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Escrito por: Danièle Kintz
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Groupe de Recherches et d’Echanges Technologiques (GRET)
Tipo de documento: Artículo científico
Collective work D’un savoir à l’autre. Les agents de développement comme médiateurs, edited by Jean-Pierre Olivier de Sardan and Elisabeth Paquot. Focal Coop. GRET, Ministry of Cooperation and Development. Diffusion La Documentation Française. 1991.
Some minor modifications have been introduced by the author for the re-publication of this article in 2022 on www.agter.org.
All cultures and their vehicles, the languages, divide their universe into entities that make sense and that must be taken into account before any intervention. For the Fulani, their environment is divided into ecosystems that are described, commented on in terms of their past and foreseeable evolution, and attributed to specific activities.
The terms of this classification trigger the whole semantic chain and determine the forms of exploitation. The modalities are traditional, contemporary and ecologically advanced at the same time.
Ethnonyms : The Fulani call themselves FulBe (singular Pullo). Their name in English comes from the Hausa Fulani. Their name in French, Peuls, comes from the Wolof or the singular Pullo.
Danièle Kintz (2022)
The full article by Danièle Kintz is currently only available in French
Chaque langue effectue des découpages spécifiques de la réalité. Ainsi par exemple, les langues opèrent des découpages différents du spectre lumineux qui aboutissent à des nombres variés de couleurs. C’est pourquoi les traductions ne sont le plus souvent que des approximations.
Ainsi les différentes sociétés rurales africaines ont-elles toutes réalisé des « découpages sémantiques » de leur environnement qui leur permettent de s’approprier intellectuellement l’espace en le ramenant à des unités connues et reconnues. Ces unités reçoivent des affectations différentes (types de cultures et de pâturages variés, jachères, réserves, etc.).
Les interventions de développement de ces sociétés rurales se font, elles, sur la base de perceptions de l’environnement et de logiques d’utilisation de type occidental qui, bien sûr, sont différentes de celles des sociétés locales. Des langues différentes, et les cultures qu’elles véhiculent, peuvent opérer sur un même environnement des découpages intellectuels non seulement variés mais parfois contradictoires. Or, à ces découpages intellectuels correspondent des pratiques agricoles, pastorales et autres, spécifiques. Il est donc peu efficace de chercher à intervenir sur un environnement sans se préoccuper de la perception que les sociétés utilisatrices en ont.
L’Unesco, dans le cadre de son programme MAB (Man and Biosphere) a suscité et financé plusieurs études dans diverses régions du monde sur la perception que les populations ont de leur environnement. Les données et l’analyse que nous présentons ici sont essentiellement issues d’études menées grâce à l’Unesco dans le nord du Burkina Faso en 1976 puis en 1980-1981 dans un milieu peul représentatif de la majorité des sociétés peules, c’est-à-dire chez les Peuls agropasteurs (les éleveurs purs sont en fait minoritaires) (Cf. D.Kintz, 1981).
Nous avons étudié quatre thèmes peuls de pointe: le savoir botanique; la perception de l’environnement en écosystèmes; la prise en compte de toutes les eaux (de surface ou souterraines) dans l’organisation foncière, territoriale et spatiale; l’organisation de la complémentarité entre agriculture et élevage. Mais c’est le deuxième qui sera développé ici, car il est le plus englobant et permet d’inclure succinctement les autres thèmes.
Des sociétés agropastorales aux perceptions et aux pratiques évolutives
Des communautés peules d’importance numérique très variable sont présentes dans la presque totalité des pays africains situés entre le tropique du Cancer et l’Equateur. Les communautés les plus nombreuses correspondent à d’anciens Etats peuls, aujourd’hui insérés en tant que provinces dans les Etats-nations actuels (Guinée, Mali, Burkina Faso, Nigéria, Cameroun, etc.).
Les Peuls sont connus comme spécialistes de l’élevage bien qu’ils pratiquent diverses autres activités (agriculture, commerce, religion, emplois urbains). Leur répartition et leur compétence en tant qu’éleveurs sont telles que des citadins, peuls et non-peuls, leur confient leur propre bétail, et que des ruraux, issus d’autres groupes ethniques (ou de catégories sociales particulières faisant partie de l’ensemble peul) font souvent de même, se libérant ainsi des tâches pastorales pour se consacrer à d’autres activités, en particulier pendant la saison sèche, où ils cherchent à s’employer en ville ou à l’étranger.
La compétence pastorale des Peuls est issue d’un apprentissage commencé dès la petite enfance, principalement chez les garçons, mais aussi parfois chez les filles. Un enfant peul est normalement propriétaire d’un animal dès la cérémonie d’imposition du nom qui a lieu une semaine après sa naissance. La propriété du bétail est toujours individuelle et la responsabilisation des enfants commence dès leur plus jeune âge.
Les Peuls vivent dans des environnements variés (du Sahel semi-désertique jusqu’à la grande forêt en République centrafricaine), auxquels ils se sont adaptés au cours de leurs migrations, et le découpage qu’ils font de l’espace varie suivant ces contextes. Ils fournissent un exemple de perceptions de l’environnement aussi évolutives et dynamiques que les pratiques spatiales qui leur sont liées. La langue peule se désigne elle-même par le terme de pular au Sénégal, pulaar en Guinée et par fulfulde dans tous les pays situés plus l’est. Les exemples que nous prenons dans ce texte sont exprimés dans la variante dialectale du Liptaako (appellation traditionnelle de la région de Dori) assez dominante dans l’ensemble du nord du Burkina Faso. En effet, la langue peule qui présente une remarquable unité dans son extension géographique connaît aussi de nombreuses variantes locales.
Les sociétés comme les langues évoluent sans cesse, sous des pressions internes et externes. Notre propos n’est pas de proposer un conservatisme quelconque, ni social ni spatial, mais de mettre l’accent sur des facteurs souvent ignorés, dont la négligence entraîne, à long terme, des risques que l’on mesure mal.
La perception peule de l’environnement en écosystèmes
Le terme le plus générique concernant l’espace est en peul celui de leydi. Il peut s’appliquer aussi bien à un continent qu’à un Etat-nation, une province, un territoire villageois ou à des unités encore plus restreintes. Tout leydi se subdivise en espaces habités et en espaces non habités. Les espaces habités ont pour appellation fondamentale wuro, quelle que soit leur taille. Tout espace habité peut comporter des subdivisions et certains lieux habités peuvent avoir des appellations complémentaires spécifiques (par exemple: village de descendants de captifs, debere; « campement » de saison des pluies, ruumdude).
A wuro s’opposent les espaces non habités, ladde (terme peul souvent traduit en français par « brousse »). Ces espaces non habités sont très divers et plus ou moins socialisés : alors que les termes wuro et ladde sont exclusifs l’un de l’autre - un lieu est l’un ou l’autre - l’intensité de la qualité de ladde est variable et c’est en fonction de son degré de socialisation (en d’autres termes, son degré d’utilisation par les gens) que cette intensité varie. C’est le découpage de ladde, la « brousse », qui permet de définir des écosystèmes en langue peule.
Nous parlons d’écosystèmes car la définition que les Peuls donnent des différents termes par lesquels ils découpent l’espace inclut:
1. l’analyse des types de sol;
2. l’étude des types de végétation qui y poussent;
3. le type d’utilisation qui, pour les Peuls, est logiquement induit par l’observation et la réflexion effectuées dans le cadre de ces découpages.
Ainsi, à l’intérieur de ladde, la « brousse », sont distingués (cf. pages suivantes l’encadré « Les grandes catégories de découpage de la brousse ») :
les espaces stériles, de type kollangal principalement;
les terres affectées à la culture du petit mil, seeno;
les zones réservées aux pâturages herbacés, bolaare;
les rives et les lits des marigots qui sont des réserves de pâturage aérien, ceekol étant le terme le plus générique.
Tout en indiquant la diversité de cette terminologie, nous nous contenterons de traiter ici du ceekol, le « marigot de village », banal en même temps qu’indispensable à la vie humaine et animale.
Ceekol constitue une réserve d’eau en saison des pluies. Il s’assèche rapidement ensuite et c’est dans son lit que chaque année sont creusés les puits destinés à l’approvisionnement en eau des villages et à l’abreuvement du bétail. Les zones de puits ne comportent que quelques arbres car le sol est très piétiné par le bétail, mais dès que l’on s’éloigne des lieux habités, les rives de ceekol comportent de nombreuses espèces arbustives. Ces arbres sont réservés à la pâture aérienne, surtout lorsque l’herbe des bolaare est épuisée.
Zones de pâturages herbacés, bolaare, et zones de pâturages aériens, ceekol, sont donc des espaces spécifiques, perçus, analysés et organisés par rapport au bétail. Lorsque les rives de ceekol ne sont pas cultivées, il n’y a pas de conflits autour de l’accès à l’eau du bétail, mais c’est à propos de ces terres-là que des conflits surgissent lorsque des agriculteurs issus d’autres populations qui n’ont pas cette tradition pastorale veulent les utiliser pour l’agriculture.
Les terres classées seeno ne posent pas les mêmes problèmes de coexistence Peuls/non-Peuls dans un espace peul, car un consensus existe pour qu’elles soient attribuées à l’agriculture. Toutes les terres seeno sont sablonneuses et cultivées à l’iler (instrument d’agriculture au long manche avec lequel on effectue les sarclages debout). Dans le système agropastoral peul où les terres argileuses sont réservées à la pâture, il n’y a pas de travail agricole effectué à la houe.
Ces catégories de l’espace chez les Peuls doivent être soigneusement prises en considération, compte tenu de leurs affectations économiques, et des conflits que leur non-respect engendre. Il faut les étudier avec soin, avant d’entreprendre toute action de développement qui pourrait les remettre en cause et nier l’existence du consensus social qui les maintient. Nous n’avons abordé ici, avec l’exemple des Peuls, que le découpage que l’ensemble d’une société fait de son environnement. Mais le système foncier y est lié et il a la même pertinence : non seulement les catégories de l’environnement sont affectées à des activités particulières, mais à l’intérieur de ces catégories les individus ou les sous-groupes de la société considérée ont des droits spécifiques sur l’accès à l’espace et sur son utilisation, qu’il s’agisse de propriété transmissible ou d’une autre forme d’appropriation ou de maîtrise de la terre et de ses produits.
Pratiques et savoirs sur l’environnement
Le découpage de l‘environnement en écosystèmes est un savoir partagé par l’ensemble de la société peule, mais ceux qui mettent en pratique ce découpage sont surtout les hommes, car ce sont eux qui effectuent l’essentiel des tâches pastorales et agricoles.
La prise en compte de toutes les eaux (de surface ou souterraines) dans l’organisation foncière, territoriale et spatiale, est aussi un domaine par rapport auquel chacun se situe dans l’espace et dans ses pratiques productives, pastorales tout particulièrement. La gestion de la complémentarité entre l’agriculture et l’élevage est liée à l’organisation interne de la société (chacun fumant son champ avec ses propres animaux) mais est aussi un moteur de l’échange entre les éleveurs ou les agropasteurs et les sociétés d’agriculteurs qui sont leurs voisines ("contrats de fumure").
Le savoir botanique est un domaine sur lequel il y a lieu de s’attarder: que ce soit pour l’étude des nomenclatures botaniques ou pour celle de l’évolution du couvert végétal (disparition de certaines espèces, prolifération de certaines autres), notre expérience nous a appris que ce sont les bergers qui sont les meilleurs botanistes de la société peule. Les bergers (plus souvent bouviers que bergers, mais ce dernier terme est plus courant en français) sont des hommes de la classe d’âge 20-40 ans principalement; la connaissance botanique ne disparaît pas avec l’âge mais c’est la pratique quotidienne de l’environnement végétal qui diminue.
Toutes les sociétés opèrent un découpage intellectuel de leur environnement et toutes ont des pratiques spatiales spécifiques. Les sociétés d’agropasteurs présentent la particularité d’utiliser la quasi-totalité de l’environnement et de se déplacer beaucoup avec leurs animaux. Leurs connaissances sont donc fondées sur une expérience importante et sur une pratique intense. Dans d’autres sociétés, il faudrait prendre en compte la connaissance des chasseurs et des pêcheurs, outre celle bien sûr des agriculteurs, c’est-à-dire la connaissance de tous ceux qui se déplacent dans l’environnement considéré et qui ont des motivations particulières pour être de fins observateurs, et des intérêts dans la conservation de l’environnement.
Ainsi la cueillette, les produits qu’elle concerne et les circuits qu’elle emprunte, sont aussi des domaines qui méritent attention, non seulement pour leur intérêt alimentaire et commercial (par exemple, le karité) mais aussi pour la connaissance de l’environnement qu’ils impliquent.
KINTZ D. La perception de leur environnement par les populations sahéliennes. Une étude de cas : Sambo Na’i, Haute-Volta (Burkina Faso). Paris, Unesco : Etablissements humains et environnement socioculturel, no 24, 1981, 106 p.
Autres publications (antérieures à 1991) de l’auteur concernant l’espace et le foncier :
KINTZ D. Pastoralisme, agropastoralisme et organisation foncière : le cas des Peuls, in Enjeux fonciers en Afrique noire (voir plus loin), pp. 212-217.
KINTZ D. et TOUTAIN B. Lexique commenté peul-latin des flores de Haute-Volta (Burkina Faso). Maisons-Alfort: Iemvt, Etude botanique, no 10, 1982, 44 p.
KINTZ D. L’analyse foncière face aux espaces africains dits traditionnels, in Espaces disputés en Afrique noire (voir plus loin), pp. 339-347.
KINTZ D. Peuls majoritaires, Peuls minoritaires, in Pastoralists of West African Savanna. Londres: Institut international africain, 1986, pp. 319-325.
KINTZ D. Les éleveurs centrafricains. Leurs caractéristiques sociologiques et linguistiques. Bangui: Pnde, 1988, 89 p.
KINTZ D. en collaboration avec AUDRU J. et al. L’herbe du Laos. Synthèse des connaissances actuelles sur la plante et sur les moyens de lutte. Etudes et Synthèses de l’Iemvt, no 28, 1988, 186 p.
Une bibliographie existe concernant les Peuls (publications jusqu’en 1975):
SEYDOU C. Bibliographie du monde peul. Niamey-Paris : Etudes nigériennes, no 43, 179 p.
Un bulletin bibliographique concernant les Peuls est en cours d’édition à l’Institut national des langues et civilisation orientales, Paris.
L’Association pour la promotion des recherches et études foncières en Afrique, Aprefa, a publié collectivement sur la question foncière :
Enjeux fonciers en Afrique noire. Paris: Orstom-Karthala, 1982, 525 p.
Les politiques foncières étatiques en Afrique noire. Paris: Université de Paris I, 1982, 285 p.
Les pratiques foncières en Afrique noire. Dossier des contributions reçues au colloque de Saint-Riquier, 1983.
Espaces disputés en Afrique noire. Pratiques foncières locales. Paris: Karthala, 1986, 427 p.
Politiques foncières et territoriales. Revue politique africaine, no21. mars 1986, pp. 3-89.
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