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Préface de Vatché Papazian
Rédigé par : Étienne Le Roy, Vatché Papazian
Date de rédaction :
Organismes : Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Type de document : Présentation d’un livre ou d’un document / note de lecture
LE ROY, Étienne. Pourquoi et comment la juridicité des communs s’est-elle imposée dans nos travaux fonciers ? Récit d’une initiation. Regards sur le foncier # 8, Comité technique « Foncier & développement », AFD, MEAE, Paris, décembre 2019.
Ce numéro de la Revue « Regards sur le foncier » du Comité tecbnique Foncier et Développement n’est pas un numéro comme les autres. Il est le récit d’une vie de recherches et d’engagement, qu’Etienne Le Roy, membre fondateur du CtFD et membre d’AGTER, qualifie beaucoup trop modestement d’initiation.
Nous reprenons ici le texte de la quatrième de couverture écrit par l’auteur. Vous trouverez ci-dessous la préface de Vatché Papazian, coordinateur jusqu’en 2018 pour l’AFD des questions foncières auprès du CtFD, et le sommaire du livre.
Le document complet (FR) est téléchargeable gratuitement sur la page web du comité technique foncier et développement en cliquant sur ce lien La juridicité des communs.
La recherche scientifique est rarement un long fleuve tranquille. Pratiquée par un anthropologue ayant choisi « le droit » comme objet principal d’études et les politiques foncières africaines comme champs d’expérimentation, cette recherche devient vite très compliquée car la décolonisation mentale des élites et celle des institutions n’est encore qu’imparfaitement advenue. Le chercheur se heurte donc à des obstacles qui ne sont pas seulement politiques mais aussi cognitifs. Il lui faut apprendre à penser autrement des mondes en pleine reconstruction et, en cela, le présent texte est apparu au Comité technique « Foncier & développement » utile à transmettre aux jeunes générations de chercheurs.
La généralisation de la propriété foncière a été un des grands enjeux des colonisations européennes des XIXe et XXe siècles pour inscrire les sociétés africaines dans les relations capitalistes aux échelles nationales et internationales. Bien qu’ayant largement échoué, ces politiques ont été trop souvent pérennisées après les indépendances alors qu’à l’échelle locale se pratiquaient des rapports fonciers qui exprimaient la résilience des conceptions endogènes jusque-là caricaturées sous l’appellation de droit coutumier.
Les limites des politiques de développement sont avérées depuis longtemps mais la révolution des communs qui émerge à l’échelle mondiale depuis une vingtaine d’années offre l’opportunité non seulement de réconcilier les Africains avec leurs mémoires et leurs histoires, mais aussi de proposer des ouvertures institutionnelles à la hauteur des défis du changement climatique et des autres transformations en cours dans le champ des institutions. C’est ainsi qu’en sortant « le droit » du monopole étatique, on propose d’en réinterpréter les bases originelles et les nouvelles manifestations métisses dans le cadre d’une théorie de la juridicité, un enjeu scientifique majeur pour les prochaines décennies.
PRÉFACE
Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui considèrent, dans leur parcours personnel ou professionnel, que creuser le sillon de la question foncière et de ce que les hommes et les sociétés y sèment et en récoltent, permet de mieux saisir le sens de l’ordonnancement comme des soubresauts du monde.
Faisant la genèse de son intuition initiale de l’importance du foncier, dans les années 1960, Étienne Le Roy nous invite, collègues, amis et jeunes générations croisés tout au long de ses recherches et voyages, à suivre le cheminement de sa pensée. Celle-ci est marquée par une quête de sens dans un labyrinthe de concepts et de réalités entrelacés, depuis la fin de la nuit coloniale et jusqu’aux grands bouleversements récents et enjeux planétaires actuels.
Le fil conducteur de l’ouvrage nous entraîne dans les traces de six décennies de travail de chercheur, penseur, pédagogue et homme d’action consacrées au fil du temps à accom- pagner des processus d’élaboration de premiers textes de Loi des jeunes États africains nés après les indépendances. Ces cheminements ont reposé sur deux paradigmes majeurs : insister sur la caractérisation des situations de dualité juridique et des maîtrises foncières s’appliquant au foncier rural en Afrique de l’Ouest, et plaider pour des lois foncières métis- sées susceptibles d’être acceptées par les États et les sociétés rurales. Les connaissances ainsi acquises ont ouvert la voie de l’élaboration théorique et de l’enseignement universitaire. Le questionnement incessant, l’analyse réflexive et la mise en débats animés avec ses pairs au sein de forums divers, sont devenus un sacerdoce. Ces débats nous ont fait toucher des sujets toujours actuels comme l’origine de la propriété, la méconnaissance des droits d’usage de la terre – notamment pastoraux – par les législateurs, la mise en évidence des appropriations massives de terres, l’accélération de la marchandisation de la terre ou les limites des systèmes de représentation géographique des droits de propriété privée. Ce voyage épistémique a débouché in fine sur l’évidence fondamentale de devoir se concentrer, voire se consacrer, à la juridicité des communs.
Ce long cheminement intellectuel a conduit Étienne Le Roy à croiser ses analyses académiques et son expérience avec celles de ses pairs africanistes des sciences humaines, à participer ou initier des réseaux internationaux de chercheurs et universitaires sur le foncier, à contribuer à l’animation de débats transdisciplinaires, à mener parallèlement les tâches nobles d’enseignement et de transmission et, découvrant l’importance du lien avec le politique, à militer avec conviction auprès des acteurs institutionnels, sociaux et des décideurs nationaux pour traduire les connaissances acquises sur le foncier en action.
Les années 1990 ont marqué un tournant politique et un moment fort de l’histoire politique des États sahéliens mais aussi de l’histoire du développement. Dans le prolongement du discours de La Baule de François Mitterrand, les pays africains engagés dans les proces- sus de démocratisation de la vie publique et les dynamiques de décentralisation devaient nécessairement reconsidérer le rôle de l’État, repenser les relations entre États et sociétés, entreprendre des réformes institutionnelles, revisiter les textes de Loi et mettre en œuvre des politiques nouvelles. C’est pendant une mission d’observation des évolutions politiques dans la zone cotonnière malienne, dans les années qui ont suivi la chute de la dictature du général Moussa Traoré, que le chemin académique et scientifique d’Étienne Le Roy a croisé celui d’opérationnels d’une agence de développement comme l’AFD. Une longue, fructueuse et amicale collaboration s’est alors forgée, alliage autour du foncier entre connaissance et action de développement.
Le souci partagé d’intégrer le traitement du foncier rural dans les textes de Loi en préparation pour accompagner la politique de décentralisation fortement voulue par Alpha Oumar Konaré s’est traduit en 1994 par la mise en place du premier Observatoire du foncier appuyé par la France, mis à disposition du Mali et confié à des chercheurs maliens et fran- çais, membres d’un réseau associatif international de chercheurs et d’expertise sur le foncier – l’Aprefa – qu’animait alors Étienne Le Roy.
Cette première expérience a certainement inspiré et accéléré, quelques années plus tard, la création sous l’égide du ministère de la Coopération d’un Comité Foncier spécifique, comprenant essentiellement des chercheurs et des acteurs institutionnels, dédié explicitement au foncier rural en Afrique de l’Ouest et à Madagascar. Étienne Le Roy a été sans conteste un des pères initiateurs de cette plateforme de débat d’idées, devenu avec le temps le CTFD, lieu privilégié de ralliement de ce qu’il qualifie comme une communauté épistémique du foncier.
En plus de vingt ans, le CTFD a évolué. Il s’est ouvert au regard d’autres acteurs du foncier (société civile, professionnels, opérationnels du développement) et de nouvelles disciplines. Suivant de près l’actualité foncière en Afrique et dans le monde, le CTFD s’est mobilisé sur les enjeux fonciers dans de nouvelles géographies et domaines d’intérêt (problématiques foncières urbaines, dynamiques des marchés fonciers), s’est engagé à comprendre et caractériser les phénomènes d’appropriation massive des terres, a engagé des chantiers collectifs de réflexion sur la sécurisation des terres, la gouvernance des droits fonciers, l’accès des jeunes à la terre et les communs. Sur tous ces sujets, le CTFD a produit de la connaissance, ébauché des principes et des lignes d’action et contribué à éclairer des décisions et positionnements plus politiques et internationaux de la France. Enfin, dans la phase actuelle, le CTFD envisage d’élargir son réseau, notamment en Afrique, et de continuer à agir comme poil à gratter en introduisant des idées, confrontant des analyses et ouvrant des perspectives dans la façon de traiter les enjeux.
Étienne Le Roy n’a manqué aucune des grandes étapes ni aucun des chantiers ou rendez-vous importants du CTFD. On peut même superposer son cheminement intellectuel narré dans l’ouvrage avec le chemin parcouru par le CTFD. Avec sa capacité d’anticipation et la profondeur de ses analyses, il fait partie des anges gardiens du CTFD. Par son écoute et sa pédagogie, il a permis au débat de dépasser des controverses, d’éviter de sombrer dans les méandres de l’autosatisfaction ou de l’enfermement sur des certitudes scientifiques ou idéologiques. En poussant plus loin sa réflexion, il a introduit la nécessité et l’urgence de se pencher sur le sujet des communs, pendant que l’attention de tous était captivée par des batailles d’idées à propos des accaparements de terres ou de processus d’immatriculation de terres. Encouragé, le CTFD a engagé en 2016 un chantier collectif sur les communs – confié à l’UR Green du Cirad et à l’IIED – et corollairement a ébauché une solide connivence avec l’équipe de recherche de l’AFD autour des communs, comme constituant de sens de toute action de développement concernant autant des ressources foncières et naturelles (eau, forêts, pâturages, pêche), que les services en milieu urbain.
Aujourd’hui, alors qu’un tiers des ressources mondiales échappent encore à la règle se voulant universelle de « propriété, individualité, marché », cet ouvrage vient à point nommé pour fournir des repères de compréhension et des arguments forts d’action. La suggestion d’Étienne Le Roy, au terme de sa balade de six décennies, de repenser l’organisation du monde sous l’angle des communs est un formidable défi pour les travaux du Comité, mais également une lueur d’espoir pour tout membre de la communauté épistémique du foncier, et en particulier pour les jeunes générations, de trouver un sens à leur action.
Merci Étienne de nous avoir fait l’amitié de nous confier cette part d’héritage commun et d’avoir accepté de diffuser ce texte à travers le comité.
Vatché Papazian, agronome et ancien chargé de projets du secteur rural, coordinateur jusqu’en 2018 pour l’AFD des questions foncières auprès du Comité technique « Foncier et développement »
SOMMAIRE
Dédicace et remerciements
Avant-propos : de la juridicité des communs
INTRODUCTION GÉNÉRALE. De la pluralité des droits au pluralisme normatif des juridicités : les aléas d’une lecture comparative et interculturelle des pratiques juridiques
PREMIÈRE PARTIE. Trois décennies (1960, 1970, 1980) de découvertes d’un foncier sans propriété privée, d’un droit sans règles générales et impersonnelles, des rapports au politique et de l’expérience du pluralisme juridique et normatif
DEUXIÈME PARTIE. Trois décennies (1990, 2000, 2010) d’élaborations théoriques et paradigmatiques : la théorie des maîtrises foncières, des approches emblématiques du paradigme de la juridicité et de pédagogies pour en rendre compte
TROISIÈME PARTIE. Apports des héritages conceptuels de quelques juristes hétérodoxes aux recherches sur les communs
(Michel Alliot, Jacques Vanderlinden, Pierre Legendre, Jean Carbonnier, François Ost, Gérard Timsit, Mireille Delmas Marty, Daniel Mockle, Trutz von Trotha, Andrée Lajoie, Rodolfo Sacco)
CONCLUSION GÉNÉRALE. Faire communs par des gestes posés et des conduites réglées
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