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Intervention de Michel Merlet (AGTER) à la tribune de l’ICCARD, Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural. Session # 3 de la Commission # 1. Porto Alegre. 9 Mars 2006.
Escrito por: Michel Merlet
Fecha de redaccion:
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
Les points que nous abordons ici sont développés dans le document thématique numéro deux, préparé par Michel Merlet, Samuel Thirion et Vicent Garcés. Vous y trouverez des explications et des exemples beaucoup plus complets et une bibliographie de référence.
Introduction
Pour pouvoir lutter efficacement contre la faim et la pauvreté dans le monde, il faut s’attaquer aux véritables racines, aux véritables causes de la crise actuelle, qui a été largement évoquée au cours de la conférence. La situation actuelle est inacceptable en terme de justice sociale, mais elle est aussi insoutenable au niveau économique et du point de vue écologique.
Permettez-moi de rappeler rapidement la nature de la crise. Avec la mise en concurrence sur le marché mondial d’agricultures aux niveaux de productivité très différents, des groupes sociaux entiers, des millions de producteurs perdent tout accès à la terre et aux ressources naturelles qui les faisaient vivre jusqu’à présent. Les formes de production paysannes sont massivement et irréversiblement détruites. Une agriculture d’entreprise modernisée, l’agronegocio, se développe en profitant de conditions artificielles et passagères, des coûts du travail et des prix de la terre excessivement bas. Cette grande production modernisée se traduit par des espaces ruraux désertifiés, par des problèmes sociaux, économiques et écologiques sans solutions. Elle fait chuter encore plus les prix agricoles et accélère la ruine des paysanneries familiales.
Il a été historiquement prouvé que les formes de production paysannes sont les plus à même de satisfaire les besoins alimentaires de l’humanité et de préserver les ressources naturelles, à condition qu’elles disposent de moyens de production adéquats et qu’elles aient accès à la terre en quantité suffisante.
C’est pour cette raison que la ruine et la disparition accélérée et irréversible des sociétés et des structures paysannes à l’échelle mondiale sont catastrophiques pour l’humanité toute entière.
La crise économique, sociale et écologique menace la paix et la survie de l’humanité. Trouver des solutions à cette crise constitue le défi central des années à venir.
Il est vital pour nous tous, et pas seulement pour les secteurs paysans directement concernés, de stopper ces processus au plus vite et de trouver des voies de développement rural durable qui permettent des évolutions et une modernisation plus conforme à l’intérêt général.
Il y a bien urgence. Les conclusions remarquables de la conférence de 1979 sont restées sans effet, les engagements des Etats n’ont pas été tenus, et les organisations internationales n’ont pas pu peser de façon efficace pour qu’il en soit autrement. Les logiques politiques de court terme restent prépondérantes, et la faible représentation des intérêts des pauvres au sein des parlements a été soulignée maintes fois.
Il faut absolument trouver comment dépasser les blocages actuels. La conférence a laquelle nous participons et que la FAO a fort justement convoqué n’a pas le droit à l’échec: dans vingt ans, il sera trop tard. Mais il n’y a pas de recette toute faite, que nous pourrions proposer d’ores et déjà comme résultat des débats. Les solutions sont à construire avec les acteurs et c’est en cela que le renforcement des capacités des différents acteurs est essentiel.
Les principaux besoins de renforcement des capacités
Aujourd’hui, ni les Etats, ni les Organismes Internationaux ne sont en mesure de mettre en place des politiques susceptibles d’enrayer les dynamiques de réduction massive de l’accès à la terre et aux ressources naturelles. Ils ne savent pas non plus comment impulser des processus efficaces de correction d’inégalités qui sont de plus en plus grandes.
Les Etats sont des acteurs décisifs pour que les politiques publiques puissent changer. Renforcer leurs capacités d’intervention et de définition de politiques est donc tout à fait essentiel.
Mais les droits des citoyens de demain et les alternatives aux impasses d’aujourd’hui se construisent aussi depuis le bas, par les luttes des organisations de producteurs et des ruraux, grâce aux innovations de la société civile. Ces organisations ont depuis toujours joué un rôle essentiel dans la construction de nouveaux cadres juridiques et de nouvelles politiques. Toutefois, elles n’ont pas non plus de solutions toutes prêtes à proposer.
Notre responsabilité à tous, fonctionnaires des Nations Unies, membres des délégations gouvernementales, dirigeants paysans, universitaires ou membres d’organisations non gouvernementales est considérable. Nous ne pouvons nous satisfaire d’un discours général qui ne nous permet pas d’avancer dans la discussion. Nous n’avons plus le choix. Il nous faut être extrêmement exigeants, critiques, voire impertinents; il nous faut trouver collectivement une alternative qui obligera chacun d’entre nous à remettre en cause un certain nombre de ses idées.
Commençons par rappeler ici quelques problèmes centraux actuellement sans solution qui impliquent de construire de nouvelles compétences.
Les processus de réforme agraire redistributive sont plus que jamais nécessaires, mais ils exigent des conditions politiques particulières qui ne durent en général pas longtemps et dont il faut savoir profiter. On peut réclamer une réforme agraire authentique et totale, mais cela n’est pas suffisant pour la réaliser. Hier au Nicaragua, aujourd’hui au Brésil ou en Afrique du Sud, des pays où il était indispensable de faire une réforme agraire redistributive, on constate qu’il n’est pas facile d’obtenir des résultats significatifs et durables.
Une relecture des succès et des échecs des réformes agraires redistributives du passé est nécessaire, à froid, avec le recul du temps, hors des contextes de luttes politiques et idéologiques qui marquent toujours ces moments particuliers.
Il nous faut comprendre comment nous pouvons créer les rapports de force nécessaires pour avancer pas à pas dans les processus de réforme. Il nous faut décider quelles alliances sont indispensables, en interne ou avec des forces qui dépassent le cadre national.
Les acquis des redistributions de terres doivent pouvoir durer. Une réforme agraire n’est qu’un moment, qui s’inscrit dans une stratégie beaucoup plus longue.
Des modalités d’appui, spécifiques et diversifiées, sont nécessaires pour pouvoir tirer les leçons des expériences historiques.
Il est possible d’intervenir d’autres façons dans la durée, en combattant les appropriations illégales, en régulant les marchés fonciers, en sécurisant les droits d’usage des producteurs et pas seulement les droits des propriétaires du sol. Aucune de ces pistes n’est à négliger.
En sécurisant les droits d’usage des fermiers, de ceux qui prennent la terre en location, on peut, sous certaines conditions, obtenir des effets semblables à ceux d’une Réforme Agraire redistributive sans toucher à la propriété formelle
Les expériences de lutte contre l’appropriation illégale de terres au Brésil (grilagem) et contre les concessions forestières illégales sont une autre voie intéressante
Il faut profiter des crises périodiques que connaît la grande production, pour créer des mécanismes permettant de décloisonner les marchés fonciers, de faire en sorte que les grandes unités puissent être morcelées et vendues à de plus petits producteurs.
Des politiques permettant d’accompagner l’évolution des structures agraires de façon à les rendre compatibles avec l’intérêt des majorités sont aujourd’hui indispensables. Qu’est-ce que cela veut dire? Que les mécanismes traditionnels de fonctionnement des cellules familiales, les héritages inégaux ou la migration vers des espaces vierges, ne suffisent plus pour qu’ait lieu une modernisation des unités de production en conformité avec l’intérêt national! C’est le cas en Chine, mais aussi en Albanie, au Vietnam, là où des réformes agraires radicales ont été conduites, mais aussi partout où la production familiale marchande existe. L’expérience des pays européens est fort intéressante à ce niveau.
Des politiques d’intervention sur les marchés fonciers sont possibles et nécessaires, sur les marchés des biens immobiliers mais aussi des marchés locatifs.
Des mécanismes de gestion conjointe entre les habitants, les producteurs, l’Etat sont indispensables.
Comment reconnaître et sécuriser les droits des petits producteurs?
Les cadastres exproprient autant qu’ils sécurisent. Pourquoi? Parce qu’il y a toujours de nombreuses personnes ou instances collectives qui ont des droits sur une même parcelle de terre et que la privatisation ne sécurise souvent qu’un seul ayant-droit.
La maintenance des registres fonciers et des cadastres pose des problèmes insolubles pour les petits usagers.
La définition des droits concernés et l’établissement de mécanismes de gestion flexibles, qui se renforcent avec le temps est complexe et rarement atteinte.
Aider à l’émergence de nouvelles formes de gouvernance
Les sociétés humaines n’arrivent plus à créer ni à adapter leurs propres institutions à un rythme suffisamment rapide pour suivre celui des changements techniques et économiques. Elles ont donc besoin d’appuis spécifiques, de mécanismes novateurs, afin de renforcer leurs capacités et d’être plus efficaces.
L’analyse des prémices de nouvelles formes de gouvernance montre clairement que ni les Etats, ni les instances de la Société Civile ne pourront arriver seuls à relever les défis du vingt-et-unième siècle.
C’est en travaillant la dialectique des relations entre Etats et Société Civile et en s’appuyant sur les expériences les plus avancées que l’on pourra mettre en place et de nouvelles modalités de gouvernance pour un développement rural durable et équitable. C’est ainsi que l’on peut progresser vers les nouvelles formes de régulation dont nous avons besoin pour sortir de l’impasse actuelle.
Dialogues territoriaux, dialogues verticaux entre niveaux, subsidiarité active et « autonomie en échange de responsabilité » en constituent des briques essentielles et complémentaires. Ces dialogues ne sont possibles que s’il existe un minimum de confiance, et c’est aux Etats, et aux organismes internationaux de contribuer à créer les conditions requises.
Les méthodes pour réussir ce renforcement des capacités
Construire des compétences, plutôt que transmettre des connaissances
Les transferts de connaissance peuvent être plus négatifs que positifs. Les situations diffèrent dans le temps et suivant les régions. Chaque situation demande une réponse spécifique et sui generis.
Mais les références externes sont toutefois plus utiles que jamais. Nous y reviendrons.
Travailler aux différents niveaux sur la base de dialogue, et de création de relations de confiance
un travail simultané de réflexion au niveau local, national, régional, mondial est incontournable, dans le contexte de mondialisation actuel
Changer de lunettes pour changer de regard
Il nous faut avoir le courage de remettre en cause certaines idées dominantes, et les concepts que nous utilisons qui sont souvent inadaptés, incompréhensibles ou intraduisibles. Ils ne peuvent pas rendre compte de la diversité. On parle de la perte de biodiversité, mais il y a aussi au niveau de l’humanité une gigantesque perte de diversité conceptuelle. Pourquoi les concepts élaborés au sein de l’empire anglais ou au moment de la révolution française permettraient de rendre compte de la réalité du monde d’aujourd’hui? Nous avons déjà beaucoup de mal à traduire le mot français propriété (au singulier) par ownership en anglais, et n’arrivons pas à traduire property rights simplement en français. Nous ne réussissons pas à transcrire ces concepts en langues « indigènes », mais nous ne nous préoccupons presque jamais de traduire les concepts spécifiques des peuples indigènes en français ou en anglais! Cette réflexion sur le sens des concepts que nous utilisons n’est pas un jeu d’intellectuels. Elle est tout simplement essentielle pour nous comprendre entre nous, pour construire des propositions communes.
Si nous voulons nous attaquer aux racines du problème de la pauvreté, il convient de corriger les effets dévastateurs des échanges entre unités de production aux niveaux de productivité très dissemblables, (que ce soit au niveau du marché mondial ou sur des marchés nationaux). On ne fait pas faire la course à un avion à réaction et une charrette à cheval sans savoir à l’avance quel sera le résultat. Ce n’est pas de l’idéologie. C’est du bon sens et cela ne veut pas dire que le développement des marchés ne puisse pas être positif entre des économies de niveaux semblables.
Il nous faut renoncer au mythe de la propriété absolue du sol pour réinventer de nouvelles formes de gouvernance des territoires. Il y a toujours des faisceaux de droits, des ayant droits multiples. Il faut abandonner le concept français de propriété au singulier et revenir au pluriel des propriétés (au pluriel) d’avant la révolution, des property rights et envisager des modes d’administration de ces droits divers, par le marché ou par des mécanismes non marchands.
Nous devons abandonner l’illusion d’un marché parfait de la terre et des ressources naturelles. Karl Polanyi avait déjà il y a plus de 60 ans très clairement montré que la terre ne pouvait pas être une marchandise comme les autres, et que le marché ne pourrait en aucun cas redistribuer les droits sur la terre de façon optimale.
Ces observations ont des implications très concrètes en ce qui concerne les politiques foncières.
Favoriser les échanges entre réalités différentes
Cette reconstruction n’est pas un exercice théorique. Ce doit être un exercice concret basé sur les pratiques diverses.
Il est essentiel d’en débattre collectivement car la construction de réponses aux défis actuels ne pourra se faire que de façon plurielle, dans des dynamiques d’alliances de plus en plus larges, dépassant nécessairement le milieu rural.
Les outils et propositions
Mettre en place un cadre général pour des programmes de gouvernance des territoires, inspirés des mécanismes de Développement Territorial Participatif Négocié travaillé par la FAO. Ces programmes pourraient se développer au niveau local dans le cadre national, mais aussi à titre expérimental avec des partenaires de différents pays, et de différents secteurs.
Un cadre de ce type pourrait être financé par des mécanismes novateurs, pouvant aider à la construction d’une nouvelle gouvernance mondiale. Comme le sujet est d’importance névralgique pour l’humanité, pourquoi pas le financer par le biais d’un impôt mondial comme cela commence à se développer.
Créer des mécanismes spécifiques permettant à la FAO de travailler et de financer directement les organisations de la Société Civile et les mouvements sociaux. C’est un moyen indirect d’aider les Etats à élaborer et appliquer des politiques nécessaires. Ce mécanisme pourrait prendre la forme d’un programme spécifique visant le renforcement des organisations paysannes et rurales. Le FIDA semble décidé à montrer la voie, mais les besoins sont considérables que la FAO ne devrait pas tarder à faire de même.
Organiser la participation systématique des populations rurales dans la conception et l’application des politiques de sécurisation foncière des différents types de droits, et tout particulièrement des droits d’usage, en s’appuyant sur des structures de gouvernance existantes ou en aidant à la construction de nouvelles institutions locales territoriales ad-hoc.
Mettre en place à l’initiative de la FAO et avec d’autres partenaires de la Société Civile un Observatoire, responsable:
de commander des travaux participatifs permettant d’analyser et de tirer les leçons des expériences intéressantes pour trouver des réponses aux questions que nous avons évoquées (réforme agraire redistributive, systèmes d’administration locale des droits, etc.)
d’assurer la dimension mondiale du processus d’apprentissage de la bonne gouvernance des zones rurales, et
de produire un Rapport mondial périodique sur l’accès à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles, qui ferait un état des lieux des questions d’équité et de sécurisation des droits d’usage des paysans, des pêcheurs, des populations nomades et de celles qui vivent de la forêt et permettrait non seulement de suivre les progrès en matière de gouvernance dans ces domaines mais aussi d’aider les Etats les institutions internationales, et les organisations des sociétés civiles à rendre des comptes (accountability) …
Travailler à la création de mécanismes obligeant les Etats à adopter des politiques destinées à réduire les inégalités d’accès aux ressources foncières et naturelles et à rendre des comptes sur leur mise en oeuvre. Des conditions au financement des programmes d’aide à la réduction de la pauvreté constituent sans doute un domaine d’application privilégié de ces actions.