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Escrito por: Gwenaëlle Mertz
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Institut d’étude du développement économique et social (IEDES), Université Paris1 Panthéon Sorbonne
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
Léon Walras (1834-1910) est un économiste français, fondateur de l’école de pensée de Lausanne. Il est surtout connu pour le versant mathématique de sa pensée, qu’il nomme l’économie pure, avec son modèle d’économie générale, le premier du genre, et sa contribution au courant marginaliste. Pour ce travail, il est considéré comme appartenant à l’école néoclassique, qui a depuis repris ses théories pour les approfondir, et est donc catégorisé comme un défenseur du marché et de son efficacité dans la mesure où il prônait la libre-concurrence.
Mais à côté de ce pan le plus célèbre de sa pensée, Walras a défendu quelques idées qui n’ont rien de libérales et ce sont elles qui l’ont éloigné, ainsi que son père, lui aussi économiste, de la reconnaissance de ses contemporains, français au moins. Tout d’abord, il a participé à un vaste mouvement en faveur des coopératives, tant de production que de consommation et de crédit. Il y voyait un très bon moyen de satisfaire les désirs d’ascension sociale des citoyens d’une démocratie sans perturber le fonctionnement du marché. Il s’opposait fermement aux monopoles, et pour les domaines où ils étaient inévitables, il préconisait leur gestion publique. Enfin, et c’est là le sujet qui nous intéresse, il a toujours prôné, tout comme son père, la nationalisation des terres.
Son approche de la question foncière est dans la droite ligne de tous ses écrits, très rationnelle. S’il n’a pas mis en équation et en graphique ses réflexions, il ne cherche pas non plus une éthique de la propriété mais plutôt sa logique.
Le droit de propriété doit être différent selon les choses auxquelles il s’applique
« Le droit de propriété d’une personne sur une chose est le droit, pour cette personne, d’appliquer cette chose à la satisfaction d’un besoin, même en la consommant […] La personne investie du droit de propriété sur une chose a le pouvoir moral d’appliquer cette chose à satisfaire le besoin qu’elle en éprouve, et les autres personnes auront l’obligation morale de respecter le droit des premières […] Les choses à propos desquelles s’exerce le droit de propriété sont les choses qui sont à la fois utiles et limitées dans la quantité, les choses rares, ou la richesse sociale. La richesse sociale se compose de biens durables qui servent plus d’une fois et de biens fongibles qui ne servent qu’une seule fois, autrement dit de capitaux et de revenus que nous classerons sous les sept chefs ci-après…»1
Il classe la terre et les facultés personnelles comme des capitaux car « ils survivent au premier usage qu’on en fait ». Il les distingue des capitaux artificiels qui ne sont ni des capitaux personnels, ni fonciers. Enfin il définit les services des terres (rente), les facultés personnelles (travaux), les capitaux artificiels (profits) qui sont des revenus, et les produits. Il ajoute ensuite à sa théorie :
« Le propriétaire d’une chose est propriétaire du service de cette chose. Qui peut le plus peut le moins. Celui qui a le droit de consommer une chose immédiatement a le droit de la consommer à la longue, autrement dit, d’en consommer seulement le service. Ainsi les propriétaires de terre seront propriétaires des rentes, les propriétaires des capitaux artificiels seront propriétaires des profits. »2
Puis :
« Le propriétaire d’une chose est propriétaire du prix de cette chose. Celui qui a le droit de consommer une chose a le droit de la vendre. Il sera propriétaire de la chose qu’il aura achetée, ou reçue en retour de celle qu’il aura donnée, soit dans un troc en nature, soit dans un échange effectué sur le marché, conformément au mécanisme de la libre concurrence ou de l’enchère et du rabais. Il le sera, du moins, si ce mécanisme ne le favorise pas au dépens de sa contrepartie. »3
Tous les droits de propriété découlent du droit de propriété sur les facultés personnelles (propriété de l’individu) et sur les terres (propriété de l’État)
Il démontre que pour tous les types de choses, le droit de propriété qui les touche vient toujours en premier lieu de celui sur la terre et de celui sur les facultés personnelles et c’est donc ce qu’il cherchera à définir.
« Les facultés personnelles sont de droit naturel la propriété de l’individu. En d’autres termes, toute personne s’appartient à elle-même, parce que toute personne, c’est-à-dire toute créature raisonnable et libre, a le droit et le devoir de poursuivre elle-même sa fin, d’accomplir elle-même sa destinée, et est responsable de cette poursuite, de cet accomplissement. Ici s’applique le principe de l’inégalité des positions qui veut que nous jouissions en proportion de nos efforts. […] D’ailleurs, l’individu étant propriétaire de ses facultés personnelles, sera propriétaire de son travail, et propriétaire de son salaire, ainsi que des produits, revenus consommables ou capitaux neufs, acquis par lui avec son salaire. »4
Une fois ceci énoncé, il affirme :
« Les terres sont de droit naturel la propriété de l’État. En d’autres termes, les terres appartiennent à toutes les personnes en commun parce que toutes les personnes raisonnables et libres ont le même droit et le même devoir de poursuivre elles-mêmes leur fin et d’accomplir elles-mêmes leur destinée, et sont au même titre responsables de cette poursuite et de cet accomplissement. Ici s’applique le principe de l’égalité des conditions qui veut que nous puissions tous profiter également des ressources que la nature nous offre pour exercer nos efforts. Or du point de vue économique, dire que l’homme n’est une personne morale que dans la société et par la société, que tous les hommes, dans la société, sont également des personnes morales et doivent pouvoir profiter également des ressources naturelles qui leur sont offertes pour poursuivre leur fin et accomplir leur destinée, c’est dire que les terres appartiennent à l’État.
L’État étant propriétaire des terres sera propriétaire des rentes, et propriétaire des fermages ainsi que des produits, revenus consommables ou capitaux neufs, acquis par lui avec ses fermages. Il subsistera au moyen de ces revenus, sans demander à l’individu ni à titre d’impôt ni à titre d’emprunt et en outre laissera aux générations postérieures, des capitaux, non seulement entretenus, mais agrandis, accrus et multipliés, comme les générations antérieures en auront laissé à lui-même.
Les terres n’appartiennent pas à tous les hommes d’une génération; elles appartiennent à l’humanité, c’est-à-dire à toutes les générations d’hommes. Si la société était un fait conventionnel et libre, les individus contractant pour l’établir pourraient décider un partage égal des terres entre eux; mais, si elle est un fait naturel et nécessaire, toute aliénation des terres est contraire au droit naturel parce qu’elle lèse les générations futures. En termes juridiques, l’humanité est propriétaire, et la génération présente est usufruitière des terres.»5
Il fait ensuite un historique de la propriété de la terre, en la reliant à différents temps de la société.
« C’est, en général, en inaugurant le régime agricole que les sociétés ont partagé les terres entre les individus, évidemment dans cette persuasion que la division de la propriété était nécessaire à la division de la culture. Il ne serait guère difficile de montrer, par l’histoire, qu’en amenant ainsi, au bout d’un certain temps, le partage de leurs membres en propriétaires et prolétaires, et en faisant apparaître l’inégalité des conditions à côté de celle des positions, elles se sont préparées des difficultés qui ont entraîné leur décadence. Mais il est plus intéressant de montrer comment la plupart d’entre elles, obéissant à la nature des choses par instinct profond, ont eu soin de faire servir, en grande partie, le plus ou moins de rente et de fermage qui existe dans l’état agricole à défrayer les services publics. »
Il explique qu’en ce qui concerne le Moyen-Âge en Europe, les propriétaires des terres qui recevaient la rente (seigneurs, Église, Universités, hôpitaux, …) étaient dans le même temps chargé de remplir les charges « d’intérêt général » qui consistaient à l’époque en la justice et la guerre afin de protéger le royaume. Or au fur et à mesure, ces charges sont revenues à l’État alors que la terre est restée entre les mains de l’ancienne aristocratie féodale. La Révolution qui aurait pu rétablir l’équilibre a en fait vendu tous ces biens à des particuliers, ratant là une occasion historique. Dans d’autres sociétés, un système de partage épisodique de la jouissance des terres s’est maintenu jusqu’au début du XXe siècle, comme les allmends en Suisse. Cependant, pour Walras, il est désormais impossible de revenir à ce type de gestion des droits de propriété.
« Quelques économistes bien intentionnés comme Laveleye, ont prétendu nous ramener à cette forme sociale; mais ils ont négligé de considérer une chose : c’est que nous sommes en train, dans ce moment, de passer de l’état agricole à l’état industriel et commercial. Or, dans ce dernier régime, il y a, à côté de la population agricole, une population industrielle, une population commerçante, une population de gens exerçant des professions libérales, et enfin une population de fonctionnaires publics : cinq populations pour une à nourrir; dès lors, l’agriculture doit se transformer complètement, devenir d’extensive intensive, s’exercer en grand et sur le pied d’un large emploi de capital, double condition, technique et économique, tout à fait contraire au système de l’allmend. Puis, que feraient les non-agriculteurs de leur lot de champ cultivable, de pâturage et de forêt? Et enfin, où l’État trouverait-il le revenu dont il a besoin, dans l’état industriel et commercial, pour des services publics devenus si nombreux et si importants? Que l’État, propriétaire des terres, les afferme à des entrepreneurs de culture et consacre le montant des fermages aux services publics qui seront gratuits; et ainsi l’égalité des conditions subsistera à côté de l’inégalité des positions et la justice sera satisfaite sous ses deux formes. »6
La terre doit appartenir à l’État et tous les autres capitaux aux individus
Il insiste bien sur la différence à faire entre les différents capitaux, ceux issus du travail et de l’épargne et les autres. Les premiers doivent appartenir aux individus sans restriction. L’État lui-même ne doit pas en prélever une part par le biais d’impôt. Dès lors, la solution qui s’impose est celle d’un impôt unique sur l’utilisation des terres qui lui appartiendraient, dans la mesure où elles ne sont pas le fruit du travail ni de l’épargne.
« Au nom de l’utilité, comme de l’équité, je fais donc tomber dans le domaine individuel, avec les facultés personnelles, les capitaux créés avec des salaires. Je considère qu’un intérêt urgent, pour une société arrivée au régime industriel et commercial, est de posséder une masse énorme de capitaux engagés dans l’agriculture et dans l’industrie proprement dite. Or, ces capitaux ne peuvent naître que de l’épargne individuelle ou collective, et j’estime que, sans la propriété individuelle des capitaux épargnés et de leurs intérêts, il n’y aurait pas plus d’épargne individuelle qu’il n’y aurait de travail sans la propriété des facultés personnelles et des salaires. Dans un cas comme dans l’autre, je me confie au mobile de l’intérêt privé, au stimulant et du désir de la consommation immédiate ou différée. Peut-être un jour viendra-t-il où l’homme travaillera et épargnera sous l’impulsion unique de l’amour d’autrui, ou en vertu d’un instinct passionné comme font les fourmis et les abeilles. Mais contrairement au sentiment des communistes - fraternitaires et des Fouriéristes, j’estime que nous n’en sommes pas là et que, pour une longue période de vie humanitaire, qui s’ouvre devant nous, nous avons à prendre l’homme avec une base animale et un couronnement proprement humain, égoïste d’abord, altruiste ensuite. »7
Il se positionne donc clairement contre la propriété privée individuelle pour son incohérence en terme de logique et surtout pour tous les torts qu’elle cause à la société.
« en établissant la propriété foncière individuelle dans l’intérêt de l’agriculture, on tourne le dos au but, et l’on contrarie les bons effets de la libre concurrence en empêchant les terres d’aller aux emplois les plus avantageux pour la société. Si c’est la grande propriété qu’on favorise, on verra des portions du territoire demeurer, sous l’influence d’une vanité irréfléchie, à l’état de parcs ou de réserves de chasse; si c’est la petite, on en verra rester livrées, par l’effet de l’ignorance et de la routine, à la culture la plus arriérée. »8
Il rejette autant la position libérale sur le sujet pour la faiblesse scientifique de ses arguments qui associent la liberté à la propriété privée individuelle que celle du communisme ou collectivisme pour son manque de réalisme vis-à-vis du besoin pour l’homme d’avoir une récompense personnelle à ses efforts. Pour lui, sa proposition répond au but des communistes, c’est-à-dire de supprimer la « féodalité foncière », soit l’inégalité ou l’injustice qui permet à quelques uns de tirer profit de leur situation au détriment de tous les autres. S’ils craignent que laisser une part de propriété individuelle ne réoriente la société vers cette situation, Walras affirme le contraire.
« Je n’ai pas cette crainte, parce que, dans la société nouvelle telle que je la conçois, on aurait supprimé les véritables causes et conditions de cette féodalité qui sont la propriété foncière et les monopoles : la propriété foncière, en permettant aux détenteurs des terres d’en vendre le service à un prix proportionnel à sa rareté, c’est-à-dire à un prix toujours croissant dans une société progressive ; les monopoles, en permettant aux entrepreneurs de certaines industries concentrées dans leurs mains, soit naturellement, soit artificiellement par des privilèges ou des coalitions, de fixer la quantité de produits en vue d’un écart, et de l’écart maximum, du prix de vente sur le prix de revient. Cherchez en Amérique, l’origine des fortunes colossales des milliardaires qui se font en quelques années, vous trouverez des spéculations sur la plus-value des terrains et des exploitations d’entreprises sans concurrence, le plus souvent les deux opérations combinées […] Dans une société rationnelle, sans propriété foncière et sans monopoles, les capitaux individuels ne peuvent généralement résulter que de l’épargne individuelle, c’est-à-dire d’un excédent des salaires sur la consommation; »9
Pour lui, dans la société qu’il conçoit, ce sont les travailleurs qui possèderaient des parts de leurs entreprises avec leur propre épargne. La propriété des moyens de productions (hors terre) seraient donc divisée en parts infimes, assurant ainsi que l’intérêt général prévaudrait quoiqu’il arrive. C’est en ce sens que sa volonté de nationaliser les terres sans abolir la propriété privée individuelle rejoint son autre conviction hétérodoxe : le bien-fondé des coopératives. En évitant la concentration de la propriété, la société assurer la meilleure répartition des richesses qui soit. Il existe cependant des domaines où les monopoles sont naturels (inévitables).
« Sur ce terrain j’abandonnerais à l’État la production exclusive des services publics, et j’appellerais son intervention pour exercer ou constituer les monopoles naturels et nécessaires sur le pied de l’exploitation dans l’intérêt du public, c’est-à-dire de la vente des produits au prix de revient et non au prix du bénéfice maximum; mais je réclamerais pour l’initiative individuelle toutes les entreprises où la libre concurrence indéfinie ne rencontre pas d’obstacles. »[>10]
Commentaires
La théorie de Walras concernant la propriété des terres est originale à plusieurs points de vue.
En premier lieu, la force de cette théorie est sa volonté d’adaptation à une société industrielle, moderne, où la majorité de la population ne fait pas partie du secteur agricole. Elle ne peut donc pas subir les accusations d’archaïsme habituellement formulées à l’égard de ceux qui préconisent un partage des terres entre toute la communauté. Il ne s’agit pas de revenir à une société préindustrielle mais bien d’adapter les droits de propriété de la terre à une société moderne sans pour autant sacrifier la justice sur l’autel d’une prétendue efficacité économique. Walras propose une théorie de la propriété limitant les inégalités tout en n’empêchant pas de répondre aux défis de nourrir une population croissante et de moins en moins agricole.
Dans le même temps, l’État en tant que propriétaire des terres se trouve en charge du choix quant à leur exploitation. À la différence d’un partage des terres équitable entre particuliers, le monopole de l’État sur la terre, considérée comme un bien communautaire, lui permet de définir en respectant l’intérêt général les orientations à donner à cette exploitation. Il est en mesure de sélectionner les projets les plus bénéfiques pour la communauté, assurant en plus de la socialisation de la terre, sa contribution au bien-être de toute la population sans exception, ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsque ce sont les intérêts individuels qui prévalent.
D’autre part, l’originalité de la position de Walras tient à ce qu’il se situe entre deux courants opposés : les communistes et les libéraux. Son talent est d’arriver à faire la synthèse entre les deux, en acceptant le meilleur de chacune et en rejetant tout ce qu’elles contiennent de dogme. Il réussit à construire une théorie qui, si elle n’est pas parfaite, s’en tient au maximum à la logique et ne semble pas chercher à défendre à tout prix des convictions personnelles. On a l’impression que c’est sa réflexion qui l’a conduit à ses convictions et non l’inverse.
Cependant, si d’un point de vue théorique l’ensemble est cohérent, le côté pratique de son œuvre manque et c’est au lecteur de chercher comment mettre en œuvre ses idées sans trahir sa philosophie unique en son genre.
1 Léon Walras, Études d’économie sociale : théorie de la répartition de la richesse sociale, « Théorie de la propriété », p 205-206, éd F. Pichon, Paris, 1896.
2 Léon Walras, Op cit., p 207.
3 Léon Walras, Op. cit., p 208.
4 Léon Walras, Op. cit., p 214-215.
5 Léon Walras, Op. cit., p 218-219.
6 Léon Walras, Op. cit., p 221-222.
7 Léon Walras, Op. cit., p 222-223.
8 Léon Walras, Op. cit., p 224-225.
9 Léon Walras, Op. cit., p 237.
10 Léon Walras, Op. cit., p 238-239.