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Fiche 3 de 4.
Escrito por: Hubert Cochet
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
Quel bilan pour la Réforme agraire mexicaine ?
La réforme agraire mexicaine aura duré 77 ans, la plus longue sans doute de l’histoire, et domine de nombreux aspects de l’évolution sociale, économique et politique des campagnes mexicaines tout au long du XXe siècle.
Bilan chiffré : surfaces distribuées et nombre de familles bénéficiaires.
Au terme de la « phase distributive » de la réforme agraire, environ 3.5 millions de familles auraient été pourvues en terres (ejidataires et comuneros) dans environs 30 000 villages de la réforme agraire (nucleos agrarios), pour un total de 103 millions d’hectares, soit un peu plus de la moitié du territoire national1. La propriété privée, rassemble 1.4 million de propriétaires, qui se partagent 72 millions d’ha.
Ont été distribués environs 2 millions d’hectares de terres irriguées, 13 millions de terres de culture pluviale, 58 millions de pâturage et parcours (agostadero) ainsi que 34 millions de terrains de diverse nature (monte, désert et « indefinida »)2
La taille moyenne de la dotation serait donc d’environ 30 ha, dont 0.6 ha d’irrigué, 3.7 ha de terrain pluvial, 16.5 de pâturages et parcours et 9.5 de terrains « autres ».
Une réforme agraire paysanne.
Il s’agit d’une réforme agraire résolument paysanne et 3,5 millions de petites et moyennes unités de production familiale sont ainsi créées.
A l’exception des ejidos collectifs créés dans le Nord du pays (cf fiche 2/4) et dont le fonctionnement s’apparentait davantage à celui de coopératives de production, la tenure familiale individuelle domine très largement le panorama du secteur réformé, même si les dotations foncières furent toujours attribuées à un groupe constitué et non aux individus.
Sur les 30 000 « noyaux agraires » issus de la réforme agraire, 27 500 sont des ejidos et 2 500 sont des communautés dérivées de processus de restitution. Ces 2 500 « nucleos comunales » concernent environ 810 000 comuneros et 18 millions d’ha (en 1991)
Cette réforme agraire a été un frein incontestable à la paupérisation et à la prolétarisation d’une frange importante de la population rurale. Comment aurait évolué le secteur agricole – et la société toute entière – si il n’y avait pas eu de réforme agraire ? Malgré le caractère inachevé, contrasté, parfois ambigu et contradictoire de cette réforme agraire, elle a incontestablement permis la constitution d’une paysannerie nombreuse et dynamique. Elle a sans doute permis le maintien d’une relative paix sociale, du moins d’éviter de sombrer dans la guère civile comme cela fut le cas dans de nombreux pays d’Am Latine, notamment parce que le problème foncier n’y était pas résolu.
La réforme agraire mexicaine est-elle « minifundiste » ? C’est une accusation qui lui fût souvent faite, dès les années soixante par l’inteligencia mexicaine, puis pour justifier les réformes libérales des années 90’ (la trop petite taille de la dotation serait incompatible avec la modernisation de l’agriculture). Pourtant, dès 1920 (ley de ejidos) on décrète que la dotation foncière doit permettre à son bénéficiaire de gagner le double du salaire journalier local, c’est-à-dire l’équivalent de 3-5 ha en irrigué, 4-6 ha en pluvial et 6 à 8 ha en temporal errático3 et cette norme est ensuite augmentée (au fur et à mesure de l’accroissement des besoins). A partir de 1946, on considère que la dotation doit être au minimum de 10 ha d’irrigué ou de 20 de terrain pluvial. Certes, cet accroissement du plancher « légal » n’a pas été suivi d’effet dans la pratique, 90% des bénéficiaires de la réforme agraire entre 1915 et 1992 n’ayant reçu que l’équivalent de 5 ha irrigués ou moins4, mais il n’est pas possible pour autant de décréter, au vu de la petite taille des unités foncières aujourd’hui, le caractère intrinsèquement minifundiste de cette réforme agraire. La surface correspondant à la notion de minifundisme dépend bien sûr des systèmes de production mis en place et du seuil de renouvellement défini, pour une société donnée, à un moment donné de son histoire. 6 ha de terrain pluvial en 1920 permettaient à un agriculteur de faire vivre sa famille dignement, dès lors qu’il était libéré des prélèvements imposés dans le cadre des rapports sociaux de l’ancien régime. De la même façon, les dotations de 20 à 40 hectares et davantage réalisées dans les années soixante et soixante-dix dans les régions tropicales humides permettraient fort bien à une famille de vivre aujourd’hui, si les bénéficiaires de ce type de dotation n’avaient pas été enfermés dans une spécialisation bovin-extensif produisant très peu de valeur ajoutée et de revenu par hectare.
La pequeña propiedad : véritable petite propriété et latifundia déguisé.
Sous ce statut juridique se trouvent à la fois :
de minuscules propriétés privées, véritable minifundium. La majorité de ces très petites propriétés semblent d’ailleurs être entre les mains de producteurs indiens. Dans les communautés indiennes qui avaient survécu à la desamortización, les lots furent considérés comme propriété privés et reconnus comme tels.
de grandes et très grandes propriétés, qualifiées pudiquement de pequeña propiedad pour ne pas écorner le mythe du caractère hors-la-loi du latifundium … la protection de cette propriété est cependant limitée aux personnes physiques.
D’après le recensement de 1991, la pequeña propiedad rassemblerait 71.7 millions d’ha appartenant à 1 411 000 propriétaires, soit environ 50.8 ha par propriété. Cette propriété est encore très inégalement répartie :
540 000 propriétaires ayant plus de 5 ha se partagent 70 millions d’ha (moyenne 130 ha) dont 10 900 propriétés de plus de 1 000 ha (pour environ 37 millions d’ha, soit environ 3 400 ha par domaine !). C’est dans cette catégorie que l’on retrouve la plupart des éleveurs (bovin extensif) du tropique mexicain.
870 000 minifundistes vrai ayant moins de 5 ha, en moyenne 1.6 ha (pour un total de 1.4 million d’ha), dont la moitié sont des indiens.
Il existe donc de nombreuses régions où la réforme agraire n’a pas été ou peu appliquée, en particulier dans les régions « périphériques » du tropique (versant pacifique, Golfo, Isthme), restées dépeuplées jusqu’à leur recolonisation à partir de la fin du XIXe et surtout dans le cadre du développement de front pionnier de l’élevage à partir des années 40’. N’ayant pas connu de structures agraires de type hacienda et les rapports sociaux de production dominant du type Hacienda / peones, il n’y eu ni procédure de restitution ni procédure de dotation, beaucoup de grands domaines se protégeant très vite de toute dotation par la procédure des certificats « d’inaffectabilité ».
Par ailleurs, pour que la réforme agraire soit applicable, encore fallait-il que les rapports de force au niveau local et régional soient favorables. Lorsque ce n’était pas le cas, notamment dans toutes les régions moins densément peuplées, il était très difficile (1) de constituer un groupe d’au moins 20 personnes pour pouvoir se constituer « sujet de droit agraire », (2) d’entamer une procédure, (3) de la faire aboutir compte tenu de son coût (nombreux déplacements, rémunérations des ingénieurs, corruption…), des délais parfois très longs (107 mois au total, soit 11 années de procédure… entre la solicitud et l’obtention de la « posesión definitiva »5) et des risques parfois encourus (garde blanche à la solde des grands propriétaires).
Différenciation paysanne et circulation du foncier à l’intérieur du secteur « réformé ».
Un premier facteur de différenciation tien à la diversité des conditions dans lesquelles les différents groupes de solliciteurs ont été dotés à différents moments de l’histoire de la réforme agraire mexicaine et dans différentes régions du pays. Les écarts de dotation sont très forts, par exemple, entre les premiers dotés dans la décennie des années vingt, et les familles dotées de lots de beaucoup plus grande dimension sur les fronts pionniers du Sud-Est … .
Par ailleurs, à l’intérieur des ejidos (trop souvent considérés comme une boite noire), il y a en général une très forte différenciation socio-économique : caciquisme et corruption sont monnaie courante :
captation des subsides de l’Etat au profit d’un petit nombre, souvent la junta directiva,
accaparement fonciers (ex : les parcours)
multiples formes de Faire Valoir Indirect caché, de notoriété publique, mais illégales (depuis la loi de 1934). Il s’agit par exemple de diverse formes de métayage inverse, interne à l’ejido, où le possesseur des moyens de production (attelage, intrants, capital, insertion au marché,…) passe un contrat avec le détenteur de la parcelle ejidale, détenteur acculé à céder sa parcelle faute de moyens suffisant pour la mettre en valeur6.
Présence de nombreux avecindados, au statut souvent précaire et sans véritables droits à l’intérieur de l’ejido hormis celui d’y détenir un lot « urbain » pour y construire leur maison
Malgré le caractère inaliénable de la dotation ejidale, de nombreuses transactions ont manifestement eu lieu, notamment dans le cadre de relation de FVI, jamais déclarées mais souvent connue de tous. (Aucune statistique n’est bien sûr disponible dans ce domaine).
Il résulte de ces phénomènes une inégale répartition du foncier à l’intérieur même de la « boite noire » ejidale (boite noire à l’intérieure de laquelle les pouvoirs publics ne pénètrent pas ou ne veulent pas pénétrer… .
Il est cependant certain que le frein établi au marché foncier par le caractère inaliénable de la dotation a freiné la différenciation paysanne, sans bien sûr pouvoir l’empêcher (frein considéré par certains comme un obstacle à l’investissement et à l’accroissement de la productivité, conception qui a en partie inspiré les réformes de 1992). (voir fiche 4/4).
Par ailleurs, et malgré le fait que le caractère inaliénable de la dotation ait souvent été contourné de différentes manières, il semble que la grande majorité des ejidataires continue à travailler individuellement la parcelle reçue (les ¾ en 1997, d’après la Procuraduría Agraria7). Il y a peu de différence entre d’une part le cumul des bénéficiaires de la réforme agraire tout au long de ces 77 années (3 100 000 familles) et, d’autre part, le nombre de famille actuellement (en 1991) recensées et reconnues comme ejidataires ou comuneros. Cette « coïncidence » laisse penser qu’il n’y a eu finalement que très peu de division par héritage au fil des générations, ou alors (version plus probable) que beaucoup de ces dotations divisées à l’occasion des successions ont été annulées (ou réunifiée) ensuite.
L’impact de la réforme agraire sur la production.
De 1915 à 1965, la production augmente plus vite que la population. Entre 1935 et 1965, la production augmente de 4.4% par an8. Celle de maïs aurait été multipliée par plus que 2, celle de haricot par 3, celle de blé par 4, ce qui permit d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et même d’exporter un surplus céréalier (blé et maïs) au début des années 60. Le rythme le plus rapide est celui des années 40 (+5.1%/an), conséquence directe de la phase de distribution massive de la fin des années trente.
Là où les bénéficiaires de la réforme agraire eurent accès aux moyens de production (charrue et attelage dans un premier temps, infrastructures d’irrigation, matériel de transformation et de transport, bétail) les gains de production furent immédiats et durables. Dans le cas contraire, les « bénéficiaires de la réforme agraire cèdent leur parcelle d’une façon ou d’une autre, faute de moyens pour la cultiver, phénomène particulièrement actif dans le contexte récent de la baisse des prix agricoles et de la crise de nombreuses exploitations agricoles.
La « question indienne » reléguée au second plan.
En consacrant le village, en particulier le « noyau agraire »en tant qu’entité constituée et plus petite « maille administrative » reconnue par les pouvoirs publics, la réforme agraire fait passer la Communauté Indienne au second plan, dans tout les domaines de la vie rurale, de l’aménagement du territoire et de la relation avec le pouvoir central.
La dotation de terres à ces villages-ejido aboutit souvent au démembrement de facto des communautés indiennes préexistantes (malgré leur reconnaissance légale rétablie). Dans le cas où communautés indiennes et villages-haciendas ne coïncident pas (exemple sur schémas 1 et 2, cf. fiche 1 / 4), une même communauté indienne peut se trouver écartelée, et donc divisée en plusieurs ejidos. Dans le cas au contraire où les haciendas englobent un ou plusieurs villages indiens, la constitution d’ejidos, en transférant de facto tout le pouvoir local au nucleo agrario, sape les fondements même de la Communauté Indienne. Contrairement à la procédure de restitution, la dotation s’appuie non pas sur la communauté indienne en tant qu’institution ayant retrouvé sa personnalité juridique, mais sur les quartiers, les secteurs, entérinant de facto la dilution de l’institution communautaire dans de nouvelles institutions agraires, les ejidos, dotés de pouvoir croissant au détriment des Communautés Indiennes.
13 118 000 bénéficiaires (« dotés ») d’après les données fournies sur le site de la SRA pour un total de 107 500 000 hectares, mais les chiffres diffèrent entre tableaux synthétiques du même site…
2 D’après le site SRA cité dans la note précédente.
3Warman, p. 61.
4Ce qui confirmerait, d’après Warman le caractère minifundiste de la réforme agraire … (p. 63)
5 Moyenne pour la période 1915-1967 d’après A. Warman (op cit, p. 59).
6Voir à ce propos les études de cas rassemblées par J. Ph. Colin (2000).
7Warman, p. 60
8D’après Reyes Osorio, 1975, cité par Dufumier.
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