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Depuis toujours, les principaux « investisseurs » ont été les chasseurs, les pêcheurs, les paysans et les éleveurs. Ce sont eux qui ont aménagé et amélioré les sols, construit des systèmes d’irrigation, sélectionné les variétés végétales et animales, grâce à leur investissement en travail. Ils ont en même temps accumulé des savoirs multiples et inventé des formes d’organisation sociales adaptées à chaque situation et en constante évolution, créant du « capital humain » et du « capital social ». Au cours des dernières décennies, une très grande partie de ces petits producteurs sont devenus de plus en plus pauvres et n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins élémentaires. Ils ne peuvent plus continuer à « investir » dans l’amélioration de l’efficacité de leurs systèmes de production et leur adaptation permanente à des changements, sociaux, techniques et climatiques, de plus en plus rapides. Ils constituent le milliard d’êtres humains qui souffrent de la faim, ils meurent de sous nutrition, ils migrent en masse vers les bidonvilles des mégapoles où il n’y a pas de travail pour tous.
Que s’est-il passé ? Pourquoi en même temps, nous trouvons-nous confrontés au développement exponentiel de très grandes entreprises qui prennent le contrôle de dizaines ou de centaines de millions d’hectares avec pour objectif affiché et autoproclamé de nourrir le monde ? Comment pouvons-nous expliquer les inégalités croissantes entre les productivités des systèmes agricoles ? Serait-ce la fin des paysans, longtemps annoncée par des visionnaires de toutes tendances politiques ?
Les paysans, hommes et femmes, de producteurs et investisseurs qu’ils ont toujours été, sont devenus en quelques décennies des pauvres, des miséreux et un fardeau pour la société. Réduire la pauvreté est devenu un des objectifs premiers du millénaire. Faire l’aumône n’est plus seulement une bonne action du dimanche, mais un crédo universel. En même temps, les richesses naturelles et la terre se concentrent dans des mains de moins en moins nombreuses. Les peuples sont dépossédés de leurs ressources, les biens communs sont privatisés, les ressources s’épuisent, la biodiversité disparaît à jamais, la planète se réchauffe et menace de devenir invivable pour l’humanité.
On cherche en vain dans les rapports et les communications sur la main mise sur les terres agricoles dans le monde écrits par des experts de haut (et de moins haut) niveau une allusion à l’investissement des petits producteurs. L’investissement dont tous parlent, celui que l’on voudrait « responsable », c’est celui des fonds de pension, des firmes transnationales de l’agrobusiness, des plus riches entrepreneurs, qu’ils soient des pays du Sud ou du Nord. L’emploi actuel du mot investissement cache une véritable entreprise de désinformation à l’échelle mondiale, et nous tombons parfois en toute bonne foi dans ce piège. Il rejoint une adhésion au politiquement correct qui est beaucoup plus perverse qu’il n’y parait : essayer de comprendre ce qui se passe est devenu tout simplement subversif.
Quand la Banque Mondiale, la FAO, le FIDA et la CNUCED mettent en avant des Principes pour des investissements agricoles responsables (PRAI), ce ne sont pas les principes qui sont mauvais, c’est leur conception même de ce qu’est un investissement. Les critiques de nombreuses organisations paysannes et non gouvernementales sont fondées quand elles pointent qu’il ne peut y avoir d’accaparement des ressources ou d’appropriation des biens communs qui soient responsables.
Le Comité de Sécurité Alimentaire de la FAO (CSA) va se réunir la semaine prochaine à Rome pour examiner et tenter d’approuver les Directives Volontaires pour la gouvernance responsable de la tenure des terres, des pêches et des forêts. Ce sera l’aboutissement d’un long processus de consultations, et un premier pas, important et nécessaire, vers la mise en place de mécanismes de régulation qui aideraient à garantir l’intérêt général.
Le CSA intègre pour la première fois une représentation de la Société Civile, y compris au sein de son Panel d’Experts de Haut Niveau (HLPE), et envisage de lancer un processus de consultation sur de nouveaux principes responsables pour l’investissement agricole, articulés avec les directives volontaires. Le HLPE a dans ce but commandé un rapport sur les Régimes fonciers et investissements internationaux en agriculture qui a été rendu public pendant l’été. Ce rapport alerte sur le danger que représente les « investissements fonciers à grande échelle » pour la sécurité alimentaire, les revenus des habitants et l’environnement. Il met en avant la nécessité de donner la priorité dans les stratégies de développement agricole aux « petits exploitants », en leur permettant de bénéficier d’aides pour améliorer leur production et leur accès aux marchés locaux et régionaux. Il demande aux gouvernements de prendre en compte l’avis des populations concernées, de respecter leurs droits, et de ne pas promouvoir les agrocarburants par le biais de subventions. Il prône par ailleurs des mécanismes « gagnant-gagnant-gagnant », ajoutant avec pertinence aux petits producteurs et aux grandes entreprises un troisième bienheureux, la société dans son ensemble.
Le rapport du HLPE affirme prendre en compte les opinions des uns et des autres, mais se refuse à donner au moins quelques pistes de clefs pour comprendre. Comment ne pas se sentir perdus dans ce monde dans lequel se côtoient Investisseurs, États souverains, Donateurs, Multinationales, Traders, Pauvres et Affamés. Les auteurs proposent des formes d’agriculture intégrée, des « business plans », des consultations mais aussi, et c’est une bonne chose, des moyens pour que les petits paysans qui avaient disparu du discours, puissent moderniser leurs systèmes de production. Mais ils ne se demandent jamais ce que signifie le mot « investissement » et ne font aucune référence ni à l’investissement paysan, ni aux mécanismes qui expliquent comment on devient pauvre aujourd’hui.
AGTER a pris part de différentes façons, mais toujours indirectement, aux débats et aux réflexions qui ont ponctué la préparation des travaux de la FAO et du CSA. Nos propres travaux sur les accaparements de terres agricoles et de ressources naturelles, menés avec divers partenaires parmi lesquels des chercheurs, ont voulu d’emblée analyser et comprendre la nature des phénomènes. Ils sont bien sûr perfectibles mais ils ont mis en évidence des résultats essentiels pour construire des solutions dans l’intérêt de tous.
1. Le plus souvent, quand on parle d’investissement foncier, il s’agit de phénomènes d’appropriation de terres communes ou publiques ou de concentration de terres privées. Alors, si nous voulons éviter l’idéologie et être rigoureux, utilisons les bons concepts. Les problèmes ne relèvent pas uniquement du respect des droits humains. Ils ont aussi une dimension économique, indispensable à prendre en compte pour répondre aux intérêts vitaux de l’humanité dans son ensemble, aujourd’hui et demain. Nous avons montré que la terre devenait un « actif financier » de premier ordre pour les capitalistes lorsque la part de la valeur ajoutée servant à rémunérer le capital devenait prépondérante et que la rémunération du travail et le coût de l’accès à la terre étaient minimaux. Faisons la distinction entre les spéculateurs, les accapareurs et les vrais investisseurs !
2. Les mécanismes actuels de gouvernance au niveau mondial ne permettent pas de traiter les problèmes créés par les appropriations massives de terres. S’appuyer sur le renforcement des souverainetés nationales ne peut suffire. Il faut traiter du problème du droit international, qui restera insuffisant tant qu’il ne sera pas justiciable, et ce, même si les solutions seront longues à construire.
Nous avons à peine commencé à explorer des pistes qui permettraient d’avancer, que vous pouvez retrouver dans les documents que nous avons préparés. Il convient d’aller plus loin, avec les personnes et les groupes sociaux concernés. A court terme, il y aura des gagnants et des perdants. Ce n’est que sur le long terme que nous pourrons être tous gagnants.
Michel Merlet, Directeur, AGTER
DIVERS
AGTER sera présent la semaine du 17 octobre à Rome pour la réunion du Comité de Sécurité Alimentaire au sein de la délégation française et avec Coordination Sud.
Les articles et vidéos présentés ci dessous en Français, Espagnol et Anglais sont différents d’une langue à une autre.
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