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Fondo Documental Dinámico
sobre la gobernanza de los recursos naturales en el mundo

Les forêts tropicales humides du Cameroun. Une première approche

Escrito por: Mathieu Perdriault, Marta Fraticelli, version initiale révisée par: Jacques Waouo et Patrice Kamkuimo. Version finale révisée par Michel Merlet

Fecha de redaccion:

Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Tipo de documento: Estudio / Trabajo de investigación

Resumen

Les forêts représentent des ressources essentielles pour beaucoup de camerounais. De plus en plus, elles font l’objet de processus d’appropriation exclusive. Garantir que l’utilisation des ressources forestières communes soit profitable à tous et s’opère sans compromettre leur pérennité et sans aggraver la situation écologique mondiale relève du défi dans un pays où l’accès à l’information et le pouvoir économique sont très inégalement répartis entre les citoyens.

Après la réforme de la loi forestière de 1994, des changements importants ont eu lieu. Les évolutions actuelles conduisent à s’interroger sur l’efficacité des politiques qui ont alors été mises en place. Cette fiche rappelle le cadre général de l’évolution de la gouvernance des forêts au Cameroun afin d’introduire l’analyse qui sera développée dans ce dossier et en précisant les limites.

Les forêts, des ressources essentielles pour beaucoup de camerounais

42% de la superficie du Cameroun est couverte de forêts - soit 19 916 000 hectares en 2010 (FAO, 2011). La forêt tropicale humide, la seule à laquelle nous nous intéresserons dans ce dossier1, s’étend sur toute la partie sud du pays. Elle revêt une grande importance dans un pays où une partie significative de la population qui vit sous le seuil de pauvreté2 vit dans les zones de forêt. Les enjeux écologiques et démographiques liés à la conservation de ces forêts du bassin du Congo sont très importants.

La forêt fournit des produits et des services essentiels aux individus qui y vivent et aux populations urbaines environnantes.

Arbre de Moabi. Photo: Marta Fraticelli

Les produits forestiers non ligneux (PFNL) occupent une place centrale dans les modes de vie des populations forestières. Écorces, feuilles, fruits, fleurs, baies, racines, miel ou champignons sont utilisés comme aliments, médicaments, outils et matériaux de construction.

La plupart de ces produits ne sont pas commercialisés et leur importance économique est difficile à mesurer. D’autres, notamment le gibier, peuvent être sources de revenus monétaires importants. La chasse aux éléphants (appelée localement « grande chasse »), bien que formellement interdite, constitue à l’évidence une activité économique majeure pour les jeunes ruraux du sud du Cameroun. En zone rurale, la cuisson des aliments est souvent réalisée au moyen de bois et de charbon de bois.

Parmi les 250 groupes ethniques qui vivent au Cameroun, nombreux sont ceux qui dépendent de la forêt pour leur subsistance (Global Forest Watch, 2005). Deux groupes humains très différents habitent les forêts du Cameroun : les peuples de la forêt et les populations Bantous d’agriculteurs.

  • Les peuples chasseurs cueilleurs, appelés de façon péjorative « pygmées ». Premiers habitants des forêts du Bassin du Congo, ils dépendent fortement des produits de la forêt dans leurs modes de vie « traditionnels »3. Au Cameroun, ils sont répartis en trois groupes ethniques : les Bakas, les plus nombreux, présents au sud-est du pays, les Bakolas / Bagyelis et les Bedzangs. Ils ont été contraints à la sédentarisation par la politique coloniale, avec pour conséquences la perte progressive de leurs modes de vie traditionnels et la misère. La destruction des forêts provoque la disparition de ressources essentielles pour leur survie. Leur connaissance approfondie de la forêt et les savoirs-faire de ces populations autochtones sont de ce fait directement menacés de disparition4. Leurs droits sur les territoires qu’ils occupent ne sont pas reconnus(Voir la fiche C-5).

  • Les agriculteurs Bantous pratiquent une agriculture d’abattis-brûlis. La colonisation du début du siècle dernier a fixé le long des routes et des chemins ces populations autrefois semi-nomades qui vivaient aussi de chasse et de cueillette. Elle a mis fin aux guerres intra et inter-ethniques qui servaient à la régulation des échanges (de femmes, de biens et de territoires). Depuis l’introduction de la culture du cacao à l’époque coloniale, les revenus monétaires des Bantous proviennent essentiellement de la commercialisation de cette fève(Voir la fiche C-4).

La réforme du secteur forestier de 1994 n’a pas donné un rôle central aux populations locales

Le Cameroun a adopté en 1994 une stratégie politique forte visant la réforme du secteur forestier, qui lui a valu d’être reconnu comme un pays modèle en Afrique Centrale par les Institutions Internationales.

La réforme a été adoptée dans la conjoncture particulière qui a suivi le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992, alors que les préoccupations de la communauté internationale à l’égard des questions environnementale s’étaient intensifiées. Mais elle est aussi le produit de la pression des bailleurs de fonds internationaux qui ont fait de son adoption une condition pour l’obtention d’un troisième crédit dans le cadre des programmes d’ajustement structurel.

Le Cameroun avait perdu entre 1980 et 1995 plus de 2 millions d’hectares de forêts, selon des estimations de la FAO. Il fallait changer les règles du jeu en mettant en place une gestion plus transparente, décentralisée et participative des ressources forestières. La réforme avait pour principaux objectifs :

1/ La mise en place d’un système de gestion des aires protégées, à travers la construction d’un système de règles pratiques (accompagnées des ressources financières nécessaires), géré par les ministères nationaux, les agences de conservation internationales, les ONG.

2/ L’intensification de l’exploitation industrielle du bois et des zones de chasse, à travers l’attribution d’une partie importante des surfaces forestières disponibles.

3/ La mise en place de différentes politiques permettant un développement local participatif, qui associent des considérations tant écologiques que sociales : a/ une politique de fiscalité décentralisée; b/ des obligations sociales consignées dans cahiers des charges des exploitations privées; c/ l’exploitation des terres forestières à vocation communautaire (par la dévolution de droits de gestion sur les ressources forestières aux communautés et aux communes locales).

La loi s’appuie sur un zonage, qui distingue différentes catégories d’espaces forestiers auxquels sont assignées des fonctions spécifiques. Le « domaine forestier permanent » regroupe les zones destinées à la « conservation » des ressources naturelles et celles qui ne sont destinées qu’à l’exploitation du bois. L’activité agricole n’y est pas autorisée. Le « domaine forestier non permanent » regroupe tous les espaces où l’on trouve des forêts mais où est aussi pratiquée l’agriculture (Voir fiche C-6).

Affectation de la surface forestière du Domaine forestier national selon les différentes catégories juridiques. Source : Atlas forestier interactif du Cameroun, WRM, 2011

Nous n’avons pas ici l’ambition de faire un bilan de réforme après deux décennies d’application. Il faudrait pouvoir apprécier ce qui se serait passé si elle n’avait pas eu lieu. Mais on constate que la déforestation et la dégradation des forêts du Cameroun sont en constante augmentation, et que les indices de pauvreté et d’exclusion des populations locales, notamment des peuples autochtones, restent encore très élevés.

Cette double évidence oblige à s’interroger sur la réussite du modèle de gouvernance des ressources forestières mis en place au Cameroun, qui a clairement privilégié la grande exploitation privée. Le gouvernement considère que c’était la meilleure opportunité pour le développement du pays, du fait des taxes forestières qui sont prélevées aux exploitants. Il est aussi présenté comme un modèle de gestion durable, notamment lorsque les exploitations sont certifiées pour leurs pratiques écologiques par des organismes internationaux. Mais la réalité est beaucoup plus complexe.

Des écosystèmes menacés

1- Un taux de déforestation croissant dont les causes sont multiples

Le taux de déforestation est passé de 0,94% pour la période 1990-2000 à 1,04% pour la décennie suivante (données FAO). Les causes de ces pertes importantes de couvert forestier sont multiples. Les forêts sont aujourd’hui le lieu d’interactions entre des acteurs aux logiques contradictoires et aux intérêts souvent divergents.

La déforestation n’est pas seulement le fait des grandes exploitations forestières industrielles, l’exploitation illégale joue également un rôle important, ainsi que les pratiques traditionnelles ; la consommation de bois de feu occupe une place considérable parmi les causes de dégradation du couvert forestier.

Les concessions données par l’État pour l’exploitation industrielle du bois, censées garantir une gestion durable de la forêt, ont souvent été le théâtre de pratiques qui ont fortement altéré le couvert forestier : coupes à blanc, écrémage (coupe des arbres les plus précieux), utilisation de techniques d’abattage et de débardage inappropriées, non respect des obligations de reboisement. L’ouverture de pistes facilite la pénétration des forêts denses par les exploitants illégaux, qui procèdent au pillage des ressources, parfois avec la complicité de représentants des communautés locales qui les aident à localiser les essences les plus recherchées5. Dans des systèmes socio-économiques marqués par un faible développement des institutions et un poids important des relations interpersonnelles, la recherche de profit individuel favorise souvent le développement de phénomènes de corruption, à tous les échelons, et de pratiques « illégales » au regard du droit de l’État qui contribuent à la destruction des ressources forestières.

Bien que de dimensions encore relativement limitées, le phénomène des accaparements fonciers à grande échelle pour la mise en place de grandes plantations d’arbres à croissance rapide, de cultures destinées au marché agroalimentaire ou d’agrocarburants, constitue une menace grandissante pour la préservation des forêts. Leurs effets dévastateurs sur les forêts primaires ou secondaires sont sans pareil. À cela s’ajoute, et se superposent (souvent même physiquement, sur les mêmes espaces) des projets d’exploration / exploitation minière, dont les impacts directs et indirects sur les écosystèmes forestiers et sur la vie des populations locales sont difficilement mesurables et qui connaissent depuis quelques années une véritable explosion.

Ces choix concernant les modalités de gestion des ressources forestières sont souvent déterminés par des intérêts qui dépassent les frontières nationales.

2- Des pratiques agricoles traditionnelles non sans effets

La forêt est au cœur des systèmes agraires d’abattis-brûlis qui assurent l’alimentation des nombreuses populations bantoues. Il s’agit d’une pratique performante et durable, tant que le cycle d’abattage - culture - longue friche permet le renouvellement de la forêt et de la fertilité des sols6.

Lorsque la pression démographique augmente et lorsque les espaces forestiers utilisables diminuent, du fait de la concurrence avec les exploitations industrielles du bois ou avec les plantations agro-industrielles, les agriculteurs doivent réduire le cycle de rotation et mettre en culture des parcelles où la forêt ne s’est pas encore reconstituée. Ces systèmes cessent alors d’être durables et deviennent un important facteur de déforestation : ils peuvent entraîner le développement de processus d’érosion des sols, ils contribuent à la destruction de la biodiversité (en particulier lorsqu’ils doivent se développer dans des forêts primaires résiduelles) et à l’émission nette de gaz à effet de serre. Ces atteintes écologiques de portée globale appellent des changements urgents de comportements. On perçoit dès à présent que ce ne sont pas les pratiques agro-forestières en elles-mêmes qui sont mauvaises : ce sont les modifications de l’environnement socio-économique général qui, en réduisant l’ampleur des surfaces susceptibles d’être cultivées conduisent à une diminution des cycles de rotation et par là même à la perte de durabilité de ces systèmes.

3- Le bois comme source d’énergie

Le prélèvement de bois et la fabrication de charbon à des fins énergétiques constituent une autre cause majeure de déforestation.

Au Cameroun, en zone rurale, bois de feu et charbon de bois représentent la principale source d’énergie7; la consommation de bois par habitant a été estimée à 9 723 m³ en 2008 (source Banque Mondiale, World Data Bank), alors qu’elle était de 773 m³ par habitant dans la même année au Gabon, pays où les besoins énergétiques sont couverts par l’utilisation du pétrole.

4- Une exploitation minière d’au moins une partie des ressources forestières par les exploitations industrielles de bois

L’exploitation commerciale du bois s’était développé dès la période coloniale, avec l’attribution à des entreprises privées de grandes surfaces de forêts par le biais de concessions. La réforme de 1994 confirme et accentue cette tendance.

L’impact de l’exploitation commerciale sur la déforestation est souvent présenté comme étant très limité. L’exploitation sélective des arbres, soumise à des contraintes légales devenues de plus en plus exigeantes au cours des dernières décennies, est censée assurer la conservation du couvert forestier. Pourtant, force est de constater que depuis que l’exploitation industrielle du bois s’est accélérée dans les années 1980, ses conséquences, directes ou indirectes, sur le couvert forestier et sur les modes de vie des populations locales sont devenues importantes.

Historiquement, on observe dans diverses régions du monde que beaucoup d’exploitants forestiers cherchent à tirer profit des richesses naturelles qui se sont constituées bien avant toute intervention humaine sur la forêt. Après un premier cycle d’exploitation, où sont prélevés les arbres de plus grande dimension et à plus forte valeur économique, la rentabilité de l’exploitation forestière diminue. Tant qu’il existe des forêts non exploitées accessibles, les exploitants préfèrent se déplacer vers celles-ci, en abandonnant leur concession initiale. Ces comportements sont favorisés par le fait que les cycles forestiers réels sont toujours beaucoup plus longs que les périodes de concession. On peut en déduire deux hypothèses importantes et complémentaires :

1/ une partie de la rentabilité des entreprises forestières provient de la capture d’une rente naturelle, et

2/ une exploitation forestière rentable peut être fondée sur une extraction de type minier, lorsqu’elle n’assure pas le retour à une situation identique d’inventaire de bois sur pied en fin de cycle d’exploitation à ce qu’il était à l’origine.

Ce dossier n’aborde pas directement cette problématique : aucune étude de cas n’a été réalisée sur la durabilité des grandes exploitations forestières au Cameroun. Nous avons choisi d’aborder la question de la gouvernance des forêts dans un premier temps en partant des pratiques des populations. Des études spécifiques sur les concessions forestières et leur durabilité seraient d’un grand intérêt, s’il était possible d’avoir accès aux informations dans un certain nombre d’entreprises. Mais d’ors et déjà, de l’avis des différents spécialistes consultés et en observant simplement les grumes extraites, il est possible d’affirmer que les plans de gestion des ressources ligneuses ne garantissent pas la reproduction de la forêt à l’identique après un cycle d’extraction. L’exploitation industrielle des forêts du Cameroun est sélective ; seules les essences de valeur commerciale élevée sont exploitées. Les modifications produites sur les écosystèmes forestiers par la taille des plus grands arbres et la disparition d’essences importantes nécessitant des centaines d’années pour leur reproduction ne sont pas véritablement prises en compte.

La durabilité de l’exploitation forestière est censée être garantie par des plans d’exploitation rigoureux. Pour que ceux-ci soient efficaces, ils devraient inclure un suivi très précis de l’évolution de la composition floristique des parcelles et de la croissance des différentes essences d’utilité commerciale. C’est très difficile à réaliser, et cela coûte cher. Par ailleurs, les difficultés du contrôle du respect des règles par les exploitants forestiers sur le terrain sont reconnues par la plupart des observateurs.

Le mode d’exploitation des forêts commerciales du Cameroun recèle bien une forme d’appropriation des ressources naturelles relevant au moins en partie d’une exploitation de type minier, c’est-à-dire d’un prélèvement sans reconstitution à l’identique du stock de ressources aux échelles de temps des cycles de coupe du bois, dont les conséquences sur les écosystèmes peuvent être importantes, voire irréversibles.

Des grumes dans une scierie industrielle. SE du Cameroun Photo : J.Giron

Toutefois, ce type d’exploitation fondée sur de grandes concessions industrielles permet la régénération d’un certain nombre d’espèces d’arbres et assure sur le court ou moyen terme le maintien d’un couvert forestier permanent. C’est un moindre mal par rapport à la progression de la frontière agricole qui entraîne souvent sa disparition.

Sur le plus long terme, il est permis d’avoir des doutes sur les scénarios d’évolution possibles. L’ouverture des routes nécessaires à l ‘exploitation forestière facilite l’entrée de tous au cœur des massifs forestiers. Tant que les entreprises assurent avec leurs gardes une surveillance efficace des territoires qui leur ont été concédés et s’il n’y a pas trop de corruption, les risques peuvent être limités. Mais si ces conditions ne sont pas remplies, l’ouverture de l’accès aux forêts facilitera l’arrivée d’exploitants illégaux, et le braconnage s’intensifiera, avec un fort impact négatif sur l’écosystème.

Il n’est donc pas possible d’exclure sur le moyen terme des évolutions des concessions forestières allant vers une dégradation de plus en plus importante du couvert forestier, avec des répercussions fortes sur les modes de vie des populations locales et autochtones, bakas et bantoues. L’organisation de grandes entreprises fonctionnant sur la base de travailleurs salariés, souvent temporaires et précaires, a souvent des conséquences négatives en terme de conditions de travail, favorisant différents types d’exploitation, et en particulier la prostitution. Par delà ces conséquences maintes fois constatées, elle ne permet pas l’apprentissage collectif de formes de gouvernance du territoire.

Que se passera-t-il après le départ de ces grandes entreprises, si celles-ci estiment pouvoir trouver ailleurs une meilleure rémunération pour leur capital ? Que deviendront les vastes espaces forestiers qu’elles contrôlaient ?

Nous devons garder ces questions à l’esprit en consultant les fiches de ce dossier. S’appuyer exclusivement sur des experts forestiers d’organismes officiels de contrôle pour garantir une bonne gouvernance des forêts est souvent une fausse bonne idée. Il est aussi envisageable de s’appuyer sur les populations locales, pour contribuer au suivi de l’exploitation forestière, celles-ci connaissant bien le terrain et étant en principe intéressées à assurer une gestion qui préserve les ressources sur le long terme. Ce n’est pas vraiment le cas au Cameroun pour les concessions forestières commerciales8. Mais c’est une option qui est testée dans certains pays, en particulier en Amérique Latine9.

Scierie de l’entreprise Pallisco-CIFM. Photo : M. Merlet

Équité et gouvernance des ressources forestières

Nous avons vu que la politique de gestion des régions forestières au Cameroun privilégie encore aujourd’hui la division de l’espace en grandes concessions forestières (atteignant parfois le million d’hectares). La propriété du sol reste publique, mais les titulaires des concessions, des entreprises dont les capitaux sont dans la plupart des cas d’origine étrangère10, ont l’exclusivité de l’exploitation des ressources forestières ligneuses qui s’y trouvent.

Le fait que la plus grande partie des forêts se trouvent actuellement dans les mains d’un nombre limité d’acteurs économiques est le résultat d’un processus d’appropriation privative des richesses, qui a été appuyé et légitimé, depuis l ‘époque coloniale, par un système légal formel excluant les populations locales habitant ces forêts.

Depuis le début du siècle dernier, la ressource ligneuse a représenté une « rente » considérable, que des acteurs économiques ont cherché à s’accaparer, tout en étant soumis au respect d’obligations minimales dans l’activité d’exploitation et dans le partage des bénéfices réalisés. Les rapports de force résultants de l’imposition de cette situation (souvent à travers la violence) sont très déséquilibrés. À l’heure actuelle le fossé se creuse entre ceux qui ont accès aux ressources et ceux qui n’y ont pas accès. Les plus frappées par ce processus d’exclusion sont les populations locales, en particulier les populations autochtones, dont les formes d’organisation et de gestion des ressources et les culture ont été détruites, souvent à jamais.

Il existe pourtant bien au Cameroun des systèmes locaux de gouvernance des ressources naturelles, très diversifiés selon les situations. Leur reconnaissance reste aujourd’hui très partielle et les mesures censées leur permettre de se consolider sont souvent inefficaces, voire contre-productives. La loi forestière de 1994 a encouragé la mise en place dans les régions rurales de nouvelles formes d’organisation communautaire pour l’exploitation des ressources ligneuses. Cependant le développement de ces dispositifs connaît de nombreuses difficultés (voir fiches C-7;C-ec1;C-ec2;C-ec3). Le prélèvement des ressources économiques aux exploitants forestiers, établi par le cadre légal de 1994, ne contribue pas non plus au décollage économique des populations rurales des régions forestières, bien que les ressources mobilisées soient considérables11.

La possibilité de faire respecter les droits d’accès et de gestion des ressources forestières dépend des rapports de force entre des acteurs aux intérêts divergents et aux pouvoirs très inégaux. Les populations locales n’ont aucune possibilité d’avoir recours à la justice pour défendre leurs droits face à la menace grandissante de dépossession de leurs terres, aussi bien par l’exploitation forestière industrielle et minière, que par des grands projets de conservation de la biodiversité (et bientôt pour l’appropriation du « carbone des arbres » ), ou par l’accaparement de leurs terres pour la conversion en monocultures et plantations12.

Nonobstant la volonté de décentraliser la gestion des ressources forestières et celle de favoriser le partage des bénéfices au plan local, les effets réels des mesures promues en 1994 ont été très en deçà des résultats attendus. Le contrôle des ressources et des revenus qui en sont tirés reste encore concentré dans les mains d’une proportion limitée d’acteurs. La distance entre les textes et les pratiques concrètes est d’autant plus grande que les institutions et les agents en charge de veiller à leur application font défaut.

De nouvelles occasions de mettre en place des régulations dans le domaine forestier sont apparues plus récemment avec la prise de conscience mondiale des enjeux écologiques, en particulier climatiques, attachés à la forêt.

  • Le Cameroun a signé un accord de partenariat avec l’Union européenne (FLEGT), premier importateur de ses produits ligneux, qui limite à partir de 2012 l’importation de bois aux filières contrôlées et certifiées. Cet accord risque de ne pas conduire à une réduction de la demande de bois non certifié : la Chine, qui n’est pas concernée par son application, occupe une place de plus en plus importante dans le secteur du bois au Cameroun et l’application du FLEGT entraînera probablement un déplacement des exportations de bois vers ce pays.

  • Le Cameroun a aussi pris une place importante dans les discussions internationales relatives à la lutte pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à la déforestation (REDD). Il élabore avec ses partenaires des dispositifs d’incitation financière pour la limiter. Ces mécanismes, encore plus ou moins définis, peuvent-ils favoriser le progrès du pays vers une économie fondée sur l’usage durable et équitable de ses ressources naturelles ? C’est en tout cas la direction que ses citoyens sont en droit de souhaiter.

La proposition de nouvelles modalités de gestion des ressources forestières doit se construire face au monopole que l’État a établi sur ces ressources depuis l’époque coloniale ; l’administration coloniale et ensuite l’État camerounais ont centralisé la gestion des territoires forestiers, en se déclarant le « gardien des terres forestières », et en se réservant l’octroi des permis d’exploitation à sa guise. Le cadre normatif légal a été imposé de cette façon comme source normative privilégiée, en excluant les systèmes normatifs construits localement par les populations forestières.

Par delà les insuffisance de ce système normatif légal, le problème de fond est la non prise en compte des autres systèmes normatifs de gestion des ressources qui existent au niveau local. Leur évolution, toujours nécessaire, ne se fait pas dès lors en fonction des intérêts des groupes qui les ont institués, mais essentiellement en fonction des rapports de force avec des acteurs externes.

Le dossier se propose d’apporter des éclairages sur ces différentes questions, et de contribuer à la construction d’une gouvernance plus inclusive de ces biens communs que sont les forêts.

1Le Cameroun possède aussi des forêts d’altitude et de piémont autour du Mont Cameroun, ainsi que des mangroves et des paysages en mosaïque forêt-culture et forêt-savane.

240% de la population totale. Cf. fiche C-1.

3Les forêts leur procurent nourriture, médicaments, et matériaux pour la construction. Ils en extraient des écorces, des fruits, des tubercules, des feuilles, des graines, des résines, du miel, des champignons, du gibier et des poissons, qui constituent la base de leur alimentation et des opportunités de revenus monétaires complémentaires.

4Le Cameroun n’a pas signé la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail portant sur les droits des populations autochtones. La reconnaissance des droits de ces populations sur les ressources forestières passe de toutes façons en premier lieu par celle de leur spécificité en tant que groupe social particulier, ce qui n’est pas vraiment le cas.

5L’exploitation illégale se fait dans la majorité des cas avec de faibles moyens techniques, impliquant des destructions et des gaspillages importants.

6Les systèmes d’abattis-brûlis, parfois appelés culture itinérante, occupent d’importantes superficies dans différentes régions du monde depuis très longtemps. Les souches des gros arbres ne sont pas détruites, et 10 à 20 années de friche (parfois plus) sont en général nécessaires pour permettre la régénération d’une forêt susceptible de maintenir un niveau acceptable de fertilité, les racines ramenant à la surface des éléments minéraux des couches profondes du sol. Par ailleurs, le couvert forestier permet de limiter la présence de mauvaises herbes. Une densité de population inférieure à 20 habitants par km² permet normalement un fonctionnement durable des systèmes d’abattis-brûlis (Bahuchet, 1996 ; Brady, 1996 et Boserup, 1965, dans M. Chimère Diaw, Si, Nda Bot et Ayong: culture itinérante, occupation des sols et droits fonciers au Sud-Cameroun, 1997)

7Les foyers à bois et charbon sont généralement très peu économiques et en outre nocifs pour la santé. L’introduction de foyers améliorés pourrait permettre de réduire la consommation de bois.

8Le versement par les concessionnaires d’une taxe aux gouvernements locaux, prévu par la loi, répondait en partie à cette préoccupation. Mais son application pose de nombreux problèmes.

9Voir le dossier d’AGTER similaire à celui-ci sur le Guatemala.

10Jusqu’à maintenant, la France a conservé une part importante du « gâteau » ainsi offert aux acteurs économiques mondiaux, avec 20% des investissements directs étrangers au Cameroun (T. Deltombe, Interminable fin de règne à Yaoundé, Le monde Diplomatique, oct. 2011). Trois compagnies françaises, Thanry, Bolloré et Coron, détenaient en 1999 un tiers des surfaces des concessions forestières. Cependant, depuis quelques années, des entreprises chinoises acquièrent des parts croissantes dans le secteur forestier (comme dans les secteurs minier et agricole). La Chine est devenue le premier importateur de bois brut (grumes) issu des forêts camerounaises. Ce faisant, elle prolonge et étend la pratique de l’exportation de matière première non transformée qui signifie pour le Cameroun la privation de l’essentiel de la valeur ajoutée que ces produits permettent de générer.

11Au Cameroun, entre 2000 à 2007, plus de 47 milliards de Franc CFA (71,65 Millions d’euros) ont été versés aux communautés rurales et aux populations riveraines des forêts soumises à exploitation pour la seule rétrocession de 50% de la Redevance Forestière Annuelle (l’impôt auquel sont assujetties les concessions forestières industrielles).

12Destinées à la production d’agro-carburants ou des matières premières agricoles, ou à la plantation d’arbres à croissance rapide, qui ne peuvent pas être assimilées à des forêts.

Bibliografía

Angerand S. , Forêts du Bassin du Congo : des concessions aux forêts communautaires, Les Amis de la Terre, 2006

Bahuchet S.. Fragments pour une histoire de la forêt africaine et de son peuplement : les données linguistiques et culturelles, 1996 In : L’alimentation en forêt tropicale : interactions bioculturelles et perspectives de développement, UNESCO, 1996.

Brady, 1996 et Boserup, 1965, dans M. Chimère Diaw, Si, Nda Bot et Ayong: culture itinérante, occupation des sols et droits fonciers au Sud-Cameroun, 1997

FAO, Rapport sur les forêts 2011 : La situation des forêts dans le bassin amazonien, le bassin du Congo et l’Asie du Sud-Est, Brazzaville.

Molnar A. et al., Large acquisition of rights on forest lands for tropical timber concessions and commercial wood plantations, RRI et ILC, 2011