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Escrito por: Éric Idelman
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), LandNet West Africa, Le Hub Rural - Appui au développement rural en Afrique de l’Ouest et du Centre (Le Hub Rural), Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF), Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
Le transfert de compétences foncières de l’État vers les collectivités locales suppose une détermination du territoire de la collectivité territoriale, c’est-à-dire de son emprise sur un ensemble de ressources foncières et naturelles déterminées. Mais pourquoi la délimitation des collectivités locales pose-t-elle autant de problèmes dans la plupart des États ouest-africains ? La décentralisation n’aboutit-elle pas en général à créer de manière artificielle et par le haut, des collectivités territoriales dont la légitimité foncière reste entièrement à construire, face à des territoires villageois ou inter-villageois qui, eux, font localement sens ? Un des enjeux majeurs de la gestion foncière rurale ne consiste-t-il pas à trouver le juste équilibre entre les compétences attribuées aux autorités communales nouvelles et les rôles assumés depuis toujours par les instances villageoises préexistantes ?
Depuis la colonisation, la gestion foncière rurale en Afrique de l’Ouest s’est caractérisée par sa dualité. Il y a d’un côté la gestion reposant sur les chefs « traditionnels », la plus ancienne et jusqu’à présent la plus légitime ; elle constitue la principale référence des ruraux ; et, de l’autre côté, la gestion foncière de l’État, qui n’a pas pu, dans les faits, imposer ses normes sur les vastes espaces ruraux. S’accordant mal avec les logiques traditionnelles, elle est encore perçue comme étrangère, donc illégitime par la majorité des ruraux. À l’inverse, les droits traditionnels de gestion appliqués à la terre et aux ressources naturelles n’ont pas ou très peu de reconnaissance juridique. L’existence d’un système de normes étatiques qui cherche à s’imposer crée des incertitudes sur les droits, fragilisant ainsi les systèmes paysans de contrôle du foncier et des ressources naturelles. La décentralisation rurale, généralement développée depuis les années 1990, a fait apparaître une troisième forme de gestion : celle exercée par les élus locaux.
Comment, dans ce contexte, se pose la question de la délimitation des collectivités territoriales ? Est-elle immédiatement indispensable et doit-elle être physiquement matérialisée ? Dans le processus de construction de territoires fonctionnels, quel peut être le rôle des instances villageoises ? Nous examinerons successivement comment les collectivités territoriales ont été créées, la question du transfert des compétences et des domaines, puis nous nous demanderons si les collectivités locales doivent forcément avoir des limites précises, avant d’esquisser une réfexion sur les niveaux et instances de gestion foncière.
La création des collectivités territoriales
Les pays d’Afrique de l’Ouest ont généralement créé deux ou trois niveaux de collectivités territoriales. La collectivité territoriale de base (CTB), généralement appelée « commune », est composée d’un ensemble plus ou moins large de villages.
La création de ces collectivités signifie-t-elle que l’on crée de nouvelles entités territoriales ? Pas dans certains pays, comme le Bénin, la Guinée Conakry, qui ont opté pour une simple superposition des collectivités territoriales sur des circonscriptions administratives déjà existantes. Mais dans d’autres pays, il y a eu création de nouvelles entités territoriales. C’est ainsi que le Mali a opté pour une approche ambitieuse de « communalisation » intégrale et simultanée de son territoire national. L’originalité malienne réside dans le caractère volontaire des regroupements : au milieu des années 1990, la formation de collectivités territoriales s’y est opérée par une démarche de libre regroupement de villages.
Lorsqu’on étudie plus finement ces situations, on s’aperçoit que la mise en place des CTB s’est réalisée sans clarification foncière préalable. Au Mali comme au Sénégal par exemple, les CTB rurales ne sont constituées dans les lois que par la liste des villages administratifs qui les composent. Ainsi les limites des CTB ne sont pas précisées. En outre, cette façon de faire ne tient pas compte des hameaux géographiquement éloignés, mais socialement rattachés à ces villages. Même dans les pays qui ont « transformé » des circonscriptions administratives en CTB, la question foncière n’est pas clarifiée.
En fait, dans la plupart des pays, les relations foncières, historiques et politiques entre les villages et les logiques spatiales inter-villageoises n’ont été prises en compte ni dans la création des collectivités territoriales, ni auparavant dans la constitution des circonscriptions administratives.
Parce que la clarification des limites foncières est potentiellement conflictuelle, la majorité des États ne s’est pas attaquée de front à cette question. Certains comme le Mali ont ainsi privilégié le maintien de la paix sociale dans l’espoir de pouvoir réconcilier plus tard légalité et légitimité, ce qui constitue certainement un des principaux enjeux de la décentralisation.
Par ailleurs, il est important d’avoir à l’esprit que, du point de vue villageois, accorder des prérogatives importantes aux CTB en matière de gestion foncière correspond davantage à une centralisation du lieu de décision qu’à une décentralisation. En effet, la décentralisation éloigne du village le lieu de décision, en introduisant un nouvel échelon de pouvoir : la CTB. Celle-ci est susceptible d’interférer avec les prérogatives des chefferies traditionnelles, voire de les supplanter.
Les transferts de compétences et de domaines
Le transfert du domaine foncier de l’État aux collectivités territoriales pose la délicate question de la constitution officielle du foncier des collectivités territoriales. Même s’il existe des contre-exemples, les cadres juridiques des États d’Afrique de l’Ouest prévoient à la fois le transfert de domaines et le transfert de compétences en matière de gestion des domaines fonciers, mais ces transferts ne revêtent pas un caractère obligatoire et systématique.
C’est ainsi que chaque transfert de domaine doit se négocier au cas par cas, en passant par des procédures d’enregistrement des terres (comme celle de l’immatriculation qui se matérialise par un titre foncier) qui sont généralement longues, coûteuses et qui ne correspondent pas du tout aux logiques foncières rurales. Tout cela rend très difficilement applicable le transfert de domaines fonciers de l’État aux collectivités territoriales rurales.
Les gouvernements semblent peu motivés à effectuer ces transferts. Ne pas clarifier ni préciser le cadre juridique des transferts permet de maintenir un statu quo dans lequel l’État continue, au moins en apparence, à garder le contrôle de la terre. De fait, la gestion foncière rurale est toujours réalisée concrètement par les chefferies (même au Sénégal, où les élus des CTB disposent et usent du droit d’affecter les terres).
Au-delà de la question de la volonté politique, le transfert du domaine de l’État aux CTB se heurte à l’absence de clarification des limites des collectivités territoriales.
Les collectivités territoriales doivent-elles avoir des limites précises ?
Est-il pertinent que les États procèdent à une délimitation territoriale précise des collectivités territoriales ? Ce sujet fait débat, surtout dans des pays sahéliens comme le Mali et le Niger. D’ailleurs, certains pays comme le Burkina Faso ont déjà tenté de délimiter leurs CTB, alors que d’autres préfèrent attendre.
On peut penser qu’il est nécessaire de délimiter, car, pour qu’un État puisse transférer un domaine à une collectivité territoriale, il semble logique, voire nécessaire, de définir au préalable l’objet du transfert, notamment ses limites. On peut également penser qu’une collectivité territoriale ne peut définir une véritable politique de développement sur son territoire que si ce dernier est parfaitement connu.
À l’inverse, d’autres arguments penchent pour ne pas délimiter systématiquement les CTB rurales. En effet, l’acte même de délimitation physique est potentiellement conflictuel en milieu rural.
Dans la logique paysanne, les limites entre terroirs villageois, entre terres lignagères ou entre territoires coutumiers par exemple trouvent bien plus leur sens en termes de lieux d’interface que de lignes de séparation. Ces limites ne sont donc pas matérialisées et même, dans certaines zones, elles ne peuvent être montrées que dans certaines situations. De plus, ces limites sont fluctuantes : elles sont l’objet de négociations, sont le fruit de consensus qui peuvent s’avérer instables. Matérialiser physiquement une limite revient donc à figer l’équilibre instable et dynamique situant la place de chaque communauté par rapport à la terre.
Par contre, dans les régions où les droits fonciers se sont individualisés, comme dans la zone forestière ivoirienne par exemple, les limites tendent à être de plus en plus précises et stables.
Même sans être matérialisées, les limites sont bien connues des acteurs ruraux. Des limites approximatives et non délimitées physiquement peuvent être fonctionnelles, preuve qu’il peut y avoir « territorialité » sans « limites » visibles. En fait, on observe que le besoin de délimitation en milieu rural ne se manifeste que lorsqu’il y a un enjeu fort, comme par exemple la présence d’une ressource naturelle à la limite de deux collectivités territoriales et dont l’exploitation devient un enjeu économique important. Dans un tel cas, la matérialisation des limites peut s’imposer progressivement comme une nécessité.
Par conséquent, l’absence de délimitation des CTB possède l’avantage de ne pas rompre brutalement avec la perception traditionnelle de l’espace. On pourrait ainsi envisager de laisser aux autorités élues, en concertation avec les chefferies traditionnelles et selon les modes d’organisation des droits sur l’espace de ces dernières, le soin de préciser les limites des CTB, et ce, au fur et à mesure que le besoin s’en fait sentir.
Les niveaux et instances de gestion foncière
Dans le cadre décentralisé qui caractérise à présent la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest, quel est le niveau pertinent de transfert de la gestion des terres et des ressources naturelles : la CTB ? le village ? les deux ?
Le village possède un double avantage : tout d’abord, il est le centre d’une entité spatiale de vie et de travail organisée et gérée par une communauté humaine placée sous l’autorité d’une chefferie reconnue comme légitime. Ensuite, la légitimité des élus dans le traitement des questions foncières n’est pas du tout évidente pour les ruraux : on ne voit pas comment cette légitimité pourrait, dans le court terme, se substituer à celle des chefferies traditionnelles en matière de gestion foncière.
Les CTB possèdent l’atout de jouir du statut légal de « collectivités territoriales ». À ce titre, elles sont pleinement reconnues par l’État et constituent les récipiendaires désignées des transferts de compétences et de domaines fonciers. En outre, elles sont les plus « locales », c’est-à-dire les plus proches des chefferies traditionnelles.
Ainsi, on constate dans bien des cas, l’existence de relations étroites entre les élus et les chefs traditionnels (avec des rapports de force généralement encore en faveur de ces derniers). De plus, les CTB possèdent l’avantage théorique de fonctionner selon des principes « démocratiques » : l’égalité des citoyens, les élus qui doivent rendre compte à la population, etc.
Au lieu de nier l’existence d’une gestion foncière traditionnelle, il semble nécessaire de trouver de justes équilibres entre les rôles attribués aux élus des CTB et ceux assumés jusqu’à présent par les instances villageoises.
De fait, dans certains pays comme le Sénégal, nombre d’élus locaux impliquent les autorités villageoises pour traiter les demandes d’affectation des terres, alors que le Sénégal a, officiellement et depuis longtemps, « supprimé » les droits coutumiers et ne reconnaît aucun pouvoir de gestion foncière au niveau villageois.
L’intercommunalité est également une perspective intéressante, dans la mesure où elle permet d’améliorer certains découpages en créant des entités socialement et économiquement plus viables. Quant à l’État, son rôle au sein du nouveau système décentralisé est majeur : en matière de gestion foncière, il doit continuer à établir le cadre juridique global et à exercer un pouvoir de contrôle efficace.
Fiches pays « Décentralisation, acteurs locaux et foncier », de Rochegude Alain et Plançon Caroline : www.foncier-developpement.org/outils/cadres-legislatifs-et-institutionnels/fiches-pays
Idelman E., 2009, Décentralisation et limites foncières au Mali, Dossier IIED no 151, Programme Réussir la décentralisation - zones arides, juin 2009, 28 p. URL : www.iied.org/pubs/display.php?o=12558FIIED&n=1&l=2&k=idelman
Idelman E., 2008, Le transfert des compétences en gestion des ressources naturelles aux communes rurales de la région de Kita (Mali). D’un encadrement étatique intégré à des logiques d’acteurs locaux, Thèse de doctorat en Géographie, Université de Paris X - Nanterre, décembre 2008. URL : tel.archives-ouvertes.fr/tel-00353162/fr
Lima S., 2003, Découpage entre espace et territoire : la fin des limites ? La fabrique des territoires communaux dans la région de Kayes, Mali, Thèse de doctorat en géographie, Université de Poitiers, 531 p.
ctf_idelman_collectivites_locales_fr.pdf (180 KiB)