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Rédigé par : Clara Jamart
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Agence Française de Développement (AFD), Inter-réseaux Développement Rural, Association pour le Développement de l’Enseignement du Perfectionnement et de la Recherche à l’Institut national agronomique Paris-Grignon (Adeprina), Association pour la Redynamisation de l‘Elevage au Niger (AREN), LandNet West Africa, e-sud development
Type de document : Article / document de vulgarisation
Capitalisation sur l’expérience du Code Rural au Niger, Ensemble pédagogique pour l’alimentation de projection-débats.
Le Code Rural a permis de mettre en place au Niger une politique de gestion du foncier et des ressources naturelles plus collégiale et plus participative, de contrebalancer le pouvoir des chefs coutumiers et de diminuer l’importance des conflits fonciers. Il a aussi permis d’élaborer et de consolider des politiques de développement plus larges au niveau national. Toutefois, le Code Rural a également ses limites, et le processus est loin d’être totalement abouti. Si la grande majorité des acteurs s’accorde à dire que ses principes sont positifs, beaucoup émettent également des réserves quant à leur ‘application. Qu’en est-il réellement dans les faits ? Quelles sont les principales limites que rencontre aujourd’hui le Code Rural ?
Le défi de la vulgarisation du Code Rural
L’une des principales limites que rencontre le Code Rural aujourd’hui est qu’il reste encore largement méconnu dans les campagnes nigériennes. En 2010, seules 3000 commissions foncières de base ont été mises en places, sur un total de 15000 villages ou tribus, soit un taux de couverture de seulement 20%. Il n’est donc pas étonnant que les principes du Code Rural soient très peu diffusés à la base auprès des utilisateurs du foncier et des ressources naturelles.
En outre, le très fort taux d’analphabétisme rend l’accès aux textes juridiques quasiment impossible pour les populations rurales. Qui plus est, les textes étant écrits en français et dans un langage juridique complexe, même les populations alphabétisées ont énormément de mal à les comprendre. En bref, l’effort de vulgarisation, d’éducation et de formation auprès des populations pour faire connaître et comprendre les principales dispositions du Code Rural doit être poursuivi et renforcé. Malgré l’organisation de fora dans certaines zones ou l’existence de quelques émissions de radio qui diffusent ses principes en langue locale dans les campagnes, le défi de la diffusion du Code Rural reste encore à relever.
Cette situation entraine des conséquences sur le fonctionnement même des cofo existantes. En effet, on constate que les transactions foncières ne font que très rarement l’objet de traces écrites. Même lorsqu’une attestation de propriété coutumière est émise, elle se révèle souvent très vite obsolète, dès lors que les transactions successives dont le terrain fait l’objet ne sont pas régulièrement enregistrées. L’objectif du Code Rural n’est pas la titrisation systématique, mais le manque de suivi des papiers émis et le caractère secret d’une grande partie des transactions foncières (les prêts et les mises en gage notamment) favorisent les conflits entre les différents utilisateurs du foncier.
Enfin, il convient de rappeler que certaines régions orientales et septentrionales du Niger sont particulièrement isolées. Dans le désert, il existe des zones de non droit contrôlées par des milices qui assoient leur pouvoir sur des activités illégales (narcotrafic, filières d’immigration, etc.). Ailleurs prévalent des sociétés que la « modernité » a tout simplement du mal à atteindre (formes résiduelles d’esclavage, justice traditionnelle, etc.). Même si elles ne regroupent qu’une faible partie de la population totale du pays, ces régions se révèleront sans doute longtemps imperméables à l’implantation du Code Rural.
Le défi de la collégialité et de la représentativité des Commissions Foncières – les limites du caractère participatif de l’élaboration des normes
En principe, le Code Rural a été élaboré de manière participative, grâce à l’organisation de fora nationaux regroupant des représentants de tous les utilisateurs du foncier. En réalité, la société civile n’existait pas de manière organisée au Niger au moment de ces grands débats nationaux. Ce sont donc essentiellement les chefferies traditionnelles qui ont participé à l’élaboration des principes d’orientation du Code Rural, alors que les associations ont surtout travaillé, à partir des années 1990, à la réflexion sur l’application des textes, ainsi qu’à l’élaboration des textes sectoriels qui sont venus compléter l’ordonnance de 1993.
L’influence des chefferies traditionnelles reste d’ailleurs prédominante dans le système institutionnel mis en place par le Code Rural. Bien que les commissions foncières aient été pensées comme des organes représentatifs, au sein desquelles le pouvoir des chefs coutumiers serait contrebalancé par la présence d’autres acteurs, on remarque que les villageois continuent de s’adresser en priorité aux chefs religieux et coutumiers pour tout ce qui concerne la gestion du foncier et des ressources naturelles. Au niveau des villages et des tribus, les acteurs institutionnels (services techniques, représentants des usagers, etc.) ne sont ni bien insérés dans le tissu social, ni même clairement repérés par les populations locales, et bénéficient au final de bien peu de poids dans les décisions prises par les cofo… quand ces décisions ne sont pas, en réalité, prises par les seules autorités traditionnelles. Puisque les chefs de village et de tribus sont, quoi qu’il arrive, présidents des commissions foncières de base, et qu’ils jouissent légalement de la prérogative de conciliation des conflits fonciers, on peut même en venir à se demander si le système du Code Rural ne permet pas, paradoxalement, d’institutionnaliser le pouvoir coutumier en l’habillant des apparences de la démocratie.
La représentativité des commissions foncières et le principe de collégialité qu’elles doivent promouvoir se voit donc soumis à rude épreuve. Cette question de la représentativité se pose à tous les échelons. Au niveau du département, le pouvoir reste généralement dans les mains du préfet, qui préside la CofoDep. Finalement, les commissions foncières sont supposées regrouper différents représentants d’utilisateurs, et en particulier des représentants des jeunes et des femmes. Dans les faits, quand ces représentants existent, ils jouent le plus souvent un rôle purement figuratif et n’ont pas voix au chapitre.
Le défi de l’autonomie financière
L’insuffisance des moyens pour assurer un fonctionnement efficace des commissions foncières constitue un dernier défi important. Les commissions communales, nées de la décentralisation de 2004, existent déjà dans près de 80% des communes nigériennes (il en existe aujourd’hui 210, sur un total de 266 communes), mais sont victimes du manque cruel de moyens qui devraient accompagner la politique de décentralisation. Elles manquent donc de matériel, de locaux et d’équipement, mais aussi de budget pour mettre en œuvre des actions de sensibilisation ou des missions de terrain.
Les commissions foncières départementales et les commissions foncières de base se trouvent dans la même situation. Elles ne disposent d’aucune ressource de l’État pour pouvoir mener à bien leurs actions et se retrouvent totalement dépendantes des projets de coopération bilatérale ou des projets de développement gérés par des ONG internationales. Dans les faits, presque aucune action d’identification et de balisage des ressources n’a pu être menée sans un appui extérieur, et presque aucun forum de sensibilisation n’a été organisé sur des fonds publics. Cette situation pose évidemment le problème de l’indépendance des commissions foncières mais aussi celui de leur pérennité. Que deviennent les commissions foncières lorsque les financements s’arrêtent ? Quel suivi peuvent-elles faire des actions menées ? Quelles actions futures peuvent-elles envisager ?
Notons que le problème de la dépendance financière constitue un enjeu global au Niger, et ne se pose pas seulement pour le fonctionnement des commissions foncières. Néanmoins, face à l’extrême faiblesse financière de l’État, la possibilité de trouver des moyens d’autofinancement n’est que très rarement envisagée sur le terrain. A long terme, le non-engagement public et l’absence de réflexion sur de possibles solutions d’auto-financement risquent de mettre réellement en péril l’indépendance et la pérennité du dispositif institutionnel du Code Rural. En effet, les commissions foncières n’envisagent presque jamais de pouvoir fonctionner sans appui financier extérieur. Que ce soit aux niveaux départemental et communal ou au niveau des villages et des tribus, l’idée d’un impôt permettant d’assurer au moins une partie des activités des Cofo est majoritairement rejetée par les autorités administratives et coutumières. A court terme, un tel prélèvement pourrait conduire à une perte de popularité auprès des administrés. Mais les raisons ouvertement invoquées sont celles de l’extrême pauvreté des populations, du manque d’éducation et de compréhension de l’intérêt de lever un impôt local, et de la difficulté technique qu’il y aurait à lever véritablement cet impôt, notamment auprès des éleveurs transhumants. Toutefois, il semble nécessaire de creuser cette piste pour parvenir à établir dans un futur relativement proche un fonctionnement véritablement efficace des institutions du Code Rural.
Cette fiche fait partie d’un dossier pédagogique, qui accompagne un film documentaire consacré à l’expérience du Code Rural du Niger. Ce travail résulte d’une initiative commune d’AGTER, de la société E-sud Développement, de l’AREN (Association pour la Redynamisation de l‘Elevage au Niger) et du réseau LandNet West Africa. Il a été organisé dans le cadre d’un travail de capitalisation d’Inter-Réseaux et a reçu un appui financer de l’Agence Française de Développement.