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Une note de lecture du rapport de la Banque mondiale rédigée pour la revue Afrique Contemporaine (# 238)
Rédigé par : Mathieu Perdriault
Date de rédaction :
Type de document : Présentation d’un livre ou d’un document / note de lecture
En septembre 2010, la Banque mondiale a rendu public un rapport d’étude consacré aux appropriations de terres à grande échelle.
AGTER en a rédigé une brève note de lecture qui a été publiée dans le numéro 238 de la revue Afrique Contemporaine (www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2011-2.htm). Elle vous est aussi proposée ici.
Fin 2008, l’ONG Grain dénonçait sur la foi d’articles de presse ce qu’elle appelait un processus de « main basse » sur les terres agricoles à travers le monde. À sa suite, des travaux étaient engagés par diverses structures pour vérifier, caractériser et quantifier le phénomène.
Une étude était tout particulièrement attendue, celle du département « Développement agricole et rural » de la Banque mondiale menée par des spécialistes de la gouvernance du foncier agricole, un des domaines de prescription de l’institution. Elle devait fournir une évaluation précise du phénomène à l’échelle globale qu’aucune autre organisation ne semblait pouvoir réaliser et une compréhension fine de la situation dans une quinzaine de pays. Ses résultats ont été publiés au mois de septembre 2010.
Résumé du rapport
Le rapport propose d’abord une analyse de l’expansion des surfaces agricoles au cours des décennies antérieures qui souligne combien les politiques nationales en ont déterminé l’impact positif ou négatif sur le développement. L’éviction des utilisateurs à petite échelle du foncier – dont le maintien/renforcement est selon le rapport une clé du développement rural et de la lutte contre la pauvreté et la sous-alimentation – est identifiée ici comme le risque majeur associé aux projets de grande échelle. Les opportunités résident donc selon les auteurs dans la mise en culture d’espaces fertiles peu peuplés ou dans l’articulation des investissements aux capacités productives des agricultures familiales en place.
La deuxième partie démontre à partir de nombreuses données empiriques que les évolutions foncières récentes se démarquent des expansions précédentes. L’analyse statistique d’articles de presse révèle que plus de 56,6 millions d’hectares ont été sollicités et souvent attribués entre octobre 2008 et août 2009 (dont 32 millions en Afrique), près de trente fois plus que l’augmentation annuelle des surfaces cultivées observée sur la période 1990-20071. Les auteurs constatent aussi, élément déterminant de leurs préconisations, que l’intérêt des « investisseurs » pour un territoire est corrélé avec la faiblesse de sa gouvernance. Le recensement des projets tenté par la Banque dans quatorze pays révèle qu’ils impliquent majoritairement des investisseurs domestiques. Souvent, les projets sont mal définis, leur viabilité économique n’est pas évaluée et leur mise en œuvre s’opère en contravention ou dérogation de la légalité. La terre est offerte aux dépens d’utilisateurs en place dont les droits sur le foncier ne sont pas protégés et leur perte non compensée. Les créations d’emplois à l’hectare envisagées sont beaucoup plus faibles que n’en fournissent les agricultures familiales supplantées. De nombreux projets s’avèrent improductifs. Dans quelques cas, les retombées sont « positives », si l’investissement s’articule avec les exploitations existantes ou engendre effectivement des emplois et s’intègre dans un cadre redistributif.
Le document propose une typologie des pays selon leur « disponibilité » en terres agricoles qui vise à permettre aux décideurs politiques de définir, dans une perspective de développement durable, une stratégie qui tire le meilleur parti des velléités d’investissement. Un traitement des données d’« agro-éco-zoning » de l’IIASA2 identifie une surface globale propice à la mise en culture sans dommages économiques et sociaux équivalente au tiers de la surface actuellement cultivée et suffisante pour couvrir les besoins d’ici 20303.
Une étude des politiques, législations et institutions de quatorze pays conduit les auteurs à préciser quels principes les cadres nationaux devraient appliquer pour concrétiser les opportunités et éviter les risques : protéger les droits fonciers des utilisateurs en place quelle que soit leur forme ; ne donner lieu qu’à des transferts de droits fonciers volontaires et éclairés ou dûment compensés ; contrôler la viabilité écologique des projets et leur durabilité sociale et écologique ; assurer la transparence des processus d’autorisation. Pour établir de tels cadres, le rapport recommande de s’appuyer sur un dispositif mondial d’engagement volontaire comme cela a été développé dans divers secteurs de production et dans le domaine financier. Une telle démarche doit néanmoins, selon les auteurs, impliquer les États. L’initiative « Transparence des industries extractives » est pour cela, d’après eux, le principal exemple dont il faut s’inspirer.
Brève analyse critique
Les chercheurs de la Banque mondiale dressent un tableau alarmant de la situation. Ils recommandent de protéger les agricultures familiales et les modalités locales de gouvernance du foncier quelle qu’en soit la forme. Ils semblent ainsi inviter à respecter le pluralisme juridique, c’est-à-dire à faire place aux conceptions d’une propriété non exclusive et à des relations collectivement organisées entre des ayant-droits multiples, aux droits « superposés » sur un même foncier. Mais les auteurs ne légitiment pas pour autant une généralisation du transfert de droits hors du marché. La reconnaissance des « gouvernements locaux » des droits fonciers est ainsi essentiellement celle de leur pouvoir, sous condition du respect de principes démocratiques, de les vendre à des investisseurs au nom de la communauté. Les auteurs ne remettent donc pas en cause, au delà des relations très locales, le dogme en vertu duquel la Banque mondiale incite à créer partout des marchés de titres fonciers exclusifs. Les faits prouvent pourtant largement l’inefficacité redistribrutive de ces derniers. Les auteurs évoquent les mesures régulatrices indispensables pour qu’ils jouent le rôle qui est attendu d’eux. Mais sans jamais interroger les raisons pour lesquelles de telles mesures sont si peu ou si mal mise en œuvre. La petite nuance qu’ils introduisent entre-ouvrira-t-elle un débat interne sur le bien fondé de pousser les États au tout droit foncier « individuel, absolu et exclusif » comme continue de le faire très activement la Banque mondiale ? Notons que ses directeurs exécutifs ont indiqué, en préambule du rapport, que celui-ci ne « reflète pas nécessairement » leurs vues ni celles des gouvernements qu’ils représentent…
Pour répondre aux problèmes qu’ils identifient, les auteurs proposent qu’États et investisseurs souscrivent à un ensemble de principes4 dont l’application sera surveillée par les sociétés civiles et sanctionnée par… la réputation. De nombreux mouvements sociaux dénoncent un « écran de fumée » destiné à légitimer l’accaparement des terres. Le comité technique « Foncier et développement » et le GISA5 ont analysé, quant à eux, l’absence de recours contre les violations de droits fondamentaux qui accompagnent souvent les prises de contrôle de terres à grande échelle6. La terre a une dimension de propriété commune évidente. Ce constat les amène à déduire qu’il est justifié et nécessaire de se doter d’institutions à même de sanctionner les États et les agents économiques qui privent des individus de leurs droits sur les ressources et menacent les équilibres écologiques globaux, de même que de mettre en place des outils fiscaux qui limitent la concentration des terres et redistribuent les bénéfices qui en sont tirés. Ils pointent l’enjeu de penser un dispositif mondial d’appui financier à l’instauration de tels cadres mondiaux et nationaux de gouvernance du foncier et des ressources naturelles.
1Et près de trois fois la surface des terres arables de la France. C’est la superficie totale couverte par 203 des 464 projets dont la presse s’est fait l’écho sur cette période. Les surfaces des autres projets n’étaient pas connues des journalistes.
2International Institute for Applied Systems Analysis, Laxenburg (Autriche) auteur d’un « Global Ecosystem Assessement » en 2000 (www.iiasa.ac.at/Research/LUC/GAEZ/index.htm)
3Située dans peu de pays, principalement en Afrique et Amérique latine.
4« Principes d’investissement agricoles respectueux des droits, des moyens et conditions de subsistance et des ressources », que l’équipe de recherche a proposé dès la mi-2009 pour nourrir les débats internationaux consacrés aux problèmes que soulève le phénomène. Ils font aujourd’hui l’objet d’un processus de discussion à haut niveau décrié par de nombreuses organisations de la société civile qui en dénoncent le caractère non participatif. Le Comité de la sécurité alimentaire a d’ailleurs marqué une certaine distance à leur égard pour cette raison. Il privilégie le processus de définition des « directives volontaires de la FAO sur la gouvernance responsable de la tenure de la terre, de l’eau et des ressources naturelles ».
5Groupe interministériel français sur la sécurité alimentaire.
6« Les appropriations de terres à grande échelle : analyse du phénomène et propositions d’orientations », ouvrage cité ; et « Document de positionnement de la France : appropriation de terres à grande échelle et investissement agricole responsable. Pour une approche garante des droits de l’homme, de la sécurité alimentaire et du développement durable » (MAEE, AFD, GISA, comité technique « Foncier et développement », juin 2010).