français | español | english
Online Knowledge Base
Natural Resource Governance around the World

English version: Sharing Power: Sustainable Management of Natural Resources

Sharing Power : Une gestion durable des ressources naturelles

Appel à une action aux niveaux local, national et international

Documents of reference

Borrini-Feyerabend Grazia, Pimbert Michel, Farvar M.Taghi, Kothari Ashish, Renard Yves et al, Sharing Power-Learning by Doing in Comanagement of Natural Resources throughout the World, IIED, IUCN, CMWG, CEESP, 2004

D’une manière générale, tout le monde sur Terre prend part à la gestion des ressources naturelles. « Les cycles physiques de l’eau, de l’air et de l’énergie, la circulation des êtres vivants et personnes et les échanges internationaux croissants de biens et d’information engendrent de puissantes connexions entre des écosystèmes distants ainsi qu’entre les êtres humains et les animaux qui y vivent. L’exemple probablement le plus frappant est la consommation de masse des combustibles fossiles des pays industrialisés du Nord. Cette consommation altère la composition chimique de l’atmosphère et agit sur le climat partout dans le monde. C’est ainsi qu’au Niger, les périodes de sécheresse accrues exacerbent les conflits entre les nomades pastoralistes et les fermiers sédentaires. Au Mozambique, la population peut avoir à faire face à des inondations sans précédent. Enfin, les habitants des Maldives ne sont pas à l’abri de voir leur île disparaître sous l’eau à cause de la fonte de la banquise Arctique . Les habitants de ces pays ont donc des inquiétudes légitimes quant aux modes d’utilisation des ressources naturelles dans les lointains pays industrialisés. « Cependant, dans la pratique, la plupart des gens et des organisations se sentent surtout concernés par la situation et la gestion d’un environnement naturel spécifique et bien souvent local». Un des plus grands défis de notre temps est donc d’amener les différentes sphères, du local au global, à travailler ensemble pour une meilleure gouvernance des ressources naturelles de la planète.

Les relations complexes entre les différentes échelles spatiales rendent difficile la promotion cohérente d’une gestion durable des ressources naturelles. « Les dégradations environnementales et l’inégalité de l’accès aux ressources naturelles sont généralement le fruit de décisions politiques et elles ne peuvent être solutionnées sans changer significativement et durablement la répartition des pouvoirs au sein de la société. Par conséquent, pour que la cogestion locale fonctionne, il faut dépasser les contraintes de conservation et de développement local liées aux contextes régionaux, nationaux et internationaux, ces contraintes résultant de forces, de processus et d’instruments variés ». Cela pourrait se traduire par la création d’une politique environnementale renforçant le pouvoir des institutions locales et incitant à des adaptations et des changements continus.

A la lumière de ces difficultés, cet article met en avant les enjeux locaux, nationaux et internationaux d’une gestion durable des ressources naturelles. Dans un premier temps, est abordé le partage des pouvoirs sur la gestion des territoires et des ressources naturelles à l’intérieur d’un même pays. L’article évoque ensuite les conséquences positives et négatives des actions internationales sur les contextes locaux de cogestion. Enfin, sont présentées les options et directions politiques qui facilitent et renforcent la participation des acteurs locaux dans la cogestion. Cet article est destiné à démontrer que la participation des acteurs locaux est primordiale pour relever les défis de la mondialisation, en lien avec les ressources naturelles.

I-Pourquoi les initiatives de cogestion devraient constituer une préoccupation nationale ?

Les accords de cogestion optimisent l’utilisation des atouts des acteurs à différents niveaux. Par exemple, les communautés locales et indigènes peuvent mettre à contribution leur proximité et leurs connaissances du territoire en question pour une gestion adaptée. De leur côté, les agences gouvernementales peuvent apporter des capacités financières et organisationnelles. La mise en commun des ressources des acteurs locaux, régionaux et nationaux permet de trouver des solutions de gestion adaptées aux environnements écologiques et sociaux concernés. Ainsi, le dialogue entre les communautés locales et les agences gouvernementales permet d’aboutir à des plans de gestion des ressources naturelles pouvant s’adapter à des changements. Néanmoins, les décisions politiques nationales influencent grandement la viabilité d’un tel partenariat. En effet, si les acteurs locaux ont peu ou pas d’influence sur la conception et la mise en place des décisions politiques nationales, alors les accords passés pourraient ne pas résister aux changements et les partenariats s’effondrer. C’est pourquoi la durabilité d’un système de gestion des ressources naturelles est directement liée à la répartition du pouvoir dans une société.

La cogestion fonctionne mieux sur le long terme quand les intérêts et les préoccupations de tous les acteurs sociaux sont pris en compte. « L’élément, sans doute le plus fondamental, d’une reconnaissance et d’un accord sur la cogestion se trouve dans la relation que les peuples indigènes et les communautés locales ont avec la terre en question». «Un des bénéfices essentiels recherché par les peuples indigènes et les communautés locales dans les accords de cogestion est la reconnaissance de leurs propriétés et droits coutumiers ou leur affiliation avec la terre et les ressources en jeu». L’obtention d’un titre légal de propriété sur la terre ou sur les ressources est un moyen de s’en assurer l’accès continu et l’usage. Lorsqu’il est impossible d’avoir une reconnaissance des titres de propriété coutumiers, les communautés locales cherchent au moins à faire valoir leurs droits les plus essentiels sur les ressources concernées. Par exemple, les communautés locales cherchent à s’assurer un accès continu aux ressources pour des raisons économiques, nutritionnelles, culturelles ou religieuses. Cela peut se traduire par des indigènes ou des communautés locales requérant la prise en compte et la sécurisation du droit coutumier de pêche et de chasse. Cela peut aussi se traduire par un désir de préserver certains espaces ayant une dimension spirituelle de l’intrusion de personnes étrangères. « Beaucoup d’accords sur la conservation des terres indiquent que celles-ci appartiennent ou ont appartenu à des groupes indigènes, à des communautés locales ou encore à un ou plusieurs propriétaires privés. Sur cette base, les accords préconisent un dédommagement financier pour compenser la perte de leurs terres et/ou qu’une partie des bénéfices se dégageant de leur utilisation soit reversée à ses propriétaires légaux ou légitimes. Les dédommagements peuvent se traduire sous la forme d’une allocation versée par le gouvernement, et de la perception d’un pourcentage des revenus engendrés, d’une garantie d’un emploi sécurisé, et d’une compensation financière». En outre, « chaque partie peut souhaiter avoir un droit de regard sur des activités commerciales telles que le tourisme. » (Pour plus d’informations sur les accords de gestion des ressources naturelles, voir l’article 1A).

Les accords de cogestion peuvent être une manière concrète et efficace pour les agences gouvernementales de collaborer avec les communautés locales afin de parvenir à des objectifs légiférés et à des politiques. Les principales préoccupations des agences gouvernementales en matière de gestion des ressources naturelles - une bonne intendance, l’accès public, la protection du patrimoine, la réhabilitation, la « conservation », le contrôle des adventices et des nuisibles, la gestion des incendies et des inondations, et la prévention des dégâts - peuvent être prises en compte et respectées dans les accords de cogestion. Par exemple, “l’accès à un endroit remarquable à des fins de gestion ou au public peut être négocié avec les propriétaires coutumiers ou légaux adéquats. Une communauté ou un propriétaire peut donner son autorisation pour l’accès à sa propriété si celui-ci est nécessaire, disons, au contrôle des incendies et si les professionnels de ce domaine y effectuent ne serait-ce qu’une petite intervention annuelle». Un dialogue ouvert et respectueux entre les communautés locales et le corps gouvernemental peut conduire à de véritables partenariats où le travail commun permet à chaque partie d’être gagnante.

La cogestion requiert un cadre politique permettant de prendre en considération les forces et les faiblesses des différents acteurs et institutions. Cela implique que le pouvoir et les compétences locales doivent exister et être performants pour que la cogestion fonctionne. L’application élargie du principe politique de « subsidiarité » faciliterait la participation des acteurs locaux dans la gestion des ressources. « En gros, cela implique pour le gouvernement de décentraliser, déléguer ou confier son pouvoir aux acteurs du niveau le plus bas en capacité d’assumer les responsabilités des actions adéquates« . Le pouvoir qui revient aux institutions spécifiques, varie d’un pays ou d’une région à l’autre. Dans la plupart des cas, le paysage institutionnel de la gouvernance locale est composé non seulement des administrations locales mais aussi « d’un grand nombre d’organisations et d’institutions, formelles et informelles, qui ont toutes un rôle à jouer dans l’allocation et l’utilisation des droits et des responsabilités au niveau local ». «Confier des droits et des responsabilités dans la gestion des ressources naturelles, accroître l’autonomie locale dans l’agencement des paysages terrestres et marins, gérer, planifier et mettre en place des initiatives de développement et de conservation des ressources naturelles, sont des moyens puissants pour réveiller les capacités de la société civile». Par conséquent, des administrations décentralisées et le transfert de compétences aux acteurs locaux peuvent se révéler des voies positives pour augmenter la gouvernance locale et amener ainsi au développement de partenariats pour une gestion durable des ressources naturelles.

II. Comment les acteurs mondiaux affectent-ils les conditions de gestion des ressources naturelles au niveau local ?

Les politiques nationales qui permettent une gouvernance partagée entre les différentes échelles spatiales facilitent ainsi le développement de partenariats de longue durée pour une gestion des ressources naturelles durable et partagée. De la même manière, les politiques nationales fondées sur des approches gouvernementales extrêmes, comme les modèles d’état dominant ou le libre fonctionnement des forces du marché libéral, vont à l’encontre des efforts de cogestion puisque la participation locale dans la gestion des ressources naturelles n’est pas garantie. Il est difficile d’aboutir à une vision partagée du développement social et de la gestion des ressources naturelles si on ne donne pas une chance aux communautés locales de prendre part au processus d’analyse des enjeux et à la prise de décisions appropriées.

La politique économique mondiale influence les possibilités laissées au gouvernement local. « Par exemple, les politiques néolibérales comme la libéralisation du commerce, la privatisation et la domination des forces du marché compétitif pour l’accès aux ressources naturelles, impactent de façon négative la cogestion. En effet, elles favorisent les intérêts économiques les plus puissants au détriment des gens pauvres et des communautés. Un phénomène économique important influe sur les résultats de la cogestion : c’est la commercialisation croissante des produits et des services accompagnée de changements rapides dans les technologies de production, d’information et de communication. Cela implique que, désormais, les lois du marché gouvernent une grande partie des ressources indispensables aux populations et les rendent hors de portée des utilisateurs premiers. Les lois mondiales définies notamment dans les accords ADPIC de l’OMC (ex : les brevets sur les graines et les plantes médicinales) et la privatisation (des terres, de l’eau, des forêts, des services publics) sapent le contrôle que les utilisateurs des ressources locales ont sur leur environnement, leur savoir-faire et leurs institutions». De même, les standards internationaux sur la production que les firmes multinationales proposent, constituent généralement de sérieux obstacles à la cogestion. « Par exemple, au nom d’une nourriture plus sûre, beaucoup de lois internationales, comme l’accord (de l’Organisation Mondiale du Commerce) sur l’Application des Mesures Sanitaires et Phytosanitaires et du Codex Alimentarius, ont renforcé un mode de transformation de la nourriture qui va directement à l’encontre de la production alimentaire artisanale et locale tout en favorisant les firmes multinationales (FMN). Entre autres, ils préconisent l’irradiation de certains produits, la pasteurisation et imposent un emballage sous film standard des productions de fromages locales. De telles normes augmentent considérablement les coûts pour les petits producteurs et les FMN qui négocient sur les marchés mondiaux bénéficient grandement de cette standardisation mondiale. La cogestion cherchant à retenir la richesse près de là où elle a été créée, il y a un travail important à réaliser pour que les standards de production alimentaire (et autres standards NR) soient relocalisés, et que chaque nation puisse établir ses propres standards sanitaires sur l’alimentation et d’autres standards liés à la gestion des ressources naturelles».

Il y a donc un besoin réel de réguler les actions des firmes multinationales et d’initier de nouvelles politiques pour représenter les intérêts sociaux, économiques et environnementaux des communautés locales. « L’émergence d’initiatives nouvelles peuvent aider les gouvernements à réguler des activités pour le bien commun. En effet, un nombre croissant de sociétés s’oriente vers « un plan de responsabilité sociale » qui se traduit sous formes de codes de conduite, de certifications, de documentation, de discussions avec les actionnaires et de partenariats». Les sociétés avancent pas à pas vers une prise de conscience de leur responsabilité dans les coûts environnementaux et sociaux engendrés par leurs activités. Même si ces avancées vont dans le bon sens, ces « initiatives volontaires » ne sont pas des moyens suffisants pour orienter et contrôler sur les sociétés. Certaines organisations des Nations Unies, comme la Conférence sur le Commerce et le Développement ou le Programme pour le Développement ainsi que l’Organisation Internationale du Travail, semblent en position de pouvoir assurer la coordination des activités visant à surveiller les grandes et puissantes entreprises. Ces institutions internationales ne doivent pas craindre d’entreprendre des recherches critiques et d’analyser les impacts des politiques des multinationales sur l’environnement, la société et le développement. Elles doivent également mettre en place des initiatives de contrôle aux niveaux national et international. Néanmoins, à quelques exceptions près, la tendance actuelle dans la plupart des agences internationales est à l’apaisement des multinationales par des politiques et des programmes qui prennent en compte les intérêts du secteur privé. Nous sommes encore loin de voir les agences des Nations Unies jouer un rôle de superviseur critique. Les organisations internationales devraient se pencher sur le défi de réguler la gouvernance mondiale des ressources naturelles.

Malgré un manque évident de contrôle sur le pouvoir des multinationales à l’échelle mondiale, des progrès ont été faits au travers d’une part, d’accords sur une politique internationale et, d’autre part, d’institutions qui préconisent un environnement propice à la cogestion des ressources. Dans la mesure où ils affectent les conditions et les capacités d’utilisation des ressources localement, les accords et instruments internationaux ont un impact direct sur la cogestion au niveau local. « A bien des égards, l’instrument international fondamental de soutien à la cogestion reste la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, la Déclaration n’est pas juridiquement contraignante mais elle est considérée comme un outil international d’une importance capitale sur les plans politique et symbolique. Suite à l’adoption de cette Déclaration, la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a commencé à esquisser des documents juridiquement contraignants. Les Pactes Internationaux, d’une part sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) et, d’autre part, sur les Droits Civils et Politiques (PIDCP), ont été adoptés en 1966 ». Ces deux conventions soulignent le droit à l’auto-détermination et au développement des peuples, base sur laquelle se fonde le principe de cogestion.

« D’autres conventions internationales sont particulièrement intéressantes pour les groupes sociaux marginaux qui vivent dans des endroits riches en biodiversité et qui pourraient s’investir dans des processus de cogestion ». Par exemple, la Convention 169 de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants (« ILO 169 ») met en avant la nécessité pour ces populations de participer au processus de prise de décision concernant les ressources et les terres pour lesquelles elles demandent l’indépendance. De la même manière, la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes insiste sur la protection de leurs droits sur la terre et les ressources naturelles et l’Agenda 21 appelle à leur participation dans toutes les étapes de planification et de développement. « Une des plus importantes avancées en matière de gestion des ressources naturelles sur la scène internationale est la Convention sur la Diversité Biologique (CBD). L’importance de cette convention tient à l’accent mis sur le savoir et les pratiques traditionnelles, au fait qu’elle soit juridiquement contraignante, et à l’approche qui va au-delà des seuls peuples indigènes en englobant toutes les communautés. La Convention insiste sur la nécessité d’impliquer les indigènes et toutes les autres communautés locales dans la conservation de la diversité biologique et dans le partage des bénéfices tirés de l’usage de ces ressources ». Plus récemment, la Convention a approuvé les directives opérationnelles soulignant la nécessité d’un choix de société et d’une décentralisation de la gestion des ressources au niveau le plus bas possible. Elle a lancé un programme promouvant l’équité, le partage des bénéfices et la pleine participation des indigènes et des communautés locales dans la mise en place et la gestion des régions protégées. En outre, la tendance actuelle des organisations bilatérales, multilatérales, gouvernementales et non gouvernementales à adopter un discours en faveur des communautés et de leur participation, ouvre la voie aux régimes de cogestion. Certains disent que donner le droit de participer revient à reconnaître un droit humain fondamental. Les institutions et accords internationaux qui aident à garantir ce droit fondamental augmentent considérablement les possibilités de voir naître des partenariats locaux pour une gestion durable des ressources naturelles. (Pour plus d’informations sur les approches participatives, voir Fiche 4).

III. Comment peut-on accroître le degré de participation des communautés locales dans la gestion des ressources naturelles ?

Comme l’affirment certains accords internationaux évoqués précédemment, la participation des indigènes et des communautés locales dans la gestion des terres et des ressources naturelles est primordiale pour une bonne gouvernance et un développement durable. Pour garantir l’implication des acteurs locaux dans le processus, il faut dépasser certains obstacles liés au contexte de mondialisation politique, économique et culturelle. Pour créer un environnement favorable à la cogestion, il est nécessaire de mettre en place une politique traitant des obstacles économiques, politiques et sociaux à la pleine participation des communautés locales et indigènes. La réussite d’une telle politique dépend de l’implication des acteurs à différentes échelles spatiales, du locale au global et les niveaux intermédiaires.

Comme discuté précédemment, le contexte mondial économique néolibéral a introduit de nouveaux et puissants acteurs transnationaux dans le domaine des ressources naturelles. A la lumière de ce constat, « démocratie économique et équité croissante apparaissent les conditions clé et englobantes pour généraliser la cogestion. A titre d’exemple, les initiatives de cogestion pourraient être renforcées par des politiques protégeant les intérêts locaux en plaçant des ressources sélectionnées hors de portée des processus concurrentiels contraignants et en protégeant les marchés locaux quand cela est nécessaire. Ainsi, les accords de cogestion soutenus par une législation appropriée pourraient devenir des outils de protection des besoins et intérêts locaux spécifiques. Les gouvernements nationaux, seuls ou en groupe, devraient également introduire des règles spécifiques de façon à protéger les marchés domestiques portant sur les ressources naturelles des importations à bas prix et des impacts négatifs de la concurrence engendrée par le commerce international. Les importations subventionnées ont souvent détruit l’environnement et les moyens de subsistance durables du Sud. Parmi les personnes qui travaillent aujourd’hui dans des usines pour des salaires misérables, beaucoup sont des réfugiés d’économies locales basées sur la pêche, l’agriculture,le pastoralisme ou la forêt. Par exemple, l’industrie de l’huile alimentaire indienne (c’est-à-dire les producteurs de graines oléagineuses, les meuniers, les transformateurs et les revendeurs) a été mise à mal lorsque le marché a été inondé avec du soja américain largement subventionné et de l’huile de palme malaysienne. De plus, le paradigme dominant, qui veut que les exportations du Sud vers le Nord soit une voie majeure de développement économique, oublie les inévitables effets indésirables de la compétition entre les pays pauvres exportateurs, ainsi que le détournement des priorités nationales vers la production d’exportations bon marché. Pour renverser la tendance, les pays pourraient développer des règles sur le commerce international qui leur permettraient d’introduire des contraintes sur les importations et les exportations ».

« Les politiques commerciales favorisant la production à l’exportation et le dumping des importations à bas prix peuvent être remplacées par des politiques favorisant les contraintes tarifaires et les quotas de régulation des importations de nourriture, bois, poissons, fibres et autres produits naturels pouvant être produits localement. C’est ce qu’on appelle appliquer le principe de subsidiarité : à partir du moment où les acteurs sociaux sont capables de produire localement en utilisant les ressources locales pour une consommation locale, attraits et bénéfices devraient rendre cette option avantageuse. Ainsi, on réduit la distance entre le lieu de production et le lieu de consommation. Cela ne veut pas dire qu’il faille éliminer complètement le commerce de nourriture, fibres et autres produits naturels mais il s’agit de reconnaître que le commerce devrait se limiter aux biens qui ne peuvent être fournis localement au lieu de faire du commerce le principal moteur de production et de distribution ». Réguler le commerce grâce au principe de subsidiarité est une façon pour les gouvernements de calmer le jeu économique afin de donner aux acteurs locaux plus d’opportunités de construire des moyens de subsistances viables basés sur une utilisation raisonnée des ressources naturelles.

Promouvoir un transfert de pouvoirs et mettre en place des institutions locales viables sont des directives qui calment le jeu politique. Dans l’ensemble, plus les organisations locales et coutumières sont impliquées dans la gestion des ressources naturelles, plus le processus est efficace. Comme la gestion des ressources naturelles requiert la capacité de développer et de faire respecter des règles adaptées à un contexte local, le savoir-faire traditionnel et la légitimité culturelle des organisations coutumières sont souvent la clé du succès de la cogestion. Cependant, de nos jours, de telles organisations locales sont souvent dans des situations politiques affaiblies voire périlleuses dans cette ère de mondialisation croissante. C’est pourquoi un des enjeux majeurs pour promouvoir la cogestion est de reconnaître et de renforcer ces institutions traditionnelles. On peut y remédier en adoptant des politiques qui stipulent et garantissent aux peuples indigènes leurs droits à l’auto-détermination. En un sens, on peut interpréter les droits des peuples indigènes à l’auto-détermination comme leur capacité à décider le genre de développement qu’ils souhaitent pour leurs communautés et à garder le contrôle de leurs vies, intimement liées à leurs terres et leurs ressources naturelles. « Pour beaucoup de peuples indigènes, le droit à l’auto-détermination apparaît ainsi comme une condition fondamentale pour réassumer la responsabilité de la gestion des ressources naturelles. Cela impliquerait que les gouvernements nationaux mettent fin à leurs politiques intégrationnistes ainsi qu’à toutes les pratiques qu’elles impliquent,…et qu’ils fournissent, au contraire, la possibilité aux peuples de prendre des décisions réfléchies quant à leur futur au travers de procédés participatifs pour recenser, évaluer et planifier le développement et les initiatives de conservation». Pour commencer, il faudrait soutenir les communautés dans la démarcation de leurs frontières terrestres et marines. « Soit comme une condition pré-requise pour une reconnaissance légale de propriété et d’accès aux droits, soit comme une alternative temporaire à cela, la démarcation du territoire est une condition majeure nécessaire à la sécurité de tenure des communautés locales et indigènes dans la cogestion ». Ainsi, les politiques qui facilitent l’élaboration de cartographies participative, encouragent une véritable reconnaissance des différents droits de tenure des communautés locales. Cela peut être un bon moyen pour les gouvernements d’améliorer la situation politique des organisations locales et coutumières de sorte qu’elles puissent participer pleinement à la conception et à la mise en place de systèmes de gestion des ressources naturelles.

Bien que les autorités traditionnelles disposent d’un niveau important de légitimité et des connaissances avancées en matière d’écosystème dans certaines configurations, il est bien de promouvoir tant le rôle des agences gouvernementales locales que celui des organisations traditionnelles dans les organismes de cogestion. Les administrateurs locaux et les agences gouvernementales sont des acteurs importants dans la cogestion pour plusieurs raisons. L’une d’elles est que, comme les administrateurs locaux sont élus, ils assurent une forme de représentation locale. C’est un point important car les organisations traditionnelles ne sont pas toujours représentatives de la communauté locale dans son ensemble. De plus, on attend des agences gouvernementales locales qu’elles apportent une forme de responsabilité publique et qu’elles fassent des propositions de « lois justes » dans les arrangements institutionnels. Par conséquent, des politiques nationales délégant l’autorité au niveau local ajoutées à des politiques qui soutiennent la reconnaissance des organisations traditionnelles et coutumières peuvent conduire à une répartition du pouvoir propice à la cogestion.

Cependant, travailler à accroître la participation des acteurs locaux ne suffit pas. La « représentativité » des acteurs locaux impliqués dans les accords de cogestion doit être évaluée simultanément afin de garantir que le but ultime reste l’équité. Les indigènes et les communautés locales ne sont pas des ensembles homogènes. Au contraire, ils sont composés de différentes catégories d’acteurs avec divers intérêts et préoccupations et les déséquilibres de pouvoir à l’intérieur d’une communauté pourraient compromettre la durabilité d’un accord de cogestion. Un leader indigène pourrait prétendre parler pour ses peuples ou un chef prétendre que sa décision représente les intérêts de la communauté locale toute entière. « Cela peut poser problème quand, par exemple, les autorités des territoires protégés prétendent avoir « consulté » les peuples indigènes ou la communauté locale alors qu’en fait, celle-ci ne considère pas avoir été représentée de façon juste dans le processus de planification. En fait, la plupart, si ce n’est tous les arrangements de cogestion nécessitant des formes de représentation dans les corps gouvernementaux et les organisations de gestion. Les instruments législatifs pour la gestion des ressources naturelles doivent donc spécifier les mécanismes par lesquels les représentants de la population et des organisations de sociétés civiles sont choisis. Ces mécanismes devraient être autant en accord avec la démocratie participative que possible, par exemple en suscitant des sortes de forums suivis d’une élection et/ou d’une sélection selon les décisions de la communauté coutumière ainsi que de mécanismes de suivi et de responsabilité».

Par ailleurs, les politiques nationales proactives (« discrimination positive ») peuvent être un moyen de tendre vers l’équité. Aider les marginaux ou les acteurs plus faibles comme les femmes, les minorités ethniques et les groupes sociaux pauvres afin qu’ils retrouvent du pouvoir et un statut au sein de leurs communautés et des organismes de cogestion, est en accord avec les objectifs des solutions apportées à la gestion durable des ressources naturelles. Concrètement, cela peut passer par la création d’espaces où les défavorisés peuvent exprimer librement leurs intérêts et leurs préoccupations et bénéficier d’une représentation locale. Etant donné que la capacité à reconnaître les opportunités et les risques repose sur une évaluation précise de la situation, des informations pertinentes doivent être accessibles à toute personne potentiellement concernée. « De plus, seule une arène politique ouverte aux nouvelles idées et offrant une véritable possibilité de se rencontrer et de discuter des opinions et des intérêts opposés, permet à de nouveaux acteurs sociaux clés et pertinents d’émerger et de reconnaître leurs titres. En d’autres termes, une mesure d’ouverture politique et de démocratie participative est nécessaire pour que les nouveaux sujets soient acceptés socialement ». Reconnaître les organisations traditionnelles et coutumières dans un cadre décentralisé peut représenter une étape préliminaire à la cogestion. Cependant, pour être durable, il faut un contexte ouvert dans lequel le pouvoir est réparti équitablement entre tous les acteurs sociaux pertinents. Cela permet une adaptation à des contextes sociaux et environnementaux variables au cours du temps, et c’est par conséquent, la clé de la durabilité.

En conclusion, la garantie que tous les acteurs locaux puissent prendre des décisions réfléchies et informées concernant le futur de leurs communautés est essentielle pour une gestion durable des ressources naturelles. Malheureusement, une situation idéale comme celle-ci est rare. Les gouvernements autoritaires, centralisés et l’influence non contrôlée des puissants acteurs économiques internationaux constituent de réels défis pour une participation locale dans la conception, la mise en place et l’évaluation des politiques affectant les ressources naturelles. Des politiques nationales en faveur de la décentralisation et de la mise en place du principe de subsidiarité sont des moyens de surmonter ces obstacles, en particulier quand elles sont accompagnées par des mesures de reconnaissance de la légitimité des institutions traditionnelles et coutumières. La plupart du temps, cette légitimité découle de la reconnaissance des titres sur la terre et les ressources naturelles dont disposent les indigènes et les communautés locales. Reconnaître la tenure traditionnelle peut être le point de départ d’accords de cogestion, en particulier et d’une plus grande démocratie participative, en général.

Traduction de l’anglais

Marie-Aude Landrot

Cette fiche fait partie d’un dossier réalisé à partir de l’ouvrage Sharing Power. Il est constitué de quatre articles centraux qui en restituent les idées principales, du point de vue de l’équipe d’AGTER. Chaque article est illustré par des fiches complémentaires qui précisent l’analyse et donnent des exemples concrets d’utilisation des outils de co-gestion (voir les liens dans la marge droite de la page).

Le dossier est disponible dans son intégralité en anglais. Pour le moment, seules quelques fiches sont aussi disponible en français.

Nous vous invitons à découvrir les trois autres articles principaux:

Top