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Actualités de décembre 2010 et bref rappel de l’histoire du MCA, Mouvement Paysan de l’Aguan
Written by: Hélène Roux
Writing date:
Organizations: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)
Type of document: Paper / Document for wide distribution
Le 15 novembre 2010, la région du bas Aguán a été le théâtre d’un massacre de plus perpétré contre cinq paysans, membres du Movimiento Campesino del Aguán (MCA). Les faits se sont produits à l’aube du 15 novembre lorsqu’approximativement deux cents gardes armés à la solde de M. Miguel Facussé Barjum, le magnat hondurien de la palme africaine, ont tiré avec des armes de gros calibre sur un groupe de paysans qui venaient présenter les papiers les accréditant comme légitimes propriétaires de la finca (propriété) El Tumbador (municipalité de Trujillo).
Ces assassinats constituent un nouvel épisode dans le conflit agraire qui oppose de longue date le MCA aux grands entrepreneurs et propriétaires terriens de la région.
Alors que la culture de la palme africaine destinée à l’élaboration d’agro-carburants connaît un essor très récent dans de nombreux pays, au Honduras elle est cultivée depuis les années 19701 et a même été activement promue par l’État au sein des coopératives constituées dans le cadre de la réforme agraire, en particulier celles de la région de l’Aguán. Le contrôle de la culture de la palme constitue donc un enjeu économique important, qui explique d’une part la force et la capacité des coopératives paysannes qui la pratiquent depuis longtemps et d’autre part la convoitise des grands propriétaires et entrepreneurs de l’industrie de transformation de la palme ; intérêt qui s’est évidemment accru à partir de l’essor de son utilisation pour la production d’agro-carburants.
Les débuts du MCA
L’histoire du MCA commence en 2000 avec l’occupation des plusieurs milliers d’hectares de l’ancien centre d’entrainement militaire (CREM) utilisé pendant les années 1980. Cet événement marque le refus d’un secteur de la paysannerie d’entériner le processus de contre-réforme agraire qui a débuté au Honduras au début des années 1990.
C’est en effet à cette époque que, sous la présidence de Leonardo Callejas (Partido Nacional2), se met en place la Loi de modernisation et développement du secteur agricole3 qui réforme la loi de réforme agraire de 1962. Suivant la même tendance que dans le reste des pays d’Amérique latine, la nouvelle loi privilégie la « sécurisation de la propriété » à travers la titularisation individuelle des terres et l’incursion croissante du secteur privé dans le financement de la production agricole. Ce procédé développé et promu par la Banque mondiale est également connu sous l’appellation trompeuse de « réforme agraire assistée par le marché ».
La majorité des organisations paysannes du Honduras s’accordent sur le fait que cette loi a conduit à la faillite organisée du secteur coopératif, puis à la perte et au rachat massif des terres du secteur réformé par les propriétaires terriens et marque le début d’une accélération d’un ré-accaparement des terres anciennement attribuées dans le cadre de la réforme agraire des années 19604.
Chronologie de la lutte pour la terre dans l’Aguán
C’est donc dans cette optique que l’occupation des anciennes terres du CREM avait été minutieusement préparée et les familles sélectionnées selon des critères très précis : le fait de n’avoir pas été bénéficiaires de terre auparavant et surtout de ne pas avoir été impliquées dans des ventes de terres des anciennes coopératives de réforme agraire5.
À partir de là, les éleveurs et grands propriétaires terriens se livreront à des attaques constantes auxquels le MCA répond par des blocages routiers afin d’obtenir la médiation des autorités. La tension est si forte que le 12 octobre 2000, le président de la république (Ricardo Maduro, parti National) en personne se rend dans l’Aguán. 1124 ha sont titularisées en faveur des coopératives du MCA par l’Institut National Agraire (INA) en même temps que se met en marche un processus d’annulation des titres de propriétés accaparées illégalement par les grands propriétaires.
Alors que le processus de régularisation des terres traine en longueur, les attaques contre le MCA se poursuivent également sur le terrain judiciaire. Depuis 2005 des centaines de mandats d’arrêts ont été émis contre des membres du MCA. En octobre 20086 deux dirigeants du MCA sont emprisonnés sous l’accusation, entre autres délits, de « terrorisme », d’assassinat et d’usurpation (de terres). En revanche, les assassinats de trois dirigeants du MCA commis en juin de la même année sont restés impunis.
Tout comme son prédécesseur le président Zelaya avait dû négocier avec le MCA. Mais le coup d’État du 28 juin 2009, a remis en question les accords signés quelques jours avant.
Malgré la répression qui s’accentue dès lors, les occupations de terres se poursuivent. Le mouvement qui se présente désormais comme MUCA (Mouvement uni des paysans de l’Aguán) recense plus de 3500 familles organisées en centaines de coopératives. Il ne s’agit plus seulement de la défense des anciennes terres du CREM mais en général de la récupération des terres accaparées par les grands propriétaires. L’objectif est donc de faire pression pour l’application des dispositions légales établissant l’usage social de la terre.
Depuis lors, aux occupations répondent les expulsions. La région est militarisée et la traque des membres du MUCA déclarée. La collusion entre l’armée et les entrepreneurs privés de la palme africaine, auxquels certains officiers « prêtent leurs services », est dénoncée par les paysans.
Des attaques particulièrement violentes se produisent en février 2010 alors même qu’une délégation du MUCA est en train de négocier la ratification des accords signés avant le coup d’État de 2009, avec l’actuel ministre de la réforme agraire, Cesar Ham. Député d’Unión Démocratica (UD). Ce dernier a en effet accepté d’entrer au gouvernement et tente de se faire valoir comme une courroie de transmission des revendications populaires auprès du gouvernement.
Début mars, un nouveau processus de négociation s’ouvre dans une région totalement militarisée et alors que certains quotidiens assimilent le MCA a un groupe armé7. Malgré le climat de répression, les deux parties parviennent à un accord à la mi-avril8 que le dirigeant du MCA, Rudy Hernandez décrit comme suit :
« […] Le gouvernement,[…] ne voulait nous concéder que 6000 ha, nous en avons obtenu 11000. Nous avons signé parce que nous étions sous la menace des canons et nous ne pouvions pas mettre en danger la vie de nos compagnons. […] »
Mais l’apaisement qu’on aurait pu attendre à partir de la signature des accords, loin de se produire donne lieu à un regain de tension dans la zone de l’Aguán. En effet, Miguel Facussé, fait savoir qu’il refuse de négocier ne serait-ce qu’un hectare de terres et qu’il fera appel des décisions prises auprès des tribunaux (si celles-ci lui sont défavorables, bien entendu). Les exactions conjointes de l’armée et des milices privées à la solde des producteurs de palme se poursuivent depuis.
En Juin 2010, un communiqué de la Corporación Dinant, présidée par Facussé attribue la responsabilité de la crise qui secoue la région aux occupations de terres réalisées par le MUCA et justifie ainsi le licenciement de 500 employés de ses plantations.
On aurait pu croire que l’indignation suscitée par l’attaque du 15 novembre et les cinq assassinats qui en ont résulté, inciterait les autorités honduriennes à prendre des mesures et même dans un élan d’optimisme on aurait souhaité que les institutions internationales haussent le ton et réclament la fin de l’impunité pour les commanditaires avérés des massacres de paysans. Il n’en a rien été. À travers une lettre adressée au président de la Banque mondiale Robert Zoellick9, l’ONG canadienne « ‘Right in Action’ a accusé l’institution financière d’être co-responsable de l’assassinat des paysans se basant sur le fait que le 5 novembre 2009, la Corporación Dinant a reçu de la Corporation Financière Internationale (IFC), chargée de l’attention au secteur privé au sein de la Banque mondiale, le prêt n°27.250 à hauteur de 30 millions de dollars.
Les magnats de la palme, un État dans l’État
En Amérique centrale, et au Honduras en particulier, on garde encore en mémoire les pratiques des compagnies bananières qui dans les années 1950, faisaient régner leur propre loi sur les vastes territoires qu’elles occupaient. Miguel Facussé et les autres grands propriétaires perpétuent cette tradition en réclamant la destitution du directeur de l’INA. Ipso facto, l’intervention des forces de l’ordre n’a pas consisté à rechercher, désarmer et arrêter les responsables matériels (à défaut des responsables intellectuels) du massacre du 15 novembre mais à occuper militairement le siège régional de l’INA, dans lequel sont entreposés tous les dossiers concernant la régularisation des terres au nom du MCA. Les travailleurs de l’INA ont été expulsés des lieux et les cadres locaux promptement remplacés par une commission d’intervention venue de la capitale.
Depuis le 6 décembre les paysans ont repris les blocages de route pour exiger, entre autres, que justice soit faite. Le 7 décembre, un communiqué du MUCA avertissait que la communauté Guadalupe Carney était de nouveau encerclée par l’armée.
Paris, décembre 2010.
1Comme dans d’autres pays d’Amérique latine à la même époque (années 1960-1970), des réformes agraires ont été promues – souvent par des gouvernements militaires comme au Pérou et au Honduras – pour réduire la pression sur les grands latifundia et contrôler le mouvement paysan. Ces politiques étaient par ailleurs en lien avec l’alliance pour le progrès promu par le gouvernement des États-Unis en direction des pays d’Amérique latine. (À ce sujet, on peut consulter une étude comparée sur les restructurations agraires dans les pays d’Amérique centrale : Baumeister, Eduardo, « Iniciativas campesinas y la sostenibilidad de los resultados de la reforma agraria », Popular Coalition/UNRISD, Monograph 1, 1999. Ou Roux, Hélène, « Réformes agraires : enjeu actuel des luttes sociales paysannes ? », dans Le Volcan latino américain, F. Gaudichaud (coord.), Éd. La Discorde, 2008.)
2Le Parti National et le Parti Libéral se sont relayés au pouvoir pratiquement depuis l’indépendance du pays (1821). Il n’existe aujourd’hui pas de différence politique notoire entre les deux formations politiques. Tout au plus les secteurs de l’oligarchie affiliés à l’un ou l’autre parti, se voient ils plus ou moins favorisés lorsqu’un président de « leur parti » est au pouvoir.
3Ley No. 31-92: “Ley para la Modernización y Desarrollo del Sector Agrícola (LMDSA)”. 5 de mars 1992. www.ina.hn/temporal/quienes_historia.php#decreto_31
4Voir Miguel Alonzo Macias (sj), La capital de la contrarreforma agraria: el Bajo Aguán de Honduras, Editorial Guaymuras, Tegucigalpa, 2001.
5Miguel Alonzo Macias (sj), Op.Cit.
6Les faits se rapportent à une attaque le 3 aout 2008 contre des membres du MCA qui occupaient les terres du propriétaire Henry Osorto. Dans l’affrontement dix personnes ont péri : un membre du MCA ainsi qu’un membre de la famille et plusieurs employés du propriétaire. Lors du procès qui s’est ouvert en juin 2010, des peines de 350 ans de prison ont été requises contre les deux accusés : Carlos Maradiaga et Isabel Morales. Les juges concluront à l’innocence du premier et requerront de 15 à 20 ans de prison pour le second.
7Au Honduras, la totalité des médias commerciaux sont liés à des intérêts politiques et économiques puissants. À l’exception de Diario El Tiempo, tous les grands médias ont soutenu activement le coup d’État.
8Il s’agit de pré-accords qui doivent être ratifiés le 17 avril après consultation des bases du MUCA.
9«Letter to the World Bank www.rightsaction.org/articles/Honduras_WB_&_massacre_112110.html», Rights Action, 17 novembre 2010.
roux-helene_mca_aguan_2011-02.pdf (150 KiB)