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Un entretien vidéo et un article. FMAT 2016
Escrito por: Coline Sauzion
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)
Tipo de documento: Vídeo
A l’occasion du Forum Mondial sur l’Accès à la Terre (FMAT) qui s’est tenu à Valencia les 31 mars, 1er et 2 avril 2016, Alo Yayo Barule et Sanaya Alo, deux Afars éthiopiens, sont venus témoigner de l’impact du développement de l’agro-business dans leur région. Ce peuple d’éleveurs semi-nomades assiste en effet à l’appropriation croissante des meilleures terres de pâturages de la région par des entreprises nationales ou transnationales, processus qui le condamne progressivement à la disparition. Lorsque nous les avons interrogés sur l’objectif de leur venue au FMAT, ils ont répondu, unanimes : « Nous sommes là pour lancer un appel à l’aide ».
Retrouvez ci dessous un entretien vidéo avec les deux éleveurs Afars rencontrés au FMAT, ainsi qu’un article expliquant leur situation.
Partout sur la planète, les États voient d’un mauvais œil les populations nomades et tentent de forcer leur sédentarisation et leur inscription dans des structures nationales. Autonomes et mobiles, ces populations difficiles à contrôler sont souvent assimilées à des rebelles et considérées comme des obstacles au « développement ». Ainsi, les relations entre l’État éthiopien et le peuple Afar ont toujours été conflictuelles. Les Afars se sont toujours opposés au pouvoir central qui tente d’établir un contrôle sur leur territoire et de mettre par là même en péril leur autonomie et leur mode de vie. Surtout, comme ailleurs dans le monde, l’activité pastorale en Éthiopie n’est pas considérée comme une perspective de développement pour le pays. L’État éthiopien ne reconnaît pas l’importance économique du pastoralisme et préfère miser sur l’agriculture industrielle de grande échelle en livrant les terres de pâturages à des investisseurs, étrangers ou nationaux, au détriment des populations Afars qui ne disposent d’aucun droit sécurisant leur accès à la terre.
La réforme agraire de 1975, et l’implantation de fermes d’État sur le territoire Afar qui s’en suivit, avait déjà entravé l’activité pastorale des Afars et amplifié les effets de la famine dans cette région. Aujourd’hui, l’État éthiopien met de grandes surfaces de terres du pays à disposition des investisseurs étrangers à des conditions très avantageuses 1: outre un accès à la terre quasiment gratuit, des prêts à taux d’intérêt très faibles sont accordés aux investisseurs qui sont aussi souvent exonérés d’impôts pendant les premières années suivant leur « installation ». Une militante Afar rencontrée en France nous avance :
« Il est très facile d’obtenir les autorisations pour s’installer, tu vas à l’ambassade et tu ressors direct avec les autorisations pour investir, le gouvernement invite tout le monde à venir ! Parfois ce sont des prête-noms éthiopiens mais on sait que derrière il y a des investisseurs étrangers. ».
Ainsi, les Afars, déjà fortement affectés par la sécheresse 2, se voient petit à petit dépossédés de leur territoire par des entreprises agro-exportatrices 3 qui viennent implanter sur leurs terres, avec les encouragements de l’État éthiopien, de vaste projets de plantations industrielles très consommateurs en ressources naturelles (terres et eau) et en intrants chimiques. Comme d’autres pays d’Afrique de l’Est, l’Éthiopie encourage notamment sur son territoire le développement du secteur de la floriculture à destination des marchés internationaux. De nombreuses entreprises hollandaises productrices de roses se sont ainsi installées dans la région Afar, comme nous l’ont indiqué nos deux témoins. De même, la culture de la canne à sucre est en plein développement dans la région 4. Le gouvernement éthiopien affiche en effet l’ambition de devenir l’un des premiers producteurs de sucre mondial, quitte à livrer des milliers d’hectares de terres le long de la rivière Awash à des entreprises étrangères au détriment des populations qui en faisaient usage auparavant. Sanaya Alo témoigne ainsi :
« Avant il y avait la possibilité pour notre bétail d’aller pâturer dans les vallées proches du fleuve, mais aujourd’hui ces vallées sont occupées par des investisseurs et tous les arbres sont complètements déracinés. On perd notre bétail et, depuis 4 ans, il y a une sécheresse et un gros risque de famine. Avant on était des éleveurs, tous le monde nous connaissait pour ce qu’on était, mais aujourd’hui on n’est pas des éleveurs, on n’est pas de agriculteurs, vraiment on est en perdition. ».
Sanaya Alo nous explique que lorsqu’une tête de bétail s’introduit par mégarde dans le périmètre d’une plantation industrielle elle est souvent « prise en otage » par le personnel de surveillance de la plantation qui demande alors à l’éleveur qui voudrait récupérer son animal de payer une « rançon », ce qu’il n’est généralement pas en mesure de faire. Ainsi, le développement de l’agriculture industrielle en région Afar ne cesse de réduire l’espace de vie de ces populations qui doivent en plus faire face à des conditions climatiques de plus en plus rudes.
Aussi, l’accaparement des terres se couple avec un accaparement de la ressource en eau :
« Là où il y avait l’eau, à cause des barrages que les investisseurs ont fait, les gens ont soif maintenant. C’était une région d’élevage mais c’était aussi un grenier, c’était le seul endroit de la région Afar où on cultivait le maïs, et aujourd’hui, à cause de ce barrage, ces cultures vivrières ont été complètement anéanties. (…) La situation est terrible, car la région Afar c’est une région semi-désertique, et le seul fleuve, Awash, qui dessert cette région est aujourd’hui entre les mains des investisseurs qui empêchent la population de se fournir en eau. Aujourd’hui on a le problème de la soif non seulement pour le bétail, non seulement pour les cultures, mais aussi pour les hommes. » témoigne Alo Yayo.
Ainsi, dans un contexte où la sécheresse sévit depuis quatre ans, l’essentiel du débit de l’Awash est accaparé par les investisseurs qui installent des barrages et des pompes tout le long du fleuve pour irriguer leurs cultures. L’eau en vient à manquer terriblement, le bétail meurt à petit feu et la population est contrainte de s’approvisionner auprès des quelques citernes d’eau que l’État régional envoie pour la ravitailler. De plus, l’Awash est aujourd’hui pollué par les pesticides utilisés pour les monocultures implantées près du fleuve et par les usines de transformation de la canne à sucre qui y déversent leurs eaux usées. Alo Yayo et Sanaya Alo ont évoqué à plusieurs reprises les nombreux dégâts environnementaux causés par la mise en place de monocultures intensives sur les anciennes terres de pâturage, parmi lesquels la destruction d’arbres centenaires et de plantes prisées par le bétail.
Un autre fléau qui s’abat sur les Afars - venant prospérer sur les ruines du dénuement dans lequel sont plongées les populations suite à la perte de leurs terres ancestrales - est l’expansion du wahhabisme saoudien et de l’islam radical qu’il propage. L’Arabie Saoudite, l’un des grands « investisseurs » présent dans la région Afar vient aussi semer son idéologie wahhabite dans les groupements Afars, pratiquants jusqu’ici un islam sunnite combiné avec des coutumes et croyances traditionnelles. Comme en témoigne Alo Yayo : « Ils viennent nous expliquer que si on perd nos terres, si nos animaux meurent de soif et nos enfants de faim, c’est parce que nous sommes de mauvais musulmans ». Les prédicateurs wahhabites se rendent en effet jusque dans les villages pour forcer les Afars à faire table rase de leurs traditions, en leur interdisant notamment de se réunir lors de veillées nocturnes et d’observer les constellations, comme ils ont l’habitude de le faire, ou encore en prohibant leurs coiffures, rites de possession, danses et chants traditionnels. Alo Yayo, poète et auteur-compositeur, nous dit :
« Le chant et la poésie sont pour moi une forme de résistance. La perte de nos terres et la perte de notre culture coïncide, donc la résistance par les mots n’est autre que la résistance pour la terre. La perte de nos terres nous déculture, donc je choisi de perpétrer cette culture par les mots et les chants. ».
Une militante féministe Afar nous apporte un autre témoignage à propos de l’influence des wahhabites :
« Ils obligent les femmes Afars a porter des T-shirt pour couvrir leur poitrine. Les saoudiens envoient des conteneurs de T-shirt. Désormais, dans certains villages Afars, toutes les femmes portent le même T-shirt ! Aussi, ils annulent tous les effets de la lutte contre l’excision menée par certaines associations dans ces régions en venant dire de ne pas écouter des non-musulmans et d’exciser leurs femmes. ».
Elle poursuit :
« Si certains résistent à l’avancement de ces idéologies destructrices et intolérantes, les moyens sont très disproportionnées, les saoudiens ont énormément de moyens financiers. (…) Le gouvernement éthiopien semble laisser faire, il laisse ces prédicateurs prospérer, il les laisse s’organiser et préfère réprimer les syndicalistes ou les journalistes qui dénoncent ces situations. ».
Les civils Afar qui s’opposent à l’appropriation de leurs terres et de l’eau doivent affronter la violente répression de la police fédérale 5. Ces dernières années, plusieurs Afars ont été emprisonnés et certains ont été tués lors d’affrontements avec la police. Sanaya Alo témoigne qu’il a lui-même fait un séjour prison pour avoir parlé du problème de l’accaparement des terres et évoquer le terme de « famine » à un journaliste. Aujourd’hui, s’il existe des coopératives d’éleveurs qui tentent de s’organiser contre la disparition de leurs terres, celles-ci ne disposent pas des moyens suffisants pour lutter face à la puissance des acteurs étatiques ou multinationaux. Alo Yayo et Sanaya Alo ont alors rappelé qu’ils ne pourront pas lutter seuls contre leur disparition et ont appelé les autres peuples indigènes et ruraux du monde dont l’existence est bafouée à s’unir pour réaffirmer offensivement leur droit d’habiter le monde.
3 Parmi les acquéreurs figurent en majorité des groupes saoudiens, indiens, ou encore européens, mais certains de ces grands projets agricoles sont aussi aux mains d’investisseurs locaux.