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Escrito por: Michel Merlet
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de Développement (IRAM), Réseau Agriculture Paysanne et Modernisation (APM), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Tipo de documento: Estudio / Trabajo de investigación
Merlet, Michel. Cahier de propositions. Politiques foncières et réformes agraires. Octobre 2012. Réseaux APM,IRAM. 130 p.
4. Les réformes agraires
Une distribution très inégalitaire du foncier entraîne immanquablement des conséquences négatives tant sur le plan social et politique, avec son cortège de pauvreté et de révoltes, que sur le plan économique64. Non seulement l’utilisation des ressources foncières n’est pas optimum, mais le marché intérieur voit son développement bloqué par le très faible niveau de vie des minifundistes, des fermiers ou des métayers. Une redistribution des terres rapide et significative est alors nécessaire avant toute autre intervention, de façon à créer des unités plus petites mieux à même de mettre la terre en valeur et / ou à limiter le poids de la rente foncière sur les exploitants. C’est cette redistribution que l’on appelle réforme agraire.
Il y a eu au cours de l’histoire de très nombreuses réformes agraires, qui ont eu des caractéristiques diverses suivant l’époque et la région. Mais on a souvent appelé «réforme agraire» des interventions de natures fort différentes, dans lesquelles la redistribution des terres à des petits producteurs n’occupaient plus la place centrale et qui n’avaient plus rien à voir avec le concept de réforme agraire:
ainsi, les processus de colonisation de terres vierges ont très souvent en Amérique Latine été abusivement qualifiés de réforme agraire65;
les réformes agraires socialistes en Union Soviétique et dans la plupart des pays d’Europe de l’Est ont connu une période initiale de redistribution des terres des grands domaines, qui a été suivie d’un processus de collectivisation plus ou moins poussé. Une autre utilisation abusive du terme est alors apparue: on a continué à parlé de réforme agraire même quand la phase de redistribution n’avaient plus lieu, quand il y avait d’emblée création de fermes d’Etat à partir des terres expropriées. Pourtant, ce simple changement de propriétaires se produisait sans changement fondamental de structure de production et les implications économiques et politiques étaient toutes autres que dans une véritable réforme agraire qui effectue une redistribution du foncier.
Une fois ce point essentiel clarifié, nous pouvons examiner avec moins de risques d’erreurs les difficultés et les conditions de réussite des réformes agraires.
Les échecs plus ou moins importants de nombreuses réformes agraires amènent aujourd’hui un certain nombre d’analystes à conclure que ces interventions ne se justifient pas compte tenu de leur coût élevé, économique et politique et de leurs faibles résultats.
Nous ne partageons pas cette opinion: il est aisé de montrer que les véritables réformes agraires ont permis des changements d’une grande importance dans les pays qui les ont mises en place, et qu’elles ont été à l’origine de processus de développement vigoureux: cela a été le cas au Mexique, dans une moindre mesure en Bolivie, mais aussi dans l’Europe du Sud, en Chine, au Vietnam, en particulier avec les politiques récentes d’appui aux agricultures familiales dans ce pays.66
Il existe une très grande quantité d’écrits sur les réformes agraires, mais curieusement, bien peu permettent véritablement de tirer des leçons des expériences antérieures. Il n’est pas possible dans le cadre de ce cahier d’aborder toutes les situations qui ont donné lieu à des réformes agraires: que de différences (contextes, modalités) entre la réforme agraire de Taiwan et celle du Nicaragua, entre celle du Mexique et celle du Zimbabwe !
Il est possible de caractériser les réformes agraires de nombreuses façons différentes67, par exemple:
en fonction du type de structure agraire qu’elles modifient. Latifundio / minifundio comme en Amérique Latine, ou systèmes de grandes propriétés travaillées par des métayers ou des fermiers, comme en Asie du Sud-Est
en fonction de leur origine. Ainsi, en Amérique Latine, on se doit de distinguer les réformes agraires d’avant la révolution cubaine, comme la mexicaine, qui était le produit d’un puissant mouvement paysan et celles qui ont été impulsées par l’Alliance pour le Progrès avec un objectif de faire barrage au développement des mouvements révolutionnaires sur le continent, comme la hondurienne et bien d’autres. Dans un même pays comme la Pologne, on pourra trouver des réformes agraires successives aux objectifs et aux contenus complètement différents68.
on peut aussi les différencier en fonction des indemnités versées aux propriétaires, qui ont varié de zéro (réforme agraire cubaine) à des sommes pouvant excéder la valeur marchande des terres (comme dans une période récente au Brésil).
Comme pour les autres parties du cahier, notre objectif se limite à initier un processus d’analyse qui puisse contribuer à la mise en place de politiques plus efficaces et qui puisse être poursuivi par les intéressés, et tout particulièrement par les organisations paysannes.
Nous nous appuierons sur quelques exemples qui font l’objet de fiches détaillées dans la partie deux du cahier (Taiwan, Pologne, Albanie, Zimbabwe), et tout particulièrement sur la comparaison des réformes agraires du Honduras et du Nicaragua (fiches # 8, 9 et 10)
Une question se pose d’emblée à qui a observé l’évolution récente de ces deux pays centraméricains: comment se fait-il qu’une part considérable des résultats de réformes agraires qui avaient été le produit de nombreuses années de luttes et d’efforts ait pu être balayée en seulement quelques années après un changement politique et l’application de politiques néo-libérales ?
Sans reprendre ici en détail les éléments que nous développons dans la fiche # 10, nous pouvons tirer de ces expériences les enseignements suivants.
beaucoup de réformes agraires n’ont pas tenu compte du fait que les structures agraires se modifient en permanence et qu’une certaine mobilité du foncier est nécessaire pour que les exploitations familiales ou coopératives mises en place soient viables.
elles ont voulu imposer des schémas de production collective qui ne correspondaient pas aux revendications des paysans pauvres et qui ne faisaient fi des avantages de la production familiale
elles ont été appliquées depuis le haut par les Etats, en se servant des organisations paysannes comme d’instruments pour appliquer des modèles qui n’étaient pas le produit des luttes paysannes.
elles ont traité le secteur réformé à part, en le mettant sous la protection de l’Etat, avec un régime foncier spécifique et en spécialisant les organisations paysannes qui y travaillaient. Ce faisant, elles n’ont pas permis la mise en place de processus d’apprentissage collectif de la gestion du foncier qui seraient nécessaires à l’avenir pour préserver les acquis et elles ont divisé les mouvements paysans.
enfin, il n’y a pas eu cohérence entre politiques de réforme agraire et politique économique. Quand les contraintes qui pesaient sur les modes d’organisation ont été levées, quand les coopératives se sont parcellées au Nicaragua par exemple, l’abandon brusque des subventions et du crédit a littéralement étranglé économiquement les bénéficiaires de la réforme agraire.
En ce sens, les réformes agraires du Nicaragua et du Honduras sont donc radicalement différentes de celle du Mexique du début du siècle passé.
Le cas de Taiwan est particulièrement instructif par rapport au dernier enseignement que nous évoquions: la réforme agraire dans ce pays a su articuler politique économique et transformations agraires, en prenant soin de protéger au moins temporairement les nouveaux propriétaires des effets du marché mondial, et en retardant la mécanisation lourde pour pouvoir tirer les bénéfices des investissements en travail des paysans (voir la fiche correspondante en partie deux).
Les mécanismes utilisés pour mettre en place les réformes agraires, la place et le rôle respectif des organisations paysannes et de l’Etat, et enfin l’articulation de la réforme agraire avec les politiques publiques agricoles constituent donc des facteurs essentiels pour leur réussite.
L’examen des évolutions postérieures des « secteurs réformés », des tendances et des risques de « contre-réformes » permet de mieux comprendre la réforme agraire comme un processus qui intervient sur les rapports de force et sur les dynamiques et qui doit, de ce fait, pouvoir anticiper sur les évolutions à venir, dans un contexte où l’Etat ne sera plus aussi puissant. Une réforme agraire est toujours une intervention politique. Peu importe d’avancer doucement, si après les premières mesures, la situation est plus favorable qu’auparavant à un approfondissement des transformations agraires. Plus la situation est difficile et plus la réforme agraire est nécessaire (voir la fiche # 4 sur le Zimbabwe, partie deux du cahier), plus ces stratégies sont importantes.
L’exemple du Mouvement des Sans Terres au Brésil est particulièrement instructif sur ces aspects de stratégie de lutte. Ce mouvement a réussi grâce à son organisation, à sa combativité, et à sa stratégie à remettre la question de la réforme agraire à l’ordre du jour de l’agenda politique au Brésil et à impulser une réforme agraire depuis la base. Depuis sa fondation en 1985, 250.000 familles ont obtenu des titres de propriété sur plus de 7 millions d’hectares grâce aux occupations de terre impulsées par le MST69. Il a aussi montré la nécessité aujourd’hui de construire des alliances avec les secteurs urbains pour pouvoir avancer. Il a aussi su évoluer quant à la façon d’organiser les asentamientos, en accordant de plus en plus d’espaces à la production familiale et en renonçant aux dogmes collectivistes70.
Ces quelques exemples illustrent le fait que pour pouvoir transformer de façon durable les structures foncières, il faut éviter de nier l’existence des marchés fonciers et au contraire s’employer à créer des mécanismes permettant de contrôler leurs évolutions.
La Banque Mondiale propose depuis quelques années un modèle alternatif aux réformes agraires d’hier, qu’elle a intitulé « réforme agraire assistée par le marché » puis « réforme agraire basée sur la communauté »71. En souhaitant articuler «réforme agraire» et marchés, ces propositions semblent prendre en compte une des faiblesses des réformes agraires que nous avons analysées précédemment. Mais elles limitent leur action à des interventions qui exigent l’accord mutuel des parties.
Reprenons textuellement ce qu’un texte récent de la Banque Mondiale propose en matière de réforme agraire:
« principes de base pour une réforme agraire réussie (i) être volontaire et basée sur des décisions décentralisées des propriétaires terriens et des bénéficiaires potentiels [de négocier l’acquisition des terres] avec un mécanisme qui permette de s’assurer que les prix ne vont pas augmenter artificiellement du fait du programme; (ii) incorporer une part de subvention fongible, utilisable pour l’achat de la terre ou pour des investissements associés (iii) être associé à un plan d’investissement et un projet économiquement et financièrement viable avant l’installation sur la propriété (iv) être liée à une composante de formation et de renforcement des capacités d’organisation; et (v) être suffisamment bon marché pour pouvoir être reproductible dans le contexte fiscal du pays (ou financé par des impôts). » 72
Ce n’est donc plus de réforme agraire qu’il s’agit, mais d’une intervention sur les marchés fonciers. Et encore n’est-ce qu’une intervention relativement mineure puisqu’elle se contente de permettre le financement par un prêt de l’opération d’achat et de subventionner l’installation des bénéficiaires.
C’est donc à juste titre que les organisations de La Via Campesina aux Philippines, au Brésil au Honduras et ailleurs, se sont élevées vigoureusement contre ce nouvel usage abusif du mot réforme agraire et contre l’intention de remplacer les réformes agraires véritables par un dispositif qui est d’une toute autre nature. Il semble d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus clair que les expériences engagées n’auront pas les résultats annoncés.
Une réforme agraire n’est pas une intervention permanente sur les marchés fonciers destiné à rendre ceux-ci moins segmentés. C’est une mesure d’exception qui répond à une situation qui ne trouve pas de solution satisfaisante par le biais du marché. Si des mécanismes du type de ceux dont la Banque Mondiale fait la promotion peuvent présenter un réel intérêt en permettant un apprentissage d’interventions sur les marchés fonciers de la part d’organisations paysannes ou de l’Etat, il ne peuvent en rien se substituer à une réforme agraire quand la structure agraire exige une intervention radicale, comme c’est le cas par exemple du Brésil.
Ces commentaires nous amènent tout naturellement à examiner maintenant les politiques d’intervention permanente sur les marchés fonciers, là où une réforme agraire n’est pas nécessaire.
64 voir entre autres écrits l’argumentation de STIGLITZ, Joseph. Distribution, Efficiency and Voice: Designing the Second Generation of Reforms. Banque Mondiale. 1998.
65 voir les exemples du Venezuela et du Honduras. Fiches # 7 et # 8. Seconde partie du cahier.
66 voir la fiche # 6. DAO THE TUAN. Vietnam. réformes agraires successives et succès de l’agriculture familiale. Voir aussi dans la partie trois du cahier les fiches DPH 2029 et 2040 rédigées par DIDERON, Sylvie. Chine. Souvenirs du vieux Li, paysan pauvre du nord de la Chine. et Tenure foncière et système des contrats de production entre l’Etat et les paysans en Chine: exemple de Bozhou, canton de la plaine du Nord.
67 on trouve dans le petit livre Les politiques agraires de Marc Dufumier (Paris, PUF, 1986) un bon aperçu de la diversité des réformes agraires.
68 voir fiche correspondante, partie deux du cahier.
69 chiffres donnés par Peter Rosset dans Acceso a la tierra: reforma agraria y seguridad de la presencia. Cumbre Mundial sobre la Alimentación: cinco años después. Aportaciones de la sociedad civil/estudios monográficos. Octobre 2001. Document pour la discussion.
70 Toutefois, la coordination et l’articulation des luttes avec l’autre grand mouvement qui regroupe les petits paysans au Brésil, la CONTAG, reste encore très difficile. On peut y voir un héritage de la façon dont se sont opposés idéologiquement marchés et réforme agraire, production collective et production paysanne.
71 Deininger Klaus. Making negotiated land reform work: Initial experience from Colombia, Brazil, and South Africa. 1999. Banque Mondiale.
72 (traduction de la rédaction du cahier) Land institutions and land policy. Creating and sustaining synergies between state, community, and market. A policy research report. 2001. Banque Mondiale.