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Natural Resource Governance around the World

Apport et limites des cadres normatifs internationaux traitant du foncier

Summary

Des cadres normatifs internationaux de natures très diverses visent la gestion du foncier. Ils traitent des agissements d’États, d’individus, ou d’acteurs privés transnationaux. Certains sont obligatoires, d’autres volontaires. Ils constituent ainsi des références plus ou moins solides pour protéger les intérêts des acteurs liés au foncier. Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers adoptés en 2012 par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale sont aujourd’hui au centre de la réflexion de la communauté internationale traitant des questions foncières.

Afin d’en apprécier la portée, l’intérêt et les limites, cette fiche décrit l’univers des régulations internationales dans lequel elles s’inscrivent et dégage quelques éléments d’analyse pour la poursuite de l’élaboration de stratégies globales d’amélioration de la gouvernance de la terre et des ressources naturelles.

Les cadres normatifs existants

Droit international : « mou » pour les droits de l’homme, « dur » pour les investisseurs transnationaux

Le Pacte relatif aux droits sociaux économiques et culturels mentionne le droit des peuples de disposer de leurs ressources naturelles et moyens de subsistance. Le droit international n’offre cependant pas d’instrument pour sanctionner la violation des droits fonciers des individus et des peuples, hormis dans des situations très particulières pouvant relever du Conseil de sécurité des Nations unies ou de la Cour pénale internationale.

Les Traités de protection et promotion de l’investissement, en revanche, prévoient le recours à des tribunaux internationaux dotés du pouvoir de sanctionner leurs signataires et de leur imposer le versement de réparations.

Si un gouvernement a, au nom de l’intérêt national, décidé de récupérer une portion du terrain allouée à un investisseur étranger, ce dernier peut faire jouer, par exemple, la clause relative à l’expropriation et obtenir de fortes compensations.

Initiatives internationales appelant les entreprises à respecter les droits de l’homme

Elles misent sur la bonne volonté des entrepreneurs. Les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme proposent aux sociétés transnationales et autres sociétés, si elles le souhaitent, des protocoles pour veiller à leur incidence sur les droits de l’homme.

Le Pacte mondial des Nations unies (Global Compact) réunit des entreprises qui promettent d’appliquer dix principes relatifs au respect des droits humains, des normes de travail et d’environnement.

L’Organisation de coopération et de développement économiques a produit ses Principes directeurs à l’intention des multinationales. Des « Points de contact nationaux » permettent à la société civile de l’informer des cas de violations de ces principes, mais ce dispositif ne prévoit aucun contrôle systématique. Ces initiatives s’en remettent au pouvoir dissuasif du « risque réputationnel ».

Application de « bonnes pratiques » par des entreprises privées

D’autres mécanismes proposent des procédures de certification et labellisation, comme la Roundtable on Sustainable Palm Oil pour la promotion de l’huile de palme durable et la Roundtable on Sustainable Biomaterials. La définition de ces pratiques, qu’elles déclarent « bonnes », relève de ces seules entreprises. Le contrôle de leur respect revient à des organismes privés dits indépendants.

Incitations financières au respect de « bonnes pratiques »

Des banques publiques ou privées conditionnent l’attribution de leurs prêts aux entreprises au respect de bonnes pratiques. La Société financière internationale (groupe Banque mondiale) exige de ses clients le respect de « Normes de performance » pour « éviter, atténuer et gérer les risques et les impacts de leurs activités », qui sont repris et parfois complétés par d’autres institutions financières publiques de développement, comme la française Proparco.

Les Principes de l’Équateur, adoptés par plusieurs dizaines de banques privées pour leurs investissements supérieurs à 10 millions de dollars, relèvent de la même logique.

Ces approches ont néanmoins des limites. Il peut être difficile pour une banque d’appui au secteur privé, fût elle publique, d’imposer des conditions nécessaires à l’intérêt général si celles-ci remettent trop fortement en cause la rentabilité des projets qu’elle finance.

Démarches internationales en faveur d’une « gouvernance responsable » du foncier

La recherche de mesures de gouvernance nationale propres à améliorer la gestion du foncier a mobilisé et continue de mobiliser de nombreux États. Les Cadre et principes directeurs sur les politiques foncières en Afrique et les Principes directifs relatifs aux investissements fonciers à grande échelle en Afrique, élaborés par l’initiative sur les politiques foncières de l’Union africaine, en constituent des illustrations. Ils visent à créer un certain consensus au niveau du continent africain, susceptible de guider les politiques foncières des États.

C’est aussi le sens, à l’échelle mondiale, des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres aux pêches et aux forêts, adoptées par la CSA en 2012. Résultant de discussions internationales impliquant de larges consultations de la société civile durant plus de quatre ans, elles constituent aujourd’hui un référentiel international en matière de gouvernance du foncier.

Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers (DV)

Caractéristiques générales et contenu

Selon les Principes directeurs généraux des DV, les États devraient « reconnaître et respecter les détenteurs de droits fonciers légitimes, même si ceux-ci ne sont pas enregistrés formellement, protéger ces droits contre les menaces et les violations ; promouvoir et faciliter l’exercice des droits fonciers légitimes (plein exercice et transactions) ; donner accès à chacun à la justice en cas de violation de droits fonciers légitimes, à un coût abordable et avec des procédures rapides ; indemniser de façon juste la privation de droits pour cause d’utilité publique ; prévenir les différends fonciers, les conflits violents et la corruption.» Bien que majoritairement destinées aux États, les DV s’adressent également à un ensemble d’acteurs non étatiques afin que ces derniers « respectent les droits de l’homme et les droits fonciers légitimes ».

Comme leur nom l’indique, les DV constituent un « instrument d’application facultative ». Elles sont mises à disposition de tous pour aider à « évaluer la situation de la gouvernance foncière, identifier les améliorations susceptibles d’y être apportées et mettre en oeuvre ces améliorations ». Si elles sont appliquées, elles doivent l’être « dans le respect des institutions et dispositifs juridiques nationaux » et des obligations internationales des États.

Le texte est réparti en quatre sections portant sur la reconnaissance juridique et l’attribution des droits et devoirs fonciers, les transferts et autres modifications de ces derniers, l’administration des régimes fonciers et l’action face au changement climatique et aux situations d’urgence. Une première partie exprime les objectifs du document, la dernière traite de leur mise en application.

Des avancées significatives…

Les DV appellent à juste titre à ne considérer aucun droit foncier comme absolu, pas même le droit de propriété privée : « Tous les droits fonciers sont limités par des droits d’autrui et par les mesures prises par les États à des fins publiques. »

Elles affirment que les droits « qui relèvent de régimes fonciers coutumiers ou informels », les droits « secondaires » comme le droit de cueillette des femmes et personnes vulnérables, et les droits subsidiaires, devraient être pris en compte par les États. Elles pointent la nécessité de protéger les « terres, pêches et forêts publiques et les systèmes d’utilisation et de gestion collectives qui y sont associés, notamment lors d’attributions », c’est-à-dire les « communs », et celle de respecter les droits des femmes et des peuples autochtones.

Elles appellent à soutenir les petits producteurs qui « assurent une part importante des investissements agricoles », soulignent l’intérêt des politiques foncières redistributives et la nécessité d’une fiscalité efficace et transparente pour améliorer la gouvernance foncière.

Elles invitent, discrètement mais réellement, à envisager une analyse économique qui prenne en compte l’intérêt de la société dans son ensemble et non le seul intérêt des investisseurs.

… Mais leur mise en cohérence et application restent à accomplir

Elles appellent ici à « mettre en place […] des mécanismes de régulation afin de protéger les intérêts plus généraux de la société et les droits fonciers des petits producteurs » et ailleurs à « faciliter le fonctionnement de marchés efficaces et transparents ». Mais elles ne précisent pas les implications de la première recommandation sur la seconde.

Le terme de « droit légitime » est largement utilisé, sans que soit indiqué comment la légitimité peut être vérifiée. Les DV n’abordent nulle part la question de la prescription acquisitive, qui fixe un délai après lequel les droits acquis ne peuvent plus être remis en cause. Elle est pourtant essentielle pour éviter la perpétuation des conflits fonciers.

La dernière partie des Directives résume leur portée : « (…) c’est aux États qu’il incombe de les mettre en oeuvre, de s’assurer qu’elles sont appliquées et de les évaluer ». Leur promotion est attendue de tous les acteurs concernés.

Les « Principes pour l’investissement responsable dans l’agriculture et les systèmes alimentaires »

Des Principes complémentaires relatifs à l’investissement agricole ont été adoptés par le CSA en octobre 2014, non sans quelques réactions négatives d’organisations de la société civile. Ce texte ne définit pas clairement ce qu’il entend par « agriculteurs ». Il ne distingue pas les acteurs qui opèrent suivant une logique de maximisation du profit de ceux qui cherchent à rémunérer le travail familial.

Ces principes affirment que l’investissement crée nécessairement des emplois, reprenant ainsi les arguments avancés par de puissants agents économiques sans s’interroger sur les emplois qu’ils détruisent, ni sur les alternatives différentes qui permettraient de créer plus d’emplois.

L’examen de voies de développement fondées sur une production de richesse par les agriculteurs familiaux, est exclu du cadre de la réflexion. Cette voie paysanne a pourtant été suivie par tous les pays développés en Europe, en Chine et même aux États-Unis d’Amérique. S’il est demandé aux États d’appuyer les investissements des petits producteurs, c’est en utilisant des « mécanismes de marché » comme des appels d’offres. Ils ne font aucunement une priorité du traitement des investissements qui viennent concurrencer les agricultures familiales pour l’accès au foncier et aux ressources naturelles.

Le texte enjoint les États à ne pas « appliquer les Principes de façon à créer ou à dissimuler des obstacles au commerce, à favoriser des intérêts protectionnistes ou à imposer leurs politiques aux autres pays ». Or, c’est précisément l’instauration d’un marché mondial libéralisé mettant en concurrence des producteurs dotés de moyens de production très inégaux, et ayant pour cela des différences considérables de productivité du travail, qui est à l’origine de l’explosion des inégalités et de la paupérisation de millions de producteurs familiaux et paysans. Du fait de l’écoute qu’il a accordé à la société civile au cours de leur élaboration, le CSA aura au final réussi à donner une acceptabilité sociale à des orientations largement conformes à celles qu’avaient tenté de lancer la Banque mondiale quelques années plus tôt, qui avaient alors été décriées par les mouvements sociaux.

La nécessité d’aller plus loin

Les Directives volontaires se distinguent de tous les autres principes produits jusqu’ici par l’implication d’un grand nombre d’États dans leur rédaction et les espaces ouverts pour recevoir les propositions de la société civile. De nombreuses avancées, par rapport aux référentiels antérieurs, y ont été introduites. Elles restent évasives sur bien des points et parfois contradictoires. Elles ne suggèrent aucune mesure contraignante pour réguler les agissements des entreprises, ni pour travailler à l’instauration de mesures de régulations supranationales contraignantes.

Le caractère volontaire des Directives a permis qu’elles soient adoptées par 130 États dont la plupart ne les auraient pas endossées si cela avait supposé pour eux une quelconque obligation externe de les appliquer. C’est aussi leur principale faiblesse : elles ne peuvent être utilisées qu’à la condition d’une réelle volonté politique des États de changer les règles et pratiques de gestion foncière.

Seul un changement des rapports de force internes et externes peut conduire à ce que les États s’imposent à eux-mêmes et aux entreprises et individus agissant sur leur territoire cet ensemble de principes. Les rapports de domination entre États poussent aussi les pays visés par les investissements à large emprise foncière dans une course au dumping social et environnemental.

Comment engager cette dynamique de changement ?

Le Comité technique « Foncier & développement » souligne la nécessité de renforcer les organisations de la société civile, et promouvoir l’application des Directives volontaires au travers de mesures opérationnelles effectives tout en cherchant des voies d’amélioration du droit international. L’instauration de dispositifs de recours supranationaux effectifs en cas de violations de droits fonciers par les États et les entreprises constituerait un facteur de progrès déterminant.

Cette fiche a été produite pour le Comité Technique « Foncier et Développement ».

Relecteurs: Amel BENKAHLA (GRET), Thierry BERGER (IIED).

Bibliography

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