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Années 2000: Les conséquences de la concentration des ressources
Escrito por: Camille Jahel
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), AgroParisTech, University of Antwerp, Universidad Centroamericana UCA de Nicaragua (UCA), Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
Jahel, Camille. Concentration des ressources et mutations du système agraire dans une zone historiquement agro-exportatrice du Nicaragua. Analyse diagnostic dans la région de Chinandega.
Mémoire de stage de fin d’études Université Paris X - AgroParisTech. Septembre 2013. Stage suivi par Pierre Merlet et co-financé par le Comité Technique Foncier et Développement (AFD, France).
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Années 2000: Les conséquences de la concentration des ressources par une multinationale
L’arrivée et la croissance de la multinationale sucrière dans la zone
En 1998, Pantaleon Sugar, une grande entreprise sucrière du Guatemala fondée il y a une centaine d’années par la famille Herrera, arrive dans la zone et rachète la raffinerie Monte Rosa située au centre de la plaine ainsi qu’environ 3000 hectares de terres (qui avaient été privatisées au début des années 1990). Elle bénéficie de prix très avantageux, le secteur sucrier traversant des difficultés dues aux coûts de production trop élevés par rapport aux prix de vente sur le marché mondial. Ainsi, Pantaleon investit 50 millions de dollars dans l’acquisition des terres et la rénovation de l’usine.
Pantaleon entreprend dans les années suivantes d’augmenter ses surfaces et d’installer un système produisant de l’électricité à partir des restes de canne, constituant une diversification importante des revenus. La croissance de l’entreprise est accélérée à partir de 2006 suite à la signature de l’accord de Cafta qui favorise les exportations de sucre aux Etats Unis. La Banque Mondiale accorde alors un prêt de plus de 200 millions de dollars, avec lequel Pantaleon rénove la sucrerie et investit dans des machines agricoles performantes, cherchant à mécaniser le plus possible les travaux agricoles.
Pour augmenter la quantité de canne transformée, Pantaleon met en place un système d’agriculture sous contrats avec plusieurs producteurs de la zone, les colonos. Ces contrats poussent ces derniers à se convertir à la culture de la canne alors que l’entreprise s’engage à leur acheter la récolte pendant au moins 5 ans à un prix favorable. En l’espace de 15 ans, les superficies de canne dans la zone (terres exploitées par Pantaleon et terres des colonos) sont passées de quelques 5 000 hectares à 25 000 hectares en 2013 (figure 4). Très récemment des investissements pour produire du bioéthanol sont effectués, la fin des travaux étant prévue pour fin 2014.
Aujourd’hui, la sucrerie de Pantaleon au Nicaragua est la deuxième plus importante du pays, et Pantaleon est le plus grand groupe sucrier d’Amérique centrale et le 21eme mondial.
Durant toute son extension de l’entreprise dans la zone, Pantaleon a bénéficié d’un fort soutien du gouvernement. Par exemple, les politiques publiques du pays favorisent la diversification et la compétitivité des exportations, et exonèrent les exportations de 70% des taxes. De plus, le marché intérieur du sucre est extrêmement protégé, avec une forte taxe à l’entrée et des prix internes stables et élevés. Enfin, l’entreprise bénéficie d’exonérations d’impôts sur les intrants.
FIGURE 4: EVOLUTION DES SUPERFICIES DE CANNE (DE 1000 A 2000 HECTARES SUPPLEMENTAIRES PAR AN) ET DU TAUX DE RECOLTE MECANISEE
Place prédominante de la multinationale dans la zone et conséquences
Pantaleon emploie plus de 5 500 personnes en période de récolte (de février à juillet) et 600 le reste de l’année et développe un programme de responsabilité sociales entrepreneuriale. La fondation Pantaleon qui s’occupe de ce programme met en place des projets sociaux (cliniques, écoles, infrastructures publiques) et environnementaux censés améliorer les conditions de vie des employés et autres habitants des villages de la zone. Ce programme leur permet d’assurer la reproduction de la force de travail et le maintien d’une certaine paix sociale. Il est en outre largement utilisé pour améliorer l’image de l’entreprise dans la zone, particulièrement impopulaire dans les milieux paysans.
Pantaleon doit en effet faire face à un fort mécontentement des populations environnantes. Il existe dans la zone une prévalence anormale d’une maladie appelée l’insuffisance rénale chronique que l’on suspecte d’être liée au travail dans les plantations de canne (elle ne touche que les hommes adultes). Bien que rien de soit encore prouvé, Pantaleon prend ses précautions et procède à un dépistage annuel chez tous ses employés pour vérifier leur taux de créatinine. Si l’un d’entre eux révèle un taux au-dessus de la normale, son contrat n’est pas reconduit l’année suivante. Pour les mêmes raisons, Pantaleon ne recrute plus d’employés âgés de plus de 40 ans et met en place des services médicaux pour soigner cette maladie.
L’autre grand reproche fait à Pantaleon concerne sa surconsommation d’eau pour l’irrigation de la canne. L’assèchement des puits du fait de la surexploitation de la nappe phréatique a des conséquences dramatiques pour les petits éleveurs de la plaine, situés loin des cours d’eau et qui, sans leurs puits, n’ont plus de quoi faire boire les bovins.
De même, Pantaleon épand du glyphosate2 par avion quelques semaines avant la récolte, pour augmenter le taux de sucre dans la canne. Les parcelles des paysans situées à proximité reçoivent donc aussi une partie du produit, provoquant la destruction des cultures.
Pantaleon a donc un impact extrêmement négatif dans la zone et doit veiller à préserver la paix sociale. Des compromis sont parfois trouvés avec des groupes de paysans réclamant de l’eau et ayant réussi à faire entendre leur voix. De même, l’entreprise ferme les yeux lorsque de petits éleveurs font parfois paître leurs troupeaux en bordure des champs de canne.
Mais le mécontentement gronde dans la communauté paysanne, et les incendies criminels sont fréquents de sorte que Pantaleon doit employer des gardes nuit et jour pour surveiller les parcelles.
Quel impact sur le développement économique de la zone ?
Impact économique de l’agro-industrie sucrière dans la zone
Le Nicaragua mène aujourd’hui une politique d’ouverture aux investisseurs étrangers. L’institut public PRONICARAGUA a été créé pour promouvoir les investissements dans des projets d’agro-exportation. Les arguments principaux du gouvernement sont la création d’emplois et de devises liés au fonctionnement de tels projets. L’implication sociale de l’entreprise est un autre aspect mis en avant, avec la création d’hôpitaux, d’écoles et de projets communautaires. Cependant, l’étude détaillée des résultats économiques de l’entreprise tend à contredire ces affirmations.
Lorsqu’on observe la répartition de la valeur ajoutée pour savoir où et à qui est destinée la richesse créée, il est intéressant de constater que l’agro-industrie sucrière destine plus de la moitié de la valeur ajoutée à la rémunération du capital alors que seulement 28% de la richesse créée sert à rémunérer les travailleurs. On voit aussi que l’accès au foncier et les taxes représentent une faible part de la valeur ajoutée produite par l’entreprise (seulement 14% au total).
Le groupe sucrier profite donc de capitaux étrangers considérables, qui sont rémunérés grâce à un accès très peu cher à la main d’œuvre et au foncier. Le coût du travail étant fixe et très faible, une forte plus-value est réalisée sur le travail.
Quel modèle de développement possible ?
Il existe de nombreux autres types d’agriculture dans la zone, notamment des systèmes agricoles reposant sur la famille, produisant des produits vivriers ou destinés au marché local en utilisant majoritairement la main-d’œuvre familiale. Ces types d’agriculture familiale exploitent des surfaces généralement comprises entre 1 et 15 hectares et font une gamme diversifiée de productions, allant du jardin (avec potager, basse-cour et arbres fruitiers) au maïs, riz, haricot, blé et élevage bovin. Certains se spécialisent dans la culture de banane plantain. Il est intéressant de comparer les résultats économiques de cette agriculture familiale avec ceux de l’agro-industrie sucrière.
Lorsque l’on compare la valeur ajoutée par hectare dégagée par chaque système, on constate que les structures familiales produisent beaucoup plus de richesse par unité de surface (entre 700 et 8500 $/ha selon les systèmes) que l’agro-industrie sucrière3 dont la valeur ajoutée par hectare est de 560$/ha.
Sans grands moyens financiers pour investir dans la mécanisation ou les intrants, les exploitations familiales vont avoir tendance intensifier leur travail pour obtenir de bons rendements. Ainsi, entre 0.3 et 7 hectares sont travaillés par une personne en système familial (selon le type de système de production) alors que l’agro-industrie, plus mécanisée, va employer 1 travailleur pour 22 hectares.
Ramené à l’unité de surface, un système familial va employer 3 à 22 fois plus de main d’œuvre que l’agro-industrie sucrière.
Lorsque l’on regarde la répartition de la valeur ajoutée dans les systèmes familiaux de la zone, on constate qu’entre 75 et 100 % de la richesse créée est utilisée pour rémunérer le travail.
Conclusion
Bien que l’histoire du pays ait été marquée par de fortes revendications paysannes et une réforme agraire ayant abouti à une redistribution partielle des terres, le gouvernement encourage aujourd’hui les projets agro-industriels de grande ampleur au dépend des agricultures familiales. Ces dernières sont de plus en plus asphyxiées par les politiques publiques, ayant très peu de subventions et d’accès au crédit (spécialement dans la zone de Chinandega). Pourtant, cette étude montre qu’elles produisent plus de valeur ajoutée que l’agro-industrie sucrière et que cette création de richesses est destinée à la rémunération du travail et non du capital.
Un autre aspect à mettre dans la balance est le désastre écologique et sanitaire qu’engendre dans cette région du Nicaragua la monoculture de canne à sucre intensive en intrants. La maladie rénale chronique sévit au sein des ouvriers agricoles, les puits des villages proches des parcelles de canne sont asséchés et les récoltes des parcelles paysannes des environs sont endommagées par les épandages aériens des produits.
Ainsi, installé sur les meilleures terres d’Amérique Centrale, Pantaleon s’accapare une rente différentielle considérable, tout en sous-payant la main d’œuvre, pour rémunérer les capitaux investis dans le projet.
Il est important de souligner que ce projet a pu être réalisé grâce aux financements internationaux octroyés par la Banque Mondiale et, dans une moindre proportion, par PROPARCO, un établissement financier qui fait partie du groupe AFD. Ces derniers ont investi plus de 210 millions de $, arguant sur les effets sociaux, économiques et environnementaux positifs4. Ce prêt a en fait permis aux capitalistes d’étendre leur exploitation des ressources humaines et naturelles de la zone, d’une façon qui, au regard des observations que nous avons pu faire dans la région, ne semble pas vraiment « durable ».
2 Le glyphosate est un puissant désherbant foliaire, généralement utilisé pour éliminer les adventices. Il est épandu sur la canne pour accélérer la maturation en provoquant un stress pour la plante.
3 Seul le pôle agricole de l’agro-industrie sucrière a été pris en compte, la comparaison étant faite par unité de surface, sur la base des prix appliqués. Compte tenu de la situation d’oligopole des entreprises sucrières dans la zones, le prix de la canne est certainement inférieur à ce qu’il serait en situation de concurrence. Si on tient compte de la transformation de la canne en sucre dans la distillerie, la valeur ajoutée par hectare de l’agroindustrie dans son ensemble augmente mais reste inférieure à 3000 $ par hectare, soit environ deux fois moins que les systèmes paysans les plus intensifs.
4 Dans la page que Proparco a publié sur son site internet, l’institution qui participe au financement de la distillerie de Pantaleon au Nicaragua affirme en effet qu’elle « soutient un acteur clé pour le Guatemala en termes d’emplois et de ressources publiques ; favorise la réduction des émissions de gaz à effet de serre, grâce à l’utilisation de mélasse et de bagasse pour produire éthanol et électricité. La réduction des émissions de CO2 induite par le projet est estimée à 372 0000 teq par an. » et que « Le projet aura également un impact pour les communautés locales puisqu’il permettra de maintenir un fort niveau d’emplois dans des régions hautement dépendantes de la canne à sucre. » (source : www.proparco.fr, consulté en Octobre 2013)
sur le diagnostic agraire
Cochet, H., Devienne, S. and Dufumier, M. (2007) “L’agriculture comparée, une discipline de synthèse? “, Économie rurale297-298, economierurale.revues.org/index2043.html
Dufumier, M. (1996) Les projets de développement agricole : manuel d’expertise Paris : Karthala
Mazoyer, M. and Roudart, L. (1997) “Pourquoi une théorie des systèmes agraires?” Cahiers Agricultures 6:591-595
Mazoyer, M. and Roudart, L. (2002) Histoires des agricultures du monde : Du Néolithique à la crise contemporaine, Paris : Seuil
jahel_2014_fiche1_canne_final1.pdf (1,9 MiB)