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Rédigé par : Marta Fraticelli, Cécile Pinsart
Date de rédaction :
Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), ISTOM - Ecole Supérieure d’Agro Développement International (ISTOM)
Type de document : Étude / travail de recherche
Le rapport des hommes à l’espace et aux ressources naturelles dépend des caractéristiques du milieu, des outils et techniques dont ils disposent, mais aussi de leur culture et de leur organisation sociale et politique. Chaque groupe humain, souvent constitué en interaction - conflictuelle et/ou constructive - avec les autres,, a élaboré des modes de gestion et des systèmes de gouvernance des ressources naturelles qui lui sont propres. Dans le droit endogène des sociétés forestières du Cameroun, le rapport des hommes au territoire et aux ressources se structure sur des bases différentes de celles auxquelles nous faisons communément référence. La terre étant avant tout un élément de médiation entre l’homme et le sacré, elle ne peut pas être appropriée de façon privée. Une pluralité de droits et d’ayant-droits coexistent et se superposent sur les différents espaces et ressources forestiers.
Les sociétés du sud forestier du Cameroun sont majoritairement des populations Bantoues. (On y trouve aussi des Bakas, peuples autochtones de chasseurs cueilleurs aux structures sociales très différentes, dont l’évolution récente fait l’objet d’une fiche spécifique). Cette fiche présente les caractéristiques de la structuration sociale et spatiale des sociétés Bantoues et leurs modes d’utilisation du milieu.
La société bantoue, une organisation structurée par les liens de parenté
Lorsque les chercheurs caractérisent les sociétés Bantoues du Sud Cameroun comme acéphales ou segmentaires, cela signifie qu’elles ne sont pas structurées selon une organisation hiérarchique dans laquelle il serait possible d’identifier une autorité politique centrale. Les différents groupes qui les composent sont déterminés par la proximité parentale de leurs membres, et chaque ensemble lignager évolue avec une grande autonomie. Cela ne signifie pas pour autant que ces sociétés soient désorganisées et sans capacité d’arrêter des choix collectifs. Bien au contraire, elles disposent d’institutions fortes qui s’appuient sur un attachement profond des individus aux valeurs du système clanique et lignager1.
Chaque groupe de parenté (ou lignage) organise l’utilisation d’un territoire distinct et des ressources naturelles qu’il contient. Les processus sociaux qui conduisent à la définition des droits et à l’aménagement de leurs garanties se déroulent dans les espaces de décision2 que sont le foyer, la famille étendue et, finalement, des espaces aussi ouverts que le lignage et même le village tout entier, qui peut réunir plusieurs lignages3.
Au sein des communautés Bantoues, il existe une grande diversité d’ayants-droit4. Un individu appartient à de multiples groupes sociaux bien identifiés, tous déterminés par le degré plus ou moins éloigné de parenté des membres qui le constituent. On pourrait dire de ces groupes qu’ils sont donc « emboîtés » d’un point de vue généalogique5.
Les droits sur les ressources situées en un point donné du territoire relèvent à la fois de la sphère individuelle et de la sphère collective déclinée à toutes les échelles de l’organisation généalogique de la communauté. Quelles sont ces échelles ?
L’ethnie réunit un ensemble de clans qui partagent une langue, une histoire et une origine communes (le terme de tribu est généralement réservé à des groupes de plus faibles effectifs et plus localisés dans l’espace).
Le clan est constitué d’un ensemble de patrilignages (voir échelle suivante) disposant d’un ancêtre commun. Les individus d’un même clan revendiquent explicitement une facette identitaire partagée. L’endogamie6 est plus ou moins autorisée au sein des clans selon la proximité de parenté. Les membres d’un même clan peuvent habiter des villages différents et un même village peut être habité par les membres de clans différents.
Le «patrilignage»7 est composé d’un ensemble de familles élargies (voir plus bas), ou « grandes familles », qui possèdent un ancêtre commun identifié et à partir duquel les membres des familles savent reconstituer leur arbre généalogique détaillé. Le mariage est exogame8 relativement au membres du patrilignage et il repose sur un principe de virilocalité. Autrement dit, l’homme est tenu de trouver sa femme au sein d’un patrilignage différent du sien et le couple de fonder son foyer dans le village de l’homme.
La famille élargie9 ou « lignée exécutive 10» est l’unité de parenté dotée d’une base territoriale et d’un ensemble de ressources naturelles données. Chaque grande famille constitue un hameau au sein du village et est composée couramment par une dizaine de ménages. À sa tête, on trouve le « chef de la grande famille » qui prend seul des décisions opérationnelles ou officialise des choix collectifs. Il est chargé du partage de l’accès aux terres entre les membres de la famille élargie et règle notamment les successions. Il est aussi l’autorité de résolution des litiges.
Chaque famille élargie est constituée d’un ensemble de familles nucléaires (nda bot)11 ou « lignées nucléaires ». Cette unité sociale de base couvre trois générations (grands-parents, parents, enfants). Elle ne correspond pas nécessairement à l’unité résidentielle ou domestique. Le nda bot constitue le plus petit ensemble d’individus qui puisse prendre des décisions valides pour ses membres en ce qui concerne l’appropriation des ressources naturelles et leur répartition, en particulier à l’occasion des mariages et des successions. La famille nucléaire dispose de l’unité de « propriété » de base, déterminée par le partage des terres agricoles qui s’est opéré aux échelons collectifs de gouvernance supérieurs, notamment à l’occasion du mariage et des successions.
La segmentation des lignages - leur scission en plusieurs nouveaux lignages distincts – suppose l’affranchissement de ces derniers membres. Elle a lieu généralement lorsque le groupe atteint une taille critique, génératrice d’un trop grand nombre de conflits12.
Un village peut être constitué d’une ou de plusieurs lignées exécutives, voire patrilignages et mêmes clans bantous. Mais il peut aussi inclure des Bakas (Voir fiche C-5). Il est généralement situé sur une piste qui le relie à d’autres villages. En général, les villages ne sont pas éloignés les uns des autres de plus de quelques kilomètres.
Le système de production : « abattis-brûlis » et cacao-culture
Les sociétés bantoues du sud forestier du Cameroun sont des sociétés d’agriculteurs qui complètent leur régime alimentaire au moyen de la chasse, de la pêche et de la cueillette de produits forestiers non ligneux. Les systèmes de production agricoles des populations Bantoues associent de nombreuses cultures : plantain, arachide, maïs, macabo, manioc, haricot, courge, piment et des arbres fruitiers (avocatiers, manguiers et orangers). Les plantations pérennes (de cacaoyers, de caféiers13) ont été introduites auprès des populations locales par l’administration coloniale allemande. C’est à cette époque que les agriculteurs de la forêt se fixent dans des villages le long des routes construites par l’administration coloniale. La cacao-culture s’intensifie à l’époque de la colonisation française. Elle a donné lieu à une spécialisation des rôles à l’intérieur des familles. Les femmes sont en charge des cultures vivrières alors que les hommes travaillent prioritairement dans les plantations de cacao.
Les Bantous pratiquent l’abattis-brûlis, un système de production typique des agricultures manuelles en milieu forestier, très répandu dans le monde. Les parcelles défrichées sont cultivées durant une, deux, voire parfois trois années puis abandonnées au reboisement naturel (friche) pendant une durée qui varie de quelques années à plusieurs décennies. Le terrain est nettoyé par le feu après abattage des arbres afin de permettre l’installation d’une culture. Le terrain n’étant pas essouché, les arbres repoussent, par rejets ou par régénération naturelle, et une forêt secondaire se reconstitue.
Ce type d’agriculture permet de contrôler la végétation herbacée et de limiter les tâches de désherbage dans les champs cultivés. Celle-ci disparaît en effet après plusieurs années de couvert forestier. L’abattis-brûlis permet également de régénérer la fertilité des sols, grâce à la longue phase de repousse forestière. Les arbres puisent des éléments minéraux dans les couches profondes du sol, et un sol fertile et meuble se reconstitue sous le couvert arboré. Une partie des éléments minéraux provenant des végétaux abattus et brûlés est restituée aux cultures sous la forme de cendres. Enfin, tant que les parcelles cultivées sont dispersées et immergées dans un univers forestier, ces systèmes ne provoquent pas de phénomènes importants d’érosion.
Le facteur limitant pour les agriculteurs utilisant des outils manuels est la force de travail pour l’abattage des gros arbres. Il faut plusieurs années et parfois plusieurs décennies pour que se reconstitue sur la friche arborée la quantité de biomasse qui permet la durabilité du système, humus et parties aériennes des arbres. Il convient également d’éviter que le terrain soit envahi par des « mauvaises herbes » qui entreraient en compétition avec les plantes cultivées et dont le contrôle demanderait, compte tenu des outils disponibles une quantité de travail excessive. Les systèmes d’agriculture sur abattis-brûlis fonctionnent donc sur la base d’un compromis entre facilité d’abattage du couvert secondaire d’un côté, et reproduction de la fertilité du milieu de l’autre.
Le temps laissé à la reconstitution du couvert végétal est bien sûr fonction à la fois de la pression démographique et de l’étendue de la « réserve foncière », c’est-à-dire de la surface de forêt où peut s’opérer la mise en culture pour les besoins du village. La dimension de la réserve foncière dépend notamment de la capacité journalière de déplacement des cultivateurs bantous. Traditionnellement, à partir d’un certain seuil, une partie de la population doit fonder un autre village plus loin en forêt. L’accroissement des besoins alimentaires d’une population qui augmente conduit ainsi les populations bantoues à étendre leur emprise foncière, à trouver plus loin des terres à mettre en culture suivant le même système de production. Les systèmes agricoles bantous sont des systèmes agro-forestiers, dans lesquels les espaces agricoles s’intègrent complètement dans la forêt.
Ces systèmes ont été souvent diabolisés, accusés de détruire l’écosystème forestier. Ce n’est pas le cas s’ils disposent de superficies suffisamment grandes permettant une intégration durable entre les pratiques agricoles et la régénération du couvert forestier. Mais lorsqu’il y a de moins en moins de terres accessibles, lorsque la densité de population sur celles-ci augmente, les populations ne parviennent plus à maintenir l’équilibre du cycle long d’abattis – production agricole – repousse forestière. Elles doivent alors allonger la durée des cultures et réduire celle de la friche arborée. Cela entraîne une baisse de fertilité du milieu, et une déforestation de plus en plus prononcée qui s’accompagne souvent de phénomènes d’érosion. Les systèmes de production ne sont alors plus durables.
Les systèmes agro-forestiers actuels des populations Bantoues du sud du Cameroun ne sont plus uniquement basés sur l’abattis-brûlis. Les plantations de cacaoyers, une culture de rente introduite à l’époque coloniale, y occupent une place importante. Pratiquées sous couvert arboré, et parfois sur des anciennes friches, ces plantations apportent une part importante des revenus monétaires de ces agriculteurs. Ces systèmes mixtes, qui peuvent aussi dans d’autres régions incorporer d’autres arbres, permettent de nourrir plus de personnes que les systèmes d’abattis-brûlis exclusifs. La création de formes d’organisation communautaire (groupements de stockage et d’achat) autour de la culture du cacao a été longtemps poussée par l’État afin de mieux organiser la production.
Les systèmes de production se sont complexifiés. Une division du travail entre hommes et femmes s’est développée. Les femmes sont parfois contraintes de pratiquer des rotations avec des friches d’un an seulement (dites « codinguy »). La polygamie est fréquemment observée dans les sociétés d’agriculteurs sur abattis-brûlis et la société bantoue ne fait pas exception. Les femmes sont généralement les individus qui, au sein de la société bantoue,disposent de la plus faible quantité de ressources foncières et de main d’œuvre pour les cultiver.
L’organisation des territoires coutumiers
Dans les sociétés forestières du sud du Cameroun la connaissance et la représentation de l’espace se font à partir des lieux naturels (fleuves, bas-fonds, grands arbres…) et des chemins et réseaux de pistes utilisés pour les différentes activités (extractivisme, agriculture, chasse et pêche).
Cette représentation n’est pas spécialisée (à chaque ressource ou espace est assignée une fonction spécifique) mais intégrative, ou polyvalente : pour chaque espace peuvent exister des usages distincts et être définis des droits multiples. Sur chaque ressource, peuvent être définis des droits différents en fonction des usages que l’on peut en faire, de son emplacement et de la durée de son usage. Sur un même espace, se superposent par conséquent des droits différents, relatifs aux diverses activités que ces espaces abritent; les activités concurrentielles s’excluent entre elles, mais l’accès aux ressources pour des usages non concurrentiels est consenti.
1- Une diversité d’espaces sur lesquels s’exercent des activités multiples
Les communautés villageoises du Sud Cameroun définissent généralement six grands espaces physiques caractéristiques de leur environnement14: l’espace agricole (Si-mefub), les champs en jachère (ekotok, qui font partie intégrante du cycle de culture) , les terres marécageuses (élobe), les routes et chemins, l’espace aquatique (mendim) et la forêt (afan). Cette dernière, selon les zones d’étude, peut être considérée unitairement comme forêt primaire, ou bien être constituée de deux espaces distincts : forêt primaire et secondaire.
Dans chaque différent espace, un ensemble de règles et de normes coutumières est défini.
a- L’espace agro-forestier
Le centre d’un village Bantou est constitué par une série de maisons, alignées le long de la piste, regroupées en quartiers juxtaposés les uns à côté des autres. Chaque quartier réunit les membres d’une même famille élargie ou d’un même lignage.
Autour des habitations, se dessine une mosaïque d’espaces agricoles faite de jachères, de plantations cacaoyères et de champs vivriers. Une partie de cet espace, dite « maîtrisé », réunit les parcelles qui sont travaillées (champs vivriers et plantations), mais aussi les jachères qui sont régulièrement traversées pour la réalisation d’autres activités. La personne ayant des droits sur cet espace, d’après le droit endogène, peut y exercer un certain contrôle, en raison de sa présence régulière.
Une autre partie est dite « non maîtrisée », du fait de la difficulté pour l’individu d’exercer le contrôle. Il s’agit des jachères et plantations éloignées.
b- La forêt
Dans les territoires communautaires la forêt fait partie intégrante de l’espace agricole.
Plus on s’éloigne des villages, plus l’espace agro-forestier est lâche. Les cultures laissent place peu à peu à la forêt primaire. Cette dernière est constituée par la partie du couvert forestier qui n’a jamais été défrichée de mémoire collective. Les marécages sont bien souvent confondus avec la forêt primaire puisqu’il s’agit d’espaces qui n’ont généralement jamais été mis en valeur.
Une partie de la forêt constitue la « réserve foncière agricole ». Il s’agit de l’espace destiné à l’ouverture de nouvelles parcelles et plantations, notamment pour les générations futures. Cet espace s’étire perpendiculairement à la route, généralement sur une distance inférieure à sept kilomètres du village.
La forêt lointaine, du fait de sa distance, ne peut pas être considérée comme un espace agricole potentiel pour les générations futures. Ces territoires sont parcourus par un réseau hydrographique dense et par de nombreux sentiers sinueux et étroits qui forment un ensemble complexe de voies d’accès aux parcelles et aux plantations ainsi qu’aux zones de chasse, de pêche et de cueillette. Ils relient aussi les villages entre eux, parfois jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres. Des portions de forêt primaire sont souvent maintenues entre un village et un autre (généralement dans des bas-fonds peu propices à la production agricole).
Les territoires forestiers abritent les activités de cueillette et d’extraction des produits forestiers non ligneux, de chasse et de pêche. Ici, l’espace ne fait pas l’objet d’une appropriation individuelle. Les limites spatiales des droits territoriaux des différents individus et groupes y sont de moins en moins définies et ces droits sont de moins en moins exclusifs à mesure que l’on s’éloigne des zones d’habitation et d’activité agricole et que la compétition pour les ressources diminue.
2- La définition des limites du territoire coutumier par rapport à la distance et au temps
Dans le territoire forestier, la configuration des limites des espaces destinés aux différentes activités est variable; l’ailleurs est déterminé sur la base des habitudes spatiales des usages. Ces derniers et les droits que les membres du groupe peuvent exercer sur les ressources sont définis sur la base de critères pragmatiques, qui prennent en compte les diverses contraintes physiques qui s’opposent à l’utilisation des ressources naturelles. Les facteurs qui comptent sont donc la distance entre les lieux de vie et d’activité (calculée sur la base du temps de marche nécessaire), la connaissance de la zone, la disponibilité en ressources et les difficultés de transport des récoltes.
Ces facteurs déterminent aussi les limites de la réserve foncière du village et la possibilité d’ouvrir de nouvelles parcelles à la lisière de la forêt primaire15. Au plus loin des habitations, les parcelles et jachères appartenant à différentes familles élargies d’un même village et même de villages voisins se trouvent fréquemment mélangées les unes avec les autres.
Dans certaines cas les limites du territoire villageois sont clairement définies et revendiquées par ses habitants; des éléments du paysage tels que des rivières, crêtes ou sentiers permettent souvent de matérialiser ces limites.
À l’intérieur du territoire villageois, la définition des espaces des individus et des familles bantoues ou bakas, s’appuie davantage sur des repères topo-centriques : collines, arbres, rochers, … . Les différents espaces agricoles sont d’ailleurs souvent désignés par des noms liés à ces repères (ou « topo centres »), par exemple : mbout qui signifie colline ou adjap, le nom donné à de grands arbres moabies16. Des résidus de troncs d’arbres partiellement brûlés après la défriche et/ou des haies de bananiers plantées à cette fin complètent souvent le tracé des limites des parcelles de cultures vivrières qui évoluent au fil du cycle des rotations friches/cultures. Les limites des cacaoyères sont moins clairement mises en évidence. Seuls quelques arbustes sont plantés le long des chemins pour annoncer la limite entre deux plantations. Ils indiquent le point de départ de la ligne (perpendiculaire au chemin) qui sépare les plantations de deux individus ou de deux foyers différents. Enfin, les jachères ne sont délimitées par aucun repère identifiable (mais des arbres ou des rochers servent cependant à les localiser).Il résulte de cette organisation de l’espace des territoires complexes où il est difficile pour l’observateur extérieur de distinguer de prime abord les différentes « propriétés ». Pour pouvoir localiser et comprendre l’organisation de l’espace, il est nécessaire de s’informer auprès de ceux qui possèdent des droits sur les différentes « parcelles ».
La variable temps est aussi très importante dans ces systèmes normatifs locaux. La validité des différents droits varie dans le temps selon l’utilisation que l’on fait de la ressource. Une fois achevée son utilisation, un droit peut prendre fin et être assigné à un autre utilisateur du groupe. Ainsi, certains droits sont évolutifs dans le temps.
3- L’appropriation de l’espace forestier est réglée par « le droit de hache »
Le « droit de hache » règle, en droit endogène bantou, l’établissement des parcelles cultivées par les foyers. Le « droit de hache » permet à la personne qui a défriché, après autorisation, un lot de forêt, de jouir pleinement des fruits qu’elle peut tirer de cette terre, pour une période correspondant au cycle de culture. Mais elle peut s’étendre même au delà de la période de jachère, la défriche forestière étant un travail très coûteux en travail17.
Le droit de hache ne garantit pas un partage égalitaire des terres entre les individus. Certaines familles disposent de parcelles plus proches du village que d’autres, ou de surfaces totales plus grandes. Ces foyers mieux dotés appartiennent généralement à des familles élargies et à des lignages dont les ancêtres étaient polygames ou disposaient d’une main d’œuvre « pygmée » asservie leur permettant de mettre en culture des espaces plus vastes. Cette réalité illustre la manière dont les rapports de force entre les individus et les groupes déterminent l’appropriation de l’espace (les « forces » en présence se mesurant ici en termes de main d’œuvre voire de capacité à asservir des tiers…). On voit que les pratiques coutumières ne sont pas, en elles-mêmes, nécessairement garantes d’une égale répartition des droits sur les ressources naturelles.
4- La combinaison de droits collectifs et individuels dans les territoires coutumiers Bantous est soumise à une reconnaissance mutuelle
Les systèmes normatifs endogènes définissent les règles d’utilisation et de gestion de la terre et des ressources. Ils sont le résultat d’une combinaison et de la coexistence de droits aussi bien individuels que collectifs. Les droits que chaque individu peut légitimement revendiquer sont ceux qui lui sont reconnus par les autres. Ils dépendent donc du statut que chaque individu occupe dans les différents groupes sociaux (famille, clan, lignage…)18.
La reconnaissance mutuelle des droits peut trouver son origine dans le passé. C’est le cas au plus près du centre du village, où elle remonte à la fondation du village par les générations antérieures. Dans tous les cas, les rapports de forces ou d’influence entre individus ne sont pas étrangers à l’établissement de la répartition spatiale des droits.
Dans les systèmes coutumiers de gestion, la terre était considérée comme un bien commun à plusieurs grandes familles. Son appropriation ne se faisait pas de manière exclusive, mais en tant que support des autres activités.
Sur les terres proches du village, les individus et groupes disposent de droits exclusifs sur des parcelles distinctes. L’accord sur les limites est large, les enjeux attachés à cette division concernant ici l’ensemble de ses habitants. Les chefs locaux étaient chargés de la répartition de l’usage du sol aux membres du groupe social (la famille élargie, qui à son tour le redistribue entre ses membres), pour sa mise en culture au fil des générations. Une autre partie de la terre est cultivée ou utilisée en commun.
Plus loin de la route, les limites entre parcelles ou plantations relèvent moins d’un accord communautaire que de l’idée que s’en font les seuls utilisateurs directs des terres considérés.
Dans la zone de forêt, les droits que les uns et les autres se reconnaissent sur les ressources naturelles se construisent sur la base de la distance à laquelle chaque zone se situe par rapport aux habitations et aux zones de cultures. Sur les arbres, sont établis des droits (notamment pour l’extraction des Produits Forestiers Non Ligneux) qui varient selon leur valeur économique et leur emplacement/distance par rapport au village.
Trois principales catégories de détenteurs de droits peuvent être identifiées. Elles désignent soit des détenteurs collectifs (familles élargies ou familles nucléaires) soit des détenteurs individuels, qui disposent de droits de natures différentes et portent sur des arpents de terres de dimensions aussi différentes.
La famille élargie (répartie sur un ou plusieurs villages). La règle générale veut que chaque famille élargie dispose des terres situées à l’arrière de son quartier, des deux cotés de la route. Cependant le territoire sur lequel s’exercent effectivement les droits d’usage de ses membres n’est souvent pas constitué d’un seul bloc mais plutôt d’un ensemble d’«îlots de territoires» éparses. À mesure que l’on s’éloigne des habitations, les territoires des différentes familles élargies appartenant à un même village ou à des villages différents s’entremêlent et peuvent se chevaucher. Ces situations peuvent être motif de conflit. On trouve néanmoins des cas de territoires de familles élargies entièrement regroupés. C’est souvent le cas des plantations coloniales anciennes qui ont été subdivisées au moment de l’indépendance.
Famille nucléaire : Au sein des espaces sur lesquels chaque famille élargie a affirmé ses droits, plusieurs familles nucléaires disposent de leurs propres terres, entremêlées entre elles. Leurs limites ne sont pas toujours très clairement définies. Le finage villageois se caractérise ainsi par un deuxième degré de complexité.
Individus : L’individu forme l’unité de détention de droit la plus petite. Il peut disposer de droits d’usage exclusif (de défriche, culture, plantation, récolte…) sur des portions de l’espace clairement délimitées, tels que celui de cultiver des parcelles à des fins de production vivrière ou de planter des cultures pérennes dont les produits sont destinés au marché. Il peut aussi prélever des ressources dans les territoires forestiers éloignés (cueillette, chasse, pêche). En tant que membre d’un collectif (la famille nucléaire ou la famille élargie) il peut aussi avoir une voix dans les processus qui conduisent ce collectif à répartir la terre (droit de gestion) entre les familles nucléaires qui le compose.
Du fait de l’imbrication des espaces agro-forestiers appartenant à différents ayant droits, les limites entre villages voisins ne sont pas nettes.
1Diaw et Oyono, 1998
2ouvent appelés forums par les anthropologues
3Diaw, 1997
4On emploie ce terme dans le sens de détenteurs de droits
5Cette description se base sur les travaux de P. Bonte et M. Izard &. Al, 2000
6La possibilité de choisir son partenaire à l’intérieur du groupe social ou du territoire géographique de référence dans le même foyer
7Du latin pater (pére) -linea (ligne), le patrilignage regroupe l’ensemble de descendant d’un même ancêtre mâle
8En dehors du groupe d’appartenance
9Une famille élargie est un ensemble apparenté de plusieurs personnes vivant dans le même foyer
10Certains chercheurs, dont M. Chimère Diaw, utilisent ce terme pour indiquer que l’unité de parenté est dotée d’une base de ressources territoriales et est en même susceptible de prendre des décisions opérationnelles et de faire des choix collectifs. Dans certaines communautés, c’est le nda bot et non la famille élargie qui peut constituer l’unité opérationnelle.
11De nda, maison et bot, personne, cette unité de parenté constitue la base de la vie en forêt
12M. Augé, 1975
13Les palmiers à huile, qui font aussi partie des plantations bantoues, sont originaires des forêts du Sud Cameroun.
14D’après travail de terrain et travaux de Chimère Diaw (1997 et 1998)
15C’est la raison pour laquelle la présence de chemins et voies d’accès est déterminante dans l’émergence de situations de pression foncière plus ou moins forte. L’exploitation des ressources forestières dans le cadre de la foresterie communautaire et l’ouverture de nouvelles pistes devient alors un motif d’espoir pour les jeunes, du fait de l’amélioration de l’accessibilité à des espaces aujourd’hui trop éloignés du village.
16Le moabi, Baillonella toxisperma, est le plus grand arbre de la forêt centre-africaine. Ses fruits sont utilisés dans l’alimentation des populations « pygmées », pour lesquelles les arbres de moabi ont aussi une valeur sacrée. Le bois de moabi est aussi un bois tropical très apprécié par les forestiers pour l’exportation.
17René Dumont, 1962.
18Karsenty, Assembe, 2010.
Dumont, R. 1962. L’Afrique noire est mal partie, Ed. Du Seuil.
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