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Natural Resource Governance around the World

English version: VIETNAM: Consecutive agrarian reforms and success in family farming

VIETNAM. Réformes agraires successives et succès de l’agriculture familiale.

Documents of reference

Dao The Tuan, Communications écrites et orales à l’atelier Agriculture paysanne et réformes agraires du Forum Social Mondial, IRAM - APM - CONTAG, Porto Alegre, janvier 2001

Les systèmes agraires du passé

Les tribus Viet, ancêtres des Vietnamiens contemporains, ont exploité les terrasses et puis le delta de fleuve Rouge du Nord Vietnam et développé leur civilisation à partir de la culture du riz. Elles ont fondé au XIème siècle le premier Etat hydraulique vietnamien, après plusieurs siècles de domination chinoise. Au XVIème siècle, les deltas du Nord ne suffisaient plus à nourrir 5-6 millions d’habitants.Des vagues d’émigration vers le Sud commencèrent pour coloniser le Centre puis le Sud Vietnam, habités par les Chams et les Khmers. Un nouvel état fut fondé au Sud, avec un régime militaire contrôlant le processus de colonisation. Avec la contribution des immigrants venus de Chine et des commerçants européens, il était plus ouvert sur le marché extérieur que celui du Nord, qui restait auto-suffisant et tourné vers l’intérieur.

La société vietnamienne, liée à la production du riz, se composait de deux éléments principaux : l’État central et la communauté villageoise qui jouissait d’une certaine autonomie. Les inégalités sociales étaient compensées par les solidarités communautaires. La propriété foncière était un système mixte de propriété d’État, communautaire et privé. Étrangement, le système des terres communales, qui avait pour but d’assurer à la fois croissance et sécurité sociale, a persisté plus longuement au Vietnam qu’en Chine ou au Japon. La privatisation croissante de la propriété foncière conduisit à une différenciation croissante des paysans en propriétaires terriens, petits paysans et paysans sans terre. Dans le Nord et dans le Centre où le système des terres communales avait été mieux conservé 1et où la pression démographique était plus importante, les fermes étaient plus petites, et la différenciation moins poussée : il n’y avait pas de gros propriétaires terriens. Tandis qu’au Sud où la terre était plus abondante et où il y avait peu de terres communales, la différenciation était plus forte : on y trouvait de grandes propriétés agricoles et d’avantage de paysans sans terres.

Avant 1930, la productivité agricole était très basse (1,3 tonne/ha), mais la production vivrière était suffisante pour la consommation intérieure car le taux de la croissance annuel de la population était inférieur à 1%. Les paysans, et surtout les sans terres, vivaient dans des conditions misérables.

Au Nord Vietnam, différents cadastres permettent d’avoir de connaître l’évolution de la propriété foncière. Au début du 19ème siècle les propriétaires de Ha dong et Thai binh avaient respectivement en moyenne 1,9 et 7,3 ha ; en 1931, la population avait été multipliée par 4, la propriété moyenne était respectivement de 0,7 et 1,3 ha. On estime qu’environ la moitié des paysans au Nord Vietnam en 1930 étaient des sans terre. En un siècle, la différenciation dans l’accès à la terre s’était accentuée 2.

Au Sud Vietnam, du fait des particularités de l’histoire agraire ancienne et des processus violents de colonisation opérés par les militaires, la structure agraire était très différente de celle du Nord. Au Sud Vietnam, la formation des villages et communes était basée sur la propriété privée 3, avec une propriété de la terre de l’Etat et des grandes exploitations de militaires, tandis qu’au Nord elle est basée sur la propriété communale de la terre. La terre était plus inégalement répartie au Sud qu’au Nord 4.

Tableau 1 : La propriété foncière au Nord et Sud-Vietnam en 1930.
 classes de surfaces% propriétaires% superficie
Nord VietNam C.Gini 0.43< 1.8 ha91,5 540
de 1.8 à 18 ha8,427
> 18 ha0,116
Terres communales 17
Total100100
Sud VietNam C.Gini 0.87< 5 ha71.715
de 5 à 10 ha14.710
de 10 à 50 ha11.132.5
> 50 ha2.545
Terres communales 3
Total100100

Source: Y. Henri, Economie agricole de l’Indochine, Hanoi, 1932

 

Les données de la propriété foncière pendant la période de domination française montrent que la différenciation des paysans est restée sensiblement au même niveau qu’au 19ème siècle. En 1929-30 Y. Henry constate que les grandes propriétés prédominaient à l’ouest de la Cochinchine. Cependant les propriétés familiales et les terres communales coexistaient. On a calculé que 77% des familles rurales étaient des sans terre. Le mode de tenure prédominant était indirect (fermage), avec quelques exceptions localement.

Depuis 1900, la pression démographique augmentait. Après 1930, le taux de croissance démographique annuel dépassa 2%. L’expansion agricole sur de nouvelles terres étant limitée, le problème vivrier devint de plus en plus aigu. Or, pendant la période coloniale, aucune grande amélioration sociale ou technique n’avait été effectuée, exceptés quelques projets d’irrigation destinés à augmenter la superficie cultivée en riz. Les difficultés s’accentuèrent avec la grande dépression des années trente.

Les réformes agraires de ce siècle

En 1945, après la révolution d’août, le gouvernement vietnamien décida de réduire de 25% la rente foncière. En 1948, pendant la guerre de résistance de 1946-1954, pour mobiliser les paysans dans la lutte pour l’indépendance, plus de 250.000 ha de terre appartenant aux français et aux collaborateurs furent confisqués et distribués aux paysans.

En 1953, alors que la guerre entrait dans une période décisive, la campagne de réforme agraire commença. Tous les terres appartenant aux propriétaires fonciers furent confisquées et distribuées aux paysans d’une façon égalitaire.

Tableau 2 : Distribution de la terre avant et après la réforme agraire de 1953.
 Avant la RAAprès la RA
 % Foyers% Terre%Foyers% Terre
Propriétaires1.118.02.31.1
Paysans riches1.84.71.61.8
Paysans moyens41.739.036.511.7
Paysans pauvres40.025.443.040.0
Sans terre12.06.313.012.0
Autres2.61.03.62.6
Monastères0.11.3 0.1
Terres communales0.74.3 0.7

Source: Office générale de Statistique, Economie et Culture du Vietnam, 1930-1980, Hanoi, 1980.

Mais cette période de retour à l’économie familiale a été très courte : dès le début des années 60, l’agriculture commença à être collectivisée. Au Sud Vietnam, après 1954, un Etat séparé était établi. En 1955-56 une réforme agraire fut réalisée au Sud Vietnam sous le régime de Ngo Dinh Diem : la rente foncière fut réduite de 15-25 % et la propriété maximale fut fixée à 100 ha. Mais cette réforme ne diminua pas sensible-ment la polarisation de la structure agraire : le Coefficient de Gini passa de 0,84 en 1955 à 0,80 en 1966. (voir Tab.3)

Toujours au Sud Vietnam, pendant la guerre avec les EUA, le gouvernement de Nguyen Van Thieu lança en 1970 un nouveau programme intitulé « la terre aux cultivateurs » et limita par une loi la propriété à 15 ha au Sud et 5 ha au Centre pour les propriétaires qui cultivaient eux-mêmes la terre.

Tableau 3 : La distribution foncière au Sud-Vietnam pendant la guerre
Catégorie% propriétaires% superficies
année1955196619551966
046.742.000
0.1 - 4.9 ha38.645.316.427.4
5.0 - 19.9 ha7.810.513.033.3
20.0 - 49.9 ha5.61.624.015.6
50.0 - 99.9 ha0.70.512.512.1
Plus de 100 ha0.50.234.111.6

Source: Callison, 1983. 6

 

La terre expropriée fit l’objet d’une compensation et fut distribuée aux paysans (jusqu’à 3 ha au Sud et 1 ha au Centre). La terre des personnes qui participaient à la révolution était confisquée mais les sans terre ne recevaient pas de terre.

Parallèlement dans les régions contrôlées par le gouvernement révolutionnaire, une autre réforme agraire était réalisée. La terre appartenant aux propriétaires terriens était confisquée et distribuée aux paysans. Après la libération du Sud Vietnam, une réforme agraire avec un réajustement de la terre entre les paysans a été réalisée. Les gens qui avaient beaucoup de terre partageaient volontairement avec les autres. La collectivisation a été commencée en 1978, mais elle a été suivie d’une décollectivisation en 1981 avec le décret No 100 qui s’appliqua à tout le pays.

Si on parle beaucoup aujourd’hui des côtés négatifs de l’agriculture collective, il faut souligner que ce système a été bien accepté par les paysans de certaines régions du Vietnam, là où la pression démographique était forte et où il y avait un haut pourcentage des terres communales, comme dans le bas delta du fleuve Rouge et au sud du Centre Vietnam, et là où il n’y avait pas encore de propriété privée, comme dans les montagnes du Nord-Ouest.

Cependant vers la fin des années 70, l’économie et l’agriculture vietnamienne rencontrèrent des difficultés du fait du système de planification centralisée et de la collectivisation. Un processus de réforme économique a alors été initié pour lever les contraintes qui pesaient sur le développement. La réforme économique au Vietnam dans les années 80 et au début des années 90 a été fondée sur le passage du système de planification centralisée au système d’économie du marché, et celui de l’agriculture collective à l’économie paysanne familiale.

Un processus de décollectivisation progressif et efficace

Pendant la période des entreprises collectives (coopératives agricoles), on n’avait pu collectiviser que la production du riz (production principale de l’économie agricole vietnamienne) et les tentatives de collectiviser les cultures vivrières non-rizicoles et l’élevage n’avaient pas eu de succès.

On a décidé de permettre aux paysans d’augmenter leurs activités hors coopérative en leur donnant accès à une superficie supplémentaire pour cultiver et nourrir les animaux dans le cadre de l’agriculture familiale, en plus du lopin familial qui couvrait 5% de la superficie totale et des vergers familiaux. Dans ces conditions, depuis les années 70, la part de l’agriculture paysanne dans le revenu des paysans a augmenté chaque année et dépassé celle des coopératives.

Se basant sur cette expérience, quelques coopératives ont pratiqué un type de contrat, dit contrat clandestin, en louant aux paysans une certaine superficie de rizière. On a constaté que ce système améliorait la motivation des paysans et la production s’en est ressentie positivement.

La directive #100 (1981) a légalisé ce système, inventé par les paysans eux-mêmes, et leur a donné le droit de décider sur l’emploi de leur travail et sur son résultat. Mais les paysans n’étaient pas tout à fait satisfaits de ce nouveau système. Pour simplifier et optimiser la gestion des ressources, on est alors passé à un « contrat complet », une location de terre aux paysans, qui leur permettait d’investir eux-mêmes en payant une rente peu élevée.

La résolution #10 de 1988 donna aux paysans le droit de décider de l’utilisation de leur capital. Avec l’abolition du système de livraison des produits à l’Etat, et du système de subventions de l’Etat, l’économie familiale paysanne fut enfin ressuscitée. Après cette résolution, la terre était encore contrôlée par les coopératives. Cette terre était distribuée aux foyers paysans en fonction de la disponibilité en main d’ œuvre pour une période de 5 ans. Les foyers ne payaient de rente à la coopérative, mais un impôt foncier au gouvernement.

Bien que la loi foncière de 1987 interdisait la vente de la terre, un marché illégal de la terre s’était établi. La loi foncière de 1993 décida que la terre qui appartenait à l’Etat serait distribuée aux paysans pour la culture en fonction du nombre d’âmes de chaque foyer, pour une période de 20 ans pour les cultures annuelles et de 50 ans pour les cultures pérennes. Le droit d’usage sur la terre peut être échangé, transféré, loué, hérité et mise en gage. La limite maximale de la « propriété » est de 3 ha. Les terres forestières étaient aussi distribuées pour la reforestation ou pour la gestion.

Tableau 4 : Estimation de la propriété foncière au delta du Mékong après 1975
 Propriétaires (en %)Superficie (en %)
Paysans riches2010-12
Paysans moyens12-1720-27
Paysans pauvres50-6050-60
Sans terre20-300

Source: Comité de réforme agraire, 1978.

Ainsi, après ces 3 changements institutionnels consécutifs, tous les droits sur les facteurs de production ont été restitués aux foyers paysans et le système collectif de l’agriculture a été aboli.

Dans les secteurs de l’industrie et des services, des transformations ont aussi eu lieu, En 1979, le comité central du Parti Communiste Vietnamien reconnut le rôle du marché et du secteur privé comme composante principale du système économique. En 1980, la réforme du système de planification admettait les activités hors plan des entreprises d’Etat et les activités complémentaires des fonctionnaires et des ouvriers dont le salaire n’était pas suffisant pour leur subsistance. La corruption du système bureau-cratique et la débâcle causée par les erreurs dans la réforme du système de prix, des salaires et de la monnaie en 1985 menèrent finalement à l’abolition du système du double prix (prix d’Etat et prix du marché libre) et du système de subvention planifiée.

L’impact de la restauration de l’économie familiale paysanne

L’agriculture socialiste n’avait pas réussi à résoudre le problème de la production alimentaire : à la fin des années 80, le Vietnam devait importer chaque année des aliments. Ce sont les paysans qui ont montré comment faire. Aujourd’hui, le Vietnam est devenu un des premiers exportateurs mondiaux de riz et de plusieurs produits alimentaires. La noix de cajou, le café, et l’igname, moins contrôlés par l’Etat, ont connu le développement le plus spectaculaire. Le Vietnam est devenu le 2ième exportateur de noix de cajou et le 3ième exportateur de café au monde (1er de la variété Robusta).

La restauration de l’économie familiale paysanne a eu un grand impact sur la production agricole. Les paysans autrefois peu intégrés au marché sont devenus progressivement des producteurs familiaux marchands. Mais la dimension des exploitations agricoles (0,7 ha pour le pays, 0,3 ha pour le delta du fleuve Rouge) constitue une contrainte pour le développement agricole. L’augmentation de la population active rurale tend à la faire encore diminuer et favorise le sous-emploi. Au Sud Vietnam, le nombre des sans terre augmente et au Nord, les paysans qui ont quitté l’agriculture ne cèdent pas leur terre aux autres. Le processus de réformes n’est pas terminé : de nouveaux réarrangements institutionnels sont nécessaires, impliquant une certaine redéfinition des rôles respectifs du gouvernement, du marché et de la société civile (qui n’est pas reconnue officiellement) et de nouvelles politiques foncières adaptées au nouveau contexte seront nécessaires.

La restauration de la production familiale agricole, après diverses réformes agraires qui ont établi une structure agraire relativement égalitaire, constitue un succès incontestable. L’histoire du Vietnam montre que les paysans, fort de leurs connaissances accumulées pendant des siècles, sont capables d’évolutions très dynamiques, mais qu’ils ont besoin de politiques agricoles et foncières adaptées pour exprimer leurs potentialités.

 

1En 1930, 21% des terres étaient communales au Nord Vietnam, 25% au Centre et 3% au Sud Y. Henry, 1932.

2Le coefficient Gini, que nous avons calculé, est passé de 0,4-0,5 à près de 0,6. Il s’agit d’un indice agrégé de mesure de l’inégalité, qui peut varier de 0 (égalité parfaite) à 1 (inégalité parfaite). Dans les pays avec une haute inégalité du revenu. Ce coefficient es entre 0,50 et 0,70, tandis que dans les pays avec une égalité relative ce coefficient est entre 0.20 et 0.35.

3Certains villages ont pourtant des terres communales achetées à partir des fonds communaux.

4Le coefficient Gini était de 0.6 à 0.8 pour le delta du Mékong et de 0.4 à 0.6 pour le delta du fleuve Rouge. (Dao The Tuan, à partir des cadastres de 124 villages de la Cochinchine.

562% des parcelles de moins de 1,8 ha au Nord Vietnam avaient moins de 0,36ha.

6Callison C.S., Land to the tiller in the Mekong delta, University Press of America, New York London, 1983.

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