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Rédigé par : Sophie Devienne
Date de rédaction :
Organismes : Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de Développement (IRAM), Réseau Agriculture Paysanne et Modernisation (APM), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type de document : Article / document de vulgarisation
DEVIENNE, Sophie. Thèse de doctorat. INA-PG. Inédite.
Les Pays-Bas possèdent l’agriculture la plus performante de la CEE: avec 1,6% de la population active, ce petit pays produit 8% de la production agricole de l’Union Européenne, et sur le plan mondial, dispute à la France la deuxième place parmi les pays agroexportateurs, derrière les USA.
Ces performances élevées s’expliquent par l’histoire de l’agriculture néerlandaise, puisque les régions côtières du pays sont depuis plus de trois siècles à la pointe du développement agricole en Europe de l’Ouest, mais également par une politique agricole, qui, depuis les années 50, au lieu de ne s’intéresser qu’aux régions les plus développées, les régions côtières, a concentré ses efforts sur les régions intérieures défavorisées afin de combler les écarts de développement et utiliser à plein les ressources agricoles du pays.
L’agriculture néerlandaise est en effet une agriculture familiale qui se caractérise par des structures d’exploitation relativement homogènes. Les exploitations sont de petite taille (18 ha en moyenne, 8,5 ha/actif agricole) et regroupées autour de cette moyenne: les 2/3 des exploitations aujourd’hui ont moins de 20 ha, et 7% des exploitations seulement ont plus de 50 ha.
Les pouvoirs publics néerlandais ont dans l’histoire toujours soutenu le développement d’une agriculture paysanne. Dans les régions côtières de polders, les premiers assèchements ont commencé au Xe siècle : d’abord réalisés par les paysans eux-mêmes, ils ont ensuite été coordonnés par l’aristocratie et le clergé qui ont créé des exploitations de 15 à 20 ha, louées ou vendues à des paysans libres. Au début du XVIe siècle ces exploitations s’insèrent précocement aux échanges marchands, dans des conditions avantageuses, processus facilité par la possibilité des transports par voie d’eau. Les exploitations se spécialisent dès cette époque dans la production laitière, et achètent des céréales importées d’Europe orientale où elles sont produites dans les grands domaines seigneuriaux par la paysannerie soumise au servage. Cette transformation ouvre la voie à une révolution agricole dans les campagnes des régions côtières : drainage grâce au moulin à vent, fertilisation des prairies, sélection des troupeaux, achat de tourteaux pour l’alimentation des vaches laitières… La paysannerie hollandaise et frisonne démontre qu’elle est capable de mettre en œuvre des innovations techniques permettant un accroissement très important de la productivité du travail agricole. La bourgeoisie urbaine, parvenue au pouvoir à la fin du XVIe siècle, saisit l’occasion: elle investit massivement dans le développement de cette économie paysanne - trois fois plus de capitaux que dans la Compagnie orientale des Indes crée à la même époque - en se lançant dans de vastes travaux d’assèchement des lacs intérieurs les plus profonds (50% de la superficie agricole de la Hollande) pour créer des exploitations de 20 ha, données en fermage à des paysans. Pour ne pas compromettre la rentabilité de ses investissements, elle met en place une fiscalité avantageuse qui permet la poursuite d’un développement rapide dans les exploitations des régions côtières aux XVIIième et XVIIIième siècles.
A la fin du XIXième siècle, lors de la dépression agricole, le gouvernement néerlandais choisit de maintenir le libre-échange, mais met en œuvre une politique agricole qui vise à consolider cette économie paysanne :
mise en place du système de recherche - enseignement - vulgarisation agricole, entièrement pris en charge par l’Etat et qui s’adresse à tous les agriculteurs (cours du soir et d’hiver) ;
soutien au développement de la coopération pour l’approvisionnement, la transformation des produits agricoles ainsi que le crédit à l’agriculture: l’Etat subventionne la création de caisses de crédit mutuel agricole.
Par ailleurs les pouvoirs publics interviennent dans les régions intérieures pour faciliter et accélérer le partage et le défrichement des landes communales, qui occupaient près des ¾ du territoire, en donnant la priorité à l’agrandissement des exploitations paysannes. Ce processus est facilité par la possibilité d’accès au crédit foncier.
Dès le début du XXième la paysannerie des régions intérieures néerlandaises s’intègre pleinement aux échanges marchands : elle se tourne vers le développement des productions animales sur de petites surfaces (lait, porc, volaille) en achetant des céréales à bas prix sur le marché mondial, mais aussi des engrais, des amendements ….
Cependant cette insertion s’effectue avec près de trois siècles de retard par rapport aux régions côtières. Les handicaps qu’ont connu les régions intérieures (difficultés de transport, fiscalité beaucoup moins avantageuse) ont entraîné l’apparition d’inégalités de développement agricole qui fonctionnent de manière cumulative et subsistent donc en 1950 malgré les profondes transformations opérées par les exploitations de ces régions depuis la fin du XIXième siècle.
Après la seconde guerre mondiale, les pouvoirs publics néerlandais mettent en œuvre une politique visant à réduire les inégalités économiques et sociales au sein du monde agricole, en particulier sur le plan régional. Cette politique volontariste et systématique n’a jamais été remise en cause entre 1950 et le milieu des années 1980. Elle a utilisé successivement différents outils, et se caractérise par une grande cohérence, avec une répartition harmonieuse des financements entre: la recherche, l’enseignement et la vulgarisation agricole, la modernisation des exploitations, l’aménagement de l’espace rural et le soutien à l’agroindustrie.
Comment une telle politique, particulièrement originale en Europe de l’Ouest, a-t-elle pu être mise en œuvre ?
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les pouvoirs publics néerlandais commencent à intervenir activement dans l’économie nationale, à tel point que les économistes ont pu parler d’économie « semi-dirigée ». Cette intervention s’effectue dans le cadre d’une collaboration étroite avec les partenaires sociaux, représentés de manière paritaire au sein d’organismes de droit public qui se voient conférer une partie importante des prérogatives traditionnelles de l’Etat.
La loi-cadre sur l’organisation de l’économie de 1950 offre en effet la possibilité de créer ces organismes dans tous les secteurs de l’économie. L’Etat continue de prendre les grandes orientations de la politique économique, tandis que la traduction de ces orientations dans les différents secteurs incombe à ces organismes. Dans le secteur agricole, trois types d’organismes sont créés :
un organisme « horizontal », au sein duquel sont représentés de manière paritaire les organisations d’exploitants et de salariés agricoles,
des organismes « verticaux » de filière, avec une représentation paritaire des différents agents de la filière,
des « fondations » chargées de la mise en œuvre des mesures de politique agricole de portée générale, au sein desquelles siègent des représentants du Ministère de l’agriculture et des agriculteurs.
Dans le secteur agricole le taux de syndicalisation est élevé : plus de 80% des agriculteurs sont membres de l’un des trois syndicats d’exploitants. L’un des syndicats est le porte-parole des exploitations des régions intérieures. Le pluralisme syndical néerlandais permet donc une représentation démocratique des paysans : les intérêts des petites exploitations des régions défavorisées vont pouvoir s’exprimer au sein de ces organismes chargés d’un rôle important au niveau de la définition et de la mise en œuvre de la politique agricole. La défense de leurs intérêts rencontrera un écho favorable auprès d’un gouvernement dont l’un des objectifs prioritaires est la réduction des inégalités économiques et sociales.
Les pouvoirs publics sont peu intervenus pour corriger le marché foncier. La Fondation pour l’Administration des terres, créée en 1950, intervient de manière prioritaire dans les zones d’aménagement de l’espace rural, dans le cadre de la politique d’incitation à la cessation d’activité, mais assez peu sur le marché libre. De 1953 à 1963, les ventes de terres agricoles étaient soumises à un contrôle tant au niveau du prix que de la destination des terres. Sa suppression a conduit à une augmentation des prix sur le marché, qui, dans ce pays à forte densité de population, ont atteint des niveaux élevés (150 à 200 000 F/ha aujourd’hui). Le contrôle des fer-mages a été maintenu.
La politique agricole intervient par contre active-ment au niveau du crédit agricole, afin de favoriser la modernisation des exploitations les moins bien dotées. Dès 1950 un fonds de crédit à l’agriculture est créé : il offre la garantie à des agriculteurs présentant un projet de développe-ment viable mais qui ne possèdent pas de garanties suffisantes pour obtenir des prêts auprès des banques. Le projet peut comprendre l’agrandissement de l’exploitation. Les investissements sont soutenus par des dégrèvements fiscaux importants.
La réduction des inégalités régionales de développement agricole s’est effectuée en plusieurs étapes, grâce à la mise en œuvre successive de différents instruments de politique agricole:
politique de prix régionalement différenciés, en faveur des régions défavorisées, entre 1950 et 1965;
limitation de la production avicole, hors-sol, aux exploitations de moins de 10 ha, leur permettant ainsi de compenser en partie leur handicap de taille, de 1950 à 1960;
aménagement intégral de l’espace rural (remembrement parcellaire, construction de nouveaux bâtiments d’exploitation, amélioration des infrastructures) à partir de 1958, qui vise les ¾ du territoire agricole à l’horizon 2000, selon une planification donnant la priorité aux régions les plus défavorisées. Ces régions sont celles où l’on peut attendre les accroissements les plus importants de productivité, assurant par là même l’utilisation optimale des fonds publics importants qui sont investis. L’objectif a été globalement respecté et a constitué un outil puissant de réductions des inégalités régionales de développement;
aides à l’investissement régionalement différenciées entre 1978 et 1982, autorisant des taux de subventions beaucoup plus importants dans les régions défavorisées; ces aides ne sont offertes qu’à des exploitations dont le revenu est inférieur à un revenu de référence, fixé lui-même en deçà du salaire moyen;
intervention des pouvoirs publics sur le mar-ché foncier avec la Fondation pour l’administration des terres,
mise en œuvre d’une politique de recherche et de vulgarisation adaptée aux problèmes des différentes régions: dès 1932, sont mis en place des centres spécialisés dans le développement des petites exploitations des régions intérieures. A partir de 1970, la politique de développement agricole aux Pays-Bas s’appuie sur un véritable appareil de recherche-développement, qui se montre capable de proposer des formes d’organisation de la production appropriées, en anticipant sur les initiatives individuelles.
La mise en œuvre de cette politique a permis aux exploitations des régions intérieures de combler leur retard en une quarantaine d’années; elle a permis globalement de moderniser l’appareil productif du pays tout en réduisant les inégalités économiques et sociales au sein du monde agricole. La réduction de l’éventail des inégalités de répartition des terres et du capital est la plus satisfaisante socialement et économiquement car elle permet la pleine utilisation de ces ressources, et, partant, la productivité du travail la plus élevée : les performances de l’agriculture néerlandaise sont là pour le montrer. Cette répartition a été permise par la mise en œuvre d’une politique audacieuse et originale, dont l’élaboration a été rendue possible par la collaboration étroite avec un syndicalisme puissant et représentant démocratiquement les agriculteurs.