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Rédigé par : Oussouby Touré
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), LandNet West Africa, Le Hub Rural - Appui au développement rural en Afrique de l’Ouest et du Centre (Le Hub Rural), Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF), Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Type de document : Article / document de vulgarisation
Il existe des personnes vulnérables sur le plan foncier, c’est-à-dire des acteurs qui se caractérisent par la précarité de leurs droits d’exploitation des terres et des ressources naturelles. Toutefois,on peut se demander si le concept de « groupes vulnérables » n’est pas utilisé sans discernement par les acteurs du développement. On peut se rendre compte que les groupes dits vulnérables ne constituent pas des catégories sociales aussi homogènes qu’on le prétend et que n’importe quel groupe d’acteurs peut basculer dans une situation de précarité foncière, y compris ceux qui ne sont pas identifiés comme groupes vulnérables.
Constat d’un usage abusif du concept de vulnérabilité
Depuis le début des années 1980, plusieurs travaux de recherche ont été menés sur le concept de vulnérabilité qui est au cœur de nombreuses analyses sur les risques liés aux catastrophes naturelles, à la pauvreté et à la malnutrition. Au sens général, la vulnérabilité est définie comme la prédisposition d’un système à souffrir d’un choc ou d’un stress externe provoqué par des aléas climatiques, des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques. Ces événements peuvent être étendus à des facteurs de risques technologiques ou socio-économiques.
Il existe dans les zones rurales d’Afrique de l’Ouest des personnes vulnérables sur le plan foncier, c’est à dire des acteurs qui se caractérisent par la précarité de leurs droits d’exploitation des ressources naturelles, en particulier des terres de culture, des pâturages et des ressources en eau. Toutefois, on peut se demander si le concept de « groupes vulnérables » n’est pas utilisé sans discernement par les acteurs du développement. Une analyse plus fine des dynamiques locales permet de se rendre compte que les groupes dits vulnérables ne constituent pas des couches et catégories sociales aussi homogènes qu’on le prétend. Dans le même temps, on constate que n’importe quel groupe d’acteurs peut basculer dans une situation de précarité foncière, y compris ceux qui ne sont pas identifiés comme groupes vulnérables. Face à ces constats, la question essentielle qui se pose est la suivante : comment peut-on prendre en compte la réalité des situations de précarité et de vulnérabilité foncières sans tomber dans des généralisations abusives ?
La Déclaration adoptée à l’issue de la conférence régionale sur la problématique foncière et la décentralisation (Praia, Cap-Vert, juin 1994) a consacré un chapitre spécifique aux « exclus du foncier », particulièrement les femmes, les pasteurs, les métayers, les migrants,les réfugiés et les personnes déplacées. Une telle classification des groupes sur la base du critère de la vulnérabilité foncière est discutable parce qu’elle débouche sur l’établissement d’une liste fermée d’acteurs sociaux qui seraient toujours et en toutes circonstances dans une situation foncière vulnérable.
À y regarder de près, cette liste n’est pas exhaustive puisque des types d’acteurs qui n’y figurent pas peuvent se trouver dans certains cas dans une situation d’insécurité foncière. C’est le cas notamment des enfants orphelins et des exploitations familiales proches des villes dont le domaine foncier peut être annexé à tout moment par un lotissement. On retiendra en résumé qu’une typologie des groupes vulnérables sur le plan foncier appliquée à vaste échelle conduit à une généralisation abusive. La complexité et la diversité des réalités sur le terrain ne permettent pas d’inventorier de façon exhaustive l’ensemble des cas de vulnérabilité foncière.
Par ailleurs, l’insécurité foncière ne doit pas être perçue comme spécifique à certains groupes prédéterminés, dans la mesure où elle est susceptible d’affecter n’importe quelle catégorie de la population rurale.
C’est le terme de « groupe » qui est à l’origine de l’ambiguïté du concept de « groupe vulnérable » parce qu’il renvoie à un ensemble de personnes ayant des caractéristiques communes et présentant un profil homogène. Ainsi,dans l’approche classique de la problématique genre,on considère qu’en milieu rural ouest-africain, les femmes sont particulièrement vulnérables au processus de paupérisation, en raison principalement des disparités relatives à l’accès au foncier.
En réalité,l’insécurité foncière n’affecte pas de la même manière toutes les femmes. Elle touche plus durement les femmes qui appartiennent aux ménages ruraux les plus pauvres,qui éprouvent des difficultés d’accès à la terre (petite parcelle, sol pauvre, perte de parcelle par la vente ou la mise en gage, etc.). En revanche, certaines femmes parviennent à accéder à la terre par la location ou l’achat de parcelles. Ainsi,on constate qu’au Niger,les transactions foncières favorisent une « minorité de femmes nanties en mesure de payer le bail ou le prix du champ ».
Dans la zone sud du Niger, l’afflux continu des immigrants et le dynamisme démographique qui en résulte accroissent la pression sur les terres ; ce qui débouche parfois sur des conflits sociaux. Pour les immigrants, l’emprunt constitue le principal mode d’accès à la terre. Il s’agit d’un contrat verbal de durée déterminée ou indéterminée. Dans la plupart des cas, l’emprunteur est astreint au paiement d’une dîme symbolique. Le paiement régulier de cette redevance permet au migrant d’exploiter la parcelle aussi longtemps que possible ; ainsi nombre de migrants ne se trouvent pas en situation d’insécurité foncière. Par contre, cette redevance constitue également la preuve annuellement répétée du statut de la terre prêtée. Son non-paiement, sans motif valable (mauvaises récoltes par exemple), représente un non-respect du contrat et peut entraîner l’annulation du prêt. L’immigrant peut également perdre le droit de cultiver la parcelle, lorsque le propriétaire éprouve le besoin de reprendre sa terre.
Au Burkina Faso, les efforts de sécurisation foncière de groupes dits vulnérables menés dans certaines zones rurales n’ont pas présenté d’intérêt véritable au regard des pratiques locales. Le projet qui a développé ces initiatives a considéré qu’elles se justifient par le fait que les zones concernées se caractérisent par :
la fréquence des cas de retrait des parcelles des femmes et des migrants ;
la difficulté d’accéder à la terre pour ces deux groupes d’acteurs.
Pour y remédier, le projet a appuyé l’élaboration d’outils de sécurisation foncière intégrant notamment des « accords verbaux et des contrats fermiers ».
L’évaluation de l’impact de ces actions a montré qu’elles n’ont pas de valeur ajoutée réelle parce que les migrants concernés sont pour la plupart installés depuis longtemps dans la zone et entretiennent avec les autochtones des relations sociales privilégiées ; ce qui leur permet de disposer de droits d’exploitation agricole quasi permanents, contrairement aux migrants arrivés récemment qui n’ont pas bénéficié des outils de sécurisation foncière.
En ce qui concerne les femmes, elles exploitent les parcelles mises à leur disposition par leurs époux. Dans ces zones, l’accès des femmes à la terre « ne comporte pas d’enjeux majeurs ».
S’agissant des pasteurs, on constate qu’ils sont confrontés à des problèmes d’accès aux ressources en eau et en pâturage, en particulier dans les zones où l’élevage coexiste avec l’agriculture. En effet, le statut flou des pâturages tend à favoriser le défrichement agricole au détriment de l’élevage. Dans ces régions, le pastoralisme est plus toléré qu’il n’est accepté : l’activité pastorale peut à tout moment être remise en question par les pouvoirs publics (création de ranchs)ou par les agriculteurs autochtones (annexion des zones de parcours par les cultures).
Du point de vue des législations foncières en vigueur dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, contrairement à la production agricole, le fait d’entretenir et d’exploiter régulièrement un pâturage n’est pas considéré comme une mise en valeur permettant de conférer aux éleveurs des droits fonciers reconnus et protégés par la loi. Il paraît toutefois plus juste de dire que le pastoralisme est une activité de moins en moins sécurisée sur le plan foncier, plutôt que de généraliser en affirmant que tous les pasteurs sont vulnérables, ce qui serait une généralisation abusive.
Liens entre le concept de groupes vulnérables, les législations foncières et les outils de sécurisation foncière
L’adoption de nouvelles législations foncières par les États d’Afrique de l’Ouest a débouché sur une situation d’insécurité foncière pour certains groupes ruraux en raison de facteurs liés à :
l’accentuation de la compétition autour de l’accès à la terre et aux ressources naturelles ;
et la diversité des règles qui régissent l’accès aux ressources naturelles, particulièrement à la terre (législation moderne, droit coutumier et droit islamique).
L’imprécision des modalités de mise en œuvre des législations foncières, l’insuffisance d’outils efficients d’application de ces législations et l’absence d’un dispositif approprié de suivi ont favorisé des interprétations tendancieuses des lois et réglementations foncières. En effet, on constate que chaque catégorie d’acteurs ne retient de la législation foncière que ce qui lui permet de sauvegarder ses intérêts particuliers. Cette situation favorise les élites mieux informées, et pénalise davantage les populations rurales pauvres de plus en plus marginalisées en matière d’accès à la terre et de sécurisation de leurs droits fonciers.
Actuellement au Sénégal, par suite de l’acquisition de droits fonciers par les investisseurs privés sur de vastes superficies de terres, des catégories sociales non considérées a priori comme vulnérables sont en train de basculer dans l’exclusion, du fait de la privation de l’accès à des terres qu’ils exploitaient jusqu’alors.
Par ailleurs, il convient de souligner que les législations foncières ne prennent pas suffisamment en compte la préoccupation de l’accès équitable à la terre et aux ressources naturelles. Dans la plupart des pays de la sous–région, l’application des législations a renforcé le processus d’accaparement des terres par les groupes localement prééminents et favorisé la marginalisation de certaines activités perçues comme n’étant pas des formes de mise en valeur de la terre (élevage par exemple). Cet état de fait entraîne l’aggravation des tensions et des conflits pour le contrôle des ressources naturelles.
Une telle situation est en grande partie liée au fait que les modalités d’élaboration des législations se fondent le plus souvent sur des approches non participatives tendant à confiner les groupes vulnérables dans une position marginale.
Outre la décentralisation, d’autres processus ayant des implications importantes pour le foncier rural sont actuellement en cours en Afrique de l’Ouest. Ils concernent notamment l’expérimentation d’outils de sécurisation foncière (plans d’occupation et d’affectation des sols, plans fonciers ruraux, plans de gestion des parcours, etc.), ainsi que la mise en œuvre d’approches novatrices en matière de Gestion des Ressources Naturelles (GRN)(conventions locales, législations spécifiques au pastoralisme, etc.).
Ces nouvelles approches ouvrent, théoriquement, des perspectives intéressantes dans la mesure où elles sont censées promouvoir l’inclusion de tous les usagers d’une même ressource dans les processus décisionnels. Par exemple, les conventions locales qui sont actuellement testées sur le terrain peuvent potentiellement assurer une meilleure équité et inclusivité dans l’accès aux ressources naturelles.
Mais, certains travaux de recherche mettent en exergue les risques d’exclusion dont le processus de décentralisation est porteur, en raison des menaces de repli identitaire. Les expériences suscitent également des interrogations qui sont relatives notamment aux conditions à promouvoir pour éviter que les institutions et les avantages liés aux conventions lo- cales soient accaparés par les élites.
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