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Rédigé par : Claude Servolin, Michel Merlet
Date de rédaction :
Organismes : Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de Développement (IRAM), Réseau Agriculture Paysanne et Modernisation (APM), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type de document : Article / document de vulgarisation
SERVOLIN, Claude. L’agriculture moderne. Editions du Seuil. Février 1989. 318 p.
Entretien avec l’auteur (2001).
C’est le Danemark qui a « inventé » la politique agricole moderne des pays capitalistes européens, grâce à une réflexion engagée dès le milieu du XVIIIe siècle sous l’égide de la monarchie absolue et appuyée par la bourgeoisie marchande. A cette époque, l’agriculture danoise était caractérisée par un régime agraire dominé par les propriétaires nobles, avec un servage très oppressif. Les méthodes rudimentaires du vieil assolement triennal collectif, de lourdes corvées, de fortes redevances maintenaient les paysans dans la misère. « A l’initiative de l’administration royale, des commissions d’enquête sur l’agriculture furent réunies, car au sein même du mouvement réformateur s’élevait un débat portant sur le type d’agriculture qu’il convenait de mettre en place pour rétablir la prospérité du pays ».
Il y avait un certain consensus sur la nécessité de la suppression de la rotation collective, sur le partage des communaux, sur le regroupement des parcelles, mais deux courants de pensée s’affrontaient avec d’une part les partisans d’un système de grande exploitation à l’anglaise, qui aurait amené à chasser de la terre la majorité de la population agricole, et d’autre part, ceux d’une petite paysannerie nombreuse et aisée qui soutenait qu’une « telle paysannerie, pourvu qu’on lui en fournisse les moyens, était parfaitement capable de mettre en œuvre les innovations techniques anglaises, avec une efficacité technique et économique au moins égale à celle des aristocratiques country gentlemen. Après de violentes luttes politiques, c’est ce dernier point de vue qui finit par prévaloir, dans les dernières années du XVIIIe siècle. »
C. Servolin souligne l’importance de ces décisions: « Avec une lucidité véritablement admirable et dont l’histoire présente sans doute bien peu d’exemples, la partie éclairée de la classe dirigeante danoise, appuyée par le roi et son administration progressiste, sut tout à la fois discerner les extraordinaires possibilités de développement de l’exploitation paysanne et identifier tous les obstacles qu’il fallait lever pour que ces possibilités se réalisent. En très peu d’années, un ensemble de mesures législatives surent en libérer les paysans. »
dès 1786, abolition des obligations féodales et remplacement par un loyer fixe en argent des terres. Imposition d’un statut du fermage moderne définissant les droits et devoirs du fermier et du propriétaire.
dès 1788, création d’une banque publique pour aider les paysans à se rendre propriétaires de la terre en leur consentant des prêts à long terme et à bas taux d’intérêt : dès 1820, les exploitants étaient déjà propriétaires de près de la moitié des terres qu’ils cultivaient et cette proportion ne fit que croître au long du XIXe siècle. Dès 1850, les paysans sont encouragés à créer un système de crédit coopératif pour financer les campagnes de production.
augmentation du niveau d’instruction générale et technique. En 1814, enseignement primaire obligatoire. Puis création d’un vaste réseau d’écoles supérieures populaires avec l’aide de l’Etat et d’un système très dense d’enseignement professionnel agricole. Dès 1868, instauration d’un système de formation permanente pour les jeunes agriculteurs (par le biais de bourses de stages)
La crise des années 1880 paracheva la construction du système agricole danois:
réorientation de la petite et moyenne paysannerie vers les productions animales intensives porcs, produits laitiers, viandes bovines, œufs, plus avantageuses que les productions végétales sur de petites surfaces
orientation résolue vers l’exportation. Petit pays dont l’agriculture est la principale ressource naturelle, le Danemark avait intérêt à tirer parti d’une branche négligée par les grands pays industriels. Dès 1880, le Danemark exportait les 2/3 de sa production. Avec l’apparition de céréales à bon marché, le Danemark devint une usine de transformation en produits animaux pour les grandes concentrations urbaines d’Allemagne d’abord et de Grande Bretagne plus tard. Entre 1870 et 1914, le nombre de vaches laitières doubla, la production de beurre quadrupla, le nombre de porcs fut multiplié par six.
l’évolution s’appuie « sur une paysannerie solidement organisée, encadrée, disciplinée. Ce fut l’œuvre des « syndicats agricoles » (Land-boforeniger). » Fondés pour diriger la lutte pour la libération politique et économique de la paysannerie, ils appuient la politique d’expansion agricole en construisant un puissant secteur coopératif.
Dans un système agricole dont la production est destinée à l’exportation, les niveaux de prix ne sont plus liés à l’état des marchés locaux et de la demande intérieure. « Pour chaque produit, le marché se trouve unifié sous l’autorité des bureaux d’exportation fondés par les coopératives: chaque branche de production est par eux organisée verticalement « en filière ». Les produits agricoles acquièrent des caractéristiques modernes: uniformisation, spécifications techniques et qualitatives rigoureuses, et en même temps individualisation vis-à-vis de la concurrence par l’imposition de marques, de labels, …. . C’est par les coopératives et bureaux d’exportation que passent la régulation des marchés et des prix, l’orientation des productions.
L’agriculture individuelle rompt avec ses origines artisanales sur un point essentiel: alors que le producteur artisanal travaille pour la demande existante, préalablement exprimée et connue de lui, ce nouveau type d’exploitant agricole travaille pour un marché lointain dont il ne connaît pas les limites. Ceci l’incite à produire de plus en plus, pour accroître son revenu, mais demande à la fois l’intervention d’autres acteurs et en particulier de l’Etat:
« la caractéristique la plus importante de cette nouvelle agriculture : c’est le rôle essentiel que joue l’Etat. Dans son émergence d’abord, puisque la « libération » de l’exploitation individuelle ne se conçoit pas sans l’intervention du projet politique de l’Etat, de l’appui politique, administratif, financier qu’il apporte à la paysannerie organisée; dans son fonctionnement, ensuite, qui suppose que l’Etat impose une stratégie de développement, assure et finance la régulation de la production, de l’investissement et des marchés, soit directement, soit par l’intermédiaire des organisations professionnelles agricoles. »
Le modèle agricole danois constitue en quelque sorte le prototype des politiques agricoles modernes que successivement tous les Etats capitalistes européens ont adoptées et mises en pratique. On retrouve des évolutions similaires dans les petits pays du Nord de l’Europe, comme les Pays-Bas, par nécessité économique, alors que dans les autres pays d’Europe de l’Ouest, la construction de l’agriculture moderne a commencé beaucoup plus tard et s’est faite plus lentement, de manière moins générale et moins systématique soit à cause de la coexistence de systèmes agraires différents (agriculture paysanne et grands domaines en Europe du Sud et orientale) soit du fait de l’existence de vastes empires, ou d’une suprématie industrielle précoce (Angleterre, France).
A partir de la fin du XIXe siècle, les pays européens ont tour à tour explicitement décidé de fonder leur agriculture sur l’exploitation individuelle, et non sur la grande exploitation capitaliste à l’anglaise, en lui fournissant les moyens de réaliser ses potentialités de développement: en premier lieu par le financement, et aussi par tout un jeu de mesures visant à moderniser les exploitations et adapter leur taille aux besoins de la société (politiques des structures).
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