive, mais également concernant les aspects environnementaux, la création d’emploi et la sécurité alimentaire, sont bien supérieures aux grandes exploitations agricoles. Or, ce sont ces trois précédents aspects qui orientent le développement. Au Pérou les politiques publiques sont clairement dirigées vers le secteur des grandes entreprises. La petite entreprise, plus particulièrement en milieu rural, est clairement marginalisée de l’accès aux ressources.
Il y a près de cinquante ans, le gouvernement de Manuel Prado a créé une Commission pour la Réforme Agraire et le Logement, portée par des « hacendados » plutôt progressistes pour l’époque. Après de longues études laborieuses et couteuses, cette commission a établi que la taille économique optimale des propriétés sur la Costa ne devrait pas dépasser 250 ha. Mais elle reconnaissait également l’existence « d’autres facteurs politiques et sociaux, tout aussi important, pouvant amener à définir une taille maximale différente de l’optimum économique »9. Après avoir analysé de multiples études et pris en compte différentes opinions, et notamment celles d’autres pays, la Commission fixa les surfaces maximum suivantes : 250 ha sur les terres irriguées de la zone côtière, 250 ha sur les terres en culture pluviale de la région Andine et 1000 hectares sur les terres en culture pluviale dans la forêt amazonienne.
Les parlementaires qui ont proposé la « limite maximum » à 40 000 ha feraient bien de se renseigner sur cette question. Le président de la Confiep10, a déclaré que la question des limites de la propriété est un thème du passé, qu’il faut regarder de l’avant et non derrière soi. C’est en réalité un véritable sujet d’actualité, puisque la concentration foncière existe actuellement à l’échelle internationale, comme en attestent les préoccupations de la FAO et d’autres revues prestigieuses comme Business Week ou The Economist.
La nouvelle concentration de la propriété
<img850|right>Les avancées du processus actuel de la concentration foncière ne sont malheureusement pas illustrées par le dernier recensement agricole. Celui-ci effectué en 1994, remonte au tout début du processus, mais ne dispose pas de suffisamment de chiffres détaillés sur ces éléments. […] Cependant on peut déjà distinguer clairement plusieurs voies parallèles conduisant à une concentration foncière : recul de la frontière agricole dans la région côtière, concentration de la propriété à travers le marché foncier, conversion des coopératives sucrières en entreprises privées, « dénonciations »11 de terres vierges et concessions aux industries extractives et production d’agrocarburants.
L’avancée de la frontière agricole dans la zone côtière.
Peu avant les années 1990, de grands investissements publics en travaux d’irrigation ont permis de gagner de nouvelles terres sur le désert, dont une part importante a été transférée sous différentes modalités à la petite ou moyenne propriété. Ce fut notamment le cas de la colonisation de San Lorenzo, dans le département de Piura, ou encore de l’irrigation de Majes, dans le département d’Arequipa. D’une certaine façon, il s’agissait d’un choix stratégique de permettre à ces secteurs l’accès à une ressource nationale, la terre, grâce à l’investissement public.
Cette stratégie a été modifiée avec Fujimori. L’accès aux ressources naturelles de la nation devient désormais de plus en plus le privilège des grands investisseurs privés. Cette tendance atteint son paroxysme sous le gouvernement d’Alan Garcia. Les grands périmètres irrigués sont de plus en plus réalisés dans le seul but que ces nouvelles terres soient vendues à des agents économiques en mesure à la fois de supporter le coût d’investissements colossaux et de développer des cultures d’exportations à haute valeur. Les formes d’accès à ces terres en excluent les petits producteurs, mais aussi les producteurs agricoles de taille moyenne. Plus des trois quarts des nouvelles terres agricoles de Chavimochic12, un des principaux projets d’irrigation du pays axé sur l’utilisation du fleuve Santa, ont été achetées par seulement onze investisseurs. (voir le tableau # 1)
Entreprise | Surface totale (ha) | % |
---|---|---|
Camposol SA | 9179 | 20,9 |
Compañia Minera San Simón SA | 6185 | 14,1 |
El Rocío SA | 4901 | 11,2 |
Empresa Agroindustrial Laredo | 3790 | 8,6 |
Rego Corporation | 3778 | 8,6 |
Green Peru SA | 1660 | 3,8 |
Danper Trujillo SA | 1640 | 3,7 |
Morava SA | 1622 | 3,7 |
Sociedad Agrícola Virú SA | 1503 | 3,4 |
Ugás de la Torre Ugarte M. | 1347 | 3,1 |
Cefer Agrícola Chavimochic | 1304 | 3,0 |
Subtotal | 36910 | 84,1 |
TOTAL área del proyecto | 43870 | 100,0 |
Plusieurs de ces mêmes entreprises ont exprimé la volonté de développer leurs investissements à travers le prochain grand projet d’irrigation d’Olmos, dans le département de Lambayeque. Ce projet permettrait de gagner environ 40 000 ha de terres sur le désert. Déjà présent dans les vallées de Chao et Virú, le plus gros investisseur de Chavimochic, Camposol, est également largement implanté dans le département de Piura et Barranca, réunissant au total une propriété de 15 500 ha. Pour les autorités du département de Lambayeque, qui l’ont d’ailleurs exprimé publiquement, Chavimochic est considéré comme le modèle à suivre. Le Président Alan Garcia est allé encore plus loin. Selon lui, les projets d’irrigation des régions côtières devraient se rassembler autour d’un unique projet d’agroexportation, nouvelle étape de l’irrigation des régions Chira-Piura, Tinajones, San Lorenzo, Jequetepeque-Zana, Chavimochic et Chinecas.
Marché foncier
Comme précédemment mentionné, la législation qui a permis l’ouverture du marché foncier a été lentement mise en place durant les années 1980 jusqu’à atteindre un point culminant avec la Loi foncière de 1995. Bien qu’il ait été autorisé depuis plus d’une quinzaine d’années, il ne semble pas que le marché foncier soit le principal mécanisme du processus actuel de concentration de la propriété. La prolifération de petites propriétés, qui se fait plus souvent sans titres formels actualisés concernant les droits de propriété, est un motif de désincitation pour les investisseurs, qui comme nous l’avons vu, ont de toute façon la possibilité d’accéder à de nouvelles terres non occupées.
La vallée d’Ica est une des vallées dans lesquelles les transactions foncières ont été les plus importantes. Si la rareté de l’eau n’avait pas été un problème (qui s’est agravé du fait de l’implantation de nouvelles entreprises agroexportatrices), ces transferts auraient sans doute été largement plus importants. Dans la vallée de Piura, le marché foncier s’est également très vite développé – les vendeurs étant surtout des petits agriculteurs. Les tableaux suivants nous renseignent sur les principaux acheteurs dans les vallées de Piura et Ica.
Entreprises | Surface (en ha) |
---|---|
Agroindustrias AIB S.A. | 3,200 |
Société Agricole Agrokasa | 2,906 |
Icatom | 1,000 |
IQF du Perou S.A. | 912 |
Complexe agricole Beta | 607 |
Agrícola Chapi S.A. | 590 |
Agrícola Athos | 500 |
Selon le recensement des Producteurs d’Asperges de 2005 (une des seules sources d’informations disponibles, puisqu’il n’en n’existe pas pour les autres cultures d’agroexportation), il existe 47 entreprises, chacune d’entre elles consacrant en moyenne 280 ha à cette culture. Comme toutes ne font pas de la monoculture, la taille totale de beaucoup de ces propriétés dépasse largement cette moyenne. La majeure partie de ces opérations se trouve dans les vallées des départements de Ica et de La Libertad.
Acheteurs | Surface (en ha) |
---|---|
Grupo Saturno | 1000 |
Alberto Caparó | 4300 |
Camposol | 3000 |
Acuícola R. Mustafá | 1500 |
En général, l’information concernant les transferts de terres est difficilement accessible, notamment parce qu’il s’agit de multiples opérations réalisées par de petits propriétaires. Mais quelques achats connus ont été effectuées par Grupo Romero, et concernent les terres de l’ancienne coopérative de Huando, dans le département de Huaral (environ 500 ha), par Camposol à Piura et Barranca, ainsi que par le Complejo Agricola Beta à Chiclayo (1 200 ha) et Piura (200 ha).
Avec l’aide de décrets législatifs promulgués en juin 2008, les terres non cultivées de certaines communautés paysannes qui ne possédaient pas de titres de propriété ont été en quelque sorte confisquées par l’Etat et mises aux enchères pour êtres achetées par des investisseurs. C’est notamment le cas des communautés paysannes de Santa Lucia de Ferreñafe et Olmos, dans le département de Lambayeque.
Privatisation des coopératives sucrières
Les complexes agroindustriels de la zone côtière ont été expropriés durant la Réforme Agraire et redistribués à douze coopératives. Ces expropriations ont concerné au total 128 000 ha et 27 783 bénéficiaires, aussi bien techniciens, employés, qu’ouvriers agricoles. Victimes entre autres raisons d’une mauvaise gestion et des effets de la crise de 1975 qui s’est prolongée jusqu’au début des années 1990, les coopératives réalisent des performances économiques médiocres. Elles ont également accumulé des dettes colossales auprès de l’Etat. Fujimori a décidé de racheter ces dettes. Une fois devenu de cette façon copropriétaire, l’Etat a revendu ses actions aux investisseurs privés. C’est au cours d’un long processus chaotique et le plus souvent peu transparent, que les coopératives, obligées de se transformer en sociétés marchandes, ont fini par transférer la majorité de leurs actions à des investisseurs privés.
Production d’agrocarburants
Durant les dernières années, les investisseurs internationaux ont manifesté un véritable engouement face aux perspectives économiques que représentent les agrocarburants. Acculés par la nécessité de substituer progressivement les énergies fossiles (pétrole et dérivés) par d’autres énergies renouvelables, et par l’impossibilité d’assurer dans le temps un approvisionnement auto-suffisant, les investisseurs (surtout états-uniens et européens) ont été amenés à s’intéresser aux potentialités productives des autres pays du monde et plus particulièrement des pays en voie de développement.
Voulant imiter les pays du Nord, le gouvernement péruvien a approuvé une législation allant en ce sens afin de soutenir largement ces investissements. Actuellement, les initiatives les plus importantes pour la production d’éthanol se situent dans la vallée du fleuve Chira, dans le département de Piura. L’entreprise capitaliste nord américaine Maple a reçu du Gouvernement Régional de Piura plus de 10 000 ha de terres non utilisées, avec un droit d’accès à l’eau, pour la culture de canne à sucre et la production d’éthanol. L’entreprise a déclaré posséder une surface totale de 11 975 ha dans le département, ce qui suppose qu’elle a acquis d’avantage de terres à travers l’achat à de petits producteurs locaux. Le Grupo Romero, dont les intérêts économiques sont liés à Piura depuis plusieurs générations, a de son coté obtenu plus de 3 000 ha dans la même vallée permettant de constituer l’entreprise Caña Brava. Il est prévu plus tard d’augmenter la surface de plus de 8 000 ha et d’atteindre à terme une surface totale de 10 000 ha.
Le Grupo Romero possède également d’importantes surfaces cultivées dans le région de piémont, essentiellement de palmiers à huile, destinées pour la majeure partie à la consommation alimentaire, mais s’orientant de plus en plus vers la production de biodiesel. Le projet Shanusi, situé sur la frontière entre Loreto et San Martín, détenait 8 000 ha de culture de palme au second semestre de 2008. Durant la même période, le groupe Palma de Espino possédait 12 000 ha de culture de palme, et projetait de l’étendre à 15 000 ha pour 2012.
Cependant, depuis 2008, cet enthousiasme s’est quelque peu refroidi. Tout d’abord, les perspectives de bénéfices des agrocarburants ont été revues à la baisse avec la diminution du prix du pétrole en 2008. D’autre part, l’économie est entrée dans une période de crise et les avantages escomptés des agrocarburants sur le plan environnemental se sont révélés inférieurs aux attentes. Pourtant Carlos Leyton, le ministre de l’agriculture, déclarait en janvier 2009 que les investissements privés en agrocarburants sur la côte et dans la forêt amazonienne dépasseraient les 300 millions ou 400 millions de dollars au cours de l’année 2009.
Concessions minières
Les concessions minières ont considérablement augmenté ces dernières années. En sept ans, la surface des terres concédées pour l’exploitation minière a plus que doublé (voir le graphique). Cette surface, qui comprend à la fois les surfaces d’exploration et d’exploitation, atteignait à la mi 2008 une superficie de 16,3 millions d’hectares, ce qui représente 12,8% du territoire national. Cela ne signifie pas que ces entreprises contrôlent directement tout le territoire, mais il y a bien ici un facteur de concurrence potentielle avec les droits des populations vivant sur ces territoires, pour la plupart des communautés paysannes. La crainte des populations de voir leurs droits sur la terre et sur l’eau violés remonte à l’histoire ancienne, mais aussi à un passé plus récent, notamment depuis que le parti-pris explicite du gouvernement de soutenir le secteur minier s’est concrétisé à travers une législation fragilisant les droits des paysans et des populations natives. Il est de surcroit certain que l’activité des exploitations minières a des impacts économiques, environnementaux et sociaux qui vont bien au-delà des considérations foncières relatives aux aires concédées ou acquises en propriété. De même, il est prouvé que ces entreprises exercent une influence sur les autorités locales et régionales en altérant l’objectif démocratique que la décentralisation devrait promouvoir.
Contrats pétroliers en Amazonie
Les contrats pétroliers sont particulièrement nombreux dans la région amazonienne, où ils couvraient environ 44 millions d’hectares en 2007. L’équilibre écologique de cette vaste région très riche en ressources naturelles est pourtant fragile. Les zones les plus touchées par des contrats de concessions sont les bassins de Marañón et de Ucayali, qui représentent respectivement 56 % et 23 % de la surface totale. Dans cette zone est notamment présente l’entreprise Maple déjà mentionnée précédemment, qui projette de produire de l’éthanol à partir de canne à sucre cultivée dans ses plantations de la vallée du Chira.
La plupart du temps ces contrats se superposent aux droits des populations natives sur les territoires qu’eux-mêmes et leurs ancêtres ont occupé depuis très longtemps. L’exploration et l’exploitation sont le plus souvent réalisées sans aucune consultation préalable. En plus de la déforestation, les exploitations pétrolières contaminent les fleuves et altèrent la qualité de vie des populations.
Ces populations se sont mobilisées à plusieurs reprises contre la violation de leurs droits sur le territoire qu’elles occupent. En 2008, les protestations ont atteint des niveaux inédits avec les manifestations pour la dérogation des décrets législatifs du premier semestre de 2008.
Concessions forestières
Enfin, les aires concédées pour l’exploitation forestière sont également très significatives puisqu’elles dépassent 7,6 millions d’hectares. Ces chiffres sont particulièrement révélateurs si l’on considère que la somme des surfaces concernant les contrats pétroliers et les concessions minières représente jusqu’à 70 % de la surface totale de l’Amazonie péruvienne.
1 Avant la réforme agraire de 1969, la plus grande hacienda de la région côtière était la célèbre Casa Grande, dont l’étendue s’élevait à environ 29000 hectares.
2 ICIRA. El hombre y la tierra en América latina. D’après une étude réalisée par le Comité Interaméricain de Développement Agricole
3 à propos de ce processus voir « Las politiquas agrarias en la última decada, una evaluación » en En F. Eguren, M. Remy y P. Oliart, (editores), Perú: el problema agrario en debate. SEPIA X. Sepia/Oxfam, Lima, 2004. Ou sur le web : www.sepia.org.pe.
4 Décret législatif 653
5 La constitution de 1979 avait institué la protection de la propriété des communautés paysannes en déclarant leurs terres imprescriptibles, inaliénables et insaisissables.
6 Voir www.cepes.org.pe/legisla/ds01796.htm y www.ibcperu.org/doc/isis/13883.pdf p 2 et 3.
7 L’expression fait référence à une comédie de Lope de Vega C. (Madrid, 1618) et à un refrain célèbre : Le chien du maraîcher ne mange pas les légumes et ne laisse personne les manger. En octobre 2007, le président Alan Garcia publie un article dans un journal national péruvien dans lequel il synthétise ses visées politiques, déclarant notamment comme priorité l’appui aux secteurs ayant les ressources économiques suffisantes pour investir, produire, transformer et exporter, auxquels il est par conséquent nécessaire de mettre à disposition les ressources naturelles nécessaires (et plus particulièrement la terre) et ce, aux dépens des propriétaires déjà existants. Ceux qui possèdent des terres et qui n’ont pas les moyens suffisants pour les exploiter, sont selon ses propos « un fardeau pour le développement du pays ». Les terres communales sont « des terres inutiles car le propriétaire n’a ni la formation ni les moyens économiques, bien qu’elle soit sa propriété. Cette même terre, une fois vendue en grandes parcelles, pourrait accéder à la technologie (…) »
8 Le terme gamonalisme, très utilisé au Pérou, désigne en partie les latifundiaires ou les grands propriétaires terriens, appelés « gamonales ». Mais il n’est pas le simple fait de cette catégorie sociale et économique. Il rend également compte de tout un phénomène dont le facteur décisif est celui de l’hégémonie de la grande propriété semi-féodale dans la politique et les rouages de Etat. D’après MARITEGUI José Carlos, Sept essais interprétation de la réalité péruvienne, Paris, Maspero, 1968, 279 p. (note du traducteur)
9 «La reforma agraria en el Perú». Documentos I, p. 64. Comisión para la Reforma Agraria y la Vivienda. Lima, s.f.
10 La Confédération Nationale des Entreprises Privées.
11 La pratique de « dénonciation » consiste à déclarer aux autorités compétentes la découverte sur des terres vierges ou inoccupées de ressources extractives, afin d’en réclamer la propriété ou la concession – la concession étant un acte juridique par lequel l’administration cède à une personne l’usage privé d’une propriété – en général – de domaine public ou la gestion d’un service public sur un temps déterminé et sous certaines conditions. Note du traducteur.
12 Le projet Chavimochic a permis d’irriguer les vallées de Chao, Virú, Moche et Chicama du département de La Libertad.