Título, subtítulo, autores. Búsqueda en www.agter.org y en www.agter.asso.fr
Búsqueda en texto completo con Google
Escrito por: Michel Merlet
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Nature et Progrès
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
L’auteur remercie Denis Pommier, membre fondateur d’AGTER, pour ses commentaires sur les premières versions de cet article.
Une version plus courte de cet article a été publiée par la Revue Nature et Progrès # 143, Juin-Juillet-Août 2023 sous le titre: Mainmise sur les terres: la survie de l’humanité menacée. Elle est téléchargeable au pied de cette page.
Le dossier complet de ce numéro de la revue Nature et Progrès intitulé Main basse sur les terres est aussi téléchargeable en basse définition en bas de cette page. Il intègre 5 autres articles:
Agriculture 4.0: concentration, financiarisation et numérisation. Par les Amis de la Terre, Landes.
Artificialisation des sols: le vivant en danger. Par Roman de Kérembrun.
Stop à l’hémorragie des paysans! Par Isabelle Faure.
Repenser l’accès à la terre: un levier pour l’installation! Par Terre de Liens.
Un Forum des luttes pour la terre et les ressources naturelles. Par Mathieu Perdriault, coordinateur d’AGTER.
No bassaran! ou la détermination citoyenne. Par les adhérent.e.s du groupe Nature & Progrès Anjou.
Dans deux précédents articles pour la Revue Nature & Progrès, en 2011 (#85) et en 2020 (#127), nous affirmions en nous appuyant sur les travaux menés par AGTER et ses partenaires que les accaparements massifs de terres agricoles constituaient une menace pour l’humanité. Les évolutions récentes le confirment.
La crise climatique s’est accentuée, des inondations et des sécheresses affectent de plus en plus de pays. La destruction des écosystèmes terrestres et maritimes, le défrichement massif des forêts, les pollutions et l’érosion de la biodiversité considérée comme étant la 6e extinction de masse n’épargnent plus aucun milieu. Par ailleurs, les inégalités sociales grandissent, la faim et la sous-alimentation augmentent et les flux migratoires ne cessent de croître. Des dérives autoritaires, voire totalitaires, apparaissent dans beaucoup de pays, au Nord comme au Sud. Les conflits se multiplient et des guerres éclatent, pouvant à tout moment se transformer en affrontement mondial. Ces évolutions sont pour la plupart liées à la mainmise sur les terres et les ressources, directement ou indirectement.
Chez nous aussi, dans les pays « développés » occidentaux, une agriculture sans agriculteurs, une agriculture de firmes, remplace l’agriculture familiale, rendant la vie en milieu rural de plus en plus difficile. Notre « développement », que nous assimilons au progrès, a été historiquement et est toujours aujourd’hui l’autre face du « sous-développement » du reste du monde. Sa généralisation est impossible. La tragédie que vit l’Ukraine 1 illustre l’impasse dans laquelle nous entrainent le modèle de la grande production agricole « moderne » et la libéralisation des échanges commerciaux à l’échelle de la planète. Faute de pouvoir migrer ailleurs dans l’Univers, nous, les humains, devons pour ne pas disparaître changer radicalement et sans plus attendre notre rapport à la Terre. Pour cela, il faut commencer par comprendre la véritable nature des évolutions en cours, occultée par de nombreux mots et concepts que nous utilisons tous les jours.
Les défis sont immenses. Nous évoquerons ici quelques pistes pouvant aider à construire des solutions.
Héritages historiques et situation actuelle
Les phénomènes actuels d’accaparement des ressources foncières et naturelles dans le monde s’inscrivent dans des processus historiques longs qui ont été profondément marqués par le colonialisme et par le collectivisme.
Nous vivons à l’échelle mondiale aujourd’hui des enclosures qui ressemblent à celles que vécut l’Angleterre lors de sa révolution industrielle : clôture et division des communaux, dépossession des paysans et développement d’un prolétariat rural, avec une foi aveugle dans le « progrès », dans les technologies qui augmentent la productivité du travail. De nouvelles formes de « gestion des pauvres » n’ont pas pu empêcher une véritable catastrophe sociale. Le Royaume Uni a développé son expansion coloniale pour y faire face. Karl Polanyi a montré dans La grande transformation (1944) comment des transformations sociales et économiques de ce type avaient entrainé les terribles crises et conflits mondiaux de la première partie du XXe siècle. Les évolutions actuelles sont beaucoup plus rapides qu’au siècle dernier, avec quelques différences importantes qui les rendent encore plus dangereuses : les exclus n’ont plus d’espaces à coloniser et la mécanisation permet aux entreprises capitalistes de prendre le contrôle et d’exploiter de très vastes surfaces avec très peu d’ouvriers agricoles.
La mondialisation des échanges de marchandises et de la force de travail d’une part, et la spéculation financière et la financiarisation de la nature d’autre part, changent aujourd’hui profondément la donne et accélèrent la destruction des communs.
Les États, pour la plupart, sont redevenus souverains avec la décolonisation. Des mécanismes de gouvernance mondiale ont vu le jour après les conflits mondiaux, mais ils se limitent aux très rares domaines que les États souverains acceptent de renoncer à contrôler totalement.
L’ouverture généralisée des marchés des biens et des services met en situation de concurrence des agriculteurs avec des niveaux de plus en plus inégaux de productivité brute du travail (production par ha x surface cultivée par travailleur). Les écarts étaient de 1 à 10 il y a un siècle, ils sont aujourd’hui de 1 à 1000. Les prix mondiaux s’alignent sur la base de la productivité des agriculteurs les mieux équipés, susceptibles d’exporter. Sur le moyen terme, ils baissent à mesure que se développent la mécanisation, l’usage de fertilisants et de pesticides, provoquant la ruine des producteurs les moins bien dotés en terre et en équipements. Cette tendance affecte même ceux qui ne sont que faiblement intégrés au marché et très éloignés géographiquement. Il n’y a pas d’ajustement possible des prix par le marché car la demande d’aliments des pauvres souffrant de la faim, bien que considérable, n’est pas solvable 2.
Les prêts accordés par les banques aux investisseurs leur permettent de s’approprier très rapidement beaucoup plus de terres et de ressources que s’ils ne disposaient que de leurs fonds propres.
La mainmise sur les terres par une minorité, l’accaparement des terres, recouvre deux mécanismes distincts :
1. l’appropriation privative de terres, de ressources communes par quelques-uns. Elle nécessite le plus souvent le recours à la violence. C’est le sens du mot anglais land grab.
2. la concentration progressive de terres et de ressources dans quelques mains, avec l’accord apparent des parties, par achat ou location. Elle est très souvent la conséquence d’une violence structurelle qui contraint les vendeurs en difficulté à céder leurs droits sur la terre.
Elle produit des effets localement, en spoliant les populations locales et en ne reconnaissant pas leurs droits coutumiers. Mais elle produit également des effets lointains en ruinant des agriculteurs familiaux parfois installés à des milliers de kilomètres du fait de leur mise en concurrence avec des agricultures mieux équipées ayant une productivité du travail très supérieure.
Ces phénomènes sont difficilement réversibles : la destruction des savoir-faire paysans est rapide, mais leur reconstruction demande beaucoup de temps.
Actualité de la question agraire
Le débat sur les avantages respectifs de la production à grande échelle et de l’agriculture paysanne est ancien. Mais les enjeux sont plus importants que jamais.
Tous les pays développés 3 ont assis leur croissance sur des agricultures paysannes et des structures agraires relativement égalitaires, situées le plus souvent sur leur territoire, mais parfois dans leurs colonies, comme au Royaume Uni après les « enclosures » et la révolution industrielle. L’Union soviétique, après avoir collectivisé son agriculture avec une extrême violence, a dû très vite redonner accès à des petits lopins de terre individuels aux travailleurs des kolkhozes pour garantir la production de leur alimentation 4. Après une étape initiale de collectivisation qui a entraîné, tout comme en Union Soviétique, des famines et des millions de morts, la Chine a totalement changé de politique en permettant à partir de 1978 des attributions de droits d’usage sur la terre aux familles paysannes. Cela a eu un effet rapide sur la production, et lui a permis de nourrir sa population - mais aussi de disposer d’une main d’œuvre migrante très bon marché qui rendit possible son urbanisation et son industrialisation, grâce à la mise en place d’un système de droits sociaux liés au lieu de résidence, le hukou 5.
Les agricultures familiales paysannes produisent par hectare plus de nouvelles richesses, de valeur ajoutée nette, que les grandes entreprises à salariés. Elles ne cherchent pas à maximiser un profit à court terme, mais le revenu des membres de la famille. Dès lors, le travail des membres de la famille n’est pas un coût. Parce qu’elles intègrent à la fois la production agricole et la reproduction de la force de travail, elles prennent d’emblée en considération la dimension intergénérationnelle, l’avenir de leurs enfants. Leur logique de fonctionnement est « patrimoniale », ce qui les rend plus facilement compatibles avec l’intérêt général. Elles peuvent mieux s’adapter à la diversité et respecter l’environnement et permettent d’employer beaucoup plus de personnes par unité de surface. (cf. Encadré 1)
Une entreprise capitaliste va toujours chercher à maximiser le retour sur investissement, le profit. Le capital étant mobile, il pourra être repositionné géographiquement et affecté à des activités totalement différentes si un taux de profit plus élevé est possible. Dans ce type d’organisation, la reproduction de la force de travail n’a pas lieu dans l’entreprise et le travail des salariés représente toujours un coût, qu’il convient de réduire le plus possible. La mécanisation et l’utilisation d’intrants et d’énergie fossile permettent d’augmenter la productivité du travail. Le montant des salaires, lui ne dépend pas de la productivité, mais de ce dont l’ouvrier a besoin pour couvrir ses besoins vitaux, et dans une certaine mesure, ceux de sa famille. Les entreprises capitalistes auront donc toujours intérêt à utiliser des tracteurs et des équipements de plus en plus puissants, et à limiter le nombre de salariés.
La « question agraire », au cœur des réflexions et des choix politiques du XIXe et du XXe siècle, est aujourd’hui pratiquement absente des débats. Elle est pourtant toujours en lien avec les grands défis actuels : climat, biodiversité, emploi et développement, genre, faim / sécurité alimentaire, conflits / maintien de la paix, effondrement / durabilité, énergie fossile / renouvelable, etc. Et la force de travail mobilisée à l’échelle mondiale dans l’industrie et la construction provient essentiellement des paysanneries ruinées ou exploitées d’Asie et d’Afrique.
Si les petits producteurs familiaux produisent plus de richesse nette par hectare que les grandes entreprises capitalistes, pourquoi ne s’enrichissent-ils pas et ne remplacent-ils pas les entreprises capitalistes au lieu de perdre leurs terres ?
COMPRENDRE LES MÉCANISMES DE CONCENTRATION DES RICHESSES
Ces mécanismes s’appuient sur l’exploitation des travailleurs et sur la capture des richesses naturelles.
L’exploitation des travailleurs
Les hommes et les femmes doivent toujours produire plus de richesse nette, de valeur, que ce dont ils et elles ont besoin pour leur survie immédiate. S’ils n’y parviennent pas, ils disparaitront, tôt ou tard. Ils doivent en effet non seulement garantir leur reproduction au jour le jour, mais aussi leur reproduction dans la durée. Pour ce faire, il faut avoir des réserves (des greniers par ex.) pour pouvoir manger toute l’année si les productions sont saisonnières. Il faut aussi pouvoir faire face aux aléas divers, en constituant des réserves cataclysmiques, grâce à des solidarités dans un groupe suffisamment large, ou par le biais d’assurances. Il faut également préparer le passage d’une génération à la suivante, élever les enfants et s’occuper des anciens.
Le surtravail 6 n’est pas spécifique du mode de production capitaliste, où il est à l’origine de la plus-value que s’approprie le propriétaire du capital. Il existe aussi dans d’autres systèmes économiques. Il est universel, et ce sont les formes que prennent sa capture et son affectation qui diffèrent.
Il n’est pas toujours aisé de prendre la mesure de l’exploitation des travailleurs dans sa globalité.
L’exploitation des femmes
Une partie des coûts de la reproduction de la force de travail, autrefois assurée par les communautés domestiques, est dans nos sociétés couverte par des assurances (maladie, chômage, retraite) et par des services publics (enseignement, par ex.). Les travaux domestiques et l’attention aux jeunes enfants sont toujours très largement le fait des femmes et ne sont pas rémunérés. Les inégalités de genre dans les sociétés patriarcales affectent également le droit des femmes sur le patrimoine familial, en particulier lors des héritages, et beaucoup d’autres droits.
L’exploitation de communautés « externes », lorsque celles-ci assument une partie significative de la reproduction de la force de travail
Les jardins ouvriers en Europe de l’Ouest, ou les lopins familiaux en Europe de l’Est permettent aux ouvriers de produire eux-mêmes une grande partie de leur alimentation, qui n’a plus à être financée par les salaires. Le recours à des migrants souvent « illégaux » permet aux employeurs de les payer très peu. Ils n’ont pas eu à financer leur maintien et leur formation avant qu’ils ne soient en âge de travailler. Les expulser permet d’éviter d’assumer leur maintien quand ils ne peuvent plus travailler 7. L’utilisation d’un mécanisme similaire, mais de migration interne, que nous avons évoquée avec l’expérience chinoise, montre que l’idéologie importe peu quand il s’agit de construire des entreprises capitalistes compétitives.
Les mécanismes de fixation des prix sur des marchés insuffisamment régulés dont nous avons parlés précédemment constituent une autre façon d’étendre l’exploitation bien au-delà de la sphère interne de l’entreprise.
Il y en a beaucoup d’autres : citons par exemple les situations de monopole, la distribution de la valeur ajoutée le long des filières, les systèmes d’imposition qui répartissent l’impôt de façon très inégale, et les subventions publiques qui favorisent seulement quelques secteurs, créant de véritables rentes.
L’appropriation des richesses naturelles, des rentes foncières et naturelles
Une grande partie des richesses ne sont pas créées par le travail humain, qui ne consiste qu’à les prélever (charbon, pétrole, minerais, biodiversité, forêts primaires, eau douce, …), ou seulement en partie (sols fertiles, …). Certaines sont renouvelables, dans des délais plus ou moins longs, d’autres ne le sont pas à l’échelle humaine.
La survie de l’humanité exige pourtant de garantir la reproduction immédiate des ressources renouvelables, mais aussi l’entretien de la biodiversité, le maintien des grands équilibres climatiques, de la fertilité des sols, des ressources en eau, etc. Il nous faut aussi limiter et / ou compenser de façon effective les pollutions et les effets indésirables des activités humaines.
On inscrit dans nos systèmes comptables l’amortissement des machines, l’évolution des plantations, mais pas la destruction des ressources naturelles, ni les conséquences de la pollution ou de l’impact des activités sur le climat et sur la biodiversité, etc. En économie, on parle d’externalités pour s’y référer, ce qui revient à en masquer la véritable nature et à occulter les responsabilités.
Ce que l’on appelle investissement n’est le plus souvent que l’appropriation de ces richesses naturelles, qu’il s’agisse de mines, d’espaces forestiers, de zones maritimes ou de terres agricoles, parfois naturellement riches et parfois enrichies pendant des siècles par le travail de générations de paysans. Les investisseurs profitent de situations favorables d’accès à la terre gratuit ou très peu cher, de main d’œuvre très bon marché et de conditions d’investissement souvent idéales, par le biais de contrats avec les États qui cherchent à les attirer ou avec des particuliers, le plus souvent dans le cadre d’accords établis avec les États du Nord et les Organisations financières Internationales. Cet investissement qui fait rêver et que l’on assimile au progrès et au « développement » n’est donc le plus souvent qu’une capture de rentes, et un appauvrissement programmé des richesses naturelles communes. Il est directement responsable d’une partie significative des crises écologiques et sociales actuelles.
La production paysanne / familiale et la grande entreprise capitaliste ne redistribuent pas du tout de la même façon la richesse nette créée entre les différents acteurs
De nombreux exemples, dans différents pays et contextes écologiques, portant sur différents types de production montrent que dans les systèmes paysans / familiaux, l’essentiel de la valeur ajoutée revient au producteur, alors que dans les agro-holdings et la grande exploitation capitaliste à salariés, la plus grande partie de la valeur ajoutée sert à rémunérer les propriétaires du capital. C’est cette redistribution de la richesse nette créée, très favorable aux détenteurs du capital et très défavorable aux travailleurs et aux propriétaires de la terre, qui permet d’obtenir des taux de rentabilité très élevés. (Voir encadré 2)
La véritable supériorité de la production agricole moderne à grande échelle n’est pas son efficacité agronomique ni même économique pour l’ensemble de la société, mais sa capacité à s’approprier les rentes de tous types, foncières, naturelles, issues de politiques publiques, etc. et à maximiser l’exploitation des travailleurs, salariés ou non. Là est le secret de sa rentabilité financière.
Les conséquences du développement de cette grande production agricole capitaliste pour l’humanité sont dramatiques : paupérisation d’une partie considérable de l’humanité, destruction de la biosphère et réchauffement climatique, destruction des communs vitaux pour l’humanité et des communautés capables d’en assurer une utilisation durable. Elle participe à la multiplication des conflits, dans un contexte de croissance démographique et sur un espace cultivable qui n’est pas extensible. Les intérêts qui sont en jeu étant considérables, la puissance des lobbies liés à l’agrobusiness est forte, leur influence sur les gouvernements évidente, ainsi que leur poids dans les institutions internationales, financières et sectorielles. Cette situation favorise par ailleurs le développement de régimes autoritaires, au Nord comme au Sud. L’encadré 3 illustre cette situation avec quelques données générales sur la situation agraire en Ukraine, qui peuvent aider à mieux comprendre une partie des enjeux du conflit actuel.
QUE FAIRE ?
Les propositions actuelles
Pour les Nations Unies, « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Un cadre de travail à l’horizon 2030 a été mis en place pour atteindre les 17 objectifs de développement durable adoptés en 2015 par l’ensemble des États Membres de l’ONU 8. Les objectifs sont ambitieux et chacun d’entre eux est décrit, mais sans aucune analyse des causes des problèmes. Les Nations Unies précisent que « les objectifs ne sont pas contraignants », que « les stratégies de développement durable prises en main et dirigées par les pays nécessiteront des stratégies de mobilisation des ressources et de financement. … et que toutes les parties prenantes – les gouvernements, la société civile, le secteur privé et les autres acteurs – contribuent à la réalisation du nouveau programme ».
Ni les Directives volontaires sur les régimes fonciers 9, présentées comme l’avancée significative des dernières années, ni le respect des droits humains n’exigent non plus un engagement contraignant de la part des pays signataires des textes correspondants.
Les accaparements de terres et de ressources continuent de croître et leur ampleur reste sous-évaluée. Ces propositions sont clairement insuffisantes.
Quelques réflexions pour un diagnostic partagé ouvrant la voie à des mesures ambitieuses
Les évolutions néolibérales ont été axées sur 3 grands axes dont la pertinence doit être questionnée.
La propriété absolue et exclusive de la terre permet-elle sa mise en valeur dans l’intérêt de tous ?
Des marchés sur la terre, le travail, et toute autre bien qui n’a pas été produit pour devenir une marchandise peuvent-ils s’autoréguler ou doivent-ils nécessairement être régulés par la société pour que leur fonctionnement soit compatible avec l’intérêt général ?
Les États constituent un important niveau de gouvernance, mais pouvons-nous faire l’économie de mécanismes de gouvernance au niveaux des territoires et au niveau local d’une part, au niveau mondial d’autre part ?
De nombreuses expériences actuelles et passées peuvent nous inspirer pour imaginer et mettre en place des solutions :
La reconnaissance de l’existence de droits de différentes natures sur la terre et les ressources naturelles et d’ayants droit multiples, individuels et collectifs permet d’embrasser la complexité de nos liens avec la terre. En dotant les collectivités de droits de régulation, de transfert et de gestion aux différentes échelles, il est possible de mieux gérer les « communs » dans la durée, et en particulier de réguler les marchés fonciers.
Comprendre que la ʺgestion de notre maison commune“, l’œconomie 10, ne peut être opérée seulement par les marchés. L’histoire nous a montré que supprimer tous les marchés n’était pas une solution. En revanche, il est indispensable de réguler tous les marchés qui ne concernent pas de véritables marchandises afin de les faire fonctionner dans l’intérêt de la société. Les marchés des droits sur la terre ne peuvent pas assurer une allocation des ressources conforme à l’intérêt général s’il n’existe pas de mécanismes et d’instances qui les régulent.
Un Droit contraignant supranational est nécessaire pour tout ce qui engage la survie de l’humanité.
Recréer les communs qui sont indispensables pour tous, et inventer les nouvelles communautés qui pourront en assurer la gouvernance dans chaque contexte et à chaque échelle constituent les deux priorités.
Cela ne se décrète pas, cela se construit pas à pas, en s’adaptant, en corrigeant ses erreurs. Les expériences des luttes pour la défense des territoires y contribuent, mais aussi les modifications de notre façon de réaliser notre comptabilité, d’évaluer l’intérêt d’un projet. Il existe déjà des outils pour cela.
D’autres restent à inventer 11. Nous sommes capables de trouver des solutions. L’effondrement global et la disparition de l’humanité ne sont pas une fatalité.
1 Un pays déjà mentionné dans nos deux précédents articles.
2 Mazoyer, Marcel. Mazoyer, M et Roudart, L (dir.). La fracture agricole et alimentaire mondiale. Nourrir l’humanité aujourd’hui et demain. Ed. Le tour du sujet. Encyclopædia Universalis. 2005.
3 Les seules exceptions sont les pays qui se sont développés à partir de la rente pétrolière.
4 Cochet, H. Private households : a disappearing remnant of the past or a way to the future. Ekonomika APK. Institute of Agrarian Economics. Kyiv. Ukraine. 4’2018 (282), p 79 à 87.
5 Les migrants internes des zones rurales ne bénéficiaient pas des avantages sociaux des résidents urbains, sécurité sociale, accès des enfants à la scolarité. Vendryes, Thomas. La Chine. In Merlet M., Perdriault M., Évolution des structures agraires dans le monde – Comprendre les dynamiques à l’œuvre pour lutter contre la concentration foncière et le creusement des inégalités, Regards sur le foncier n 10, Comité technique « Foncier & développement », AFD, MEAE, décembre 2021. p. 39 à 42.
6 Terme employé par les économistes marxistes pour qualifier la production de ce surplus.
7 Claude Meillassoux avait déjà dans les années ’80 parfaitement décrit ces mécanismes dans son ouvrage, Femmes, greniers et capitaux.
8 www.un.org/sustainabledevelopment/fr/development-agenda/
9 Directives Volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale (CSA – Comité pour la Sécurité Alimentaire) « Un instrument d’application facultative » qui « propose des cadres susceptibles d’être utilisés pour l’élaboration de stratégies, de politiques, de lois, de programmes d’activités » (FAO)
10 Cf Calame, Pierre. Petit traité d’œconomie. 2018 Ed ECLM.
11 La proposition de mise en place d’un compte carbone individuel pour rendre effectifs les engagements des États de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est une illustration intéressante de ce qu’il est possible d’imaginer. Ses 4 principes essentiels sont : totalité de l’empreinte carbone française, réduction annuelle de 6%, justice sociale et liberté de choix. Sa mise en œuvre est basée sur une concertation très large de toute la société démarrant des territoires. Chaque bien et chaque service devra être caractérisé non pas seulement par sa composition, mais aussi par l’impact en émission de GES que sa production a impliqué, en prenant en compte les émissions importées. Cela paraît difficile, mais ce n’est pas irréaliste. Serait attribué de façon égalitaire à chaque personne un quota annuel, qui diminuerait conformément aux engagements pris par les États de réduction de leurs émissions de GES. La mise en place d’une sorte de monnaie parallèle aux monnaies existantes permettrait à chacun d’utiliser son quota comme elle ou il le souhaite, dans le cadre d’une gestion responsable de la communauté. C’est fondamentalement différent de l’acte volontaire du «consom-acteur». Pour en savoir plus vous pouvez retrouver les alliés du Compte Carbone sur debatclimat.fr. Pour consulter et signer la pétition portée par le canal du Sénat pour une vraie action climatique: petitions.senat.fr/initiatives/i-1328