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Fiche 2 de 2
Written by: Michel Merlet
Writing date: 05-2009
Organizations: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Groupe de Recherches et d’Echanges Technologiques (GRET)
Type of document: Research Paper
Rapport de mission de Michel Merlet (AGTER) auprès du Projet Floresta Viva. GRET. SDS (Secrétariat au Développement Durable, Amazonas, Brésil). Décembre 2008.
Les politiques forestières s’appuyant sur les pratiques extractivistes et la loi visant à relever le défi du réchauffement climatique qui ont été mise en place par l’Etat de l’Amazonas voient leur impact limité par des conceptions du foncier et un cadre juridique inadaptés 1.
Cette fiche examine en quoi des mesures spécifiques (concessions de droits d’usage, forums citoyens, etc.), en cours d’application, tentent d’en dépasser les limites. Elles illustrent une démarche de longue haleine qui s’inscrit dans la construction d’un nouveau paradigme, même si celui-ci reste peut-être encore parfois flou pour un certain nombre d’acteurs.
La spécificité de la formation sociale de cette partie centrale de l’Amazonie entraîne toutefois de sérieuses contraintes et des limites significatives. Le processus engagé sera long et difficile et son issue incertaine.
Problèmes et réponses d’ordre général
Prémices de définition de droits spécifiques, qui ne soient pas seulement des droits de propriété absolue
Un zonage était indispensable pour pouvoir mettre en place à grande échelle des mécanismes de vente de crédits carbone correspondant à de la déforestation évitée. Cet effort de planification au niveau de l’Etat a aussi eu pour objectif de contribuer à définir des espaces sur lesquels sont mis en place différents régimes de propriétés.
La création par l’Etat d’unités de conservation revient à ne reconnaître que certains types de droits sur ces surfaces, comme nous l’avons signalé plus haut. Les droits que l’on peut faire reconnaître dans les unités de conservation sont de natures diverses. Les droits de possession (direitos de posse) constituent normalement l’étape initiale pour pouvoir accéder à la propriété. Mais dans les unités de conservation, l’accession à la propriété n’est pas autorisé. Les habitants sont censés le savoir, mais ne mesurent pas toujours les différences et les limites qui existent entre les différents droits auxquels ils peuvent avoir accès et le droit de propriété.
Le type de droit qui est promu dans les unités de conservation est la Concession de Droit Réel d’Usage (CDRU, Concessão de Direito Real de Uso).
L’analyse du cas concret ci-dessus de concession de droits réels d’usage met en évidence les ambiguïtés et les limites de ce type de contrat. Aucune mention spécifique n’est faite de l’usage des ressources forestières, aucune référence n’est faite à une instance de gestion locale. La durée du contrat de 5 années n’est compatible ni avec la mise en place d’une production agricole durable, ni avec celle d’une exploitation forestière durable. Le contrat légalise certes la situation présente, mais n’offre aucune sécurité ni aucun cadre viable dans la durée.
La confusion est patente entre la forme de la concession et l’aspiration à l’accession à la propriété.
Les CDRU établis dans des zones de conservation, ne prévoient pas non plus une durée compatible avec l’exercice d’une activité durable d’exploitation forestière. La durabilité repose donc uniquement sur les normes imposées par l’administration, et cela constitue une faiblesse fondamentale.
Prémices de mise en place de mécanismes de gouvernance locale : conseils de gestion et forums de la terre.
Les textes de loi prévoient la mise en place d’instances de gestion spécifiques pour chaque unité de conservation. Celles-ci doivent établir un plan de gestion, qui spécifie ce qu’il est possible de faire et ce qui est interdit, dans chaque cas, en fonction des conditions naturelles, de la pression sociale existant localement, et des objectifs de niveau supérieur. Ces conseils, qui peuvent être consultatifs ou décisionnels, sont composés par des représentants de l’Union, de l’Etat, par des représentant de la société civile (GTA - groupe de travail de l’Amazonie, universitaires, etc.) et par des représentants des habitants.
Il faudrait approfondir l’analyse du fonctionnement réel de ces conseils, car c’est un point essentiel. La mise en place de ces conseils revient à reconnaître des droits de gestion à des instances collectives paritaires, même si les choses ne sont pas en général présentées de cette façon. Il s’agit bien d’une rupture avec le schéma classique de la propriété absolue. Comme ces propositions ne sont pas intégrées dans un cadre conceptuel juridique rénové, elles se heurtent à de nombreux obstacles.
L’ITEAM a pris une initiative particulièrement intéressante en développant des Forums de la Terre. Ce sont des instances de discussion, encore expérimentales, sur les modalités d’attribution des droits et sur la gestion des ressources, qui ont été lancées au niveau des municipalités. Ils constituent un espace de participation et de contrôle social en construction, là où l’Etat détient des terres. Ils permettent de discuter des politiques de l’Etat sur les questions foncières et de réforme agraire et d’en évaluer la pertinence. Ils permettent aussi de discuter des propositions et des projets, de présenter des suggestions, d’identifier les espaces et les bénéficiaires prioritaires, d’aider à des médiations lorsque des conflits existent, de détecter des irrégularités. Il s’agit de démocratiser, d’optimiser et d’améliorer les procédures liées à la régularisation foncière au niveau des municipalités 3.
Problèmes spécifiques de l’exploitation forestière à petite échelle.
Propriété ou droit d’usage sécurisé ?
Les Plans de Gestion Forestière à Petite Echelle (PMFPE) sont une des modalités novatrices mises en place dans l’État de l’Amazonas sur les terres de l’Etat ou de l’Union, que ce soit dans les zones de conservation ou dans des régions non protégées. Un des principaux goulots d’étranglement des procédures d’autorisation de ces Plans est l’obtention des permis annuels d’opération (licenças de operação). En décembre 2008, la question revenait dans toutes les réunions des acteurs des plans de gestion. Un grand nombre de plans de gestion à petite échelle avaient été élaborés, mais très peu avaient obtenu ce permis. Les participants soulignaient qu’ils avaient déposé les dossiers depuis bien longtemps, et pas encore pu exploiter un seul arbre ! Il y a à cela plusieurs éléments d’explication : un personnel trop peu nombreux au niveau de l’institution chargée de délivrer ces permis (IPAAM), un manque de moyens pour faire les vérifications nécessaires sur le terrain, et aussi une centralisation extrême de ce processus à Manaus, souvent à des centaines de kilomètres des endroits où sont localisés les plans.
Une grande partie des problèmes que génèrent les règles actuelles de fonctionnement vient de l’exigence de documents fonciers qui sont censés prouver que les demandeurs de plans de gestion peuvent légitimement prétendre à ceux-ci. L’intention est claire : il s’agit d’éviter que des acteurs externes s’approprient indûment les ressources. Toutefois, les seuls droits qui sont reconnus et sécurisés sont des droits de propriété privée, ou des formes de transition vers la propriété privée. Les « cartas de anuencia » signées par des autorités locales qui avaient été acceptées au début ne sont plus reconnues aujourd’hui, probablement parce que des abus trop fréquents ont dû se produire.
On est donc en présence d’une contradiction fondamentale, pour pouvoir accéder à la ressource forestière, il faut pouvoir prouver que l’on y réside, que l’on veut y faire de la production familiale, et que l’on est en train d’acquérir des droits exclusifs (de propriété sur le sol et les ressources). On retrouve très clairement cette contradiction dans les formes du contrat de CDRU analysé plus haut. C’était d’ailleurs la même chose dans les asentamentos de l’INCRA : il fallait défricher au moins la moitié des forêts de sa parcelle pour pouvoir conserver ses droits. Il ne s’agit pourtant pas d’une revendication généralisée au niveau des petits bûcherons et usagers extractivistes de la forêt. Lors d’une réunion dans une communauté de Boa Vista do Ramos, un des exploitants forestiers les plus puissants, qui avait travaillé des années de façon clandestine, a clairement exprimé qu’il souhaitait pouvoir disposer d’un droit d’usage opposable à des tiers, de façon à pouvoir se protéger contre les exploitants forestiers beaucoup plus puissants qui revendiquent le droit d’exploiter les espaces que les petits bûcherons ont utilisés depuis de nombreuses années.
Il ne faut pas s’étonner dans ce contexte que la confusion soit grande au niveau des petits bûcherons. Beaucoup d’entre eux n’ont pas une idée claire de ce que pourraient être ces concessions de droits d’usage et considèrent que ce sont des droits équivalents à des droit de propriété. Comment en serait-il autrement compte tenu des procédures en place dont nous avons montré toute l’ambiguïté.
Améliorer les Concessions de Droits Réels d’Usage
Ludmila Caminha Barros a traité cette question lors de la mission qu’elle a réalisée pour le projet Floresta Viva en Septembre 2008 4, qui avait pour objectifs de
présenter une proposition pour la régularisation socio environnementale des bûcherons et usagers de la forêt de l’Etat de l’Amazonas
contribuer à l’amélioration du projet de loi sur la terre de l’Etat et à la construction d’un avant-projet de décret régulant la mise en place des CDRU pour l’exploitation de la forêt.
Elle propose de s’appuyer sur l’existence dans le code civil brésilien du concept de droit de superficie (direito de superficie). Cette notion y avait été incluse en faisant référence à des situations urbaines. Ludmila Caminha Barros affirme qu’il est possible de transposer cette notion aux terres rurales et de construire sur cette base une proposition adaptée aux concessions de droits d’usage de la forêt qui soit en cohérence avec les objectifs de la politique forestière de l’Etat.
Il apparaît clairement qu’il n’est pas possible de se contenter de mettre en place un dispositif légal plus adéquat. Il faut en même temps construire les instances de gestion du territoire, avec la participation des habitants. Cela demande du temps, et un travail d’aller et retour entre le terrain et le travail législatif. Les lois doivent pouvoir s’appuyer sur des pratiques testées par les habitants. Si cela n’est pas le cas, on aura nécessairement de fortes contradictions entre les normes imposées de l’extérieur et les pratiques. Aucun système répressif efficace ne pourra faire appliquer la loi. Dans ces conditions de chaos, ce sont les acteurs les plus puissants qui réussiront toujours à imposer leur volonté, leur propre « loi ».
Eléments conceptuels pour aller de l’avant
Il suffirait pour dépasser au moins en partie des écueils que nous avons énoncés de parler de « propriété de droits » sur la terre et les ressources naturelles, au lieu de parler de « droit de propriété » sur la terre. Les droits sont en effets multiples. Un « titre » recouvre toujours un certain nombre de droits, mais jamais tous les droits.
Ces droits sont de natures différentes.
Certains portent sur l’usage des ressources naturelles et de la terre. Ils peuvent être limités à une ressource spécifique.
D’autres concernent la possibilité de gestion du territoire et des ressources qu’il contient. Les détenteurs de ces droits peuvent établir ce qu’il est possible de faire et ce qui est interdit, définir les règles, les normes, les politiques applicables sur cette partie de l’écorce terrestre. Le droit d’exclure certaines catégories d’usagers en fait partie.
Une troisième catégorie, enfin, se réfère à la possibilité de transférer les droits antérieurs, soit par le biais de l’héritage, soit par des mécanismes de marchés ou au travers de tout autre mécanisme possible.
Les détenteurs de ces droits sont pluriels. Il peut s’agir d’individus, de familles, de groupes ethniques, d’entreprises, d’institutions locales, de l’Etat, ou même de l’humanité toute entière.
En combinant ces différentes catégories, on obtient une multitude des possibilités, parmi lesquelles la propriété privée absolue n’est qu’un cas, par ailleurs purement théorique car jamais véritablement mis en oeuvre de façon complète dans la pratique.
Enfin ces droits peuvent évoluer dans le temps. Ils ne sont pas établis une fois pour toutes. Ils se modifient en fonction de l’évolution de la société, des techniques, des rapports de force, etc.
La question centrale est donc :
Quelles combinaisons de droits sont les mieux à même de contribuer à atteindre les objectifs de protection de la forêt et de la biodiversité, et d’amélioration des conditions de vie des habitants pauvres des zones rurales de l’Etat de l’Amazonas ?
Cette interrogation est parfaitement légitime : il existe de par le monde de multiples systèmes de propriétés qui évoluent constamment et non pas un modèle unique. Si on entend par régime de propriétés un ensemble cohérent de paquets de droits définis de façon précise qui sont aux mains de différents types d’ayant droits sur un territoire donné, il s’agit de pouvoir établir différents régimes de propriétés correspondant aux territoires indigènes, aux espaces protégés, ou aux terres ordinaires de l’Etat, avec autant de catégories spécifiques qu’il sera nécessaire. Parler de régime de propriétés est plus pertinent que parler de forme de propriété. Des droits collectifs à différents niveaux peuvent être absolument compatibles avec des droits individuels parfaitement sécurisés et gérés en même temps au sein d’un même régime de propriétés.
Le nouveau paradigme à construire est ainsi largement clarifié. Les régimes de propriétés tels que nous les avons définis sont indissociables des modes de gouvernance.
Il nous semble toutefois que le rôle des acteurs internationaux dans les mécanismes de protection de la forêt ne peuvent être réduits à celui d’acheteurs de crédits carbone sur des marchés, officiels ou volontaires. Il y a certainement là une limite bien réelle à la politique mise en place par l’Etat qui, du fait de son caractère audacieux et novateur peut conduire à sous-estimer les limites intrinsèques des solutions envisagées. A terme, il semble évident que l’humanité ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion critique et constructive sur les limites à établir à la souveraineté des Etats-nations, et sur les divers degrés d’autonomie locale qui sont indispensables pour que les systèmes de gouvernance puissent être à même de relever les défis planétaires du XXIe siècle.
Une issue incertaine, sans un changement profond des rapports de force
L’histoire de l’Amazonie est intimement liée aux activités de récolte du caoutchouc, puis de la noix du Brésil. Ce sont ces produits et pas le bois qui ont permis son insertion dans l’économie monde à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. L’extraction a été basée sur des rapports sociaux proche du servage, de l’esclavage dit-on au Brésil. Les seringueros, venus d’ailleurs, sont devenus totalement dépendants des patrons, ont été contraints à s’endetter en s’approvisionnant dans leurs magasins. L’habitat, les relations sociales au niveau local, se sont articulés autour des unités de collecte des entreprises qui organisaient la récolte et la commercialisation du caoutchouc.
Ces rapports sociaux continuent de peser lourd dans les possibilités de construction d’autres modalités de gouvernance. La fabrication d’un nouveau paradigme ne peut se faire sans un réel changement des rapports de force, sans que les habitants de la forêt amazonienne, les caboclos et les indiens, réussissent à s’émanciper de la dépendance historique qu’il ont vécue vis-à-vis des élites locales.
Les évolutions actuelles sont certes très intéressantes, mais le poids de l’histoire est incontestable, au cœur de l’Amazonie. Les actions entreprises par le gouvernement et les luttes sociales pourront-elles gagner rapidement assez de puissance pour que des transformations profondes, qui s’apparentent dans ce contexte à une véritable révolution, puissent se développer ?
L’issue des luttes locales a peu à voir avec les enjeux et débats globaux auxquels nous faisions référence plus haut. C’est pourtant en partie sur la base de leurs avancées ou de leurs reculs que se construira la crédibilité de schémas alternatifs et prometteurs de gouvernance des ressources naturelles.
1 Voir fiches : BRESIL. La politique forestière et la politique « climat » de l’Etat de l’Amazonas (Merlet 2009) et BRESIL. Scénarios d’évolution de la forêt dans l’État de l’Amazonas. Capture de rentes et question foncière (Merlet 2009).
2 Nous ignorons s’il existe ou non différentes variantes dans l’établissement des CDRU. Notre analyse se fonde uniquement sur le document que nous étudions ici.
3 Source ITEAM, diaporama de Sebastião de Souza Nunes, directeur de l’ITEAM. Octobre 2007.
4 Voir Ludmila Caminha Barros, A regularização do « direito de uso de recursos florestais » para Planos de Manejo Florestal Sustentável em Pequena Escala – PMFSPE no Amazonas. Consultoria juridica. 12 de septembro de 2008. Projeto Floresta Viva.